Carlotta vient de sortir un coffret DVD comprenant trois films de Kon Ichikawa dont le thème central est la solitude. Kokoro, le cœur en japonais, est l’un des plus émouvants et courageux dans son thème central, la passion entre deux hommes dans le Japon de l’ère Meiji. Courageux parce qu’on imagine qu’il n’était pas évident en 1955 de parler sans jugement négatif d’une histoire d’amour entre hommes.
Kokoro commence en 1912 au moment où l’empereur est malade et où il va mourir. Nobuchi (Masayuki Mori) vit avec sa femme Shizu (Michiyo Aratama) dans le petit logis. Ils sont mariés depuis treize ans. Nobuchi ne fait rien, comme on le dit dans le film. Il vit de ses économies. Tous les mois il se rend au cimetière sur la tombe de Kaji. Shizu ne supporte plus que son mari aille sur la tombe de Kaji, elle ne comprend même pas pourquoi il y va encore.
En revanche, elle se réjouit de la visite d’un jeune étudiant, Hioki (Shôji Yasui) qui vient régulièrement au foyer. Elle constate qu’au contact du jeune homme, son époux recommence à se socialiser, qu’il devient moins amer. Shizu encourage Nobuchi à l’inviter à dîner, à mieux le connaître. Mais Nobuchi demande constamment à Hioki pourquoi il veut le voir. L’étudiant répond qu’il a beaucoup à apprendre du professeur, du sensei. Nobuchi lui affirme n’avoir rien à lui enseigner.
Hioki doit se rendre précipitamment au foyer de ses parents. Son père, un vieux paysan qui a trimé toute sa vie, est malade. Dès le départ de l’étudiant, Nobuchi retrouve son mal de vivre. Nobuchi a l’impression de revivre ce qu’il a vécu treize ans auparavant, juste avant son mariage. Il se rappelle l’amitié qu’il avait avec Kaji (Tatsuya Mihashi), personnage dont les protagonistes n’ont cessé de parler mais qui n’est jamais encore apparu.
La deuxième partie de Kokoro est consacrée à un long flash back qui va montrer l’amitié naissante entre Nobuchi et Kaji. Tous deux étaient étudiants de deux milieux différents. Kaji était d’origine très modeste. On le voit s’enfoncer dans une ascèse. Il prie Bouddha de plus en plus en pensant ainsi comprendre son mal de vivre. Mais la rencontre avec un moine au bord d’une route qui lui répond par métaphore finit par le remettre sur un chemin où il peut côtoyer des humains.
Les deux étudiants vivent chez Shuzi et sa mère, veuve. Elles ont du mal à comprendre le comportement de Kaji. Mais petit à petit elles s’habituent à son esprit sauvage. Ce que va montrer Kon Ichikawa avec beaucoup de délicatesse, c’est le sentiment qui commence à grandir chez Nobuchi pour son ami. Les deux hommes se promènent, plaisantent ensemble. Ichikawa les filme dans la nature en pleine lumière comme si tout étaient possible. Mais dès qu’ils sont dans la maison de la mère de Shuzi, il les filme comme des animaux en cage, prisonniers des conventions. La lumière est très sombre dans la lumière dans les scènes d’intérieur.
La fin sera tragique. Nobuchi ne veut pas gâcher la vie de son nouvel ami. Il sent chez lui monter le même amour pour Hioki que celui qu’il avait pour Kaji. Il va expliquer dans une longue lettre le mensonge dans lequel il vit depuis son mariage, depuis treize ans et qui ne cesse de le ronger. C’est à ma connaissance le plus ancien film japonais qui parle de manière détournée de l’homosexualité, même si le mot n’est évidemment jamais prononcé par aucun des personnages.
Kokoro (こころ, Japon, 1955) Un film de Kon Ichikawa avec Masayuki Mori, Michiyo Aratama, Tatsuya Mihashi, Shôji Yasui, Tanie Kitabayashi, Akiko Tamura, Mutsuhiko Tsurumaru, Tsutomu Shimomoto
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