samedi 30 mars 2013

Chinese Zodiac (CZ 12)


Tentons de faire le point sur Jackie Chan. Carrière américaine : après l’horrible Kung-fu nanny et le démagogique Karaté kid, il semble qu’elle soit complètement terminée. Pourvu qu’il ne fasse pas un quatrième Rush hour ! Carrière à Hong Kong : rien depuis Shinjuku incident (2009) de Derek Yee. Carrière en Chine Populaire : c’est le public chinois que Jackie Chan vise désormais. Courte apparition dans Looking for Jackie et le nationaliste Founding of a republic, co-réalisation de 1911, l’un des seconds rôles dans Shaolin, conventionnel film de kung-fu avec un fond historique. Bref, depuis quelques années Jackie Chan déçoit fortement et énerve parfois dans ses propos quand il critique Hong Kong et soutient la politique de Pékin. Le constat n’est pas plaisant mais l’envie de voir CZ 12 est plus forte que le souvenir de ses films récents. Jackie Chan reprend dans CZ 12 le personnage de chasseur de trésors qu’il avait dans et Mister Dynamite et Opération Condor.

25 ans plus tard, il reprend du service en se faisant engager par Lawrence (Olivier Platt), milliardaire amateur de trésors de l’antiquité. En l’occurrence, douze têtes de bronze représentant les douze signes zodiacaux. Ces bronzes datent de la période Qing et avaient volées par les colons européens dans les années 1860. Il lui propose également de voler un petit tableau « Les roses » et il ajoutera un zéro à la somme. L’appât du gain étant tout ce qui motive JC, il se lance immédiatement à l’aventure et part en France, là où se déroulent les enchères des œuvres antiques, avec ses trois jeunes et fidèles assistants, Bonnie (Zhang Lanxin), David (Liao Fan) et Simon (Kwon Sang-woo). Comme à son habitude, Jackie Chan lance de jeunes acteurs même s’ils ne sont là que comme faire valoir de l’acteur. Leurs histoires personnelles sont vaguement développées mais demeurent très conventionnelles. Grâce à de nombreux gadgets technologiques, ils vont confectionner de faux bronzes qu’ils vont substituer aux vrais. JC se transforme en James Bond avec ses lunettes qui voient les empreintes, son parachute caché dans sa veste et j’en passe. Les gadgets sont clairement destinés à satisfaire un public tant ils ressemblent à des jouets.

Les quatre mercenaires rencontrent Coco (Yao Xingtong), jeune archéologue qui travaille sur une péniche ancrée juste en face de la Tour Eiffel. Ils vont demander son aide en se faisant passer pour des journalistes et aller dans le château de Marceau puis dans celui de Catherine (Linda Weissbecker). Coco milite pour que les musées occidentaux restituent aux pays d’origine leurs antiquités. Avec une poignée d’amis, elle manifeste pour cela. Le film se veut d’ailleurs radical à ce sujet. Dans un des dialogues du film, Coco reproche à Catherine, la riche châtelaine, le passé de voleur d’œuvres de son arrière arrière grand-père. Elle lui dit avec virulence que les Européens ont violé la Chine pendant des années mais JC traduit ses propos de manière totalement différente, créant un peu d’humour. Catherine reconnait l’erreur de son ancêtre. Les propos sur ce sujet des antiquités vendues aux enchères et conservés dans les musées occidentaux manquent tellement de finesse qu’on en viendrait presque à oublier les ravages écologiques, et donc archéologiques, que Pékin fait subir à son pays depuis 60 ans. Mais passons. Pour Coco, il s’agit surtout de convaincre JC et ses comparses que sa cause est la bonne. Ils seront convertis.

Coco et Catherine vont suivre JC dans ses recherches des antiquités. Dans le château de Catherine, une peinture indique l’emplacement d’un rocher. Là se trouve sans doute le navire où son ancêtre a transporté les bronzes et autre trésors. Ils se retrouvent sur une île déserte au large des côtes chinoises. Cette partie de CZ 12, d’une durée d’environ une demi-heure, est la plus réussie. Elle s’apparente à une attraction de fête foraine, à une chasse au trésor. Ils trouvent, après avoir longuement exploré la faune luxuriante, l’épave du navire dans une grotte. Coco et Catherine, non sans une certaine dose de misogynie, provoquent catastrophe sur catastrophe et, chaque fois, JC doit venir à leur secours. Une fois l’épave découverte, les ennuis commencent. Pierre (Rosario Amedeo), le garde du corps de Marceau que JC a volé, débarque avec ses hommes de main tous vêtus de chemise hawaïenne. Ils menacent de leur pistolet JC et les autres, mais ils ont oublié de mettre des balles. Puis, c’est une bande de pirates menés par Ken Lo qui arrive. Là aussi ils sont aussi incompétents que loufoques, habillés comme dans les films de pirates hollywoodiens (l’un d’eux ressemble à Jack Sparrow/Johhny Depp). Seulement ils sont armés et bien armés. On est à la fois dans la parodie pure et dans le plus grand sérieux par rapport aux enjeux.

A vrai dire, cette séquence concentre tout ce que Jackie Chan sait faire de mieux. C'est-à-dire parvenir à mêler humour, action et aventure. Compte tenu des personnages tous plus dégénérés sur cette île (Catherine ne pense qu’à garder son chapeau sur la tête, Pierre décide de ne plus bouger et de choisir son camp une fois la bataille finie, les pirates de pacotille), on a beaucoup de situations amusantes et de dialogues comiques. C’est la raison pour laquelle on continue de regarder les films de Jackie Chan. Les scènes d’action sont de divers ordres. La première (Jackie est sur des patins à roulette) se fonde sur la rapidité. La deuxième est d’ordre comique, il est poursuivi dans un labyrinthe d’arbres par des chiens féroces. La troisième est sur l’île. La quatrième se déroule dans le repère secret de Lawrence (car tous les méchants qui veulent dominer le monde ont un repère secret) et se déroule en plusieurs parties. JC affronte un voleur d’antiquités concurrent (Alaa Safi), Bonnie affronte la petite amie de ce concurrent (Caitlin Dechelle) puis JC affronte les gardiens du repère. Chaque fois le style spécifique de Jackie Chan est mis en avant : chaque objet sert d’armes pour se battre. De ce point de vue, la chorégraphie est parfaite et chaque combat impressionne. Le générique final est, comme il se doit, un florilège des gamelles de Jackie Chan. Il veut ainsi montrer qu’il est le meilleur dans le genre malgré ses 58 ans et, malgré quelques longueurs, un discours politique sans nuance et un trop nombre de personnages secondaires et caricaturaux, CZ 12 est un divertissement agréable sans atteindre le génie d’Opération condor, son chef d’œuvre de comédie d’action.

CZ12 (十二生肖, Hong Kong – Chine, 2012) Un film de Jackie Chan avec Jackie Chan, Kwon Sang-woo, Liao Fan, Zhang Lanxin, Yao Xingtong, Linda Weissbecker, Vincent Sze, Oliver Platt, Jonathan Lee, Caitlin Dechelle, Rosario Amedeo, Ken Lo, Yoo Seungjoon, Christian Bachini, Cary Woodworth, Andrew Dasz, Steven Dasz, Pierre Boudard, Jill Kelsey, Wilson Chen, Kenny G, Zheng Wei, Poon Bo-yee, Alaa Safi.

jeudi 28 mars 2013

Quelle vie agréable !


Tous les habitants du village représenté dans Quelle vie agréable ! se demandent qui va être leur nouveau voisin. Avant qu’il ne s’installe, Mikio Naruse nous présentent ces villageois dans leur cadre naturel. Le barbier (Entatsu Yokoyama) se dispute avec sa femme qui a oublié d’apporter de l’eau pour rincer son client. L’horloger (Atsushi Watanabe) a de nombreuses pendules mais aucune n’indique l’heure. Le photographe n’a aucun client. Le tonnelier empêche un bébé de dormir avec le bruit de son marteau. Le restaurateur voit un client se faire disputer par sa femme parce qu’il vient boire au lieu de s’occuper de leur fils. Chaque jour semble être le même que le précédent, le coq chante le matin, un voisin part l’air triste travailler à la ville, les couples se disputent, personne ne sourit, le village ronronne.

Un vent va souffler sur le village avec l’arrivée de Taro Soma (Kingorô Yanagiya) et de ses deux filles Eiko (Hisako Yamane) l’aînée et Megumi (Meiko Nakamura), encore enfant. C’est d’abord littéralement que le vent s’abat sur les maisons quand Soma débarque sur sa carriole. Puis, c’est lui-même qui crée une tornade dans la vie de tous les jours de ses voisins. Ces derniers le trouvent bizarre. Il leur annonce qu’il va ouvrir une boutique où il peut tout réparer, y compris les peines de cœurs. Evidemment, surtout l’horloger, voient tous d’un mauvais œil ces étrangers qui ne cessent jamais de sourire, de remettre un portrait en place, de redresser la casquette d’un enfant, de balayer la rue pour enlever les feuilles. Personne n’avait jamais vu cela. L’optimisme de Soma se déclare à chaque moment et notamment lorsqu’il invite deux de ses voisins et qu’il leur sert le maigre repas qu’il peut se payer en période de rationnement du à la guerre. Il leur donne à manger des épluchures et un œuf mais il leur demande d’imaginer manger la poule autour de l’œuf.

Le film est merveilleux au sens propre comme au sens figuré. Au sens propre parce qu’il est une comédie très réussie où les gags se succèdent. Il est impossible de ne pas sourire (et parfois rire franchement aux éclats) devant les agissements des villageois tous un peu mesquins mais tellement attachants. Comme il est difficile de résister aux recommandations loufoques de Soma qui trouve toujours une solution à chaque souci. Il organise une chasse aux trésors pour réconcilier tout le monde. Les deux filles organisent un spectacle pour tout le village. Il est merveilleux dans son sens propre avec l’arrivée de la magie. Tandis que le tonnelier bat son baquet au marteau, Eiko se met à chanter comme dans une comédie musicale. Quand le jeune fils de l’horloger est malade, la petite Megumi fait apparaitre des lutins qui se lancent dans une danse pour le guérir. Soma et sa famille ne sont pas bizarres, ils sont peut-être des magiciens. Le film, tourné en pleine guerre, avait sans doute été conçu pour remonter le moral de la population mais son absence total de mièvrerie et son humour constant en font l’un des films les plus étonnants et plaisants de Mikio Naruse.

Quelle vie agréable ! (楽しき哉人生, Japon, 1944) Un film de Mikio Naruse avec Kingorô Yanagiya, Hisako Yamane, Meiko Nakamura, Entatsu Yokoyama, Kikuko Hanaoka, Atsushi Watanabe, Tamae Kiyokawa, Takashi Kotaka.

Sorties à Hong Kong (mars 2013) Finding Mr. Right


Finding Mr. Right (北京遇上西雅圖, Chine – Hong Kong, 2013) Un film de Xue Xiao-lu avec Tang Wei, Wu Xiubo, Hai Qing, Mai Hong-mei, Elaine Kam, Theresa Lee, Liu Yi-wei. 121 minutes. Classé Catégorie I. Sortie à Hong Kong : 28 mars 2013.

Sorties à Hong Kong (mars 2013) Ip Man, the final fight


Ip Man, the final fight (葉問終極一戰, Hong Kong, 2013)
Un film d’Herman Yau avec Anthony Wong, Anita Yuen, Eric Tsang, Gillian Chung, Jordan Chan, Jiang Lu-xia, Timmy Hung, Zhou Dingyu, Rose Chan, Hung Yan-yan, Liu Kai-chi, Ken Lo, Wong Cho-lam, Yip Chun, Kevin Cheng. 102 minutes. Classé Catégorie IIB. Sortie à Hong Kong : 28 mars 2013.

mardi 26 mars 2013

La Chanson de la lanterne


C’est peu de dire que Mikio Naruse a une passion immodérée pour le spectacle et les artistes. Joueuse de shamisen (Après notre séparation, Trois sœurs au cœur pur, Tsuruhachi et Tsurijiro), actrices (Sans lien de parenté, L’Actrice et le poète), comédiens (Acteurs ambulants) peuplent bon nombre de ses films des années 1930-1040. La Chanson de la lanterne tresse son mélodrame autour de la fâcherie entre un père et son fils, tous deux acteurs de théâtre Nô. Lors d’une tournée, le père Genzaburo Onchi (Ichijirô Oya), artiste réputé, bannit son fils Kitahachi (Shôtarô Hanayagi) pour avoir provoqué la mort de Sozan (Tadao Murata), un masseur aveugle qui se vantait d’être un interprète remarquable. Venu l’écouter chez lui, Kitahachi a voulu marquer le rythme en frappant sa cuisse et Sozan a perdu le fil de sa chanson. Il a préféré se suicider que vivre dans la honte, laissant sa fille Osode (Isuzu Yamada) seule et sans argent. Le père non seulement ne veut pardonner à son fils cet impair de vanité mais il lui interdit de pratiquer le chant et la danse, perdant ainsi son mode de subsistance.

Deux ans plus tard, Kitahachi est à la rue. Pour gagner un peu d’argent, il joue du shamisen (la guitare traditionnelle) dans le quartier des geishas. Là, il rencontre Jirozo (Eijirô Yanagi) et qui le convainc de faire équipe avec lui. Au fil des confidences, ils se rendent compte qu’ils connaissent tous les deux Osode. Dans un court flash-back, Jirozo raconte que sa belle-mère l’a vendue comme geisha et que son sort la fait pleurer chaque soir. Kitahachi décide de la retrouver. Il se considère comme responsable de son sort et est hanté par la vision fantomatique de Sozan qu’il imaginer déambuler dans la rue. Dans le même temps, Genzaburo continue ses tournées de théâtre de Nô. Il a remplacé son fils au chœur par un interprète qui n’a pas le talent de Kitahachi et qu’il critique vertement. Il n’entend pas les recommandations de son frère Genichi (Eiichi Seto), personnage qui agit comme la bonne conscience de Genzaburo, prodiguant des conseils toujours bons mais qu’il ne suit pas forcément. Jirozo incarne ce même genre de personnage vis-à-vis du fils.

La Chanson de la lanterne suit dans sa deuxième moitié la rédemption de Kitahachi, toujours rongé par le remord. Il rompt sa promesse pour apprendre les techniques ultra codifiées du Nô à Osode. Il va lui enseigner son savoir sans révéler sa véritable identité. Chaque jour, ils se retrouveront dans une clairière, loin de l’agitation et des effets pervers de la ville. Chacun acquerra une nouvelle pureté. De plus, ils finissent par tomber amoureux l’un de l’autre mais les circonstances, leurs positions sociales et le serment du jeune homme les empêchent, temporairement, d’assouvir leur amour. Par un concours de circonstance que l’on ne trouve que dans le mélodrame, le père et l’oncle vont se retrouver précisément dans l’établissement où Osode travaille. La scène finale provoque une immense émotion avec la danse à l’éventail d’Osode que Mikio Naruse filme avec des travellings d’une grande douceur. La polyphonie des voix de Kitahachi, de son père et le tambour de l’oncle Genichi accompagne cette représentation de Nô.

La Chanson de la lanterne (歌行燈, Japon, 1943) Un film de Mikio Naruse avec Shôtarô Hanayagi, Eijirô Yanagi, Ichijirô Oya, Kan Ishii, Isuzu Yamada, Eiichi Seto, Tadao Murata, Ichirô Minami, Keitaro Yoshioka.

dimanche 24 mars 2013

Hideko receveuse d’autobus


Hideko receveuse d’autobus déploie son ton comédie dès le générique d’ouverture avec une musique joyeuse. Puis c’est le visage souriant d’Okoma (Hideko Takamine) qui accueille le spectateur dans le bus dans lequel elle travaille aux côtés du chauffeur Sonoda (Keita Fujiwara). On remarquera que le titre du film prend celui de l’actrice principale comme une franchise. Hideko Takamine, qui avait débuté au cinéma dès l’âge de cinq ans, était une vedette populaire du cinéma commercial japonais. Elle tournera, après guerre pour Yasujiro Ozu, dans d’autres films de Mikio Naruse et sera la Carmen du premier film en couleurs japonais Carmen revient au pays.

Le bus traverse la campagne pour prendre ses passagers. Okoma annonce les arrêts, le chauffeur se retourne, le bus est vide. Les clients manquent préférant au bus sale et vétuste qu’ils conduisent celui neuf et rapide de la compagnie concurrente. Les seuls usagers sont un paysan avec ses poules et ses paquets ou une dame avec ces nombreux enfants, justement parce que le bus est souvent vide. Au fil du trajet, la receveuse s’arrête pour saluer sa maman et lui offrir un kimono bon marché, appeler son petit frère qui joue et lui donner un paquet de biscuits. En situant son récit à la campagne, loin du tumulte de la guerre, Mikio Naruse en profite pour filmer la nature.

Cette absence de client n’entame pas l’enthousiasme d’Okoma et Sonoda. Au contraire, elle a l’idée de faire la bonimenteuse en décrivant le paysage traversé par le bus. Elle est persuadée que cela fera venir les usagers. Elle demande à Igawa (Daijirô Natsukawa) un écrivain, en vacances dans le village, d’écrire un texte qu’elle déclamera. L’écrivain n’est pas connu et Okoma ironise sur son oisiveté. On le voit prendre un bain, se promener en peignoir et surtout s’émoustiller devant la femme qui tient l’hôtel où il réside. Le film ne s’attarde guère sur cette intrigue secondaire, comme si le cinéaste s’était censuré devant cette romance qui aurait pu naître entre l’écrivain et la responsable de l’hôtel. D’ailleurs, il renonce également à imaginer une aventure amoureuse entre le chauffeur et la receveuse.

En revanche, le personnage du patron de la compagnie de bus (Yotaro Katsumi) est plutôt chargé. Ce personnage négatif est non seulement montré comme oisif (il mange de la glace au bureau un éventail à la main) mais également malhonnête. Dans un des mouvements du récit, le bus a un accident. Sonoda tellement pris par la description d’Okoma qu’il ne fait plus attention à sa conduite, rate des passagers qui voulaient prendre le bus et plante son véhicule dans un fossé. Pour toucher l’assurance, son patron lui demande de mentir. Mais l’honnêteté du chauffeur, soutenu par l’écrivain, ramènera le patron à la raison, même si celui-ci n’a pas dit son dernier. Gentille comédie, Hideko receveuse d’autobus évoque, mine de rien, le sort des masses laborieuses, l’un des sujets favoris du cinéaste.

Hideko receveuse d’autobus (秀子の車掌さん, Japon, 1941) Un film de Mikio Naruse avec Hideko Takamine, Kamatari Fujiwara, Daijirô Natsukawa, Yotaro Katsumi.

Un visage inoubliable


Sorti en janvier 1941, Un visage inoubliable ne parle que de la guerre coloniale que menait alors le Japon, et en l’occurrence, le front dans la province chinoise du Hubei. L’idée du film, d’une très courte durée, est de ne pas filmer la guerre mais d’axer le récit autour de la famille d’un soldat restée au Japon. Osumi (Ranko Hanai), l’épouse du soldat Soichi, mère d’un bébé, vit avec sa belle mère (Tsuruko Mano) et de Koji (Takashi Odaka), le jeune frère de Soichi. Le film montre un quartier où seules les femmes et les enfants sont encore là. Les seuls hommes présents sont l’instituteur et quelques fermiers. Koji et ses amis jouent avec le planeur en bois d’un de leur camarade. Koji monte sur un arbre pour récupérer le planeur et fait une chute. Il s’en sort avec une foulure à la jambe et doit rester allongé. Sa belle-sœur veut lui acheter un planeur pour le consoler de sa blessure.

Toute la famille vit dans la peur de ce qui pourrait arriver aux soldats, et Osumi dans l’angoisse de perdre son époux sur le front. La belle-mère apprend que son fils a été filmé dans les actualités et décide de se rendre en ville pour voir ces actualités. Trop émues, elle pleure pendant le reportage et ne peut pas voir Soichi à l’image. Puis, c’est Osumi qui part en ville pour voir son époux au cinéma mais elle préfère économiser son argent pour acheter un planeur à Koji. Ce dernier ne comprend pas pourquoi Osumi a fait ce choix. Un visage inoubliable (en l’occurrence celui du soldat au front) participe évidemment à l’effort de guerre. Chaque personnage du film affirme être fier de cette guerre à laquelle se livre le Japon. Sauf que Mikio Naruse montre clairement (en le diffusant plusieurs fois) que les actualités ne sont que de la propagande pour rassurer la population. Les visages tristes des l’épouse et la mère de Soichi rappellent qu’elles sont, elles aussi, victimes de la guerre.

Un visage inoubliable (なつかしの顔, Japon, 1940) Un film de Mikio Naruse avec Ranko Hanai, Tsuruko Mano, Takashi Odaka.

mercredi 20 mars 2013

Mystery


Mystery commence par une scène choc. Il pleut très fort, quatre amis roulent vite dans leurs grosses voitures, ils écoutent de la musique, s’amusent, parlent fort. Ils passent un tunnel, la première voiture évite une jeune femme qui s’encastre sur le pare-brise de la deuxième automobile. Le conducteur sort, donne quelques coups de pieds dans le corps encore vivant de la jeune femme. Le policier dépêché sur place constate qu’elle a été frappée à la tête, il embarque le conducteur qui sortira bien vite avec l’aide de son avocat et de son riche papa. Cette séquence primitive sera au centre du nouveau film de Lou Ye et pousse vers la question essentielle : qui donc a frappé la victime pour qu’elle se retrouve au milieu de la route et meurt dans l’accident ? Le film s’engage d’abord sous la forme d’un film policier et retourne en arrière pour tenter d’expliquer ce qui s’est passé.

Il est temps de présenter les personnages principaux du film. Lu Jie (Hao Lei) reçoit un coup de fil de Sang Qi (Qi Xi). Les deux femmes se sont connues à l’école de leurs enfants. La première a une fille, la seconde un fils. Sang Qi fait de son amie sa confidente, elle a surpris son mari avec une femme sortant d’un hôtel en plein jour. Elle en est certaine, il la trompe. D’ailleurs, elle montre un jeune homme accompagné d’une jeune femme, juste en face d’elles, qui rentre dans un hôtel, belle scène où l’on reconnait Yongshao (Qin Hao), le mari de Lu Jie. Cette dernière ne dit rien, mais son trouble est immense. Elle aussi est trompée. Elle lui téléphone, il répond qu’il est au travail et qu’il l’a rappellera. On comprend que sa maîtresse est justement la victime de l’accident découverte dans la première séquence.

Il s’agira pour Lou Ye d’illustrer le titre de son film et de faire durer le mystère sur la mort de la jeune femme. Mystery poursuit son récit où la vie libidineuse et adultérine de Yongshao est mise en avant. Son apparence est celle d’un homme au physique avantageux, bon père de famille et amoureux de son épouse mais les multiples révélations que le cinéaste révèle à son sujet créent un sentiment de malaise. Qui plus est, Lu Jie, bouleversée par la vérité au sujet de son mari, devient de plus en plus inquiétante, son regard se durcit. Elle provoque l’angoisse lorsqu’elle amène le fils de Sang Qi après l’école pour faire du cerf-volant au sommet d’une colline. La réponse de Yongzhao est d’abord de nier, mais les pièges tendus par Lu Jie se retournent contre lui. Il réagit alors dans la violence, frappe sa femme, la baise sans tendresse. L’accident a produit chez les personnages un dérèglement irrémédiable.

La maitrise du cinéaste pour montrer la plongée de ses personnages dans un état second est bien plus grande que dans Love and bruises, son film précédent, où l’amour/haine était déjà au cœur du récit. Le cinéaste revient en Chine après cinq ans d’interdiction de filmer et il n’est pas certain que les autorités du cinéma chinois apprécient le ton cinglant du film. Car derrière cette histoire d’adultère et ce thriller policier, Mystery montre le comportement particulièrement odieux des jeunes qui se croient au dessus des lois. D’ailleurs, un arrangement en justice est trouvé entre la mère de la victime et le père du jeune chauffard : une somme d’argent et un appartement. Le policier qui enquête est obligé de se plier aux exigences et son désespoir est immense. Le film critique également vertement la politique de l’enfant unique, cause de l’adultère de Yongzhao selon le cinéaste et donc de la mort de la jeune femme. Mystery filme l’égoïsme de ses personnages et cela fait froid dans le dos.

Mystery (浮城謎事, Chine – France, 2012) Un film de Lou Ye avec Hao Lei, Qin Hao, Qi Xi, Zu Feng, Zhu Yawen, Chang Fang-yuan, Qu Ying, Du Yan-lin.

mardi 19 mars 2013

Acteurs ambulants


Quand toute la troupe de théâtre du dramaturge Kikugoro arrive au village, tous les enfants accourent pour les accueillir. Les comédiens défilent fièrement mais Acteurs ambulants se concentre sur deux d’entre eux : Hyoroku (Kamatari Fujiwara) et Senbei (Kan Yanagiya). L’affiche annonce que la pièce jouée est La Vie de Tasuke Shiobara. Aucun des deux hommes n’a le rôle titre et pour cause, ils interprètent l’impétueux cheval de Shiobara, nommé Tatsumaki. Le premier fait les pieds avant, l’autre les pieds arrière. Ils n’aiment pas qu’on les prenne pour de simples hommes déguisés, ce sont de vrais acteurs. A deux femmes qu’ils ont rencontré, Hyoroku, avec le plus grand sérieux, raconte qu’il a joué cinq ans le cul du cheval et qu’il fait depuis dix ans la tête, aboutissement de sa carrière. Il explique avec fierté que cet art de la pantomime ne vient que de son sens extrême de l’observation des chevaux. Il le prouve en montrant son jeu de jambes et se met à hennir. Il en profite pour rabaisser son comparse, Senbei, qui n’est pas encore assez formé pour passer à l’avant du cheval. Ces dames rient sous cape mais promettent de venir admirer leur art.

Pendant ce temps, Kikugoro (Minoru Takase) cherche des emplacements pour placarder ses affiches publicitaires. Les villageois ont vite compris que ce Kikugoro n’est pas le comédien bien connu prénommé Onoe mais un simple homonyme qui joue sur la réputation de son nom. Seul le coiffeur acceptera de donner un peu d’argent à la troupe, à la condition de pouvoir jouer un rôle dans la pièce. Frustré par le refus de Kikugoro, le coiffeur se soûle, va dans les coulisses et s’affale sur la tête en carton du cheval. Le lendemain, il faut constater le drame, la tête est écrasée. Elle est amenée chez un artisan qui la reprise si mal que Hyoroku trouve que maintenant elle ressemble à une tête de renard. Il refuse de jouer. Kikugoro, jamais avare de roublardise, décide qu’un vrai cheval fera aussi bien l’affaire que celui de Hyoroku et Senbei. Le soir, le vrai cheval n’en fait qu’à sa tête, ne se déplace pas quand il le faut et se met à pisser sur la scène. Les villageois adorent ce spectacle et Kikugoro ne veut plus des deux acteurs qui vagabondent dans la nature. Mais manger de l’herbe comme un cheval ne nourrit pas son homme.

Acteurs ambulants est une farce et Mikio Naruse parvient à trouver le juste équilibre pour rire des comportements des deux acteurs du cheval sans se moquer d’eux. Certes, ils sont ridicules, surtout l’arrogant Hyoroku, mais ce ridicule n’est rien en comparaison du caractère vénal et usurpateur de leur patron. Les deux comédiens croient en leur art et en la force de leur travail. Les voir imiter les pas d’un cheval est un moment à la fois pathétique et plein de tendresse. Le film fourmille de gags comiques, le plus amusant est la chasse aux moustiques lors de la première représentation. Le film évoque, très rapidement, la guerre quand un soldat tire un cheval, suivi d’enfants qui tiennent des drapeaux japonais avec joie. Les deux comédiens qui observent de loin la scène ont alors cette réflexion « ça aurait pu être nous », sans que l’on sache vraiment s’ils parlent du cheval ou du soldat. Mais ils savent que, même si leur sort d’acteurs de seconde zone est minable, il est plus enviable que celui de l’animal et du combattant qui finiront tous deux morts sur le champ de bataille. Mikio Naruse dit tout simplement que l’art sera toujours plus glorieux que la guerre.

Acteurs ambulants (成瀬巳喜男 - 旅役者, Japon, 1940) Un film de Mikio Naruse avec Kamatari Fujiwara, Kan Yanagiya, Minoru Takase, Sôji Kiyokawa, Ko Mihashi, Zeko Nakamura.

lundi 18 mars 2013

Toute la famille travaille


La famille est nombreuse. Les deux parents, sept enfants, six garçons et une fille, le grand-père et la grand-mère. Tous vivent ensemble dans une maisonnette d’un quartier modeste de Tokyo. Toute la famille travaille développe les habitudes de cette famille : prendre le petit-déjeuner le matin, la mère prépare le riz, les plus jeunes enfants vont à l’école ou jouent à la guerre (la seule allusion à la guerre sino-japonaise), départ à l’usine pour le père et les trois fils les plus âgés, le jeu du papier ciseau caillou pour savoir s’ils courent ou marchent pour prendre le tramway, le transport en tramway bondé et enfin le travail dans l’usine. Métro, boulot dodo. Le train-train quotidien est répété plusieurs fois pendant le film, appuyant le caractère monotone de la vie des gens modestes. Ils vivent conditionnés par leur statut social, par exemple la fillette n’envisage pas d’autre vie que celle d’épouse. C’est cette immuabilité que deux enfants de la famille veulent briser, pour changer leur destin est envisager un modèle de vie différent.

Tout le film va tourner autour du choix de Kiichi (Akira Ubukata), le fils aîné âgé de 22 ans, d’abandonner le travail en usine pour reprendre ses études dans le but de venir électricien. Puis de quitter le cocon familial étouffant et fonder une famille. Si le père (Musei Tokugawa) estime que cela est tout à fait légitime, la mère (Noriko Honma) s’offusque de l’intention de son fils. La mère ne pense qu’à la rentrée d’argent que procure le travail de ses enfants. Son regard dur culpabilise les réfractaires avec cette pensée qu’elle leur a donné naissance et qu’ils doivent maintenant rembourser leur dette à la famille. Son personnage est un peu chargé mais permet de comprendre le désir d’émancipation de son fils. Il est évident que Mikio Naruse adopte le point de vue du fils et non celui de la mère. Ce choix crée une onde de choc dans la famille puisque Eisaku (Takeshi Hirata), douze ans, veut désormais lui aussi aller au collège plutôt que d’entrer à l’usine.

Toute la famille travaille est constitué en grande partie de scènes de dialogues entre les membres de la famille où chacun cherche à argumenter ses positions. Dans la famille, la mère reste sourde à tout cela et il faudra que le professeur des enfants (Den Obinata) vienne soutenir Kiichi au sein même du foyer, agent extérieur agissant comme un élément contaminateur. L’une des scènes les plus pathétiques du film se déroule dans le bar tenu par la jeune Mitsuko (Sumie Tsubaki). Kiichi convonque ses frères au café pour leur faire part de son choix mais la discussion tourne court comme si les arguments de sa mère semblaient irréductible. La belle Mitsuko est amoureuse de Kiichi, ce qui n’est pas réciproque, mais Genji (Kaoru Itô), le deuxième frère est charmé par elle, achevant de briser le rêve de la mère de voir Kiichi épouser la jeune femme. Il se dégage du film un grand pessimisme qui renvoie à cette époque de grand trouble au Japon en cette veille de seconde guerre mondiale.

Toute la famille travaille (成瀬巳喜男 - はたらく一家, Japon, 1939) Un film de Mikio Naruse avec Musei Tokugawa, Noriko Honma, Akira Ubukata, Kaoru Itô, Seikichi Minami, Takeshi Hirata, Seiichiro Bando, Kiyoko Wakaba, Den Obinata, Sumie Tsubaki.

samedi 16 mars 2013

Hana


Vengeance, vengeance, vengeance. Telle est l’unique obsession du jeune samouraï Soza (Junichi Okada), héros bien malgré lui de Hana, film inédit en France de Hirokazu Kore-eda qu’il a réalisé entre Nobody knows et Still walking. D’emblée, le film place le spectateur au milieu d’un Japon de l’ère Edo, au début du 18ème siècle très loin des canons habituels du film de samouraï. Hana n’est ni la vision épique de Kenji Mizoguchi des 47 ronins (bien que le film y face allusion), encore plus loin des Baby Cart sommet du film de vengeance ou du lyrisme de Sanjuro d’Akira Kurosawa. Le décor unique du film est un lotissement (comme l’appelle avec morgue le propriétaire des habitations qui ne passe que pour réclamer son loyer), en vérité une rue constituée de logements brinquebalants, faits de planches ou chacun entend tout ce que fait son voisin. Une femme crie après son mari et ses enfants pour aller mendier et réveille tous les autres habitants qui râlent. Loin d’être sinistre, cette ouverture donne le ton comique du film.

A vrai dire, la grande faculté de Kore-eda à faire rire était un peu absente dans ses films précédents, si ce n’est dans quelques scènes avec le plus petit des enfants de Nobody knows. Dans Hana, toute une galerie de personnages pittoresques provoque le rire. L’aspect des personnages particulièrement crasseux, en haillons, les cheveux en bataille est déjà drôle en soi et on rit parce que, somme toute, ils n’en ont pas honte. Mais surtout tous semblent complètement timbrés, conséquence de cette vie misérable qu’ils mènent. Mago (Yûichi Kimura), grand gars à la tronche mâchuré, est le collecteur de merde qu’il vend comme engrais pour gagner un peu d’argent. Dès que quelqu’un veut chier, il l’oblige à aller dans ses toilettes et observe si l’excrément lui rapportera de l’argent. Lui-même, avec ses enfants, saute sur place pour accélérer la digestion. Régulièrement, la communauté se réunit sous le patronage du « maire » et produit une comédie de vaudeville (surtout une parodie des mœurs de l’époque) où chacun incarne un personnage. C’est déjà dans cette pièce de théâtre moqueuse et extrêmement ironique où, parce que les personnages jouent avec grandiloquence comme ils imaginent qu’un samouraï se conduit, que le cinéaste commence sa critique de l’univers des samouraïs.

Mais qu’est-ce donc un samouraï si ce n’est un homme qui sait se battre au sabre. La première leçon que va recevoir Soza vient de Sode (Ryo Kase), un homme en marge dont le foulard autour de son cou cache un passé secret. Alors que Soza enseigne à un enfant l’art de se battre, Sode va le défier et l’humilier devant tout le monde. Soza est nul en combat, tout le monde le comprend au village. Ce qu’il sait faire en revanche, c’est lire et écrire. Il va donc apprendre le japonais à tout ces enfants illettrés (les adultes eux préfèrent rester analphabètes) et se rapprocher de la belle Osae (Rie Miyazawa), jeune veuve qui un jeune garçon. Son incompétence aux armes et l’amour naissant vont être les deux premières raisons qui vont l’amener à commencer à douter du bien fondé de sa mission. Quand la nouvelle d’un amour se répand au village, tous les bouseux se mettent à espionner à travers les parois mal ajustées de la maison ce qu’ils font. Les enfants, nombreux, apportent au samouraï instituteur un équilibre qu’il n’avait pas encore trouvé, dans sa propre famille dont il est éloigné depuis trois ans dans le but de venger son père.

Lors de la seule escapade hors du village pour fleurir la tombe de son père, Soza retrouve sa mère et son frère. Elle passe son temps sabre à la main à découper des mannequins d’osier avec l’avis de recherche du tueur, le frère reproche à Soza ce temps perdu à trouver le tueur de son père. Son doute s’accentue encore plus. De retour au village, le seul sage du village, Tome (Seiji Chihara) l’incite à renoncer. Il lui annonce également qu’il connait cet homme, samouraï déchu, qui a tué le père de Soza. Jubei (Tadanobu Asano) habite un quartier voisin. Il a quitté son rang de samouraï pour épouser une veuve avec enfant et elle est à nouveau enceinte. Soza et Jubei sont donc dans la même situation. La dialectique de renoncement devant l’aberration de la charge s’est faite par étapes. Elle s’achèvera avec l’assaut de 47 rônins en costumes traditionnels, aussi ridicule qu’inattendue. On avait vu, au fil du film, ces samouraïs cachés dans le village sans en comprendre la raison, l’une des diverses intrigues secondaires du film. Hana n’est pas seulement une comédie sur les samouraïs, il en est aussi la critique de sa représentation au cinéma et c’est cela qui en fait un film tout à fait passionnant.

Hana (花よりもなほ, Japon, 2006) Un film d’Hirokazu Kore-eda avec Junichi Okada, Rie Miyazawa, Tadanobu Asano, Arata Furuta, Terajima Susumu, Teruyuki Kagawa, Jun Kunimura, Seiji Chihara, Yûichi Kimura, Ryo Kase. 

jeudi 14 mars 2013

Cold war


Un attentat a lieu au beau milieu du quartier de Mongkok dans le cinéma Broadway Circuit. La police est en alerte. Ailleurs, sur l’autoroute, un homme alcoolisé roule à toute vitesse. Cold war démarre sur les chapeaux de roue avec une scène rapide et inspirée, ce qui en cette période de vache maigre est très agréable. Rien à voir entre les deux faits si ce n’est que les cinq policiers, venus arrêter le chauffard, vont être enlevés par des terroristes masqués. Le commissaire en chef (Michael Wong, qui comme à son habitude parle anglais mais qui par chance vient juste faire une courte apparition) est absent. Il confie les rênes de l’enquête à ses deux divisionnaires : Sean Lau (Aaron Kwok), responsable du personnel, et MB Lee (Tony Leung Ka-fai), responsable des opérations. C’est ce dernier qui chapeaute le tout et décide de d’appeler l’opération « Cold war ». Une cellule de crise se met en place dans les locaux immenses et glaciaux des quartiers généraux de la police.

Ce qui impressionne également est le casting pléthorique du film : Lam Ka-tung, Andy On, Charlie Yeung, Terence Yin, Chin Ka-lok et un caméo d’Andy Lau. Chacun a une spécialité dans la police qu’il va utiliser pour tenter de retrouver les flics disparus. Cold war est une course contre la montre où les ravisseurs demandent une rançon. Les policiers sont menés d’un lieu à un autre. La cale d’un bateau est remplie de dynamite. Les matelots sont interrogés avec violence, torturés à l’ancienne par Kwong (Lam Ka-tung) et Shek (Andy On). Un paquet est déposé à la police, il contient un portable pour communiquer avec les bandits. To (Terence Yin), l’informaticien, va tenter de tracer le portable et les GPS des flics enlevés. Le thriller se met en place avec un grand renfort d’effets sonores, la musique tonitruante de Peter Kam appuie chaque moment de suspense et de tension. Quand Vincent (Chin Ka-lok), le fidèle homme de main de Lau meurt sous les balles, sa veuve se crispe de douleur et se met en colère. L’émotion qui devait se dégager de son chagrin ne parvient pas à se créer.

Seulement voilà, la guerre des chefs s’empare de la police. En effet, l’un des policiers enlevés est Joe Lee (Eddie Peng), le fils de MB Lee. Lau estime qu’il a outrepassé ses pouvoirs et qu’il ne peut plus diligenter les investigations. Le film s’engage alors dans de longues scènes de dialogues, ou plutôt d’engueulades entre les deux divisionnaires. Tony Leung Ka-fai est impressionnant avec son crâne rasé et sa barbe. Comme à son habitude, il sait donner du poids à son personnage, élevant la voix avec un regard de fou furieux. Mais le problème réside moins dans le jeu des acteurs (ils sont tous bons) que dans le statisme de ces scènes. Longman Leung et Sunny Luk, qui tournent leur premier film en tant que réalisateurs, ne savent pas comment filmer les dialogues si ce n’est en champ contre-champ des personnages qui parlent entre eux. Le rythme retombe donc fréquemment jusqu’au coup de théâtre suivant qui amène une nouvelle scène d’action.

Une fois les cinq policiers retrouvés, Cold war change de cap avec l’arrivée de deux nouveaux personnages venus mettre leur nez dans toute cette histoire. Mak (Alex Tsui) et Cheung (Aarif Lee) pensent qu’une taupe est responsable de l’enlèvement des cinq policiers. Le film repart donc sur une nouvelle enquête où chaque policier est un suspect en puissance. La tension passe cette fois dans les joutes verbales entre Cheung et les autres, que le jeune policier interroge. Le climax étant l’affrontement avec MB Lee qui, grâce à son sens du discours, parvient à retourner l’interrogatoire en contre-interrogatoire. Evidemment, Tony Leung Ka-fai fait tout le boulot, Aarif Lee fait ce qu’il peut face au talent monstre de son aîné.  Cold war évoque dans cette deuxième partie les luttes de pouvoirs à l’intérieur de la police. MB Lee, comme Lau, veulent la place de chef. Le film, avec son scénario rempli de rebondissements, est malin et, ce qui ne gâche rien, est esthétiquement agréable. Les deux cinéastes lorgnent du côté d’Infernal affairs mais en éludant totalement la vie privée des personnages ce qui les prive d’une complexité psychologique qui aurait permis qu’on se sente plus proches d’eux. Eux aussi veulent la place de chefs du film policier d’action depuis qu’Andrew Lau, parti faire des romances en Chine, a laissé la place vacante.

Cold war (寒戰, Hong Kong, 2012) Un film de Longman Leung et Sunny Luk avec Aaron Kwok, Tony Leung Ka-fai, Aarif Lee, Eddie Peng, Charlie Young, Terence Yin, Chin Ka-lok, Andy On, Ma Yi-li, Lam Ka-tung, Tony Ho, Andy Lau, Alex Tsui.

mercredi 13 mars 2013

Avalanche


Fils de bonne famille, Goro (Hideo Saeki) a deux femmes dans sa vie. Marié depuis un an à Fukiko (Noboru Kiritachi), il s’est aperçu depuis qu’il est encore amoureux de Yayoi (Ranko Edogawa). Il vit avec l’un et voudrait vivre avec l’autre. Assez vite, Avalanche montre la différence entres ces deux femmes. Fukiko, l’épouse, est en habit traditionnel. Elle apparait dans le film constamment à l’intérieur, à attendre le retour de son mari dans la maison. C’est une femme soumise et attentionnée. Elle aime Goro mais au bout d’un an de mariage a bien compris qu’il aime sa rivale. Yayoi, coquette, s’habille à l’occidental. Elle est filmée en extérieur où elle rencontre Goro avec lequel elle fait souvent des promenades. La caméra s’adapte aux deux mentalités, fixe pour l’épouse et mouvante, en travellings, pour la maitresse en puissance. En un mot, Mikio Naruse oppose le mariage (la prison) et l’amour (la liberté).

Les parents de Goro s’inquiètent de la situation. Le père (Yo Shiomi) estime que son fils est lâche tandis que la mère (Yuriko Hanabusa) pense que Goro aurait mieux fait d’épouser Yayoi. Le père de Fukiko (Sadao Maruyama), homme jovial, se demande si sa fille est enceinte. Le père de Goro, ne voulant pas avouer que son fils aime une autre femme, feint de se demander si Fukiko ne serait pas stérile. Il défend l’honneur de sa famille. Il décide de prendre les choses en main dans une très belle scène qui montre combien Goro incarne la lâcheté. Le fils travaille dans l’entreprise de son père. Ce dernier lui propose de déjeuner ensemble. Au cours du repas, ils n’échangent que des banalités, puis en rentrant au travail, le père suggère que Goro offre en cadeau un joli sac à main à Fukiko. Après avoir hésité, Goro finit par acheter le sac mais son père insinue qu’un cadeau doit se faire avec le cœur et que son fils en manque. Plus tard, une fois ce cadeau offert, Yukiko le montrera à son beau-père, plutôt mal à l’aise.

De son côté, Yayoi clame à son petit frère alité (Akira Ubukata) qu’elle refuse le mariage pour mieux s’occuper de lui. Lors d’une rencontre avec Goro, elle lui affirme qu’elle pense chaque fois à Fukiko comme lui y pense aussi. Elle déclare qu’elle refuse de faire de la peine à l’épouse de Goro. Ce dernier, dans un dernier élan de lâcheté, veut pratiquer le double suicide traditionnel. Son idée est de laisser Fukiko mourir pour retrouver Yayoi. Ce projet qu’il juge courageux ne sera pas mené à bout. Sa voix off se fait entendre où l’on entend ce qu’il pense, un léger voile se place sur son visage fixe. Cette manière de commenter les actions en voix off revient régulièrement pour chacun des trois protagonistes (Fukiko, Goro et Yayoi) Dans une ultime réflexion intime, Goro renonce et le dernier plan montre le couple, pour la première fois, en extérieur, au bord de la mer.

Avalanche (雪崩, Japon, 1937) Un film de Mikio Naruse avec Kiritachi Noboru, Edogawa Ranko, Saeki Hideo, Hanabusa Yuriko, Shiomi Yo, Sadao Maruyama, Akira Ubukata.

mardi 12 mars 2013

Trois sœurs au cœur pur


Le film s’appelle Trois sœurs au cœur pur, mais son titre aurait pu être « Une mère au cœur de pierre », tant son caractère sévère irrigue le comportement de ses filles. Cette mère, Haoya (Chitose Hayashi) enseigne chez elle la guitare traditionnelle japonaise, le shamisen, à trois jeunes femmes avec une telle intransigeance qu’elles en sont traumatisées et en font des cauchemars. Ces trois élèves remplacent, métaphoriquement, ses trois filles. Seule Osome (Masako Tsutsumi), la puinée, a pris le relais et à fait de cet instrument son métier. Elle joue dans des cafés mais les clients se moquent d’elle. Un homme casse son instrument et sa mère, à son retour au domicile, la grondera comme un enfant. Trop pauvre pour habiter seule, elle doit cohabiter avec sa mère. Mikio Naruse, comme à son habitude, montre cette indigence avec la soque cassée d’Osome, soque qu’elle tente de réparer avec un bout de ficelle.

La cadette est Chieko (Ryuko Umezono), qui vit également avec sa mère et Osome. Contrairement à cette dernière, Chieko a un fiancé, un charmant jeune qui l’admire. Il va chaque jour regarder le spectacle de cabaret que joue Chieko. Ce jeune homme est le moyen d’enfin quitter la maison maternelle. Enfin, Oren (Chikako Hosokawa), l’ainée a rompu avec sa famille. Ses sœurs ne l’ont pas vu depuis des années. Oren s’est définitivement fâchée avec sa mère qu’elle estime responsable de son mal de vivre. Ce que chacune d’elle va chercher, c’est un bonheur simple. Leur seul moyen est de lutter contre le destin qui semble s’acharner sur elles. De ce point de vue, le film n’hésite jamais à sur-dramatiser le récit : le fiancé d’Oren, pianiste au chômage, a la tuberculose, des voleurs menacent de tuer le petit ami de Chieko, la si gentille Osome se fait rabrouer par tout le monde. On remarquera cependant que l’influence de la mère reste présente dans le rapport des trois sœurs avec l’art : shamisen, cabaret et piano.

En quittant la Shochiku pour la nouvelle compagnie PCL, le cinéaste fait également son premier film parlant. Il s’en donne à cœur-joie : voix off de Chirko (c’est son point de vue qui est adopté), musique intra-diégétique (au cabaret, le son du shamisen) et bien entendu de nombreux dialogues entre les sœurs, dont ceux au court d’un flash-back sur la vie d’Oren. Le cinéaste a adapté lui-même les chroniques intimes de Yasunari Kawabate après des années où le scénario lui été imposé. Pour l’anecdote, Kawabate fréquentait un bar où Ryuko Umezono, l’interprète de Chieko, faisait des spectacles cabaret de la même manière que dans le film. C’était dans les années 1920 à Tokyo. Le futur Prix Nobel de littérature a tant admiré cette jeune comédienne qu’il a convaincu Naruse qu’elle vienne faire ce spectacle dans ce film. Le ton du film est moins mélodramatique et plus sombre. Il parviendra à faire en sorte, comme pour appuyer l’idée que le sort qui s’acharne, à ce que les trois sœurs ne soient jamais dans le même plan.

Trois sœurs au cœur pur (乙女ごころ三人姉妹, Japon, 1935) Un film de Mikio Naruse avec Chikako Hosokawa, Masako Tsutsumi, Ryuko Umezono, Chitose Hayashi, Chisato Matsumoto, Masako Sanjo, Mariyo Matsumoto, Heihachirô Ôkawa, Kaoru Itô, Osamu Takizawa.

vendredi 8 mars 2013

The Bounty


La vie de chasseur de primes n’est franchement pas facile. Cho (Chapman To) exerce ce métier, parfois à ses risques et péril, au beau milieu d’un village en fureur quand il veut remet à une dame de petite taille surnommée Tall Girl son petit chien surnommé Tyranosaure, elle refuse de le payer. Comme tous les villageois l’attaquent après qu’elle ait gueulé au voleur, une course poursuite s’engage. Non pas avec des belles bagnoles rutilantes comme dans n’importe quel polar. Elle conduit un petit tracteur et lui s’accroche sur sa valise à roulettes. Elle fonce à 2 à l’heure et il se ramasse sur la tronche la fumée des pots d’échappement et du blé. Le but de cette séquence d’ouverture de The Bounty est de placer d’emblée le récit dans le loufoque et l’humour potache. Le film continue avec une nouvelle mission où Tony (Wan Chiu), son patron flegmatique, amateur de jolies femmes et de cocktails au bord de la plage, l’envoie dans un hôtel au milieu d’une île pour partir à la recherche d’un homme.

L’hôtel s’appelle Lazy Inn (« l’auberge paresseuse »). Et il est totalement vide. Le patron, Sun (Alex man), type costaud mais à l’air idiot, est à la réception. Sa fille, Linda (Fionat Sit) l’aide dans sa tache. Ses cheveux tirés en arrière et son uniforme la font ressembler à une enfant, elle est d’ailleurs très immature. Linda passe son temps à faire les chambres et surtout à s’immiscer dans la vie des clients (quand il y en a) en ouvrant leurs valises, se lovant sur leurs lits et saisir leurs objets. Il va sans dire que la curiosité de Linda va la pousser à ouvrir la valise magique de Cho (vue en début de film) et ensuite à s’interroger sur la venue de ce client dans leur hôtel. Enfin, le troisième larron est Coconut Man (Nick Wang), un jeune homme au visage ingrat (dents de lapins, chevelure hirsute, lunettes de myope) et bien entendu, il est abonné aux travaux les moins valorisantes dans l’hôtel. Ce trio de tocards va mettre en péril le plan d’arrêter Lee Kin-fai, l’homme que Tony lui a demandé de trouver.

Linda est persuadée que Cho est venu pour mettre fin à ses jours dans son hôtel. Ce ne serait pas le premier à tenter de se suicider dans ce lieu isolé. Elle l’espionne en vidéo surveillance, elle interprète ses gestes comme autant de signes et intervient en l’arrosant à l’extincteur. Puis, elle pense qu’il doit plutôt être un homme qui se cache pour une quelconque raison. Enfin, comme son père, elle pense qu’il est un tueur en série. Le père n’est pas en reste pour déstabiliser Cho. Il veut lui soigner ses problèmes d’oreille en plaçant des bougies dans ses orifices et lui montre des films d’horreur pendant l’opération. D’autres viendront encore lui créer quelques noises. Le gang des cannes à sucre (parce qu’ils se servent de branches comme de matraques) veulent faire régner l’ordre sur l’île. Là encore c’est une belle bande de losers qui vont se prendre quelques roustes par Cho. The Bounty se veut une comédie d’action et il faut bien reconnaitre que les combats sont réussis tout en parvenant à faire rire. Chaque acteur (Chapman To et Fiona Sit en tête) joue avec leur visage expressif à grand renfort de mimiques. Et le film contient un très grand nombre de personnages, donc beaucoup de grimaces.

Toute la première partie du film excelle dans le burlesque et dans l’humour non-sensique. La deuxième moitié est dévolue à la recherche de Lee Kin-fai qui en fait est Coconut Man déguisé. Après avoir avoué à Linda qu’il est un chasseur de primes, Cho va se faire aider par elle, malgré sa maladresse puérile. Linda cache en plus un lourd secret au sujet de sa sœur disparue. Le film cherche à apporter un peu de sentiments au milieu des gags féctieux mais échoue à émouvoir. La romance obligatoire entre Linda et les deux hommes (Cho et Lee Kan-fai), débarque dans la toute fin du film sans vraiment convaincre. Mais il faut signaler que c’est plutôt une bonne chose que cette amourette arrive si tard, on n’est pas obligé de subir cet habituel écueil des comédies d’action où l’actrice n’est que le faire-valoir de l’acteur. Semi-réussite, The Bounty amuse également avec les courtes apparitions de quelques acteurs dans des personnages cocasses. Raymond Wong Ho-yin incarne un ancien collègue de Cho qu’il taquine sur ses compétences, Eric Kot joue un flic dégingandé et hirsute enfin Michael Hui (qu’on n’avait pas vu depuis The Myth en 2005) fait office d’ex mentor de Cho qui veut s’attribuer sa victoire. Le premier film du scénariste Fung Chih-chiang est prometteur. J’attends son deuxième avec envie.

The Bounty (懸紅, Hong Kong, 2012) Un film de Fung Chih-chiang avec Chapman To, Fiona Sit, Alex Man, Nick Wang, Charmaine Fong, Ma Choi, Wan Chiu, Wong Yik-nam, Eric Kot, Raymond Wong Ho-yin, Stephanie Cheng, Law Wing-cheong, 6 Hou.

jeudi 7 mars 2013

Sorties à Hong Kong (mars 2013) Princess and seven kung fu masters


Princess and seven kung fu masters (笑功震武林, Hong Kong, 2013)
Un film de Wong Jing et Venus Keung avec Sammo Hung, Eric Tsang, Sandra Ng, Ronald Cheng, Rose Chan, Timmy Hung, Natalie Meng, Xie Na, Yuen Wah, Xing Yu, Wong Cho-lam, Jiang Lu-xia, Philip Ng, Kimmy Tong, Jo Kuk, Dennis To, Wan Chiu, Xu Ming-hu. 94 minutes. Classé Catégorie IIA. Sortie à Hong Kong : 7 mars 2013.

mardi 5 mars 2013

La Rue sans fin


Dernier film muet de Mikio Naruse, La Rue sans fin est l’adaptation d’un roman à l’eau de rose de Komatsu Kitamura, écrivain très populaire à l’époque. Mikio Naruse, comme à son habitude aime filmer les extérieurs, les néons, les gens qui marchent dans la rue. Ce qu’il y a de formidable dans son cinéma est cette impression de documentaire pour ces quelques scènes en extérieur : on découvre ce quartier de Ginza en 1934. C’est cette immersion dans le réel, cette sortie des studios qui rendent souvent ses films si vivants et finalement encore très modernes dans leur mise en scène aujourd’hui. Malgré les sujets et le ton parfois mélodramatique avec un scénario aux nombreux personnages et aux rebondissements fréquents. Le personnage central est la jeune et belle Sugiko (Setsuko Shinobu) qui travaille dans un café chic au milieu du quartier de Ginza.

Jusque là Sugiko menait une vie sans problème. Elle habite en colocation avec Kesako (Chiyoko Katori) qui est également sa collègue. Le café où elle travaille est rempli de mondains dont certains travaillent dans le cinéma. Les deux filles se voient d’ailleurs proposer de travailler dans le cinéma. Mikio Naruse ironise sur le vedettariat, les starlettes font l’actualité dans les journaux que lisent les personnages mais elles changent très vite, les jeunes actrices ne sont que de la chair vite périmée, semble dire le cinéaste. Cela n’empêchera pas Kesako de profiter de l’occasion pour faire l’actrice. Parce qu’elle a une belle âme, elle fait embaucher leur ami Shinkichi (Shinichi Himori), un jeune peintre sans le sou qui va dessiner des décors de cinéma. Assez vite Kesako va trouver ce milieu superficiel et quitter la profession pour redevenir serveuse.

Tout va changer dans la vie de Sugiko quand elle rencontre Hiroshi Yamanouchi (Hikaru Yamanouchi), un fils de bonne famille. Tandis qu’elle se rend à un rendez-vous avec Harada (Ichiro Yuki), son fiancé, l’automobile d’Hiroshi la renverse dans la rue. Honteux, ce dernier vient lui rendre une visite de courtoisie à l’hôpital. Ils tombent amoureux l’un de l’autre et se marient. Seulement voilà, la mère et la sœur d’Hiroshi ne voient pas d’un bon œil l’arrivée de cette bru sorti d’on ne sait où. Petit à petit, elle doit tout abandonner. Son travail d’abord, puis sa liberté. Elle doit être maîtresse de maison, s’adresser aux domestiques comme à des inférieurs, porter la tenue traditionnelle. Le film s’attaque au féodalisme familial et le dénonce en tant que tel. Le film se réfère au Lieutenant souriant d’Ernst Lubitsch où Maurice Chevalier, jeune marié à une princesse, devait se conformer à l’étiquette et perdait son amour pour sa femme. Le parcours amoureux de Sugiko et Hiroshi est le même.

La Rue sans fin est le dernier film que tourne Mikio Naruse pour la Shochiku. On sait que le réalisateur ne s’entendait plus avec la société de production, malgré les succès publics et critiques. Il est difficile de ne pas voir dans cette dénonciation du féodalisme, comme dans celle du star system des actrices, la lassitude du cinéaste à devoir tourner des films imposés, et surtout des romances à l’eau de rose. En regardant ce film, l’impression que Naruse a abandonné toute volonté de faire un film personnel se fait de plus en plus forte. On retrouve rarement son style vif, si ce n’est dans le finale où il filme sous plusieurs points de vue son actrice tétanisée par le dénouement douloureux de son histoire amoureuse. Ainsi, le film vaut le coup d’œil pour sa portée critique à double niveau sur le cinéma japonais.

La Rue sans fin (限りなき舗道, Japon, 1934) Un film de Mikio Naruse avec Setsuko Shinobu, Chiyoko Katori, Hikaru Yamanouchi, Nobuko Wakaba, Shinichi Himori, Ayako Katsuragi, Ichiro Yuki.

lundi 4 mars 2013

Rêves de chaque nuit


Entraineuse dans un bar pour marins, Omitsu (Sumiko Kurishima) rentre à son domicile, elle en rencontre deux marins qui espèrent la voir le lendemain mais les regards condescendants des passants connaissant sa profession sont moins joviaux que ceux des clients. Elle a un fils de six ans, Fumio (Teruko Kojima), sage bambin qui l’attend gentiment chez sa voisine (Mitsuko Yoshikawa), épouse d’un pharmacien (Jun Arai). Ils considèrent l’enfant comme leur petit-fils, il les rend heureux. Un homme est venu rendre visite à Omitsu. Il s’agit de Mizuhara (Tatsuo Saitô), son époux qui a quitté le domicile conjugal trois ans plus tard. A cause de son départ, elle a été obligée de travailler dans un bar. La voisine ajoute qu’il reviendra pour la voir. Le père prodigue (comme l’était la mère Sans lien de parenté) veut retrouver son fils et recréer le noyau familial.

La pauvreté du mari est montrée comme dans Bon courage, larbin ! et Après notre séparation : ses chaussures sont trouées. L’enfant va aider son papa en collant, avec son chewing-gum, un morceau de journal à la place du trou. Le père passera un peu de temps avec son fils, jouera au base-ball avec les gamins alentour. En revanche, il aura toujours beaucoup de mal à trouver un emploi. Pour Omitsu, c’est la seule condition pour qu’elle accepte de revenir au foyer. Acculé par son manque de chance dans ses recherches, il décide cambrioler le patron à qui il demander du travail. Le drame de Rêves de chaque nuit se noud autour du chômage chronique consécutif de la crise économique qui touche le Japon alors. Mais c’est surtout la honte de sa position sociale qui pousse Mizuhara à agir ainsi. Il plonge dans un cercle vicieux dont il n’arrivera pas à s’échapper.

C’est la voisine qui était parvenu à conviancre Omitsu de donner une nouvelle chance à son époux, avec comme objectif qu’elle puisse enfin quitter son travail. Plusieurs scènes montrent à quoi consiste la profession d’Omitsu. Elle doit entrainer les clients, des marins donc, à consommer. Un soir, un capitaine de navire (Takeshi Sakamoto) lui donne quelques billets. Cet homme va ensuite tenter d’abuser d’elle mais les deux marins (Kenji Oyama et Shigeru Ogura), vus dans la première scène vont lui porter secours. La vie d’Omitsu est difficile, d’un côté avec un métier honteux et un mari minable. Pour accentuer encore plus le drame et la crise familiale, comme dans Bon courage, labrin !, l’enfant va avoir un accident. On trouve donc dans ses films successifs tournés au sein de Shochiku les mêmes thèmes et la même manière vive et rythmée de filmer cette chronique familiale où le désespoir et la pauvreté règnent. Les rêves d’Omitsu ne vont pas se réaliser.

Rêves de chaque nuit (夜ごとの夢, Japon, 1933) Un film de Mikio Naruse avec Sumiko Kurishima, Tatsuo Saitô, Teruko Kojima, Jun Arai, Mitsuko Yoshikawa, Takeshi Sakamoto, Kenji Oyama, Shigeru Ogura, Choko Iida.

dimanche 3 mars 2013

Gunmen


Démobilisé pendant la guerre civile (au milieu des années 1930), Ding Jun-bi (Tony Leung Ka-fai) dit adieu à ses trois camarades d’armée pour retrouver sa femme Chu-chiao (Carrie Ng) et leur petite fille Sze-sze (Hoh Leng-leng) qui ne le reconnait pas. Recommencer une nouvelle vie, il ne l’espérait pas tant la dernière bataille à laquelle lui et ses amis ont participé a été rude. Gunmen s’ouvre sur des scènes de guerre où un officier ennemi les fait prisonniers et menace de les torturer avant que ne sonne la fin de la guerre. Cet officier, Ting (Adam Cheng) a un regard d’une telle cruauté que Ding ne va jamais l’oublier. Il va le retrouver quelques temps plus tard à Shanghai où Ding et sa famille se sont désormais installés. Loin d’atteindre une vie enchanteresse, Ding subit la pauvreté de plein fouet. Il peine à se payer un bol de nouilles.

Il décide alors de s’engager dans la police. La priorité est la lutte contre le trafic d’opium. Avec le capitaine Kiang (Yuen Bun), il suit la piste d’un trafiquant notable amateur de jolies femmes. Ce suspect loue les services de Mona (Elisabeth Lee), pauvre comme Ding. Tous deux s’étaient rencontrés par hasard et avaient partagé un peu de nourriture. Mona va devenir l’indic de Ding, elle va pouvoir écouter tout ce qui se dit. Mais Ting et son oncle Liang (Andrew Kam) sont devenus les rois de l’opium. Une descente de police se solde par un massacre des deux côtés. Kiang est blessé mortellement. Les autorités coloniales (le film se déroule dans la concession française) décident de nommer Tian (Elvis Tsui) pour faire le ménage, reprendre en main le quartier mais également contrôler l’éventuelle corruption de policiers. Ce que veulent les Européens, dit en substance le film, c’est pouvoir continuer tranquillement de faire de l’argent à Shanghai.

L’idée de Tsui Hark est de faire de Gunmen une variation des Incorruptibles de Brian De Palma. L’époque est la même et le contexte d’une pègre qui fait régner sa loi est similaire. Comme Elliott Ness, Ding Jun-bi va recruter ses hommes de confiance. En l’occurrence ses anciens comparses de l’armée : Tou (Waise Lee), Fan (David Wu) et Kwong (Mark Cheng). Ils se retrouvent par hasard dans les rues bondées. Ils sont devenus tireurs de pousse-pousse et Ding les prend pour des voleurs. En vérité, ils sont victimes du racket d’un policier. Seulement voilà, les méthodes expéditives de Ding et de sa bande ne sont pas compatibles avec celles, autoritaires, du nouveau chef Tian. Le film joue sur le sentiment de loyauté qui unit les quatre hommes l’opposant avec l’obéissance absolue du chef avec un pouvoir corrompu. Le manichéisme est de mise, comme souvent dans les productions de Tsui Hark, avec une petite dose de xénophobie, vu que le pouvoir est tenu par les Européens.

Le nombre d’ennemis ou d’adversaires de Ding Jun-bi ne cesse d’augmenter. Après son chef qui vire comme des malpropres ses trois compagnons d’arme et qui demande sa démission à Ding – ou sa soumission totale, c’est Ting, son ancien ennemi de guerre qui s’en prend à lui. Chacun cherche à venger un proche. Gunmen fait dans la surenchère macabre. Les morts se comptent par dizaines toutes plus violentes les unes que les autres : des sbires aspergés d’essence qui crament, du sang qui gicle dans des gunfights au montage très sec, des exécutions sommaires, des membres tranchés à la hache et un peu de torture. Les figurants cadavres s’amoncèlement sur le sol dans des décors détruits à force de coups de feu. Il faut reconnaitre l’énergie folle déployée dans ces scènes à la fois rythmées et lisibles.

A côté de cette brutalité destinée à retranscrire une époque violente, le film fait dans le sentimentalisme niais. Ding est un homme à la vie amoureuse contrariée. Certes il aime son épouse mais une liaison avec Mona, son indic, le taraude. La jalousie s’immisce dans le couple quand elle découvre l’adresse de la concurrente. Ding voudra les faire quitter Shanghai pour que son ennemi ne s’en prenne pas à elles. Les deux femmes finiront par s’aider mais seule l’une d’elle survivra. Le film fait preuve de plus de lourdeur dans le traitement du personnage de la fillette. Elle ne veut pas appeler son père « papa », tient une vieille photo jaunie de lui mais refuse tout contact. Dans un geste ultime d’amour filial, l’enfant va joindre la violence et le sentimentalisme en aidant son père dans une situation bien difficile. Le résultat donne un film assez bancal rempli de superbes fulgurances comme de mièvreries, résultat sans doute causé par la bataille entre Tsui Hark et Kirk Wong pour le contrôle de Gunmen.

Gunmen (天羅地網, 1988) Un film de Kirk Wong avec Tony Leung Ka-fai, Carrie Ng, Elisabeth Lee, Mark Cheng, Waise Lee, David Wu, Adam Cheng, Elvis Tsui, Hoh Leng-leng, Andrew Kam, Yuen Bun, 

samedi 2 mars 2013

Sans lien de parenté


La petite Shigeko (Yoshiko Kojima), six ans est le sujet de la dispute entre deux familles. Son père, Monsieur Atsumi (Shinyo Nara) patron d’une usine de poissonnerie a eu la garde de sa fille qu’il élève avec sa nouvelle épouse Masako (Yukiko Tsukuba). Ils vivent dans une jolie maison de banlieue, ont une voiture et un grand jardin où l’enfant joue insouciamment. Elle ne connait pas sa mère biologique et considère Masako comme sa maman. D’ailleurs cette dernière est clairement montrée comme telle, ainsi quand Shigeko trébuche, un plan en insert de la pelote de laine qui roule, lâchée par Masako désignée comme prenant grand soin de sa fille. On compte également au sein de cette famille unie, Kishiyo (Fumiko Katsuragi), la grand-mère.

Sa mère biologique, Tamae (Yoshiko Okada) vient de faire son retour au Japon après avoir fait carrière à Hollywood. Sur le port, elle retrouve son frère Makino (Ichiro Yuki), pickpocket de bas étage qui travaille en duo avec Gen (Shozaburo Abe), le personnage à portée comique qui se couvre de ridicule à chacun de ses actes et se fait rabrouer par tous. En ouverture de film, on découvre leur méthode : Gen vole le portefeuille, Makino se fait passer pour un redresseur de tort tandis qu’il récupère l’objet, il fouille son comparse qui forcément n’a rien et donc le libère. Tamae n’a désormais qu’un souhait, revoir sa fille et la récupérer. Elle va rendre visite à la famille qui ne voit pas d’un bon œil son retour.

La loi a une grande importance dans Sans lien de parenté. Atsumi a des soucis de trésorerie dans son usine. C’est la crise économique au Japon comme partout dans le monde (le fait que Tamae revienne des Etats-Unis, source de la crise, n’est d’ailleurs pas anodin). Ne pouvant pas payer ses employés, Atsumi est mis en prison. Tamae a comme alliés deux hors-la-loi, habitués aux petits larcins et qui vont enlever l’enfant pour la rendre à sa mère naturelle. Ils n’hésitent pas à donner du poing en guise d’arguments. Pour Mikio Naruse, Tamae est considérée comme une délinquante avec cet enlèvement. L’une des phrases qui revient souvent est qu’une mère est celle qui élève son enfant, pas celle qui la met au monde.

La loi naturelle ne peut pas s’acheter, clame également le cinéaste. Tamae a fait fortune à Hollywood et pense pouvoir acheter l’amour de sa fille. Mais l’enfant n’a que faire des cadeaux de Tamae. En revanche, la grand-mère s’accommode parfaitement de cet arrangement puisqu’elle finira par accompagner l’enfant dans la luxueuse demeure de l’actrice. La vieille dame, ne supportant pas la banqueroute de son fils, voit son avenir assuré. Il faudra un sage, incarné par Kusakabe (Joji Oka), de retour de Manchourie pour convaincre chacun que la raison doit l’emporter. Ce personnage, grand, beau et muni d’un bâton de pèlerin incarne la sagesse face à toute cette agitation.

Dans ce mélodrame parfois un peu poussif mais cependant agréable, Mikio Naruse instille quelques motifs récurrents en gros plans : il filme les mains de ses personnages. Les grands gestes vains et malhonnêtes des pickpockets (vol et coups de poing). La première image de l’enfant est celle de ses mains qui jouent à la dînette. Kusakabe tient fermement son bâton pour montrer qu’il ne se laissera pas faire par Makino et Gen. Tamae tient la main de sa fille lors de leur première rencontre, cette dernière la lâchera avec violence. Plus loin, gros plan sur la main de la grand-mère qui caresse les cheveux de la petite. Enfin, après un léger panoramique qui quitte leur visage, Atsumi et Masako, lors d’une visite en prison, se tienne la main pour marquer leur lien familial dans l’adversité.

Sans lien de parenté (生さぬ仲, Japon, 1932) Un film de Mikio Naruse avec Shinyo Nara, Yukiko Tsukuba, Yoshiko Kojima, Fumiko Katsuragi, Joji Oka, Ichiro Yuki, Shozaburo Abe.