Je ne suis pas certain que Yoshida accorde beaucoup d’importance à son histoire. Histoire banale d’une femme mariée et mère, vivant dans la bonne bourgeoisie, qui a un amant bien plus jeune que lui, fiancé quant à lui. L’amant prend des photos de sa maîtresse dénudée et les négatifs sont volés. La femme va subir un chantage de la part du voleur. Le film joue sur les drames amoureux d’une femme seule qui espère un regard. Or ce regard ne sera plus apporté par son époux, ni par son amant mais bel et bien par son maître chanteur qui, à cause des négatifs subtilisés, va apporter un regard neuf sur elle et son corps dénudé.
Ce qui frappe le plus dans cet anti-drame de Yoshida c’est la manière de filmer sa compagne, l’actrice Mariko Okada. Ce n’est pas seulement qu’il la magnifie, c’est certainement qu’il crée pour elle un univers purement visuel d’où son personnage ne pourra pas s’échapper. Les dix premières minutes du Lac des femmes sont particulièrement étonnantes. Mariko est au lit avec son amant, elle veut partir et rentrer chez elle. La caméra tourne autour d’eux en plan séquence, filmant les corps nus puis les draps froissés, revenant aux corps de l’autre coté du lit. Séquence ultra blanche. L’amant prend des photos. On voit les clichés en plans fixes, très rapprochés du corps de Mariko. Comme une loupe tandis que les cartons du générique défilent. Mais les photos sont très sombres. Elle quitte la chambre, se retrouve dans la rue et là on touche presque à l’abstraction la plus totale.
Yoshida filme sa femme, oh oui, il la filme. Il la filme marchant dans la nuit noire mais il braque un projecteur sur son dos tandis qu’elle avance de dos loin de la caméra, puis il filme son visage avec seulement un halo de lumière dans la nuque. Ce sont des plans d’une grande beauté. Yoshida la filmera aussi de jour, dans une robe noire dans des petites ruelles très ensoleillées. Il développera ce contraste constamment tout au long du film, comme pour mieux révéler son ambivalence. Mais c’est son rapprochement avec le maître chanteur qui la fera changer et son caractère sera décelable selon les vêtements qu’elle porte (robe blanche ou noire), selon que son visage ou sa nuque est filmée et selon que la caméra est en plan large ou rapproché. Le récit bascule lors d’un étrange tournage de film au bord de la mer, près d’un bateau échoué.
Yoshida propose un film de pure mise en scène extrêmement formaliste sur un scénario somme toute très classique. J’ai pensé à la Magnani en voyant Mariko, et puis à Bergman, à Antonioni, à Godard parfois (le tournage du film) et aussi à Fellini (le vent). Mais c’est Yoshida.
Le Lac des femmes (女のみづうみ, Japon, 1966) Un film de Yoshishige Yoshida avec Mariko Okada, Shinsuke Ashida, Shigeru Tsuyuguchi, Tamotsu Hayakawa.
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