lundi 28 avril 2008

As tears go by



As tears go by, tourné en 1988 à Hong Kong a été présenté en France au Festival de Cannes 1989. Pas en compétition officielle, mais à la Semaine de la Critique, une des sections off dont la sélection est préparée depuis près d'un demi siècle par des critiques de cinéma. Le film est passé relativement inaperçu auprès de la presse. A l'époque, le cinéma de Hong Kong était tricard en France. Le nom de John Woo n'était connu que de quelques fans transis. Celui de Tsui Hark tombé dans les oubliettes (Mad Mission 3 était sorti cinq ans auparavant et aucun autre de ses films n'a eu l'honneur d'une diffusion). Le cinéma de la colonie britannique se résumait à vrai dire aux films de Jackie Chan et à ceux de King Hu ; autant dire à des miettes. On peut trouver quelques chroniques dans la presse cinéma sur As tears go by. Critiques bien peu élogieuses.

Le scénario de As tears go by est simple. Wah (Andy Lau à peine reconnaissable) est un petit malfrat. Son meilleur ami Fly (Jacky Cheung) est son acolyte dans ses affaires louches. La jeune Ngor (Maggie Cheung encore moins reconnaissable que Andy Lau) vient se faire soigner les poumons et demande à être hébergée chez Wah, qui est son cousin. Wah vient de se faire larguer par sa copine. Fly, tout fanfaron qu'il est, a bien du mal à récupérer de l'argent chez un de ses " protégés ". Petite histoire de polar entre truands au milieu desquels se retrouve une jeune fille naïve et innocente. Rien de bien neuf.

Le film commence pourtant différemment des autres polars de Hong Kong. Plutôt que de planter l'action de son film, censé être un film d'action, avec justement de l'action, c'est-à-dire de montrer Fly en train de demander de l'argent au l'autre type, Wong Kar-wai choisit de laisser tout cela hors champ. Quand As tears go by commence, Andy Lau est en train de roupiller. Le téléphone sonne. C'est sa tante qui lui dit qu'elle rappellera quand il sera levé. Mais elle téléphone peu de temps après pour dire que sa cousine Ngor va venir loger chez lui. " Ah bon, j'ai une cousine ! " Wong Kar-wai fait en quelque sorte un film d'inaction pour l'instant.

Maggie Cheung arrive. C'est une gentille fille sage. Elle porte une robe bien droite et ses cheveux sont longs et gentiment coiffés. Elle s'excuse d'arriver comme ça. Wah en a un peu rien à foutre. Ce qui l'intéresse, c'est de dormir et de ne pas être dérangé par le téléphone. Ngor répond aux coups de fils. C'est Fly qui n'arrive vraiment pas à avoir son argent. Il n'est pas du tout étonné que la cousine de Wah réponde. As tears go by débute donc dans le comique de situation et sa mise en scène nous signale déjà que son histoire de petits truands ne le passionne pas.

Il se résoudra pourtant à accomplir quelques scènes de baston. Il a signé pour un film d'action, faut-il le rappeler. Les bagarres sont filmées de manière très classique avec beaucoup de plans qui ont du mal à convaincre. Wong sent bien qu'il n'est pas doué pour ça. Le cinéaste filmera même une poursuite dans les rues, celles très peuplées du quartier de Mongkok où se passe le film. Il joue déjà avec le ralenti comme plus tard dans Chungking express, mais l'usage du ralenti était très répandu dans les polars de John Woo de cette période. Il ne détourne pas encore complètement la commande, comme plus tard dans Les Cendres du temps où il ne filme que des moments de creux.


Ce qui rattache As tears go by avec les films suivants de Wong Kar-wai est autre chose. Il s'agit d'abord des rapports entre les personnages de Maggie Cheung et Andy Lau. Ils discutent beaucoup dans des lieux triviaux, comme ce plan séquence dans la cuisine où ils mangent des nouilles. Finalement, c'est une histoire d'amour impossible entre eux que Wong Kar-wai veut filmer, comment ces deux là vont arriver à coucher ensemble. A ce propose, que faut-il entendre dans le terme " cousin " qu'ils sont supposés être ?

Autre récurrence, la fascination du cinéaste pour la cigarette, pour ses volutes de fumée. Paradoxe puisque Maggie Cheung est malade des poumons. Mais le glamour de la cigarette prime sur la cohérence du scénario. Le personnage de Maggie Cheung prétend être amoureuse du médecin qui la soigne, médecin que l'on aperçoit dix secondes dans le film et qui ne réagit pas quand Maggie tombe dans les bras de Andy Lau.

Toujours une affaire de souffle, pendant toute une séquence où Wah est blessé et où Ngor le soigne, on entend Take my breath away, dans une version chantée en cantonais par Sandy Lam, très populaire à l'époque et encore maintenant d'ailleurs. La séquence dure dix bonnes minutes. La chanson a peut-être été imposée à Wong Kar-wai, mais il l'utilise comme il le fera plus tard avec le Happy together des Turtles ou le tango dans In the mood for love.

Pour finir, on parlera de l'aspect chromatique de As tears go by qui, bien que moins soigné qu'ultérieurement, est défini par une opposition claire entre le bleu et le rouge. C'est d'ailleurs Andrew Lau qui est le chef opérateur. Christopher Doyle ne travaillera avec Wong qu'après ce film. As tears go by est souvent filmé de nuit et encore plus souvent à l'intérieur de l'appartement de Wah et parfois dans un bar. L'image est constamment sombre comme mal éclairée. C'est dans ces séquences noires que se déroulent les moments heureux de Wah et Ngor. C'est en plein jour que la mort arrive.

As tears go by est-il un bon film ? Est-il un bon film de Wong Kar-wai ? C'est un polar un peu différent. C'est sans doute une des raisons qui ont fait que ce film a séduit en 1989 quelques critiques de cinéma français qui l'ont sélectionné à Cannes. Il devra quand même atteindre cinq ans avec Chungking express pour voir un de ses films distribués en France, avant de connaître l'engouement, parfois délirant, pour ses trois derniers films un peu surfaits, mais ce n'est que mon avis. Par ailleurs, Andy Lau et Jacky Cheung se sont retrouvés dans un film de triade très intéressant en 2004, La Voie du jiang-hu de Wong Chin-po, où ils étaient deux quadragénaire qui se rappelaient leurs jeunesses. On signalera aussi la mauvaise qualité de la copie du DVD de As tears go by, toute tachetée donc non nettoyée.

As tears go by (旺角卡门, Hong Kong, 1988) Un film de Wong Kar-wai avec Andy Lau, Jacky Cheung, Maggie Cheung, Alex Man, Ronald Wong.

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