The Triad zone

Décrire la réussite de The Triad zone, réalisé en 2000 par Dante Lam, est facile. Tout concorde pour en faire un bon film : bon scénario, excellents acteurs, personnages subtilement dessinés, pas mal de suspense et beaucoup d'humour. Seulement voilà, si je commençais à trop en parler, je dévoilerais un nombre trop important d'éléments qui risquerait d'enlever du plaisir au spectateur.

The Triad zone, comme son titre l'indique, est un film de triade, genre majeur dans l'industrie du cinéma de Hong Kong. Mais c'est moins un film de triade qu'un film sur des membres des triades. Le propos n'est pas tant de démythifier l'aura cinématographique des mafieux que de les montrer dans des situations quotidiennes et dans la gestion de leurs affaires courantes, tout en enlevant l'héroïsation à la John Woo ou à la Johnnie To. Et cela fait une grande différence.

Tout tourne autour Ren Yun-jiu, Frère Jiu pour les intimes. Frère Jiu est depuis vingt ans dans le milieu. Il aime s'habiller à la mode. Il aime tellement ça que lorsqu'il doit porter un gilet pare-balles, il s'achète un Versace (d'un kitsch assez voyant). La mode, c'est sa vie. D'ailleurs sa maîtresse, la jeune et jolie JoJo, il l'a rencontrée chez son tailleur. Pourquoi avoir une maîtresse quand on est marié, se demande Frère Jiu à lui-même. Précisément parce qu'on est marié. Et cette épouse, Sol Fa, c'est Sandra Ng. Frère Jiu l'a rencontre à Londres. Un flashback nous montre Jiu, en exil là-bas, se faire braquer par une furie aux nombreux piercings. Il se défendra et tomberont amoureux. On n'est peu habitué à voir Sandra Ng déployer autant de facettes de son jeu. Il faut dire qu'on l'avait surtout vu dans des comédies et plus rarement dans des compositions comme celle-ci. Dans une scène magnifique, elle fait la morale aux hommes de son époux tandis qu'elle se met du vernis sur les ongles. Elle adopte le même regard de Tony Leung et en devient inquiétante. Plus tard, elle apprendra qu'elle est trompée. Or, ce qui la chagrine c'est moins d'être trompée, mais plutôt que son époux le lui cache. Son regard de femme bafouée alors qu'elle se baigne dans une piscine pour mieux cacher ses larmes est d'une justesse à couper le souffle.

Frère Jiu, c'est Tony Leung Ka-fai, une des plus grandes stars du cinéma de Hong Kong. Cela fait vingt ans qu'il est dans le métier. Il peut tout jouer. Dans The Triad zone, il joue de son inexpressivité dans la séquence inaugurale qui traduit bien ce que le film sera : habillé d'une chemise rouge vif, clope au bec, il écoute sans mot dire les reproches d'un jeune loup de la mafia. Ce dernier lui sort, tandis qu'il avale salement ses nouilles, qu'il est ringard et que ses méthodes sont périmées. Le jeune loup se ramassera une bonne bouteille de whisky sur la tête. Fin de la discussion. Frère Jiu danse sur la table parce qu'il faut bien se donner en spectacle pour les gars, pense-t-il. Et du spectacle, il y aura. Garder son calme pour mieux exploser, c'est le leitmotiv du film de Dante Lam écrit par Chan Hing-kai et Amy Chin, duo de scénaristes à qui l'on doit les scripts des films de Patrick Leung. On n'apprendra pas à Tony Leung comment jouer un chef de triade. C'est son métier.

Rester maître de la partie est pour Frère Jiu l'objectif principal. Mais comment arriver à cet objectif quand ses proches révèlent des secrets auxquels on ne s'attend pas. Yu, son garde du corps fidèle, et Wei, son conseiller financier, qui sont-ils réellement ? Ce que nous en dit d'emblée le film est un pur masque, une façade. Dans une scène très adroite qui évoque les débuts des films de yakuza de Fukasaku, on apprend que Yu est un ancien footballeur et que Wei est un ancien avocat qui lit constamment des mangas. Ce qui fait peu de renseignement. Frère Jiu apprendra deux ou trois choses sur ses bras droits. Yu s'avère être amoureux de son patron et Wei ne travailler dans le milieu que pour le frisson du danger. Mais ils feront tout pour protéger leur maître du tueur qui le menace. On est dans un film de triade et on n'échappe pas au macguffin.

Mais jamais rien ne se passera comme prévu. Il y a ce flic encombrant, que les sous-titres français nomment Wilson Yip. Ce personnage, interprété par Eason Chan, aime aussi la mode (casquette de marque vissée sur la tête, chemise de couturier), cet inspecteur stagiaire prie, comme Frère Jiu, le Dieu Guan Yuan-cheung, mais chacun pour des raisons inverses. Wilson informe Jiu que sa tête est mise à prix. Wilson arrivera, comme par magie, sur tous les lieux où Frère Jiu se trouve. Quant à ce tueur, Tigre (Samuel Pang) ne voudra éliminer Frère Jiu que parce que ce dernier lui a refusé un travail et l'aura humilié devant tous ses hommes. Tigre est l'archétype du jeune chien fou qui rêve de travailler dans les triades : petite frappe vêtue d'un débardeur aux tatouages apparents et regard de tueur.

On pourrait continuer longtemps à raconter les rapports que les personnages entretiennent avec Frère Jiu. Mieux vaut les découvrir en regardant The Triad zone. Cependant, un des bonheurs du film réside dans les brèves apparitions de stars du cinéma cantonais. Anthony Wong surgit tout à coup en costume d'époque dans le rôle du Maître Guan Yuan-cheung. C'est hilarant, surtout lorsqu'on lui reproche d'être toujours numéro deux. Une allusion aux nombreux prix qu'il a reçu pour ses deuxièmes rôles au cinéma. Richard Ng, un des piliers de la comédie cantonaise, est un vendeur de journaux à Londres. La réalisatrice Ann Hui interprète la 13ème Tante, dont la spécialité au sein des triades est de couper les doigts. Chapman To apparaît dans la séquence du mahjong (au côté d'Ann Hui) où il joue une sorte de folle intégrale. Lee Lik-chi est celui qui kidnappe Sandra Ng. Et pour finir, Eric Tsang interprète un ancien bras droit de Frère Jiu. Son unique séquence, filmée en seul plan fixe, où il clame sa loyauté devant son maître médusé, est d'une incomparable émotion.

The Triad zone est un film où les acteurs sont mis en valeur avec beaucoup de talent et beaucoup de bonheur. J’avais envie de faire leur éloge. C'est désormais chose faite.

The Triad zone (Jiang hu the triad zone, 江湖告急, Hong Kong, 2000) Un film de Dante Lam avec Tony Leung Kai-fai, Sandra Ng, Anthony Wong, Eason Chan, Law Lan, Lee San-san, Roy Cheung, Jo Koo, Samuel Pang, Chan Fai-hung, Robert Siu Leung, Ann Hui, Lee Siu-kay, Chan Kam-chuen, Carl Ng, Boffy Cheung, Maria Chung, Chapman To, Lee Lik-chi.