lundi 30 juillet 2007

Eté précoce


Toute la famille attend que Noriko se marie, mais elle ne veut pas. Eté précoce de Yasujiro Ozu est le récit de ce refus. Eté précoce est un film sur l'éclatement. En un peu plus de deux heures, Yasujiro Ozu va montrer comment une famille très unie va se défaire. Mais le cinéaste n'en fait un enjeu dramatique voire mélodramatique, c'est au contraire presque une comédie. Le sourire toujours aussi énigmatique de Setsuko Hara illumine Eté précoce, comme elle irradiait déjà Le Repas de Mikio Naruse qui date de la même époque et dont le sujet et le traitement sont proches. Mais avant d'éclater, la famille de Noriko était unie. Le noyau dur de la famille c'est bien sûr le père et la mère (Ichiro Sugai et Chieko Higashiyama) tous deux en costumes traditionnels. Ils habitent avec leurs deux enfants : d'abord le fils, Koichi (Chishu Ryu), médecin marié à Aya (Chikage Awashima) avec qui il a deux enfants espiègles qui serviront à Ozu de modèle pour faire ses deux diablotins dans Bonjour. Ensuite la fille, Noriko (Hara), 28 ans toujours célibataire. Le film commence sur un repas matinal. Mais déjà quelque chose cloche, personne ne mange en même temps.

" Depuis la guerre, les femmes sont impudentes ", dit le vieux père. " Non, elles sont devenues normales ", lui répond Noriko avec son plus beau sourire. Tout dans Eté précoce tend vers la fin de l'unité familiale. C'est déjà le basculement des habitudes, adieu la tradition. Ainsi quand le vieil oncle sourd vient rendre une visite, les deux gamins se moquent de lui. Puis lors de la représentation du kabuki, Ozu ose un plan qui résume ce changement : une voiture moderne côtoie une gravure ancienne. Il termine sa séquence par un travelling avant sur le théâtre vide. Car désormais la jeunesse préfère aller dans un restaurant moderne où l'on s'assoit sur des chaises avec un mur orné d'une peinture moderne. Le fossé grandissant des générations est marqué moins par les dialogues que par la mise en film.

Noriko ne veut épouser pas son patron, pourtant un bon parti. On l'incite. Elle refuse. Elle préfèrera un collègue de son frère, Kenkichi (Hiroshi Nihonyanagi), veuf qui vit avec maman et papa d'une petite fille. Une bonne pâte qui va justement déménager et changer de ville. Le salut de Noriko. Mais Ozu avait une longueur d'avance sur son final. Chaque personnage s'était créé sa cellule propre. Le fils a son cabinet de médecin, la fille a son bureau de secrétariat et le père s'occupe de ses canaris. Trois canaris dans trois cages séparées. Métaphore discrète sur ses trois enfants prisonniers (le film parle d'un autre fils disparu à la guerre). Eté précoce avait commencé par un plan fixe d'un bord de mer où un chien traverse le cadre pour en sortir sur la droite, plan que suivait immédiatement le père nourrissant ses canaris. Ce plan du chien trouve un écho dans un plan en travelling où Noriko dit au revoir à sa belle sœur. Elles sont de dos. Il sera temps ensuite de faire une dernière photo familiale, pure illusion, ultime souvenir. Une porte ouverte vers une autre vie.

Jean Dorel

Eté précoce (Japon, 1951) Un film de Yasujiro Ozu avec Setsuko Hara, Chysû Ryû, Ichiro Sugai, Chieko Higashiyama

dimanche 29 juillet 2007

Protégé


Le nouveau film de Derek Yee s’appelle Protégé (en français dans le texte). Et il parle d’un flic infiltré dans le cartel de la drogue à Hong Kong. Encore un film d’undercover cop, comme on dit, comme si cela devenait un genre. Le flic en question est incarné par le toujours excellent Daniel Wu et son protecteur est Andy Lau, que je n’avais pas vu dans un film depuis longtemps.

Je fais partie de ceux qui ont beaucoup aimé Une nuit à Mongkok pour des raisons diverses et en tout premier lieu parce que Wu et Cecilia Cheung y jouaient dedans. Dans Protégé, en plus de Wu et Lau, on trouve Louis Koo dans le rôle d’un drogué borderline. J’adore aussi Louis Koo (et tous ceux qui ont vu Election 2 aussi). Mais Protégé laisse un goût d’insatisfaction similaire à celui laissé par Confession of pain d’Andrew Lau et Alan Mak.

On dirait que désormais ces cinéastes ne veulent plus faire des films d’action mais au contraire souhaitent se concentrer sur la psychologie des personnages. Pourquoi pas ? Mais la relation entre Daniel Wu et Andy Lau est limite crédible. Wu est censé travailler depuis sept ans pour son patron de la drogue, mais ne connaît pas encore les tenants et les aboutissants du trafic. Il semble découvrir en même temps que nous le lieu où l’on fabrique des briques d’héroïne et lors d’un voyage en Thaïlande, Wu a les yeux bandés pour aller dans les lieux où le pavot pousse.

Or, une des choses les plus intéressantes du film, c’est précisément cette partie documentaire autour de la drogue. Cet aspect du producteur au consommateur. Derek Yee le montre sans racolage (ce qui est un exploit venant de l’industrie du cinéma de Hong Kong, on aurait pu s’attendre à un vulgaire film d’exploitation). On y voit les conditions du trafic, qui en profite, qui est exploité, qui consomme, comment l’Etat tente de soigner ses drogués tout en ayant une politique répressive, quelle drogue supplante l’héroïne. C’est plutôt passionnant.

Protégé s’attache surtout à la voisine de Daniel Wu, la jeune Fan (Zhang Zhingchu), maman d’une adorable gamine qui porte des couettes. Fan se pique. L’une des premières scènes du film est troublante puisqu’on voit la fille de Fan enlever la seringue du bras de sa mère et la jeter à la poubelle. (Action déjà repérée dans l’infâme Tideland de Terry Gilliam qui en donne une vision plus publicitaire et plus racoleuse). Ça n’est pas aussi émouvant que cela le voudrait. (Suis-je un homme sans cœur si je ne pleure pas devant les yeux mouillés de cette très jeune actrice ?)

Evidemment, notre héros va tomber amoureux de sa voisine et s’occuper d’elle et de l’enfant. On sait d’ores et déjà que c’est une relation vouée à l’échec et que le père de la gamine ne va pas arrondir les angles. Ici, se trouve le point noir de Protégé. Le père prodigue est interprété par Louis Koo qui en fait de caisses dans son rôle de super drogué. Autant dans Election 2, il jouait sur le calme autant là il cabotine. Faut dire que c’est difficile pour lui. Koo n’est pas pris au sérieux (ça rappelle Aaron Kwok). Trop beau gosse, toujours bronzé, il lui fait un rôle de loser. Ici, il s’est fait noircir les dents et ressemble à un zombie, il nous referait presque le coup d’Aaron dans Divergence qui a offert à l’acteur moult récompenses.

Protégé est de bonne facture. La technique est ultra professionnelle (comme disent les critiques de Variety). Un bon petit film anti-drogue vaguement moral.

Jean Dorel

Protégé (門徒, Hong Kong, 2007) Un film de Derek Yee avec Andy Lau, Daniel Wu, Zhang Zhingchu, Louis Koo, Anita Yuen, Derek Yee

vendredi 27 juillet 2007

Time


C’est l’été et un distributeur a décidé de sortir l'avant dernier film de Kim Ki-duk, Time sorti confidentiellement en Corée le 24 août 2006. Souffle présenté en compétition à Cannes cette année devra attendre fin novembre pour avoir une éventuelle sortie en salles.


C’est rien de dire qu’aujourd’hui plus grand monde n’en a rien à fiche d’un film de Kim Ki-duk. Je ne vais pas renier mes passions pour certains de ses films (au hasard Adresse inconnue ou Locataires qui fut mon premier texte sur Nihon-fr), mais plus le temps avance, moins j’ai envie de voir ses films.


Déjà, L’Arc m’était apparu comme un best of de ce qu’il avait pu produire précédemment : la frustration sexuelle, la recherche des racines familiales, l’individualisme triomphant, mais c’en était trop. L’insulte la plus commune faite au cinéma de Kim était d’en faire un cinéma de festival.


L’accueil de L’Arc a été glacial et le plus film l’un des plus beaux flops de toute l’histoire du cinéma coréen. Kim en a pris un gros coup à l’ego et s’est fâché avec à peu près tout le monde.


Time a été fait en réaction à L’Arc. Le film s’ancre dans une réalité commune et en renonçant à la fable. Nous sommes dans la Corée d’aujourd’hui où un jeune couple est heureux. Seulement voilà, Seh-hee est un peu jalouse quand Ji-woo regarde d’autres filles. Elle n’a pas de raison à cela, mais elle est jalouse quand même. Elle fait une grosse crise en public et disparaît.


Ji-woo déprime et sympathise avec See-hee (subtile différence de prénom) qui s’avèrera être Seh-hee qui a subi une opération de chirurgie esthétique. A un moment, on se dit que Kim Ki-duk tente de faire un film à la Cronenberg, un film sur la disparition de l’identité où seule la beauté intérieure lierait les amoureux. On se rappelle Faux semblants et A history of violence. Mais il n’a pas grand-chose d’intéressant à dire sur cela


Kim en reste au BA ba du romanesque romantique. Il échoue aussi totalement à renouveler l’idée de l’amoureuse revenante directement issue de Vertigo. Le problème principal est que désormais tout passe par les dialogues qui sont d’une lourdeur assez fâcheuse. Finalement, on préfère quand ses acteurs restent silencieux.


Time n’est pas profondément nul, il est juste dénué de tout intérêt. La seule chose réellement intrigante est l’appartement de Ji-woo : il est rempli de bobines de films et de DVD et sur son ordinateur on peut voir des extraits de Locataires. Autocitation ? A moins que Kim, faute de moyen aie tourné chez lui.


Jean Dorel


Time (시간, Corée – Japon, 2006) Un film de Kim Ki-duk avec Ha Jung-woo, Park Ji-yeon, Jang Jun-yeong, Jung Gyu-woon, Kim Ji-heon, Kim Sung-min, Kiki Sugino.

jeudi 26 juillet 2007

Marathon


Cho-won est un jeune autiste. Mais il sait courir. Sa mère l'encourage en lui demandant combien valent ses jambes : " 1 million de dollars ", répond-il. Est-ce tu peux gagner, demande-t-elle ? " Je peux le faire ", répond Cho-won. Et effectivement, Cho-won à la course de 10 kms qu'il fait arrive troisième. Il va sur le podium et une fois que les deux premiers sont descendus du podium, Cho-won prend la place du vainqueur. Ce qui ne manque pas d'amuser le public.

Cho-won a du mal à communiquer. Qu'est-ce que sourire ? Un photographe présent lui demande de faire un beau sourire, mais il en est tout à fait incapable. D'ailleurs, sa mère doit s'occuper de lui en permanence. Il est incapable de se débrouiller seul si ce n'est pour quelques broutilles. De toute façon, elle a tellement peur qu'il lui arrive un malheur qu'elle fait tout pour qu'il ne puisse jamais se retrouver seul trop souvent. Il a par exemple l'interdiction d'accepter quoi que ce soit de quiconque, ce qui donnera droit à quelques gags un jour où il vient de s'entraîner et que son coach lui propose un en-cas. Il refuse, mais par obéissance à sa mère. Il a évidemment faim, mais il n'a pas le pouvoir d'accepter.

Car le plus étonnant dans Marathon n'est pas l'aspect sociologique de la vie d'un autiste qui est décrite de façon quasi documentaire, mais le ton que le cinéaste emploie. Celui de la comédie. Il refuse de tomber dans l'angélisme et fournit à son film quelques scènes burlesques où le pauvre Cho-won est confronté à la dure réalité, comme lorsqu'il va faire les courses seul après avoir appris la liste des commissions par cœur et qu'il se retrouve devant un étal vide. Il ne sait plus comment agir.

Il y a une certaine cruauté de la part de Chung Yoon-chul de montrer son principal personnage dans le plus simple appareil. Oui, il est autiste, oui il est en dehors du monde bien que complètement dedans. Non, il ne peut pas avoir une vie normale. Sauf que le cinéaste le fait avec beaucoup d'humour, voire d'ironie. Il évite de tomber dans un insupportable misérabilisme. L'acteur qui interprète Cho-won, avec sa voix si étrange, son doigt qui se balade et ses yeux comme morts, est étonnant et parfait.

Quand le coach sort des jurons, Cho-won les répète le soir à la maison, tout comme il répète les pubs qu'il entend, parce qu'il répète tout. Là, le cinéaste nous fait rire, mais jaune. Le coach est un personnage particulier. Il est obligé d'entraîner ce gamin, qu'il juge débile, parce qu'il est condamné à une peine d'intérêt général. Il n'en a rien à fiche de lui faire faire 100 tours de stade pendant qu'il est au sauna à faire la sieste. Le coach est un égoïste et la mère de Cho-won, comme ce dernier, ont beau essayer de faire des efforts pour qu'il accepte de l'entraîner, il a du mal à se laisser amadouer.

La mère, elle-même, est un monstre d'égoïsme. Elle masque sa vie ratée en consacrant sa vie à son fils, à la fois au risque de l'étouffer totalement, et au détriment de son deuxième garçon, qui du coup vit dans l'ombre de son aîné autiste. Son mari l'a quittée et quand elle rencontre l'ancien coureur, elle reporte, encore une fois, sur ce dernier son manque et son angoisse pour, encore une fois, pourrir la vie de quelqu'un d'autre. Et c'est cette amertume qui est plaisante dans Marathon.

Car pour dire la vérité, on se moque bien de savoir si Cho-won va gagner sa course. C'est pour cela que l'on est assez déçu quand le cinéaste, dans la deuxième moitié de Marathon, abandonne les descriptions croustillantes de ses personnages pour se consacrer aux enjeux du film : la course en elle-même et son pendant hollywoodien : le dépassement de soi. La musique se fait guimauve, les sentiments se font gentils et l'intérêt baisse. C'est dommage. Le cinéaste a sans doute du faire quelques compromis pour rendre Marathon plus grand public. Mais en l'état, le film est agréable à voir et tout à fait recommandable.

Marathon (말아톤, Corée, 2004) Un film de Jeong Yoon-cheol avec Jo Seung-woo, Kim Mi-sook

mercredi 25 juillet 2007

Cecilia Cheung


Une voix éraillée, un sourire énigmatique, un beau visage. Cecilia Cheung est devenue en quelques films une des actrices les plus marquantes de Hong Kong. Au fil des ans, elle a imposé une espièglerie teintée de tristesse comme rarement les actrices actuelles ont su le faire. Elle enchaîne les comédies, les films d’action et les drames, mais elle réussit mieux que cela : elle parvient par son seul visage à nous émouvoir juste après nous avoir fait rire.

D’une certaine manière Cecilia, c’est la copine d’à côté. Le fille sympa et une peu fofolle, suffisamment mignonne pour qu’on l’aime mais jamais trop belle pour paraître inaccessible. C’est dans cette idée que Stephen Chow conçoit son personnage dans King of comedy qui est son premier film en 1999. Face à Karen Mok, le cœur du personnage de Stephen Chow balance. Cecilia y est une college girl dans un « karaoké ». Elle se soumet aux clients mais rêve d’une vie plus belle. Dans ce rôle de jeune adulte désabusée, elle est tout simplement bouleversante. Stephen Chow engagera Karen Mok et Cecilia Cheung pour une petite apparition moustachue dans Shaolin soccer.

La même année, elle tourne dans The Legend of speed de Andrew Lau, en tant que faire valoir de Ekin Cheng, et dans Fly me to Polaris de Jingle Ma. Aux Hong Kong Film Award de 1999, elle sera nominée trois fois : pour le meilleur jeune espoir (Fly me to Polaris et King of comedy) et pour la meilleure actrice (Fly me to Polaris). Elle recevra la récompense pour ce dernier film en tant que meilleur espoir.

Forte de cette reconnaissance, elle tourne film sur film, comme beaucoup d’interprètes à Hong Kong. Trois cinéastes l’engagent à tour de rôle et en font leur nouvelle actrice fétiche.
Elle joue dans plusieurs comédies romantiques de Wong Jing, le réalisateur le plus industriel de Hong Kong : Everyday is Valentine (2001), Honesty (2002), Sex and the beauties) (2004) et cette année dans My kung fu sweetheart. Ces films n’ont d’autre ambition d’être des purs divertissements de qualité variable. Wong Jing mélange les genres : un peu de romantisme, un peu d’action, quelques blagues grivoises et deux, trois effets spéciaux. A ce titre, dans My kung fu sweetheart sorti en janvier 2006 pour le Nouvel An Lunaire, elle a pour partenaire Yuen Wah et Yuen Qiu (les propriétaires de la porcherie dans Crazy kung fu), Ronald Cheng le plus récent comique et même Wong Jing. Le film parvient parfois à faire mouche, tombe souvent dans la vulgarité, mais Cecilia Cheung assume sa position de jolie actrice avec aplomb.

Toujours dans la comédie du Nouvel An Lunaire, Cecilia joue dans trois films de Wai Ka-fai. Toujours en compagnie de Lau Ching-wan qui cabotine à mort, ces films permettent à l’actrice de montrer l’étendue de son talent. Dans Fantasia (2004), elle est une sorcière binoclarde et habillée en collégienne qui débarque au milieu d’une rixe. Elle joue les fofolles, imitant la Josephine Siao de Plain Jane to the rescue de John Woo,  et fait apparaître en frottant deux baguettes les Twins. Elle se laissera séduire par Louis Koo, mais le frère de Cecilia, un gros lézard vert est jaloux. Le film est loufoque et fut un immense succès. En revanche, Himalayah Singh (2005) est un ratage total. Tout le monde surjoue la comédie. Seule Cecilia, qui campe une femme fatale, joue calmement et seul son personnage est remarqué. Dans The Shopaholics (2006), elle est atteinte de fièvre acheteuse et sa folie est à plein régime devant un Lau Ching-wan, qui cette fois n’en fait pas trop. Le film est une excellente comédie.

Mais c’est avec Johnnie To et Wai Ka-fai que sa carrière atteint des sommets avec seulement trois films : Help !!! (2000), Wu yen (2001) et Running on Karma (2003). Dans ce dernier film, face à un Andy Lau bodybuildé, elle est une fille à la fois fragile et forte. Face au corps massif de Lau, elle montre encore plus sa vulnérabilité physique. Cette année-là, Cecilia sera nominée deux fois comme meilleure actrice. Elle recevra le Hong Kong Film Award, non pour Running on Karma, mais pour Lost in time de Derek Yee.
C’est justement avec ce dernier qu’elle tournera un de ses plus beaux films, Une nuit à Mongkok, face à Daniel Wu. Une nouvelle nomination, mais pas de récompense cette fois, si ce n’est celle du public. Comme Cecilia Cheung sait tout faire, elle peut aussi jouer dans un film d’art martial. Et quand c’est Wilson Yip qui est derrière la caméra, c’est encore mieux. Ainsi, dans Dragon Blanc, elle mélange allégrement le kung-fu, la comédie loufoque et le romantisme. Face à elle, Francis Ng ne peut être que bon. D’ailleurs, personne ne peut être mauvais quand il joue en compagnie de Cecilia Cheung.
Après cinq ans d'absence consécutifs à la naissance de son fils, dont le père est Nicholas Tse, et du scandale sexuel d'Edison Chen, elle revient dans All's well end's well 2011 puis dans des productions de Wong Jing. Je l'attends maintenant dans un bon film.
Jean Dorel

mardi 24 juillet 2007

Crazy kung-fu


Stephen Chow a pris tout son temps pour tourner Crazy kung-fu. Trois ans depuis Shaolin soccer. Ça peut paraître peu, mais pour l'industrie du cinéma de Hong Kong, c'est énorme. A vrai dire, on ne connaît que Wong Kar-wai qui se permette ce genre de luxe. Il est cependant impossible de comparer les deux cinéastes. Chacun a son style si différent, style reconnaissable dès les premières images. Pour nous, Stephen Chow est le meilleur cinéaste de Hong Kong actuel, et Crazy kung-fu son chef d'œuvre. Et un très grand film, tout simplement.

Nous somme à la fin des années 1930 à Shanghai (un lieu et une période adorée de Tsui Hark). On y découvre la bande des haches (une arme vue dans chacun des films de Stephen Chow, ici tout le temps présente). Le gang des haches est une armée de gangsters qui fait régner la loi dans les rues et dans le commissariat. Le chef du gang c'est Frère Sum (Danny Chan, celui qui interprétait le gardien de but dans Shaolin soccer), qui avec ses fringues classes – mais ses dents pourries – entend rester le maître de Shanghai. Il exécute tous ceux qui sont en travers de son chemin. Chow les filme comme dans un vieux film américain (disons pour simplifier Scarface de Howard Hawks, ou un James Cagney).

Autre lieu et autre milieu, celui de la Porcherie et sa pauvreté. La Porcherie est, si l'on ose dire, une résidence tenue par la proprio (Yuen Qiu) et son mari (Yuen Wah). Lui est faible et lâche, il profite de sa position sociale pour abuser de la gentillesse des locataires. Elle est grossière, toujours une clope au bec, elle tire la gueule. C'est une maîtresse femme qui ne s'en laisse pas compter. Ainsi quand Sing (Stephen Chow) et son comparse Bone (Lam Tze-chung) arrivent dans la Porcherie en se faisant passer pour des membres du gang des haches, elle file une raclée à Sing. Arrive alors pour de vrai, le gang des haches. Il menace toute la communauté de la Porcherie, notamment une mère et son enfant que Sum s'apprête à immoler. Mais trois locataires s'avèrent être des experts en arts martiaux et défont les gangsters. Dès lors, la Porcherie est en grand danger.

La grande idée de Stephen Chow de prendre son temps pour présenter les locataires de la Porcherie. On est même étonné que son propre personnage n'apparaisse qu'au bout d'une douzaine de minutes. Chow, le réalisateur, laisse – provisoirement – Chow l'acteur de côté pour mieux faire savourer sa galerie de personnages qui semblent tout droit sortis d'un film italien : entre Miracle à Milan de Vittorio de Sica et Affreux sales et méchants de Ettore Scola. C'est magnifique de tendresse et de drôlerie. Il faut dire que la galerie de gueules chez Stephen Chow a toujours été jouissive. Le coiffeur qui montre la raie des fesses, le tailleur homo, la bimbo aux dents de lapin. Tous concourent à rendre Crazy kung-fu hilarant. La première partie du film leur est consacrée avant que Stephen Chow n'en devienne la star.

Crazy kung-fu est truffé de gags et de trouvailles, telle la poursuite entre la proprio et Sing qui évoque un Tex Avery. Stephen Chow réussit à varier l'humour de son film qui va de la logorrhée verbale de la proprio au comique de situation en passant par les nombreux gags visuels. Une anthologie. L'humour fonctionne essentiellement grâce aux duos d'acteurs : Sing et son gros comparses (deux tocards), les proprios (qui cachent bien des choses), Sum et son lieutenant (la scène de la voiture où Sum veut observer les musiciens est magnifique). Aucun n'est réellement à sa place ce qui crée des décalages savoureux.

Stephen Chow se soucie moins dans Crazy kung-fu du personnage féminin qui pourrait lui fournir une histoire d'amour. C'est sans doute la plus grande et seule faiblesse du film que la relation, débutée dès l'enfance, entre Sing et la marchande de glaces. On pourrait à la rigueur dire qu'elle est inutile, si ce n'est qu'elle permet de terminer le film. En revanche, Chow parvient à offrir un sublime moment de poésie avec les deux musiciens commandités par Sum pour tuer les gens de la Porcherie. Les deux musiciens jouent de leur instrument qui envoie des sabres invisibles (belle idée), mais mieux, dans un travelling latéral, il suit un des artistes martiaux. Il se fait attaquer par les notes de musique. Un chaton se promène sur un mur, les notes le coupent en deux, mais seule l'ombre nous le révèle. C'est très beau et très triste à la fois.

Crazy kung-fu regorge aussi de combats chorégraphiés par Yuen Woo-ping (et accessoirement Sammo Hung). Ils sont autant de morceaux de bravoure. Stephen Chow mélange allégrement les effets spéciaux les plus en pointe à Hong Kong et les combats à l'ancienne. Les combats sont d'une grande lisibilité, Chow privilégiant les longs plans – parfois fixes, bien loin d'une prétendue mise en scène hystérique et épileptique que certains ont cru voir –, y compris dans la longue scène finale entre Nuage de Feu (Bruce Leung) et Stephen Chow qui tente d'appliquer le kung-fu de la paume ardente de Bouddha. Ce qui passionne aussi est la volonté de Stephen Chow de ne pas céder à la tentation du jeunisme à tout crin. Yuen Qiu, Yuen Wah et Bruce Leung ne sont plus des jeunots dans le cinéma de Hong Kong. C'est aussi pour cela que Crazy kung-fu est passionnant et différent.

Crazy kung-fu est évidemment à regarder en cantonais sous titré français. La version française est atroce avec ses doublures qui prennent un accent petit chinois (honte !). Depuis la sortie du film, Stephen Chow a raflé quelques unes des plus prestigieuses récompenses des Hong Kong Film Awards 2005 : meilleur film, meilleur acteur de second rôle (Yuen Wah), meilleur montage, meilleure chorégraphie, meilleurs effets sonores et meilleurs effets visuels. Le public a bien entendu fait un triomphe au film : ce n'est que justice. Depuis, Wong Jing (qui lança Stephen Chow à la fin des années 1980) a tourné plusieurs Kung fu mahjong avec Yuen Wah et Yuen Qiu. On ne copie que les grands films !

Jean Dorel

Crazy kung-fu (Kung fu hustle, 功夫, Hong Kong, 2004) Un film de Stephen Chow avec Yuen Wah, Yuen Qiu, Lam Tze-chung, Stephen Chow, Danny Chan, Bruce Leung, Lam Suet

lundi 23 juillet 2007

Aachi & Ssipak


Aachi & Ssipak parle d’un sujet rarement traité au cinéma : celui de la merde. Les héros de ce film coréen d’animation vivent dans un futur éloigné où la matière première principale est l’étron. Chier est devenu la valeur essentielle de cette société où la pitié a disparu et où on condamne à mort les constipés. Ceux qui fournissent correctement leur excrément sont récompensés par des bâtonnets juteux (c’est la traduction la plus littérale qu’on puisse faire), un objet qui ressemble à un glace à l’eau bon marché, le tout de couleur blanche. Chier pour mieux avaler.

La paix ne règne pas dans ce futur, bien au contraire. L’Etat (dirigé violemment par une femme à l’allure de gamine) lutte contre les gangs, le plus puissant étant composé de mutants : le gang des couches. Quant à nos deux héros Aachi et Ssipak, ce sont deux trafiquants de bâtonnets juteux. Ils vont rencontrer Belle, une fille aux cheveux bleus qui va beaucoup chier pour avoir beaucoup de bâtonnets (une version moderne du libéralisme décomplexé). Le plus drôle, c'est qu'on voit même pas le bout d'une merde, le fond d'un chiotte crotté, un rouleau de PQ ou des traces de ski au fond d'un slip. Un film tout en subtilité donc.

Le scénario de Aachi & Ssipak se résume à faire s’affronter les personnages entre eux pendant 90 minutes. On y décime des membres des couches par millier : une vraie hécatombe. Nos deux héros, ainsi que Belle, réussissent toujours à s’échapper des pièges les plus pervers. On y croise des personnages tous plus dégénérés les uns que les autres (le cyborg, Jimmy le réalisateur de porno, le savant fou, le chef des couches), mais jamais on ne sort de l’idée que Jo Beom-jin a voulu faire un film d’une quelconque portée politique prophétique. Tout reste au niveau du fun, comme dans un film débile de Robert Rodriguez. On tue tout le monde, mais c’est que du cinéma. Comme dans le Hitchy Scratchy Show.

L’animation mêle sans grande habileté la 3D au dessin classique, comme cela est désormais la règle dans la plupart des dessins animés. Les personnages sont caricaturés à l’extrême, comme l’étaient ceux du film de Michael Arias Amer béton.

Aachi & Ssipak a été un gros échec commercial en Corée (environ 80.000 spectateurs). Et pourtant, le réalisateur y croyait à sa merde en boîte. Le film se termine par une inscription : « à bientôt » et on voit le savant fou réparer le chef des couches. Après ce bide, ils vont peut-être nous faire un film sur la pisse.

Aachi & Ssipak (Corée, 2006) Un film de Jo Beom-jin

dimanche 22 juillet 2007

Police story et Police story 2

Je me rappelle un dimanche soir le Masque et la plume sur France Inter. Les critiques devaient parler d’un film chinois d’arts martiaux (sans doute Le Secret des poignards volants de Zhang Yimou). Certains y ventaient la beauté des combats (les cons !) quand tout à coup, sans crier gare, Jean-Marc Lalanne s’est mis à dire qu’il y avait plus de beaux combats dans n’importe quel film de Jackie Chan que dans le film de Zhang. Bien entendu, les autres se sont moqués de lui, mais Lalanne avait raison.

Il faut dire que Jackie Chan n’a pas eu de chance en France. Ses films étaient amputés parfois de plus de vingt minutes comme ces deux Police story. Il n’est pas étonnant à ce compte là, qu’un gribouille comme Jean Tulard juge sévèrement les scénarios des films de Jackie Chan et qu’il n’y voit que la force des combats. René Château a tout fait pour (et cette sale habitude continue encore : on se rappelle les 20 minutes de moins pour Shaolin soccer). Quand on pense que le cinéma hongkongais, et plus encore la comédie cantonaise, était sans aucun doute, le meilleur cinéma d’Asie dans les années 1980 (honnêtement, en comparaison du cinéma japonais à cette époque, cela apparaît comme une évidence voire un fait). Chan travaillait alors pour la Golden Harvest, comme Sammo Hung et Tsui Hark, entre autres.


Jackie va passer toute la durée des films à faire en sorte que les actrices restent en vie. Dans Police story, c’est Brigitte Lin qui est menacée. Elle est la secrétaire d’un homme d’affaire véreux qui veut la liquider. Dans Police story 2, c’est Maggie Cheung qui est menacée par le même homme d’affaire. Jackie l’avait mis en prison à la fin du N°1, mais il sort trois ans plus tard et sa vengeance sera terrible.

La franchise Police story, c’est Jackie Chan qui joue le petit flic face aux grands méchants. Le flic Hong Kong d’en bas qui est amoureux d’un jolie fille (Maggie Cheung en Jackie Chan girl, autant dire une potiche, pas encore la star vénérée d’aujourd’hui marquée par le cinéma Wong Kar-wai mais plutôt l’ancienne Miss Hong Kong).


Jackie a des problèmes avec sa hiérarchie. Tant de problèmes qu’il se voit obligé de travailler pour elle après avoir donné sa démission. Il a ainsi les mains libres pour foutre des roustes aux méchants. Et il ne se gène pas pour balancer contre les murs les femmes aussi. D’ailleurs, les femmes ne sont pas en reste pour la castagne (voir la scène d’interrogatoire d’un vendeur de dynamites). Un film de Jackie Chan, c’est d’abord détruire le décor dans lequel se déroule la séquence. Une idée absolue et radicale d’aller jusqu’au bout du cinéma : une fois le décor détruit, il est impossible de revenir en arrière. Dans Police story, Jackie Chan rase tout un bidonville : impressionnante scène avec de nombreux figurants qui courent dans tous les sens et une voiture fonce au milieu du tas. Dans Police story 2, il s’agir de détruire une usine entière, mais auparavant de visiter chaque recoin et de se balancer chaque objet qui se trouve devant les mains de protagonistes. Bien entendu, plus l’objet est gros, plus c’est excitant pour le spectateur.


Jackie Chan est un grand metteur en scène. Il suffit de voir la belle scène de filature au milieu du N°2, morceau de bravoure de mise en place. Il joue sur le registre de l’humour (Notamment autour des lunettes d’un méchant, gag récurrent prenant sa source dans le N°1. Belle scène avec des téléphones dans le N°1), de la grivoiserie (Brigitte Lin face à Jackie) du suspense (la ceinture d’explosifs), de l’ambiance (une étrange paranoïa) avec la même conviction. Le N°2 permet de voir Lau Ching-wan dans une de ses toutes premières figurations. Le plus ennuyeux reste la musique, éternel problème du cinéma hongkongais. Mais c’est un détail à côté du génie de l’évidence de Jackie Chan.

Jean Dorel

Police story (警察故事, Hong Kong, 1985) Un film de Jackie Chan avec Maggie Cheung, Brigitte Lin, Lam Kok-hung, Mars, Bill Tung et Jackie Chan

Police story part 2 (警察故事續集, Hong Kong, 1988) Un film de Jackie Chan avec Maggie Cheung Lam Kok-hung, Mars, Bill Tung et Jackie Chan

PS : Je crois que le N°2 est largement supérieur au N°1.

samedi 21 juillet 2007

La Condition de l'homme 3


La troisième et dernière partie de La Condition de l'homme de Masaki Kobayashi est titrée La Prière d'un soldat. Kaji cherche à retrouver Michiko et traverse la Mandchourie à pied en évitant l'Armée Rouge.


Kaji et les deux rescapés de la bataille face aux milices chinoises décident de traverser la Mandchourie. L'Armée Rouge commence à occuper la colonie japonaise. Des camions par dizaines défilent, de nuit, sur les routes. Kaji veut atteindre la voie ferrée et doit passer devant les camions sans se faire repérer. Il tue une sentinelle russe et parviennent de l'autre côté, mais Kaji se sent comme un assassin. Il est devenu, face aux épreuves, comme ces soldats qu'il méprise. Sa seule obsession est de retrouver sa femme Michiko dont il est sans nouvelle depuis des mois. Avec deux autres soldats japonais, Terada et Umeko, il va traverser la " zone rouge ". Ils vont rencontrer d'autres Japonais et d'abord un autre soldat qui cherche à gagner la Corée. Puis, chemin faisant, des civils, hommes et femmes – dont deux prostituées, dans une forêt épaisse. Ils partagent un peu de nourriture, mais la faim les gagne. Kaji cherche à économiser la maigre portion de riz qu'il reste. La route est difficile à travers la forêt et plus encore dans les plaines où les soldats soviétiques ou les miliciens chinois peuvent encore mieux les repérer.


Le périple dangereux dure des jours, puis des semaines, sans que le but ne semble proche. Le désespoir gagne les civils qui reprochent à Kaji et ses camarades leur inefficacité. La mort atteint finalement plusieurs civils. Quand ils aperçoivent de soldats japonais, ces derniers accusent Kaji de trahison et de lâcheté. Kaji préfère partir et continuer son chemin avec les rares survivants et ils arrivent dans un hameau de Japonais où l'accueil n'est guère meilleur. Ils y passeront cependant quelques jours avant que l'Armée Rouge ne les arrête et les emprisonnent dans un camp de travail. Là, Kaji se retrouve dans une position qu'il a connue en Mandchourie, mais non plus dans le rôle de dirigeant du camp, mais de prisonnier. Les conditions sont aussi terribles, d'autant plus que des officiers japonais sont chargés de surveiller les simples soldats et ils font payer à Kaji sa soif de liberté.


Kobayashi dans cette troisième parie de La Condition de l'homme achève son plaidoyer pour la liberté de l'homme. La linéarité est encore là, mais cette fois Kaji donne ses réflexions en voix off. Au fur et à mesure qu'il rencontre des gens, sa solitude se fait plus grande. Il ne croit plus en rien et son espoir de retrouver Michiko devient de plus en plus chimérique. Il subit la vengeance des officiers japonais et la doctrine rigide des communistes, notamment dans une scène où il cherche à montrer sa foi dans le socialisme, mais où un chef de l'Armée Rouge le traite de " samouraï fasciste ". La scène confine littéralement à l'absurde puisque le traducteur trahit les propos de Kaji. Kobayashi se fait éminemment politique en critiquant tous les régimes qui détruisent l'humain pour la gloire d'un idéal galvaudé. Kaji dépérit sous nos yeux. Mentalement, comme nous l'avons dit, et physiquement où son uniforme n'est plus que haillon, où sa barbe obscurcit son visage et où ses yeux cernés finissent par ne plus vouloir voir le monde. Magnifiquement noir, traversé de travellings sidérants sublimés par un format scope qui écrase l'homme dans son destin, La Prière d'un soldat se termine, comme avait commencé la première partie, sous la neige, en attendant que Kaji et Michiko se retrouvent ensemble dans un autre monde.


Jean Dorel

La Condition de l’homme 3 : la prière d’un soldat (人間の条件 完結篇 第五部死の脱出、第六部曠野の彷徨, Japon, 1961) Un film de Masaki Kobayashi

La Condition de l'homme 2


La deuxième partie de La Condition de l'homme de Masaki Kobayashi est titrée Le Chemin de l'éternité. Kaji est mobilisé dans l'Armée du Japon où les soldats subissent un entraînement musclé.


A la fin de Il n'y a pas de plus grand amour, Kaji (Tatsyua Nakadai) était arrêté par les autorités militaires. Après avoir été torturé, il retrouve la liberté. Il ne travaille plus pour la compagnie de minerai, retrouve sa femme Michiko (Michiyo Aratama), mais sa liberté est de courte durée puisqu'il reçoit immédiatement sa feuille de mobilisation. Le Chemin de l'éternité commence, comme dans la première partie de La Condition de l'homme, sous la neige. Des soldats mènent la garde dans le très grand froid, il fait moins 32° dehors. Dans les baraques de la cargaison, il ne fait guère meilleur. Et au froid, il faut ajouter pour les simples soldats les brimades quotidiennes que leur font subir les aînés. Les gifles pleuvent régulièrement mais les soldats leur doivent une obéissance aveugle. Tout cela révolte bien sûr Kaji qui va tout faire pour convaincre sa hiérarchie de mieux traiter les soldats.


Kaji est désormais éloigné de son épouse qui est restée en ville. Mais ils sont toujours amoureux. Elle sera d'ailleurs la seule épouse à venir rendre visite à son mari, ce qui ne va pas sans moquerie de toute part. Kaji sent que la fin de la guerre est proche. Des renseignements sur la rencontre entre Roosevelt et Staline annonce la défaite imminente de l'Allemagne. Kaji pense que les responsables de l'Armée du Japon vont poursuivre la guerre jusqu'au dernier soldat. C'est pour cette raison que Kaji demande, sans doute pour la dernière fois, à voir Michiko nue. Kaji n'aura plus d'autre occasion de revoir sa femme et paradoxalement refusera de lui écrire et de lire ses lettres. Il va entièrement se consacrer à assurer une vie meilleure aux soldats. Il défend les plus faibles, comme le soldat Obara qui n'arrive pas à tirer correctement au fusil. Il remonte le moral à ceux qui ont laissé, comme lui, leur femme au Japon, et parfois leurs enfants, qu'ils n'ont pas vus depuis parfois plusieurs années.


Kaji remarque un autre soldat, Shinjo (Kai Sato), qui subit constamment les brimades et avec qui il sympathise. Il est surveillé par les officiers persuadés qu'il est communiste. Shinjo parle à propos de l'URSS de Terre Promise et se dit prêt à déserter, la garnison étant très proche de la frontière russe. Il tente de s'enfuir après une ultime punition. Kaji envisage de le suivre dans sa fuite. Il conçoit que cette désertion risque de leur être fatale et essaie de convaincre Shinjo de rentrer. Tous deux s'enfoncent dans des marais. Shinjo meurt. Kaji survit et, après une courte convalescence à l'hôpital, rejoint son corps d'armée. Là, il se voit confier par le Lieutenant Kageyama le soin de s'occuper des jeunes soldats. Cela le met dans une position comparable à celle que Kaji vivait lorsqu'il était responsable de la mine dans la première partie du film. Les soldats ont du mal à se faire à l'idée de moins obéir aveuglément aux aînés et à leurs supérieurs (ils sont endoctrinés), qui eux même ne manquent aucune occasion d'humilier Kaji.


Le récit de Le Chemin de l'éternité aura probablement inspiré Stanley Kubrick pour Full metal jacket. On retrouve l'entraînement forcé, les punitions répétées, la soumission absolue au chef et un suicide d'une jeune recrue dans des toilettes. Il faut y voir une dénonciation en règle de l'armée et de son absurde aliénation. La deuxième moitié du film est consacrée à l'attente d'une attaque soviétique. Jamais on ne verra un seul visage des soldats russes. Kobayashi montre à quel point l'Armée du Japon était, littéralement, désarmée face aux chars soviétiques. Un officier, devant le manque de fusils, demande aux soldats de fabriquer des sabres en bois. L'image générale de Il n'y a pas de plus grand amour était grise, dans Le Chemin de l'éternité tout est dans l'obscurité. Seuls les visages sont éclairés. Celui de Kaji est de plus en plus désabusé. Mal rasé, Kaji a même perdu sa capacité de sourire et, sans doute, de croire en l'Homme. Il perd lui-même son humanité quand il tue son premier homme. Masaki Kobayashi démontre magistralement à quel point l'armée et la guerre détruisent l'âme.


Jean Dorel

La Condition de l’homme 2 : le chemin de l’étérnité (人間の条件 第三部望郷篇、第四部戦雲篇, Japon, 1959) Un film de Masaki Kobayashi.

La Condition de l'homme 1


La première partie de La Condition de l'homme de Masaki Kobayashi est titrée Il n'y a pas de plus grand amour. Kaji part, avec son épouse, en Mandchourie diriger une mine où travaillent des milliers de Chinois.


Il n'y a pas de plus grand amour dure 3h21 coupé en son milieu par un entracte. Il ne faut pas avoir peur de cette durée à laquelle les spectateurs sont désormais habitué (voir la trilogie du Seigneur des Anneaux). Masaki Kobayashi réussit à tenir son récit, à faire exister chacun de ses personnages tout en maintenant sa volonté de faire de son film un éloge de l'humanisme. On pense à l'essai de la philosophe Hannah Arendt sur le totalitarisme où, en substance, elle dénonçait la primauté de l'Etat avec, à sa tête, un chef omniscient, Etat qui privait les citoyens de leur individualité. Les hommes ne sont plus qu'une entité globale vouée à l'obéissance au chef. La finalité du totalitarisme se trouve dans l'univers concentrationnaire, et c'est vers ce lieu que nous pousse Il n'y a pas de plus grand amour.


Kaji (Tatsuya Nakadai) est un homme instruit. Il tente d'échapper à la mobilisation dans l'armée du Japon (le film commence en hiver 1943) en se mariant avec Michiko (Michiyo Aratama) et en acceptant d'être l'administrateur d'une mine en Mandchourie du sud, alors colonie japonaise. Là bas, pas moins de 10000 Chinois travaillent à extraire le minerai sous les fouets de gardes japonais. Les travailleurs sont mal payés mais " libres ". Les autorités militaires proposent 600 prisonniers. L'avantage est grand pour la mine puisqu'il n'y aura pas besoin de les payer. Les 600 prisonniers sont livrés par train dans des wagons à bestiaux. Ils en sortent tels des animaux, affamés, après un long trajet où ils ont eu du mal à respirer. Kaji mettra tout en œuvre pour rendre à tous les travailleurs, y compris les prisonniers, des conditions de vie plus humaines. Il va se mettre à dos à la fois les dirigeants de la mine, les militaires et les prisonniers qui ne lui font pas confiance.


Kobayashi pose l'essentiel de son attention sur les prisonniers. Ils sont placés dans un campement à part entouré de fils barbelés électriques. Kaji croit savoir qu'ils ne pensent qu'à s'évader. Mais Okishima (Sô Yamamura) reste persuadé qu'ils ne pensent qu'aux femmes. D'ailleurs dans le village à côté de la mine se trouve un bordel pour " soulager " les travailleurs. Kaji convainc les prostituées de visiter les prisonniers. L'une d'elles va d'ailleurs tomber amoureuse de Kao, l'un des leaders des prisonniers avec qui Kaji négocie le calme pour éviter de mauvais traitements. Kao aimerait même se marier avec elle après la guerre. De son côté, Kaji est le seul parmi les Japonais à avoir une épouse. La vie du couple est difficile. Les moments d'intimité sont devenus au fil du temps de plus en plus rares. Alors que Kaji avait réussi à avoir trois jours de vacances. On annonce des évasions, Kaji laisse partir Michiko seule et va empêcher Okishima d'exécuter les évadés.


Les collègues de Kaji lui font rapidement le reproche d'avoir trahi le Japon en voulant améliorer la vie des prisonniers. Ils vont tous se liguer pour se débarrasser de Kaji en organisant un guet-apens avec l'aide du soldat Chen (Akira Ishihama). Son destin sera le plus pathétique de Il n'y a pas de plus grand amour. Chen est Chinois mais est dans l'armée du Japon. A ce titre, personne ne lui fait confiance et lui aussi est considéré comme un traître. Il est tiraillé entre ses obligations militaires et ses sentiments patriotiques. Chen a une mère mourante et essaie de trouver de la farine, mais personne ne veut lui en donner. La nourriture est un des éléments importants du film. Elle devient punition quand Kaji promet aux prisonniers de ne pas manger pendant trois jours s'ils s'évadent à nouveau. Elle devient corruptrice quand Chen vole de la farine en échange de son silence pour couper l'électricité dans la centrale et permettre une évasion. Kobayashi résume son importance dans deux scènes successives où une prostituée apporte une maigre pitance à Kao qui meurt de faim puis où Michiko ramène de la ville un panier rempli de pommes auxquelles Kaji ne touchera même pas.


Kobayashi a bien entendu choisi le camp de la liberté. Il rend poignant le sort des prisonniers comme le destin de Kaji. Mais la réussite de Il n'y a pas de plus grand amour doit beaucoup aux magnifiques images qui gisent dans un gris constant, la notion de film en noir et blanc s'envole. Kobayashi sait tirer le maximum des décors naturels (le film a été tourné sur l'île de Hokkaido). On retiendra longtemps la scène où des milliers de prisonniers se suivent en file indienne, celle des prisonniers qui sortent des wagons et vont se ruer sur les sacs de riz ou encore l'exécution de prisonniers au sabre par un officier sauvage. Il y aurait tant d'autres choses à dire sur le film, le mieux est encore de le voir.


Jean Dorel

La Condition de l’homme 1 : il n’y a pas de plus grand amour (人間の条件 第一部純愛篇、第二部激怒篇, Japon, 1959) Un film de Masaki Kobayashi

jeudi 19 juillet 2007

Sorties à Hong Kong (juillet 2007)


Invisible target (男儿本色)
Un film de Benny Chan avec Nicholas Tse, Jaycee Chan, Shawn Yue, Wu Jing, Andy On, Mark Cheng, Sam Lee, Candy Liu, Elanne Kwong, Lam Ka-wah, Lam Suet, Lisa Lu. 128 minutes. Classé Catégorie IIB. Sortie : 19 juillet 2007.





Hanzo the Razor : L'Enfer des supplices




Hanzo 2 L'Enfer des supplices était sorti en France en décembre 1974 sous le titre Kung fu hara kiri. La France était alors en pleine période de cinéma d'exploitation dans les salles de quartier et cela n'a pas gêné le distributeur de mettre ce titre bien stupide. Ajoutons que le film était sorti uniquement en VF et, qu'à cette époque, un nombre très limité de films japonais sortaient en France. C'est donc une résurrection à laquelle on a droit.


Hanzo est un inspecteur de police incorruptible qui veut débarrasser Edo de ses crapules. Une jeune fille assassinée est retrouvée. Il s'agit probablement d'un avortement raté. Hanzo enquête et se retrouve dans un monastère aux mœurs troubles. Ce monastère réservé aux bonzesses est en fait un bordel pour les riches hommes du coin. Sous la couverture d'un cours de thé, la bonzesse supérieure livre des jeunes filles en pâture. Et les affaires rapportent. Hanzo va tenter de comprendre ce qui se passe et régler la situation.


Hanzo sauveur de la veuve et de l'orphelin, tu parles. Hanzo est un obsédé sexuel qui ne rate jamais une occasion de détrousser les jeunes filles. Pourvu d'un sexe énorme, il est obligé, pour calmer ses ardeurs, de jeter de l'eau glacée dessus, de frapper son pénis avec un gourdin au rythme d'un métronome (ce qui a pour effet de laisser sur la planche qui soutient son sexe un moule énorme) et finalement il l'enfonce dans un sac de riz. Son fundoshi (les sous vêtements traditionnels) est gonflé et laisse exprimer son appétit sexuel.


Hanzo n'hésite à utiliser son membre surdimensionné, et toujours en quête de trous, pour faire parler ses témoins. La bonzesse est torturée avec beaucoup d'application : elle doit supporter de lourdes pierres puis, cloisonnée dans un sace de pêcheur, subir les assauts du sexe de Hanzo. La scène est très lyrique. Il est vrai que Yasuzo Masumura nous avait habitué dans La Bête aveugle à des scènes assez difficiles. C'est toujours avec la même grâce qu'il filme les femmes au cœur du plaisir des hommes. Et aussi le plaisir des femmes, car la bonzesse jouira. L'Enfer des supplices n'est pas pour autant un apologie des ces traitements dégradants.


L'Enfer des supplices (en dépit de son titre finalement aussi bête qu'il y a trente ans) est souvent très drôle, car filmé au second degré. Les aides de camp de Hanzo sont deux traîne-savates qu'il a fait sortir de prison. Quand ils se plaignent (c'est-à-dire très souvent), il leur demande " qui vous fait bouffer ? qui vous a sorti de prison ? ", après leur avoir demandé de montrer leur tatouage de prisonnier. Onibi et Masushi, ont toujours un étonnement sur leur visage. Chaque fois, ils se rendent compte que Hanzo va trop loin, mais ils lui restent fidèles.


Dans la deuxième partie du film, Hanzo doit arrêter un voleur qui s'attaque au trésor du shogun. Ici, Masumura s'attaque tout simplement à l'idée de l'hara kiri (ou le seppuku.) Hanzo a échoué dans sa mission et doit se donner la mort. Mais, ce qu'il transperce de son sabre n'est qu'une pastèque dissimulée sous ses vêtements. Masumura démystifie des valeurs qu'il rejette.


L'Enfer des supplices est esthétiquement sublime. Souvent filmé de nuit, le film est du coup parfois un peu difficile à admirer, d'autant que les sous-titres apparaissent sur l'image. Kazuo Miyagawa en était le directeur de la photographie. On lui doit l'image de Rashomon, de Contes de la lune vague après la pluie, entre autres. Shintarô Katsu et Yasuzo Masumura se sont entourés pour la musique du compositeur Isao Tomita. Et cette musique est incroyable : le funk rencontre la musique progressive allemande de cette époque (Can, Tangerine Dream). C'est complètement délirant et très étonnant.


Hanzo the Razor : l’enfer des supplices (御用牙 かみそり半蔵地獄責め,Japon, 1973) Un film de Yasuzo Masumura avec Shintarô Katsu, Keiko Aikawa, Kazuko Ineno , Keizô Kani'e, Shin Kishida, Hosei Komatsu, Toshio Kurosawa, Daigo Kusano, Kô Nishimura, Kei Sato.