mercredi 29 février 2012

Shaolin



Le général Hou Jie (Andy Lau) veut le pouvoir, tout le pouvoir et ne pas le partager. Il est un homme de guerre et mène ses batailles impitoyablement en tuant ses ennemis. C’est une période trouble pour la Chine, une bataille d’influence en ce début de 20ème siècle. Le seul socle de stabilité semble être le temple de Shaolin, unique décor du film de Benny Chan. Son destin, on le connait, sera d’être brûlé, Shaolin est le récit de ces derniers jours du temple. L’ouverture est filmés avec les mêmes intentions de noirceur que Les Seigneurs de la guerre de Peter Chan, des cadavres gisent au sol dans une atmosphère grisâtre. Contre toutes les conventions, Hou Jie va jusqu’à tuer dans l’enceinte du temple le chef des troupes qu’il combattait, malgré les appels à la raison des moines.

Hou Jie a trois ennemis dans le film. Tout d’abord, son « frère », le général Song (Shi Xiao-hong), à la fois allié (ils souhaitent que leurs enfants respectifs se marient) et adversaires (lequel des deux pourra devenir le chef de la ville qu’ils viennent de prendre aux ennemis). Hou Jie a décidé d’assassiner son compagnon d’armes lors de la cérémonie du mariage. Trahi par son propre ami, Song affirme dans un dernier geste d’agonie qu’il voulait lui céder la ville, prendre sa retraite et quitter la guerre. Mais le complot ne se passe pas comme Hou Jie l’entendait car un autre de ses ennemis cherche à lui piquer sa place. Tandis que cet ennemi l’assaille, la fillette de Hou Jie est blessée et immédiatement emmenée au temple Shaolin pour y être soignée. C’est un mouvement de scénario bien connu pour apporter un peu d’émotion à bon compte, le guerrier sanguinaire qui retrouve un peu d’humanité devant la mort d’un enfant. Gros plans sur les larmes, sur les visages tordus de douleur, musique qui dramatise cette douleur.

La brutalité de Hou Jie et son absence de pitié se retournent contre lui. Il est désormais traqué par le fomenteur du complot qui n’est autre que Tsao Man (Nicholas Tse), son second mais aussi son homme à tout faire que Hou Jie traitait comme un moins que rien. Cabotinant du mieux qu’il puisse, Nicholas Tse campe un méchant comme on n’en voyait plus depuis un bon moment : rire sardonique, détachement dans ses affirmations de devenir le maître du monde suivi d’excessifs accès de violence où il abat ceux qui contestent ses décisions. C’est un méchant au-delà de la caricature qui décide de piller la région de ses trésors nationaux et de tuer les témoins (les ouvriers qui sont allés creuser les tombes des empereurs). Les scènes d’exécutions sommaires sont particulièrement pénibles et racoleuse comme en est la raison scénaristique : tout cela est évidemment la faute des étrangers qui veulent envahir la Chine et corrompe le jeune général. Sur le plan du nationalisme, le film est puant, une habitude de plus en plus courante.

Mais le vrai ennemi de Hou Jie est lui-même. Il souhaite devenir moine à Shaolin. Compte tenu de ses faits d’arme, deux moines ont du mal à accepter ce retournement. Ce sont Jing Neng (Wu Jing) et Jing Kong (Xing Yu) adeptes des arts martiaux qui sont convaincus que le cœur du désormais ex général ne peut pas se purifier. Bien entendu, ils se trompent lourdement. Et c’est avec l’aide du cuisinier du temple (Jackie Chan) qui manie le wok comme d’autres le sabre que Hou Jie va s’humaniser au contact des jeunes enfants moines et apprendre le sens de la vie. Il faut reconnaitre que dans ce déluge de conventions scénaristiques, de personnages caricaturaux à l’extrême et de combats martiaux chorégraphiés par Corey Yuen, le personnage comique de Jackie Chan apporte un peu d’air frais. Mais ça ne suffit à palier la lourdeur de Saholin et son esprit rance.

Shaolin (新少林寺, Chine – Hong Kong, 2011) Un film de Benny Chan avec Jackie Chan, Nicholas Tse, Fan Bing-bing, Andy Lau, Wu Jing, Yu Shaoqun, Xing Yu, Yue Hoi, Hung Yan-yan, Bai Bing, Shi Xiao-hong, Sang Wei-lin.

lundi 27 février 2012

Hanezu, l'esprit des montagnes


Naomi Kawase aime la montagne et tente maintenant d’en sonder l’esprit. Une voix off sur fond de monts brumeux nous parle du temps des Dieux, des hommes qui se battent pour se disputer les femmes. Régulièrement, un râle se fait entendre, sourd et mystérieux. Hanezu l’esprit des montagnes déploie avec des éléments très simples un univers qui tend à s’approcher du fantastique, on croise dans des plans très sombres des insectes sur un tronc d’arbre, ici une toile d’araignée ensoleillée, plus loin un peu de pluie sur les flancs d’une rizière. La nature est là, en train de vivre éternellement, sans se soucier du reste.

Le reste, ce sont les personnages du film de Naomi Kawase. Elle en filme d’abord les gestes du quotidien. Kayoko (Hako Oshima) est artisane, elle prépare des foulards qu’elle teint avec une décoction de fleurs. Son visage ne rayonne pas, ses gestes sont mécaniques. Elle vit dans une jolie maison de leur bourgade avec Tetsuya (Tetsuya Akikawa), publicitaire qui doit partir une semaine dans la grande ville pour rencontrer ses clients. Il mange bio, il vante les qualités de ces si belles tomates qu’il a acheté le matin. Ils ont voulu leur vie au plus près de la nature mais elle semble s’ennuyer.

Kayoko a un amant Takumi (Tohta Komizu), un homme des bois, encore célibataire au grand dam de son grand-père qui souhaite lui trouver une épouse. Il vit dans la montagne dans une cabane. Il lui prépare un plat de légumes cuits au feu de bois et qu’il sert dans une buche creusée au milieu. Elle lui annonce qu’elle est enceinte. Il va devoir faire face à cette nouvelle. Un couple d’hirondelles niche dans sa cuisine, ils volent librement, symbolisant la liberté de Takumi. A l’opposé, chez Kayoko, un canari est enfermé dans une cage, seul, voletant sans but. Symbolique un peu lourde et très signifiante.

Autre symbolique un peu poussive, celle de l’éternité et du temps qui passe avec un personnage d’archéologue (Akaji Maro) qui fouille les vestiges de la capitale primitive du Japon (le film est dédié à toutes les âmes perdues de cette ville). Cet archéologue discute avec un soldat fantôme qui se promène et qui l’avait initié, jadis, à l’étude des pierres. Pour tout dire, la recette (puisqu’on parle beaucoup de cuisine dans Hanezu) ne prend pas. Il faut en plus supporter une caméra à l’épaule hésitante (encore une fois l’effet du réel apparait comme le nouvel académisme) et une lumière crue particulièrement fastidieuse.

Hanezu, l’esprit des montagnes (朱花の月, Japon, 2011) Un film de Naomi Kawase avec Tohta Komizu, Hako Oshima, Tetsuya Akikawa, Akaji Maro, Taiga Komizu, Kirin Kiki, Norio Nishikawa, Miyako Yamaguchi, Sen-nosuke Tanaka.

vendredi 24 février 2012

Flying dragon leaping tiger


Dans un entretien accordé aux Cahiers du Cinéma lors de la sortie en salle de L’Hirondelle d’or, Cheng Pei-pei racontait sa déception d’avoir eu un si petit rôle dans Tigre et dragon. C’est sans doute la raison pour laquelle l’actrice a décidé de produire Flying dragon leaping tiger au titre anglais fort similaire au film d’Ang Lee. C’est autour de son personnage que se lance le récit, même si elle n’apparait que dans la première demi-heure. C’est atour de son histoire et d’une scène primitive que le destin des autres protagonistes va se jouer. Vingt ans avant le récit principal, Yian (Cheng Pei-pei) est assaillie dans une petite maison en plein désert par des soldats. Elle a deux enfants et doit les sauver d’un incendie. Seule sa fille en réchappe. Le reste du film consiste à assouvir sa vengeance.

Sur son chemin, elle va rencontrer un prisonnier. Pak (Fan Siu-wong) va la suivre après qu’elle ait tué tous les gardiens armée de son seul sabre. Elle y sera blessée. Tout le film se déroule dans le désert de Gobi, ce qui évite d’avoir à construire le moindre décor à l’exception d’une séquence dans une auberge (forcément en hommage à King Hu) où elle retrouve Yang (Sammo Hung qui est étrangement doublé) qui est le père de sa fille. Yang est accompagné d’un de ses disciples, son meilleur ami en fait qui régulièrement donne un proverbe loufoque (les seuls gags du film) devant le visage affligé de Yang. Yian refuse de discuter avec son ancien époux et repart dans le désert où elle va affronter la dangereuse bande de Kiu Yu (Kiu Jan-yu) qui cherche à venger son père. Double vengeance donc. Yian meurt dans le désert après avoir reçu les soins de Pak, dans une cavité qui s’ouvre sous leurs pieds dont on n’a pas compris comment ils y avaient accédé.

Pak qui dans ce combat a reçu un apprentissage express change de fringues (quelques bouts de tissus), se recoiffe et part chercher la fille de Yian sur son cheval. Dans le même temps, Yang est aussi parti sur les traces de sa fille (qui elle l’ignore). Arrivés sur place, ils se rendent que Long (Jade Leung) n’est pas une fille commode. Impulsive, elle préfère donner des coups et poser des questions après. La fougue de la jeunesse ! Yang va tenter de contrôler ce trop plein d’énergie, il la raisonne mais rien n’y fait, elle part chercher la bagarre persuadée d’être la plus forte. Il y aura de nombreux combats, beaucoup de philosophie de bas étage et une révélation que l’on avait deviné (en fait, le deuxième enfant n’était pas mort, tout ça pour ça !)

Le film souffre de son absence de budget qui en comparaison de n’importe quel wu xia pian de cette époque lui enlève tout charme. Le film joue sur un certain effet de nostalgie, un retour vers l’aridité de King Hu, bien plus que vers l’imagerie des Shaw Brothers ou l’énergie des productions de Tsui Hark. Mais tout apparait comme ringard et mal fichu. Les deux effets spéciaux (une tornade qui s’abat, une tour qui s’écroule) font rigoler. L’autre souci majeur est celui de l’interprétation où chaque acteur surjoue, Cheng Pei-pei en tête qui dramatise la douleur de sa blessure. Jade Leung finit par fatiguer dans son personnage qui perpétue une vengeance au-delà des générations.

Flying dragon leaping tiger (龍騰虎躍, Hong Kong, 2001) Un film d’Allan Lan avec Sammo Hung, Fan Siu-wong, Jade Leung, Cheng Pei-pei, Yuen Lai-kai, Kiu Jan-yu, Hui Gwoh, Bai Jun-jie, Mao Kit, Tung Ken-lan.

jeudi 23 février 2012

Magic to win


Après un remake honnête mais peu enthousiasmant de A Chinese ghost story, Wilson Yip continue dans le surnaturel avec cette fois de la magie. Magic to win est une variation des Happy Ghost, série produite il y a près de trente ans par Raymond Wong Pak-ming pour le mettre en vedette. Le principe de cette série était très simple et très bête à la fois : mettre sur l’écran de jeunes actrices de Hong Kong en short et débardeur (donc des lycéennes ou jeunes étudiantes qui font du sport) et les confronter avec des fantômes qui viennent les taquiner. C’était les années 1980, c’était la Cinema City.
Raymond Wong Bak-ming est encore l’acteur principal et toujours aussi mauvais. Il est Kang, professeur de quelques chose de plus ou moins scientifique, mais peu importe et a comme étudiante Macy (Karena Ng) qui habite avec cinq colocataires (elles aussi dans la même fac). Elles sont dans l’équipe de volley-ball que dirige leur coach (Yan Ni). Cette dernière se désespère de les voir si nulles avec un ballon et souffre du sarcasme de l’entraineur adverse (Vincent Kok). Tout cela va bien changer un soir d’orage où Macy renverse accidentellement Kang. Des flashes lumineux les entourent et elle absorbe son pouvoir.
Car Kang est un magicien comme on a pu le constater dans une scène précédente. Au petit déjeuner par exemple, par un simple mouvement de main, il fait voler sa vaisselle jusqu’à l’évier. Pratique ! Mais le lendemain matin de cet orage, plus de magie. Il lui faudra un moment pour comprendre que c’est Macy qui possède ses dons. En revanche, elle décide de bien en profiter. Encouragée par ses amies, elle va aider contre de l’argent des petits gros à gagner leurs épreuves sportives. Ça lui monte à la tête tout cet argent et elle se met littéralement à enfler. Elle abuse de ses pouvoirs magiques dans des scènes supposées amusantes, dont un dessin animé primaire sur musique de rap, mais un autre magicien va venir contrer ses pratiques.
Il y a en tout cinq magiciens, chacun représente un élément. Kang est le magicien de l’Eau. Wu Chun est le magicien de la Terre, c’est lui qui va dans le lycée de Macy pour demander de l’aide. Car le magicien du Feu (Wu Jing) l’a privé de ses pouvoirs et rendu invisible aux yeux des simples mortels (sauf Macy). Wu Jing a emprisonné le magicien du Bois (Louis Koo) dans un miroir. Désabusé ce dernier passe son temps à picoler (faut le comprendre, on s’ennuie autant que lui). Enfin, il cherche à accaparer les dons du magicien du Métal (Tonny Jan) qui lui exerce la profession de magicien. Wu Jing cherche à remonter dans le temps avec ces cinq magies pour changer le cours de sa vie. Mais en attendant, il est le méchant du film.
Le scénario de Magic to win se traine en longueur et chaque scène manque cruellement de rythme. L’humour reste très basique, Raymond Wong Bak-ming en fait toujours trop dans les grimaces et sa perruque le rend vraiment ridicule. Quant aux personnages de Karena Ng et de ses camarades, elles apparaissent comme de jeunes idiotes inconscientes et on se demande comment elles ont pu réussir leurs études. Le vrai souci est dans l’emploi excessif des effets spéciaux composés surtout de lumières de différentes couleurs qui se chevauchent dans une orgie visuelle bien indigente. Sinon, Wu Jing et Wu Ching sont très bien habillés pour paraitre sexy. De vraies gravures de mode.
Magic to win (開心魔法, Hong Kong – Chine, 2011) Un film de Wilson Yip avec Raymond Wong Bak-ming, Karena Ng, Wu Chun, Wu Jing, Yan Ni, Louis Koo, Tonny Jan, Tan Li-na, Yip Sai-wing, Rachel Lee, Pau Hei-ching, Vincent Kok.

mardi 21 février 2012

Raining in the mountain


Tout le récit de Raining in the mountain est centré sur un rouleau de prière, McGuffin idéal qui permet à King Hu de tracer un scénario somme toute minimaliste et de développer son art de la mise en scène. Comme à son habitude, après un long générique composé d’estampes, la montagne est le premier décor du film. Trois personnages la traversent pour arriver au Monastère des Trois Joyaux, lieu de prière isolé et havre de plénitude. Ce rouleau est le manuscrit de Xuan Zang des Soutras de Mahayana. L’ambition de Wen An (Suen Yuet) est de s’emparer de cet objet qu’il considère d’une valeur inestimable. Il est accompagné de « Renarde Blanche » (Xu Feng) qu’il présente comme son épouse et de « Serrure d’or » (Ng Ming-choi) qui fait office de porteur des bagages.

Ce sont des voleurs dont l’agilité est démontrée dans une longue séquence où Renarde Blanche et Serrure d’or traversent tout le monastère pour arriver dans la chambre qui contient tous les parchemins. Il leur faut éviter d’être vus par les moines, se dissimuler dans les cachettes des bâtiments et avancer à toute vitesse. Pour cela, King Hu monte son film à un rythme alerte. Les déplacements sont suivis en travelling, les regards sont l’objet de gros plans sur les deux voleurs montés en contrechamp des plans larges où l’on découvre les moines qui ne se doutent de rien. Le monastère est filmé comme un labyrinthe composé de nombreux couloirs. Il est absolument impossible de se rendre compte de l’architecture du bâtiment, tout cela reste mystérieux afin de perdre le spectateur dans les méandres des déplacements. Mais Renarde Blanche ne parvient pas à ouvrier le loquet de la bibliothèque. Un moine, Hui Wen (Lu Chan), va l’aider sans qu’on ne lui demande rien.

Ce moine est le complice de Wen Na. Il est aussi l’un des prétendants à la succession du maître du monastère qui va prendre sa retraite. Wen Na est d’ailleurs venu pour soutenir la candidature de Hui Wen, qui comme on l’a compris est un homme corrompu. C’est alors qu’entre en scène le gouverneur Wan (Tien Feng) et son bras droit le commandant Zhang Cheng (Chan Wai-lau) qui viennent pour exactement les mêmes raisons : voler le manuscrit et soutenir un moine, Hui Tong (Shih Jun). Leur méthode sera différente, moins subtile mais plus sournoise. Wan et Zhang Cheng représentes ce qu’il y a de pire dans le pouvoir : son abus. D’ailleurs, très vite on va comprendre que leur passé est trouble, que la violence ne leur fait pas peur, ce qui dans un monastère bouddhiste n’est pas recommandé. On retrouve ce thème de l’injustice qui, depuis son premier film, traverse le cinéma de King Hu.

Tous ces personnages présentés jusque là, à l’exception du vieux maitre, pratique l’art du faux, de la dissimulation, du simulacre. Aucun d’eux n’est ce qu’il affirme être, cette idée du faux ne s’applique plus ici comme dans Legend of the mountain avec des fantômes ou dans Dragon Inn avec de simples mensonges. Les personnages de Raining in the mountain ne sont pas dupes de ce que sont les autres. Le grand maître et son bras droit, le moine Hui Si (Paul Chun) vont faire preuve d’encore plus de ruse qu’eux pour que personne ne s’empare du rouleau dont on ne saura jamais ce qu’il contient vraiment (dans Legend of the mountain, les sutras avaient une ambition, celle de communiquer avec les morts).

L’arrivée de deux personnages permettra de changer les plans des deux bandes de voleurs. Un sage laïc, Wu Wai (Wu Jia-xiang) arrive avec ses servantes pour l’élection du nouveau maître. Il va mettre à rude épreuve les moines bien peu chastes quand il les forcera à méditer tandis que cette nuée de femmes se baignent en petite tenue, dans une scène à l’érotisme discret mais réel. Puis, Qiu Ming (Tung Lam) entre en scène. Accusé d’un crime dont il se dit innocent, Qiu Ming a choisi de se retirer dans le monastère. Son calme et sa détermination sont décelés chez les maîtres du monastère qui vont le désigner nouveau maître. Puis, c’est son habileté politique, son sens des réformes qui font de Raining in the mountain à la fois un film politique et l’aboutissement de l’œuvre du cinéaste qui livrait son meilleur film.

Raining in the mountain (空山靈雨, Hong Kong, 1979) Un film de King Hu avec Hsu Feng, Tung Lam, Paul Chun, Ng Ming-choi, Suen Yuet, Shih Jun, Chan Wai-lau, Lee Man-tai, Wu Jia-xiang, Wang Kuang-yu, Tien Feng, Lu Chan.

lundi 20 février 2012

Follow the star


Follow the star est l’un de ces nombreuses comédies loufoques que John Woo avait tourné avant ses polars. (J’ai déjà parlé de ses films avec Ricky Hui : Money crazy, From riches to rags, To hell with the devil et Plain Jane to the rescue.) Ici, Roy Chiao est Sing un mécanicien très paresseux qui va être pris dans une aventure alors qu’il ne demandait rien. On le découvre affalé dans son lit, appuyant sur des télécommandes pour amener à sa bouche sa brosse à dents grâce à une ingénieuse mécanique (cela a dû lui demander d’ailleurs beaucoup d’efforts pour l’installer), il glisse ensuite dans son pantalon, caresse son petit singe qui lui sert d’animal de compagnie et file tranquillement au boulot où il arrive en retard. Au boulot, il travaille à son rythme, alternant les coups de clé anglaise et les coups de whisky. Car Sing boit beaucoup pour oublier qu’il bosse.

C’est justement dans le garage où il travaille que Miss Chan (Rowena Cortes), la star du titre du film, vient faire réparer la voiture de son agent (Chung Chai-sam). Elle est ado (16 ans dit-elle) et orpheline. Son statut de star n’entrera jamais en compte dans le film. En revanche, elle est poursuivie par cinq malfrats (Fung Hak-on, Chin Yuet-sang, Wong Ching, Lee Hoi-sang et Chan Paak-san) la kidnappent pour savoir où se trouvent les cinq millions de HK$ que le père de Chan aurait caché après un casse. Bien entendu, la gamine ne sait rien, elle leur dit mais ils ne la croient pas. Malgré sa paresse, Sing va partir à la rescousse de Miss Chan dans un élan héroïque. Il grimpe sur la camionnette, s’introduit dans leur repaire (un poulailler), parvient à battre ces vilains kidnappeurs et à libérer la starlette. Bizarrement, l’agent de Miss Chan refuse que l’on appelle la police (on se doute vite pourquoi).

L’attraction majeure ce sont ces cinq caïds aussi stupides que patibulaires. Chaque tentative pour arriver à leur fin se solde par un échec retentissant. Chacun, comme dans les films de kung-fu, a une botte à son actif pour accomplir leurs forfaits. L’un a une main pourvue de griffes de métal, un autre envoie du poison avec un spray, le troisième utilise un révolver, le quatrième a un poing super puissant et le dernier lance des cartes à jouer tranchantes. Ça fait très peur, mais non, en fait car ils manquent inlassablement leur cible et se font humilier en beauté. Il faut bien signaler que les nombreux gags qui pullulent dans Follow the stars ne volent pas très haut. C’est d’abord un concours de grimaces : le quintet a des trognes pas possibles, ils se ramassent plein de choses dans la gueule (farine, œufs), Sing a une bosse énorme sur le front qui pousse en direct. Sinon, les pantalons des méchants tombent et laissent apparaitre les caleçons, de la fumée sort des oreilles de Sing et il y a pas mal de gags sur le caca (un serpent chie sur le dingue des armes à feu, un autre tombe la tête dans une crotte de chien), quelques moments de travestissement et une poursuite en voitures dont il ne restera rien des véhicules.

D’autres moments d’humour sont de meilleure qualité (même si j’avoue que la loufoquerie non-sensique me plait beaucoup avec cette idée de produire des gags tellement au ras des pâquerettes qu’ils en deviennent drôles). On trouve un flashback tourné comme un film muet burlesque sur le père de Miss Chan. Plus tard, le film bifurque dans un cimetière peuplé de fantômes qui jouent une partie de mahjong endiablée. On retrouve le goût de John Woo pour la littérature classique chinoise puisque les « amants papillons » reviennent dans leurs costumes d’époque d’entre les morts. Enfin, la baston finale aura lieu dans une église où il ne manque que les colombes et les gros guns (on n’est pas encore de The Killer quand même).

Follow the star (大煞星與小妹頭, 1978) Un film de John Woo avec Roy Chiao, Rowena Cortes, Chung Chai-sam, Fung Hak-on, Chin Yuet-sang, Wong Ching, Lee Hoi-sang, Chan Paak-san, Chui Gai-heung, Fung Fung, Cheng Suk-ying, David Wu, Cheng Siu-ping, Sai Gwa-pau, Fung Ging-man, Chan Kim-wan.

samedi 18 février 2012

Legend of the mountain


Le lettré Ho (Shih Jun) a été chargé d’une mission par un abbé bouddhiste : traduire le sutra Mudra, extrêmement secret et ésotérique, dans un lieu reculé où il pourra travailler au calme. Ce sutra permet de communiquer avec les défunts et son pouvoir est sans doute inconnu de la plupart des hommes. Ho, en tant qu’intellectuel, ne croit guère à ces croyances. Son regard à ce sujet demeure celui d’un simple traducteur et pense que sa mission va être simple. C’est donc trou tranquillement, à un rythme nonchalant, qu’il se rend à la citadelle du nord où l’attend le général Han qui gouverne le lieu. Durant ce périple, King Hu filme les rivières, les rochers, le vent qui souffle sur les fleurs comme filmer le calme de la nature de ces montagnes.

Ho commence à avoir des hallucinations. Il aperçoit une jeune femme chanter de la flûte au bord d’une rivière, femme qui disparait aussitôt. Il arrive enfin à la citadelle qui est dépeuplée. Un homme en haillons, Chang (Tien Feng), s’exprimant par borborygmes l’accueille, enfin accueillir est un bien grand mot. Chang est le domestique de Tsui (Tung Lam), ce dernier se présente comme le bras droit du général Han. Il annonce à Ho que tout le monde est mort lors d’une bataille. Il lui fait visiter la vaste demeure où il séjournera et pourra travailler. Ho lui explique sa mission tandis que madame Wang (Rainbow Hsu) espionne leur conversation. Elle va vite entrer dans leur intimité, imposer sa présence et demander à Ho de donner des cours à sa fille. Elle exige qu’il vienne dîner chez elle le soir même. Malgré les réticences de Tsui, Ho se rend chez les Wang et va rencontrer sa fille.

Cette enfant n’est pas du tout en bas âge. Bien au contraire, c’est une adulte. Mandy (Xu Feng) ne cesse de fixer de son regard perçant Ho, elle s’assied à ses côtés et va jouer du tambourin quand la maisonnée est dérangée par un moine taoïste (Ng Ming-choi) qui vient demander la charité. Il se fait chasser par Mandy qui reprend sa musique qui hypnotise Ho. Le lendemain matin, sans aucun souvenir, il se retrouve dans le lit de la belle ensorceleuse qui affirme sans détour qu’ils doivent se marier. Ho ne comprend pas ce qu’il lui arrive mais se soumet. Métaphoriquement, King Hu montre une mante religieuse dévorant son mâle et une araignée encerclant sa proie pour signifier la relation que Mandy Wang va entretenir avec Ho. Tout ce qui l’intéresse est la traduction du sutra Mudra mais la raison n’en est pas encore donnée.

L’idée de mise en scène de King Hu pour Legend of the mountain est de donner à Ho le point de vue. Il porte un regard candide sur les événements troublants dont il est l’objet. Il n’en sait pas plus que le spectateur qui découvre en même temps que lui quels sont les rapports entre les personnages, quels sont leurs secrets et, surtout, qui incarne le bien ou le bien. Il faudra bien lui déciller les yeux. Cela sera la tâche de Cloud (Sylvia Chang), la jeune femme qu’il avait aperçu lors de sa venue. Elle est l’opposée de Mandy. Cloud a un regard apaisant, elle joue de la flûte et est l’incarnation du bien. Ho mettra un moment, parce qu’il ne croit pas au surnaturel, à admettre que Mandy est un démon qui pratique la magie noire. King Hu amène le fantastique dans son film progressivement par de subtiles touches sans effets spéciaux ni maquillages. Cette mise en scène du fantastique procède à la fois de la suggestion (on nous dit que les personnages sont des fantômes) et de preuves (le combat final entre le moine et Mandy). On se prend aussi à repérer quelques plans que Tsui Hark a emprunté dans Zu les guerriers de la montagne magique, notamment Cloud sur une statue d’éléphant.

Legend of the mountain (山中傳奇, Taïwan, 1979) Un film de King Hu avec Shih Jun, Sylvia Chang, Hsu Feng, Tien Feng, Ng Ming-choi, Tung Lam, Rainbow Hsu, Wu Jia-xiang.

vendredi 17 février 2012

Nominations des 31èmes Hong Kong Film Awards

Les nominations de la 31ème cérémonie des Hong Kong Film Awards ont été annoncées.
La soirée aura lieu le samedi 15 avril 2012.

Meilleur film
A simple life (桃姐) d’Ann Hui, produit par Roger Lee, Ann Hui et Chan Pui.
Life without principle (奪命金) de Johnnie To, produit par Johnnie To.
Flying swords of dragon gate (龍門飛甲) de Tsui Hark, produit par Tsui Hark.
Overheard 2 (竊聽風雲2) de Felix Chong et Alan Mak, produit par Derek Yee.
Let the bullets fly (讓子彈飛) de Jiang Wen, produit par Ma Ke, Albert Lee, Yin Homber, Barbie Tung et Zhao Haicheng

Flying swords of dragon gate (13 nominations)

Meilleur réalisateur
Ann Hui (A simple life)
Johnnie To (Life without principle)
Tsui Hark (Flying swords of dragon gate)
Alan Mak et Felix Chong (Overheard 2)
Jiang Wen (Let the bullets fly)

Meilleur scénario
Susan Chan (A simple life)
Wai Ka-fai, Yau Nai-hoi, Ryker Chan et Jevons Au (Don’t go breaking my heart)
Milkyway Creative Team, Au Kin-yee, Wong King-fai (Life without principle)
Alan Mak et Felix Chong (Overheard 2)
Zhu Sujin, Shu Ping, Jiang Wen, Guo Junli, Wei Xiao et Li Bukong (Let the bullets fly)

Let the bullets fly (13 nominations)

Meilleur acteur
Andy Lau (A simple life)
Lau Ching-wan (Life without principle)
Lau Ching-wan (Overheard 2)
Jiang Wen (Let the bullets fly)
Ge You (Let the bullets fly)

Meilleure actrice
Shu Qi (A beautiful life)
Tang Wei (Wu Xia)
Deanie Ip (A simple life)
Gao Yuanyuan (Don’t go breaking my heart)
Zhou Xun (Flying swords of dragon gate)

Wu Xia (12 nominations)

Meilleur acteur dans un second rôle
Jimmy Wang Yu (Wu Xia)
Paul Chiang (A simple life)
Nicholas Tse (Shaolin)
Lo Hoi-pang (Life without principle)
Kenneth Tsang (Overheard 2)

Meilleure actrice dans un second rôle
Wai Ying-hung (Wu Xia)
Qin Hailu (A simple life)
So Hang-shuen (Life without principle)
Gwei Lun-mei (Flying swords of dragon gate)
Carina Lau (Let the bullets fly)

Meilleur nouvel interprète
Hsiao Ching-teng (The Killer who never kills)
Shiga Lin (Lan Kwai Fong)
Zheng Shuang (Mural)
Karena Ng (Magic to win)
Sheng Chien (Flying swords of dragon gate)

Overheard 2 (9 nominations)

Meilleur directeur de la photographie
Jake Pollock et Lai Yiu-fai (Wu Xia)
Yu Lik-wai (A simple life)
Choi Sung-fai (Flying swords of dragon gate)
Anthony Pun (Overheard 2)
Zhao Fei (Let the bullets fly)

Meilleur monteur
Derek Hui (Wu Xia)
David Richardson (Life without principle)
Yau Chi-wai (Flying swords of dragon gate)
Curran Pang (Overheard 2)
Jiang Wen et Cao Wei-jie (Let the bullets fly)

Meilleure direction artistique (décors)
Yee Chung-man et Sun Li (Wu Xia)
Yee Chung-man et Lau Man-hung (Shaolin)
Yee Chung-man et Lau Man-hung (Flying swords of dragon gate)
Daniel Lee (White vengeance)
Eddy Wong, Yu Qing-hua et Gao Yi Guang (Let the bullets fly)

Meilleurs costumes et meilleurs maquillages
Dora Ng (Wu Xia) Ng Po-ling (Mural)
Lai Hsuan-wu (Flying swords of dragon gate)
Eddy Mok et Debby Wong (White vengeance)
William Chang (Let the bullets fly)

A simple life (8 nominations)

Meilleure chorégraphie des combats
Ching Siu-tung (The Sorcerer and the white snake)
Donnie Yen (Wu Xia)
Corey Yuen, Yuen Tak et Li Chung-chi (Shaolin)
Yuen Bun, Lan Hai-han et Sun Jiankui (Flying swords of dragon gate)
Sit Chun-wai et Lee Chung-chi (Let the bullets fly)

Meilleure musique originale
Chan Kwong-wing (A beautiful life)
Chatchai Pongprapaphan, Chan Kwong-wing, Peter Kam (Wu Xia)
Wu Wai-lap, Li Han-chiang et Gu Xin (Flying swords of dragon gate)
Henry Lai (White Vengeance)
Chan Kwong-wing (Overheard 2)

Meilleure chanson originale
錯過了地址 (A beautiful life) par Ivana Wong
兩生花 (Hi, fidelity) par Sandy Lam
水漫金山 (Life without principle) par Yue Wei
悟 (Shaolin) par Andy Lau
迷走江湖 (Wu Xia) par Dou Wei

Meilleur son
Nopawat Likitwong et Traithep Wongpaiboon (Wu Xia)
Kim Suk-won (Flying swords of dragon gate)
Phyllis Cheng et Lam Siu-yu (White vengeance)
Kinson Tsang (Overheard 2)
Wen Bo et Wang Gang (Let the bullets fly)

Life without principle (8 nominations)

Meilleurs effets visuels
Ryu Hee-jung, Eddy Wong et Law Wai-ho (The Sorcerer and the white snake)
Yung Kwok-yin et Andy Kang (Wu Xia)
Christopher Bremble (Mural)
Wook Kim, Josh Cole, Frankie Chung (Flying swords of dragon gate)
Victor Wong et Xie Yi-wen (Let the bullets fly)

Meilleur nouveau réalisateur
Tsang Tsui-shan (The Big blue lake)
Calvin Poon (Hi, fidelity)
Bill Yip (Cure)

Meilleur film de République Populaire de Chine et Taïwan
You are the apple of my eye (Giddens Ko)
The Flowers of war (Zhang Yimou)
If you are the one 2 (Feng Xiaogang)
Starry starry night (Lin Shu-yu)
Warriors of the rainbow : Seediq Bale (Wei Te-sheng)

jeudi 16 février 2012

Sorties à Hong Kong (février 2012)

Mr. & Mrs. Gambler (爛賭夫鬥爛賭妻, Hong Kong, 2012)

Un film de Wong Jing avec Chapman To, Fiona Sit, Philip Ng, Wan Chiu, Law Kar-ying, Yeung Sze-man, Mimi Chu, Bonnie Wong, Zuki Lee, Matt Chow, Jin Gang, Maria Cordero. 100 minutes. Classé Catégorie IIA. Sortie à Hong Kong : 16 février 2012.


mardi 14 février 2012

Sons of good earth


Après son opéra chinois (The Story of Sue San) et avant son wu xia pian (L’Hirondelle d’or), King Hu s’est attaqué avec son deuxième film, Sons of good earth, à l’un des moments les plus importants de l’Histoire de la Chine : 1937 et l’invasion du pays par les troupes japonaises. L’idée intéressante du film est de suivre le parcours de deux quidams plutôt anonymes qui vont se retrouver impliqués, malgré eux, dans cette guerre. Yu Rui (Peter Chen) et Lao San (Lee Kwan) sont peintres en bâtiment et ce jour-là, ils travaillent sur une façade de la maison close de Madame Chang (Go Bo-shu). Alertés par les cris d’une jeune femme que la mère maquerelle a attaché parce qu’elle a tenté de s’enfuir.

Le vieux policier comprend bien la situation et décide d’aider les deux jeunes amis à mettre fin à cette prostitution. Lors d’une descente de police, Hua (Betty Loh) parvient à s’échapper et les deux peintres vont l’héberger dans leur « immeuble », une habitation où toute la communauté menée par le vieux sage Tian (Tien Feng) va l’accueillir sous les regards amusés. Car c’est la première que Chen et Kwan ramènent une fille chez eux. Et cette incongruité donne des moments de comédie : les garçons ne savent pas comment on reçoit une dame. Ils sont un peu gênés par la situation mais ravis d’offrir l’hospitalité. Elle va devoir dormir : ils tendent un drap pour préserver son intimité ; elle a faim : ils lui préparent des nouilles. King Hu met en scène cette rencontre avec beaucoup d’humour et d’empathie.

Hua s’intègre totalement à la vie de l’immeuble. Elle fait le linge des garçons, un peu de ménage, leur prépare à manger, en tout bien, tout honneur. Ce qui devait arriver arriva : Chen et Hua tombent amoureux et décident de se marier. Toute la communauté s’affaire pour préparer ces noces dans la joie et la bonne humeur. Mais la maquerelle arrive avec quelques hommes forts à bras pour récupérer Hua. Contre toute attente, le scénario ne joue pas sur l’injustice des forces publiques (contrairement à The Story of Sue San où les deux amants étaient mis au ban de la société). Hua et Yu Rui pourront se marier, mais les événements de l’Histoire vont contrecarrer leurs amours naissantes.

Les Japonais envahissent la ville, hissent des drapeaux de leur nation dans les rues, ils narguent la population de leur arrogance. L’injustice règne cette fois mais la résistance s’organise. Tout d’abord lors d’un concert donné pour le général japonais (Fung Ngai) où une jeune femme chante une chanson patriotique à laquelle il ne comprend pas (il parle peu le mandarin) mais qui agace tous ses sbires et les collaborateurs chinois. Yu Rui et Lao San sont arrêtés, puis torturés dans les geôles et ne seront libérés que si Hua devient la maîtresse du général. Devant leurs corps meurtris, elle cède au chantage. Les deux amis sont libérés et quittent la ville pour s’installer à la campagne avec de nombreux membres de la communauté. Parallèlement, Madame Chang sort enfin de prison et ouvre à nouveau son bordel. Dans ce double parcours, King Hu montre clairement que les Japonais se placent du côté de la corruption et de l’injustice, même s’il parvient à ne pas trop caricaturer le général en monstre violent.

La résistance s’organise autour du commandant Ding (King Hu) qui va entrainer les villageois. Cette séance d’apprentissage du métier des armes se fait dans la même bonne humeur que les préparatifs du mariage. Tout le monde y met du sien, chaque mouvement (tirer au fusil, lancer des cailloux dans des cibles, grimper à la corde) servira plus tard dans la grande bataille que prépare minutieusement Ding. L’apparition de King Hu dans le rôle de ce militaire n’est pas anecdotique. Il élabore un plan de bataille comme une mise en scène de théâtre : répétition (il faudra être meilleur que les soldats japonais surentrainés), essayage des costumes (les villageois et Ding rentre dans la ville déguisés en commerçant) et interprétation (la bataille elle-même qui occupe le dernier tiers du film). Le ton est lyrique et finalement tragique quand certains personnages meurent sous les balles ennemis. King Hu développe un grand sens du travelling pour entourer ses personnages et tout se termine avec Yu Rui qui arrache le drapeau japonais du palais du peuple, ce qui rappelle évidemment le geste de Bruce Lee dans La Fureur de vaincre dont le sujet est assez proche.

Sons of good earth (大地兒女, Hong Kong, 1965) Un film de King Hu avec Peter Chen, Betty Loh, Lee Kwan, King Hu, Tien Feng, Chen Yan-yan, Ha Yee-chau, Cheung Kwong-chiu, Go Bo-shu, Hao Li-jen, Lui Ming, Han Ying-chieh, Yue Wai, Lee Ying, Wong Chung, Wu Ma, Fan Mei-sheng.

vendredi 10 février 2012

Love you you


Petit à petit, Angelababy (quel pseudonyme !) creuse son sillon dans l’industrie du cinéma de Hong Kong en manque de nouvelles têtes et d’actrices débutantes. Une petite dizaine de films, essentiellement de bons gros films commerciaux, mais où elle parvient à exister. Dans Love you you, elle a pour partenaire Eddie Peng, jeune premier romantique au teint halé, à la chevelure légèrement hirsute (ici, teinte en rouille comme Louis Koo auquel on pense parfois). Comme dans toute comédie romantique (et Love you you balance ses guimauves à chaque mouvement de scénario), le duo va tomber amoureux malgré les obstacles et les contraintes.
Xiami (Angelababy) travaille dans un cabinet d’avocat. Elle peut lire sur les lèvres et cela lui vaut d’être engagé par You JK qui cherche à faire surveiller le gérant d’un hôtel, appelé Love You You Resort, situé sur une petite île de Malaisie. La clientèle principale est des couples qui viennent se marier dans un cadre idyllique et exotique. La plage de sable blanc, la mer limpide, le soleil, tout ça, tout ça. On est placé dès le départ dans les purs clichés romantoc pour gens aisés. You Lele (Eddie Peng) est le directeur de l’hôtel, un jeune homme énergique qui force ses employés à vite aller bosser, à ne pas perdre de temps. Lele met tout le temps la main à la pâte. Avec Xiami, il va aider un couple de clients à se réconcilier. Les arguments qu’ils leur donnent sont aussi caricaturaux que les raisons qui ont poussé ce couple à se disputer juste avant leur mariage.
Jusqu’à présent Xiami voyait Lele de manière peu avenante, mais elle se rend compte que c’est un garçon sympathique. Elle n’a pas encore succombé à son charme et à la force de ses muscles que ses larges débardeurs peinent à cacher. Mais ça viendra. Il reste cependant à Lele à comprendre la jeune femme. Elle a quelques secrets en plus de la mission qu’elle ne peut dévoiler. Le premier est qu’elle a vu précisément autour de cette île ses parents se noyer. Elle en garde des séquelles psychologiques qui l’empêchent de livrer ses émotions. Deuxième secret : elle est somnambule. Cela est censé créer des effets comiques, en vain. Finalement, cela permettra à Lele de se rapprocher d’elle en la liant avec une longue corde à leurs poignets. Et enfin, elle est sourde, ce qui a été dans son enfance une grande souffrance. De son côté, Lele n’est pas exempt de non-dits. C’est un homme très colérique et solitaire. On apprendra aussi que l’homme qui a engagé Xiami est le frère de Lele.
Love you you ne vole pas très haut, on reste aux lieux communs sur l’amour. Tout reste pudibond, jamais un baiser ne sera échangé, jamais personne ne se mettra entre eux, mais on dirait qu’ils font tout pour ne pas chercher à se comprendre, à s’expliquer, à parler calmement. Leur niveau d’incompréhension atteint un tel degré qu’on se demande comment ils ont pu tomber amoureux. D’ailleurs il faudra que Xiami prenne le journal intime de Lele (la seule scène un peu émouvante) pour qu’elle comprenne ses sentiments. Le film se termine sur une ode au rêve libéral quand Lele a enfin pu ouvrir son restaurant dans un quartier luxueux de Pékin parce que l’argent, finalement, résout tout.
Love you you (夏日樂悠悠, Hong Kong – Chine, 2011) Un film de Jingle Ma avec Angelababy, Eddie Peng, Zhu Yuchen, Zhou Yang, Angel He, Alvin Wong, Steve Yap, Bernard Hiew, Karena.

jeudi 9 février 2012

Filmographie : King Hu


King Hu, 胡金銓

The Story of Sue San (玉堂春, 1964) Sortie à Hong Kong le 30 septembre 1964.

Sons of good earth (大地兒女, 1965) Sortie à Hong Kong le 19 mars 1965.

L’Hirondelle d’or (Come drink with me, 大醉俠, 1966) Sortie à Hong Kong le 7 avril 1966.

Dragon Inn (棧客門龍, 1967) Sortie à Hong Kong le 21 octobre 1967.

Four moods (喜怒哀樂, 1970) Sortie à Hong Kong le 10 septembre 1970.

A touch of zen (1971) Sortie à Hong Kong le 18 novembre 1971.

L’Auberge du printemps (The Fate of Lee Khan, 迎春閣之風波, 1973) Sortie à Hong Kong le 6 décembre 1973.

Pirates et guerriers (The Valiant ones, 忠烈圖, 1975) Sortie à Hong Kong le 19 février 1975.

Legend of the mountain (山中傳奇, 1979) Sortie à Hong Kong le 10 avril 1979.

Raining in the mountain (空山靈雨, 1979) Sortie à Hong Kong le 11 juillet 1979.

The Juvenizer (終身大事, 1981)

All the king's men (天下第一, 1983)

The Wheel of life (大輪迴. 1984)

Swordsman (笑傲江湖, 1990) Sortie à Hong Kong le 5 avril 1990.

Painted skin (畫皮之陰陽法王, 1993) Sortie à Hong Kong le 19 septembre 1993.

Sorties à Hong Kong (février 2012)


Romancing in thin air (高海拔之戀II, Hong Kong, 2012)
Un film de Johnnie To avec Louis Koo, Gao Yuan-yuan, Sammi Cheng, Crystal Huang,Wang Bao-qiang, Wilfred Lau. 114 minutes. Classé Catégorie I. Sortie à Hong Kong : 9 février 2012.

mercredi 8 février 2012

A touch of zen


Historiquement, A touch of zen est le premier film en langue chinoise à avoir été présenté au Festival de Cannes, cinq ans après sa réalisation, en 1975. Il reçut le Prix de la commission technique. Il fut largement défendu par la critique française (Positif mit le film en couverture, la revue de cinéma a été la première à écrire sur King Hu). Le film mit cependant onze ans avant de sortir en France, entre temps, la réputation du cinéaste n’a cessé de grandir, on lui a attribué le titre de « plus grand cinéaste chinois ». Il faut aussi se rappeler que dans cette décennie les films de Hong Kong et de Taïwan sortant en France étaient surtout des films de kung-fu projetés en version française, dénigrés par la critique et traités comme des films de pure exploitation. Logiquement, King Hu est sorti du lot, semblait une bouée dans cet océan de nullités. Il était en vérité l’arbre qui cachait la forêt mais cela sera découvert bien des années plus tard.

La production d’un film d’une telle longueur (trois heures), format inhabituel a été permise grâce aux succès précédents de King Hu. Dragon Inn, film de sabre sérieux, a fait un triomphe au box-office et, en bon producteur, le cinéaste choisit de faire se dérouler A touch of zen dans le même contexte historique. La dynastie Ming est toujours dirigée impitoyablement par l’eunuque impérial, chassant ses opposants et régnant sur le pays avec injustice. L’ennemi de l’eunuque est encore une femme, Yang Hui-ching (Xu Feng), la fille d’un résistant qui s’est réfugiée dans un village reculé au milieu des montagnes. Elle loge dans le citadelle de Ching-lu, en périphérie du centre de la ville, un lieu abandonné et hanté, comme le suppose Ku Sheng-chai (Shih Jun) qui habite en face de cette citadelle.

Le récit de A touch of zen s’ouvre avec le personnage de Ku Sheng-chai, célibataire trentenaire qui tient une modeste boutique. Il peint des portraits et un client mystérieux Ouyiang Nin (Tien Peng) vient en commander un. Il n’aura pas le temps de l’achever, Ouyiang quitte l’échoppe, traverse le bourg, immédiatement suivi par Ku Sheng-chai qui part à ses trousses. Cela est l’occasion pour King Hu pour présenter les autres personnages du film. Sa méthode est simple et adopte le point de vue de Ku. On apprend d’abord ce qu’ils font puis, plus loin dans le film, les personnages exposeront leur vraie nature, leur vrai rôle. Lu (Sit Hon) est l’apothicaire, Shih (Pai Ying) est un aveugle diseur de bonne aventure. Ce sont deux généraux chargés de protéger, incognito, mademoiselle Yang de Ouyiang Nin, tueur à la solde de l’eunuque. Dans sa grande naïveté, Ku mettra un bon moment à comprendre tout cela.

King Hu dresse un portrait psychologique de Ku Sheng-chai complet. Pendant tout le premier tiers de A touch of zen. Il est montré affable, sérieux et curieux mais il est constamment frustré par sa mère (Cheung Bing-yuk), femme castratrice qui explique en partie son célibat. Cette mère est envahissante et reproche à son fils de ne pas chercher à briguer un poste dans l’administration. Plus que cela, elle va chercher à le forcer à épouser Yang et manigance lourdement pour qu’ils se rencontrent. La mère est un personnage comique (le seul du film), un monstre d’égoïsme mais un personnage qui permet d’entrer dans le vif de l’action en faisant s’entrechoquer deux personnes qui n’auraient jamais dû se rencontrer. Le danger guette avec l’arrivée de Meng Ta (Wang Shui), de la police East Chamber. La mère disparait alors du récit, elle est mise dans une diligence pour la faire quitter le village afin de la protéger. Il faudra un certain temps à Ku pour choisir son camp et pour comprendre que Ouyiang est l’ennemi de Yang. Cette dernière, en deux flash-back, va expliquer son passé et celui de son père.

La fuite dans la montagne de Yang et Ku, rapidement suivis de Shih et Lu, permet au film de rentrer dans sa partie action. Enfin, concernant le mot action, il ne faut pas s’attendre à un déchainement de mouvements ininterrompus. L’action chez King Hu est minimale et joue sur l’attente, sur la longueur et repose sur un rythme lent. Il filme les herbes, les arbres, les rochers, les pas des personnages (cela évoque la manière de Terrence Malick, près d’une décennie avant lui) avant de lancer les passes d’armes entre adversaires. Deux scènes se détachent. Un affrontement dans une forêt de bambous où Shih, Lu et Yang se défendent contre Meng Ta et ses hommes. La verticalité des bambous dans le format cinémascope est une belle idée de mise en scène. A grands coups de sabre, les pousses vont être tranchées pour libérer l’espace visuel et pour servir d’obstacles aux ennemis. L’autre scène magnifique de combat oppose le moine Hui Yuan (Roy Chiao) au commandant Hsu (Han Ying-chieh), ce dernier est secondé par deux hommes de main dont Sammo Hung dans un de ses tous premiers rôles. Le moine possède des forces quasi surnaturelles (c’est lui qui apporte le soupçon de zen du titre), il flotte littéralement sur les feuilles de branches et va tenter de prodiguer ses vertus à Hsu pour qu’il renonce à se battre.

Quarante ans après sa réalisation qui a duré trois ans, A touch of zen garde encore quelques beaux moments de grande envolée lyrique, essentiellement dans son dernier tiers avec l’apparition du personnage de Roy Chiao, énigmatique, le seul qui ne soit pas exploité psychologiquement. Car cette psychologie est l’un des problèmes majeurs du film. Notamment avec Ku Sheng-chai, sur qui l’attention est portée lors de la première heure, ce qui donne l’impression que le film ne démarre jamais. La mise en scène consiste à ne pas dévoiler immédiatement quels sont les enjeux des personnages, mettant certains dans l’ombre avant qu’ils ne deviennent personnages principaux. Le film suit une logique complexe parce que ses héros ont des caractères complexes, cela était révolutionnaire pour l’époque, mais paradoxalement date considérablement le film qui a été un échec public retentissant.

A touch of zen (俠女, Taïwan, 1971) Un film de King Hu avec Xu Feng, Shih Jun, Pai Ying, Tien Peng, Cho Kin, Miao Tian, Cheung Bing-yuk, Sit Hon, Wang Shui, Roy Chiao, Han Ying-chieh, Man Chung-san, Liu Chu, Go Ming, Liu Chik, Goo Liu-sek, Sammo Hung.

mardi 7 février 2012

L'Auberge du dragon


Vingt-cinq ans après le classique de King Hu, Tsui Hark met en place la production d’un remake réalisé par un de ses fidèles, Raymond Lee avec l’aide de Ching Siu-tung pour les chorégraphies des combats. L’Auberge du dragon reprend la plupart des éléments scénaristiques de Dragon Inn. Le générique reprend la musique originale et la forme de parchemin qui défile. L’ouverture se déroule avec l’eunuque Zhao (Donnie Yen), toujours aussi cruel, qui usurpe le pouvoir et liquide tous ses ennemis. Il est dépeint comme un homme aux manières efféminées, maquillé, se tapotant le coin des lèvres avec un mouchoir. Son regard vicieux admire le travail de torture produit sur Yang, le ministre des armées, qu’il accuse de traitrise. Il sera exécuté et ses enfants, bien plus jeunes que dans Dragon Inn, seront exilés.

La stratégie de l’eunuque est simple. Il suppose que les fidèles de Yang, notamment le général Chow Wai-on (Tony Leung Ka-fai) va venir délivrer les enfants du ministre. Ainsi, il pourra les capturer et les éliminer. Du haut d’une falaise donnant sur un canyon, Zhao, bien assis sur son fauteuil, longue-vue rivée sur l’œil, va observer la scène. Chow ne vient pas en personne, au grand dam de l’eunuque, il a envoyé libérer les enfants par Mo-yan (Brigitte Lin) accompagnée de quelques mercenaires. Très vite, on voit la différence avec le film de King Hu. La chorégraphie du combat se place d’emblée dans la lignée de ce que Ching Siu-tung avait donné dans ses films précédents, un défi à l’apesanteur, des acteurs virevoltant les uns au dessus des autres, un rythme et un montage effréné proche de l’abstraction. Le réalisme est effacé au profit d’un art poétique bariolé et purement cinématographique.

Il y a encore mieux avec le personnage de Maggie Cheung. Elle est Jade, la taulière de l’auberge du dragon où le récit va désormais se tenir. Dès sa première apparition, Jade est montrée comme une nymphomane, sautant sur tous les hommes. Elle est sans doute la maitresse du capitaine de la frontière (Elvis Tsui), soldat rustre mais dont elle abuse de la naïveté et de la bêtise. Des perles de sueur coulent sur sa poitrine à peine cachée par sa tunique tandis qu’elle caresse un client, client qu’elle va tuer et qui va servir de chair à saucisse. Cette sensualité sera présente pendant tout le film et atteindra son point culminant proche de l’érotisme dans une scène entre Jade et Mo-yan. Cette dernière se lave quand Jade entre dans se chambre. Elles vont se battre à coups de vêtements, les drapés vont circuler dans toute la pièce, elles seront alternativement nues puis habillées échangeant des dialogues sarcastiques.

Jade ne le sait pas encore, mais Mo-yan attend Chow Wai-on, son amant. Il arrive fièrement à dos de chameau (l’auberge est au milieu du désert) au son de la flûte de son aimée. Jade va chercher à séduire Chow par tous les moyens. Les minauderies de Maggie Cheung ont un pouvoir comique et contrastent avec la figure sévère de Brigitte Lin qui voit d’un mauvais œil les manigances de l’aubergiste. Il faut dire que l’enjeu se corse avec l’arrivée des hommes de Zhao menés par Cha Ting (Lau Shun) et ses seconds dont Hung Yan-yan en combattant féroce. Comme dans le film de King Hu, les deux ennemis font semblant de sympathiser, chacun élaborant un plan pour piéger l’autre. Au milieu, Jade vend son soutien au plus offrant dans un concours de mensonges qui provoque des retournements de veste de sa part. Elle accentue la jalousie de Mo-yan à obligeant Chow à l’épouser en échange de la révélation d’un secret.

Tout le monde attend désormais l’eunuque Zhao qui s’approche avec son armée de féroces soldats. Dans une tempête de sable, puis au milieu du désert, alors qu’ils cherchent encore à évacuer les enfants, Mo-yan, Chow et Jade, tous experts dans le maniement du sabre, vont affronter Zhao dans un combat dont la mise en scène devient un sommet de tension tout en travellings latéraux qui tentent de capturer les personnages qui déboulent dans le plan en contre-sens. Au final, L’Auberge du dragon ne ressemble que superficiellement à Dragon Inn de King Hu. Le film de Tsui Hark, Ching Siu-tung et Raymond Lee demeure un modèle indépassable du wu xia pian.

L’Auberge du dragon (Dragon Inn, 新龍門客棧, Hong Kong, 1992) Un film de Raymond Lee avec Brigitte Lin, Maggie Cheung, Tony Leung Ka-fai, Donnie Yen, Lau Shun, Hung Yan-yan, Elvis Tsui, Lawrence Ng.

lundi 6 février 2012

Dragon Inn


Dragon Inn est le premier d’une série de films de King Hu réalisés à Taïwan après son départ de la Shaw Brothers et son arrivée dans l’île sœur. Bien que Chinois continental, il lui était impossible, compte tenu de la Révolution Culturelle, d’aller tourner dans son pays natal. A Taïwan, il trouve les décors qui ne feront pas toc comme dans ses films précédents (on avait toujours l’impression que l’herbe ressemblait à de la moquette). Adieu l’herbe, bonjour les cailloux du désert où se trouve cette auberge du dragon investie par les agents de la police politique, la « East Chamber » de sinistre réputation, violente et qui s’arroge tous les droits, y compris le droit de mort.

Le film se situe sous la dynastie Ming où l’eunuque Zhao (Pai Ying) détient les pouvoirs réels. Il imprime de sa marque l’empire et détruira quiconque conteste son hégémonie. En l’occurrence, comme le montre la scène d’ouverture, le valeureux général Yu qu’il condamne à la décapitation et sa famille au bannissement. Le passage vers l’exil passe par l’auberge du dragon et la police politique menée par Xiao Zhao-zi (Shih Jun) pose ses armes et bagages dans le but de les éliminer. Ils annexent toute l’auberge, ne se gênent pas pour tuer les employés récalcitrants. Dès le départ, King Hu montre de quel côté il est. Les méchants, ce sont eux, ces hommes du pouvoir. Il les désigne en tant que monstres sans pitié, sans humanité, d’ailleurs à part Xiao Zhao-zi, aucun ne constituera de vrai personnage, tout juste des figures prêtes à passer à l’action, ils resteront anonymes.

Le plan va être troublé par l’arrivée de Shao Tun (Miao Tian) qui feint d’être un voyageur de passage. Il pénètre dans l’auberge sous les regards suspicieux des policiers. Le taulier tente de le dissuader suivant les ordres qu’il a reçu (n’accueillir aucun client). Shao Tun prétend ne vouloir que déjeuner. Subrepticement, on met du poison dans ses aliments, mais Shao n’est pas né de la dernière pluie. Cette séquence reprend, avec quelques variations, celle de l’auberge de L’Hirondelle d’or. Shao reste calme sous les yeux nerveux de ses futurs adversaires. Il lance son bol de nouilles sur la table de l’un d’eux, dans un geste adroit et de défi. Il continue son repas comme si de rien n’était tandis que la passe d’armes se prépare.

On s’en doute un peu, Shao est un farouche adversaire de l’eunuque et vient pour aider les enfants Yu. Il ne sera pas le seul, un duo arrive, ils sont frères et sœur. Lui (Sit Hon) est un gros balourd, impulsif, toujours prêt à sortir son sabre et à se battre quand bien même en face de lui, il y a toute une armée bien entrainée. Elle (Polly Kuan) est plus réfléchie, souhaite appliquer un plan subtil pour libérer les Yu. Elle sera la seule femme du film, si l’on excepte la courte apparition de Xu Feng (qui joue ici la fille Yu et qui sera l’héroïne de A touch of zen). Chacun a sa propre stratégie pour retarder le combat final. Celle de Xiao est de se faire passer pour des soldats réguliers et de sympathiser avec Shao. Personne n’est dupe.

L’auberge sera le décor unique de Dragon Inn pendant les trois quarts du film. Cela convient parfaitement à la mise en scène de King Hu qui fonctionne sur l’observation des rapports entre les personnages. Chacun se jauge, se regarde droit dans les yeux ou de manière oblique en attendant une faille de l’adversaire. Dans les plans en extérieur, les pieds des personnages sont filmés sur les cailloux du désert lorsqu’ils se déplacent, pour mieux plus tard les faire décoller dans les combats. Dans le dernier quart, l’affrontement entre Zhao (qui a les cheveux blonds) et les partisans des Yu se déroulera en forêt. Le soin apporté au réalisme dans les tenues, les décors, les combats (réalisme relatif) est balayé par l’aspect démoniaque de Zhao qui vole dans les airs, pratique un art martial quasi surnaturel. Il n’appartient définitivement pas à la race humaine et est condamné à perdre. Le film a un petit côté vieillot avec ses passes d'armes filmées en champ-contrechamp rudimentaires. Dragon Inn a été un énorme succès public.

Dragon Inn (棧客門龍, Taïwan, 1967) Un film de King Hu avec Shih Jun, Pai Ying, Polly Kuan, Miao Tian, Sit Hon, Cho Kin, Go Ming, Got Siu-bo, Ko Fei, Tien Peng, Han Ying-chieh, Man Chung-san, Hsu Feng.