Grâce au succès du Syndicat du crime de John Woo qu’il avait produit, Tsui Hark peut tout se permettre. Sa société la Film Workshop va donc se lancer dans un projet insensé, celui du film fantastique qui n’est pas du tout à la mode à Hong Kong. Qu’on se rappelle que Zu les guerriers de la montagne magique a été un échec commercial pour le cinéaste. Cela a failli lui couper tout possibilité de tourner.
Parallèlement à Histoires de fantômes chinois, Tsui Hark participe, également avec la CCC Cinema City Company, au médiocre Happy ghost III de Johnnie To, film dans lequel il joue et pour lequel il produit les effets spéciaux. Histoires de fantômes chinois sera d’un niveau largement supérieur. Tsui Hark fournira à Ching Siu-tung un budget conséquent qui permettra de mettre en œuvre toutes les idées qui sortent de la tête des deux hommes.
Si Tsui Hark se lance dans cette production, c’est aussi parce que la mode est au kung fu ghost comedy lancée, entre autres, par Sammo Hung (L’Exorciste chinois) et Wu Ma (The Dead and the deadly). Pour marquer l’authenticité de leur film, Ching et Tsui engagent Wu Ma dans le rôle d’un moine taoïste qui devra défendre les humains contre les démons qui peuplent cette Chine ancestrale et fantasmée qui est d’une cinématographie époustouflante.
Mais le personnage principal est le jeune lettré Ning admirablement incarné par un Leslie Cheung au meilleur de son talent. Ning est un pèlerin fauché qui, faute d’argent, est obligé d’aller dormir dans un temple. Les villageois le voient déjà mort, car le temple est hanté par des fantômes qui aspirent le souffle de vie des hommes après avoir couché avec eux. Ning est l’innocence incarnée et il tombe amoureux de Hsiao Tsing (Joey Wong). Il mettra un long moment avant de comprendre qu’elle est un fantôme.
Du fantôme au fantasme, il n’y a qu’un pas que Ching Siu-tung franchit avec allégresse. Joey Wong est filmée sous toutes les coutures avec une rare sensualité. Dans la séquence où Leslie Cheung va la rejoindre dans son antre, Ching joue avec les étoffes qu’elle porte et qu’elle enlève. Puis, il la filme les vêtements mouillés. Elle a caché Leslie dans l’eau de son bain pour que sa sœur et sa « mère » adoptive (un fantôme dont la voix varie du féminin au masculin dans la même phrase) ne le découvrent pas. Enfin, il filme sa peau blanche avec une rare délicatesse.
C’est une belle idée de faire tomber amoureux un vivant et une morte. Ainsi Tsui Hark et Ching Siu-tung peuvent jouer sur le romantisme absolu, sur l’amour par delà la mort, sur l’irréversibilité des sentiments. D’autant que tous les autres personnages se liguent contre ce couple forcément impossible. La mort hante le couple dans des images d’une fulguration sublime. Cela commence dès le début avec le visage ensanglanté de Leslie, cela continue avec le défilé des morts dans le village, cela se termine avec le mur des cadavres à la fin. Tout était écrit dès le départ. Tout cela est décrit dans la chanson de Leslie Cheung qui lance le film.
Histoires de fantômes chinois n’est pourtant pas un film lugubre, loin de là. C’est la naïveté du personnage de Leslie Cheung, sa maladresse, qui donnent au film un ton comique. Wu Ma, avec sa fausse barbe, n’est pas en reste. Comme Tsui Hark est fou, il lui offre même une chanson, proche du rap, au milieu du film. Wu Ma joue un moine ronchon mais au grand cœur.
C’est encore Wu Ma qui donne à Histoires de fantômes chinois ses plus belles acrobaties. Plus encore que dans Zu les guerriers de la montagne magique, les lois de la gravitation sont ici abolies. C’est un plaisir des yeux de tous les instants de voir les interprètes voler dans tous les sens au milieu de la forêt. Les drapés des tuniques virevoltent au gré des mouvements contradictoires dans un maelstrom de couleurs basiques.
Encore une fois, Tsui Hark était en avance sur son temps et le film fût boudé par le public hongkongais avant de devenir au fil du temps un classique inégalé. Ching Siu-tung et Tsui Hark attendront trois ans pour tourner la suite. Histoires de fantômes chinois est aujourd’hui, plus de vingt ans après sa production, l’un des plus beaux films des années 1980.
Histoires de fantômes chinois (A Chinese ghost story, 倩女幽魂, Hong Kong, 1987) Un film de Ching Siu-tung avec Leslie Cheung, Joey Wang, Wu Ma, Lau Siu-ming, Lam Wai, Sit Chi-lun, Wong Jing, David Wu.
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