Une balle dans la tête est le film le plus lyrique de John Woo. Le
contexte est le Hong Kong de 1967, dans les quartiers pauvres où les trois
personnages, tout juste rentrés dans l’âge adulte mais encore immatures, ne
rêvent que d’une chose : une vie meilleure. Une balle dans la tête filme d’abord leur sourire, leur amitié indéfectible, leur jeu innocent et se termine
avec des visages grimaçant de douleurs, le cœur brisé et l’amitié détruite.
John Woo filme ce mouvement en deux heures et cinq minutes.
Le
générique d’ouverture est guilleret. Benny (Tony Leung Chiu-wai), Frank (Jacky
Cheung) et Paul (Waise Lee) se connaissent depuis l’enfance. Le premier va
bientôt se marier avec Jane (Fennie Yuen), une jeune femme de leur quartier.
Ils ne pensent pas pouvoir sortir de ces quelques rues où ils trainent en vélo
imaginant des courses, comme s’ils étaient dans La Fureur de vivre. Frank manque de tomber à l'eau dans cette
course (signe prémonitoire). Paul ne rêve que de pouvoir conduire une Mercedes,
sa seule ambition.
Benny
épouse Jane sous la pluie. Frank n'est pas là. Il doit emmener de quoi payer le
restaurateur, il a emprunté de l'argent, sur le chemin, il se fait racketter
par une bande du quartier voisin. Il se fait salement amocher. Benny et Paul
vont le venger à coups de barres de fer. Le mariage de Benny n'aura duré qu'une
nuit, il doit fuir parce que le chef de la bande est mort dans la baston. Les
trois amis décident de partir au Viêt Nam, en pleine guerre, parce que, comme
leur dit un parrain bien intentionné « c'est dans le plus grand des chaos
qu'on peut faire les meilleures affaires ». On leur confie des
amphétamines qu'ils iront vendre au Viêt Nam pour démarrer.
Le
chaos, il est déjà à Hong Kong avec les manifs étudiantes qui commencent à
enflammer le campus universitaire. Jane est encore étudiante, Benny est déjà
recherché activement par la police locale. Les manifestants sont communistes,
ils lâchent des bombes au milieu de la rue, ces salauds. A Saïgon, dans le Sud
Viêt Nam, d'autres communistes manifestent pour protester contre la présence
des Américains. Lors de ces deux manifs, on pense aux événements de Tian An Men
survenu pendant le tournage, on voit des étudiants devant un char d'assaut. Un
autre attentat est commis dans la rue. Pas de bol, toute la marchandise des
trois amis est détruite par la bombe.
Le
lyrisme d’Une balle dans la tête passe
par la nostalgie du pays natal pour les trois garçons coincés en pleine guerre
dans un pays dont ils ne parlent pas la langue. Ils voulaient contrôler leur
destin mais n’y parviennent pas. La nostalgie passe par le personnage de Sally
Yan (Yolinda Yan), qui fût, jadis, vedette de la chanson à Hong Kong. Son
regard triste n’exprime qu’une chose : espérer son retour dans la colonie
britannique. Benny la remarque tout de suite, elle lui rappelle sans doute Jane
laissée au pays. Sally Yan chante des
chansons mélancoliques dans le cabaret où on l’oblige à travailler.
Son
bourreau est Leong (Lam Chung), caricature de parrain de triades au ricanement
constant. Il est pourtant le point de chute des trois amis, leur contact pour
« réussir ». C’est lui qui profite du chaos de la guerre pour se
faire de l’argent. Il est de mèche avec les autorités. Il retient Sally en
cachant son passeport. Il la soumet en la droguant. Le dernier personnage
auquel les trois amis vont se raccrocher est Luke (Simon Yam) qui apparait
comme un fantôme tout vêtu de blanc qu’il est. Il est l’antithèse de Leong, le
sauveur de toutes les situations. Leong est un traitre, Luke un ange.
La
guerre rend fou, le chaos change les hommes. Paul se démarque de ses deux amis
en ne voulant qu’une chose : l’or qui appartient à Leong. L’amitié ne vaut
rien face à de l’or. La traversée des champs de bataille permet à John Woo de
rivaliser, avec beaucoup moins de moyens, avec Hollywood. Le film est un dépliage
de Voyage au bout de l’enfer de
Michael Cimino. Dans cette course folle en voiture au milieu des bombes qui
tombent, des Vietnamiens qui fuient, l’incongruité de se trimballer avec un
coffre plein d’or détonne.
La
tension dans ces scènes de bataille se crée ainsi en opposant la violence des
combats, filmés en alternant plans larges et gros plans, et l’angoisse qui se
lit sur le visage de Paul, Benny, Frank, Luke et Sally. Puis, il s’accentue
encore plus lorsque les Viêt-Cong (le film est violemment anti-communiste)
obligent les soldats prisonniers puis Frank et Paul à abattre à bout portant
d’autres prisonniers. La tension est à son comble quand Paul, tenant le coffre
d’or dans une main, ne peut pas s’empêcher de ne vouloir sauver que sa peau et
abandonner Frank, blessé, à son sort.
Les
beaux visages des quatre acteurs n’en finissent pas de se tordre, au ralenti, sous
la douleur à la fois physique et morale. John Woo leur demande d’hystériser
leur interprétation, de hurler les dialogues, de crisper leur yeux. Il défigure
la beauté de Tony Leung Chiu-wai, celle de Simon Yam ou Jacky Cheung, en les
plongeant dans la boue, dans le sang, dans la sueur. Les corps sont épuisés,
les visages remplis de cicatrices, leur jeunesse est perdue. Le spectateur est
lui aussi épuisé par le sort qu’on leur fait subir sans ménagement. Une balle dans la tête est l’un des
films les plus viscéraux et les plus sombres de John Woo.
Une
balle dans la tête (Bullet in the head, 喋血街頭, Hong Kong, 1990) Un
film de John Woo avec Tony Leung Chiu-wai, Jacky Cheung, Waise Lee, Simon
Yam, Yolinda Yan, Lam Chung, Fennie Yuen, Chang Gan-wing, So Hang-suen, Pau
Hei-ching, Cheung Chang, Siao San-yan, Yee Tin-hung, Pooi Wan, Tsui Kwong-lam,
Lawrence Lau, To Wai-wo, Lam Chi-tai, Wan Seung-lam, Raymond Lee, Jameson Lam.
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