A l’instar de Tsai Ming-liang, son maître et réalisateur attitré, Lee Kang-sheng filme la solitude d’un homme au milieu de la ville. En l’occurrence, lui-même dans Taipeh. Jie, son personnage habite dans un appartement en hauteur, pourvu de grandes baies vitrées, meublé de mobilier moderne et bobo. La grande passion de Jie est sa plantation de cannabis. Il aime ouvrir la porte de la serre, sentir l’odeur des plantes et retourner à ses occupations. A vrai dire, le boulot de Jie, nous ne le connaitrons pas. Il descend régulièrement dans la rue d’un quartier pas franchement chic que borde un pont autoroutier. Help me Eros place le spectateur dans un terrain tsai-ming-liangien plutôt connu, d’autant que Jie est avare de parole et que la nonchalance de Lee Kang-sheng ressemble comme à deux gouttes d’eau à celle de ses autres personnages.
Pour que le titre ait un sens, le film tournera autour de l’érotisme, du sexe, de la sexualité, des amours. Jie habite au dessus d’une boite à filles. Elles attendent des clients, non pas comme prostituées, mais plutôt comme vendeuse de jouets érotiques. Régulièrement, une voiture s’arrête, le conducteur ne se montre pas, il appelle la fille qui descend de son stand sur une barrière de lap-dance et va le servir en l’aguichant. Parmi toutes ces filles en tenue légère (string, talons ultra hauts, mini-jupes et top raccourci), Shin (Yin Shin) avec laquelle Jie tente de sympathiser. Elle fait comme si elle ne le voyait pas, ne l’entendait pas et passe son tour quand un autre client se pointe. Shin, c’est la paysanne de Taïwan venue en ville pour réussir et qui se retrouve à faire pin-ups au bord d’une autoroute.
Et puis, il y a Chyi (Jane Liao), une bonne femme un peu grosse que l’on sent mal dans sa peau. Son mari Rong (Denni Nieh) lui prépare plein de plats (cela dit en gros plan, ce n’est pas si appétissant que ça). Il remplit la baignoire d’anguilles. Désespérée, elle s’y baignera espérant qu’une anguille lui procurera plus de plaisir que la bouffe. On sent que les rapports de couple sont terminés, elle tente de caresser son torse, il referme sa chemise et continue de cuisiner en tablier. Ils ne se parlent pas et Chyi discute en tchat avec Jie. On comprendra plus tard que Rong a un petit ami dans une scène aussi troublante que cruelle où aucun mot, aucun regard ne sera échangé mais où la tension se révélera presque indécente.
Le film entre parfois dans la rêverie. Jie fume de l’herbe et imagine que toutes les filles tombent, ensorcelées, à ses pieds. Dans une belle séquence, il emmène Shin dans une balade en voiture (volée), elle sort du toit ouvrant et sourit enfin. Et lui aussi sourit enfin. Ils s’évadent de ce quartier fermé sur lui-même. Mais rien ne dit que cela est la réalité ou un rêve. Pas plus que les scènes de cul hyper esthétisantes (Jie baise debout tête bèche une femme dans une pièce immaculée) ou mystérieuse comme dans un trip de toxicomane. Contrairement à Tsai Ming-liang, ces effets de plans séquence, de narration minimaliste frôlent la plupart du temps le ridicule et tournent souvent à vide.
La différence majeure entre le Help me Eros et La Saveur de la pastèque (pour prendre le dernier film réussi de Tsai Ming-liang) est l’absence d’unité du film de Lee Kang-sheng, malgré certaines fulgurances (la scène finale avec la neige de papiers blancs), certains plans superbes (la baise à trois sur le toit avec des motifs à la Crazy Horse) ou de beaux plans séquences (la séquence de billard entre le mari et son amant où la caméra fait apparaitre leur nudité tandis qu’ils ne s’occupent pas de la femme). On est séduit par moments mais jamais dans la globalité, comme si les séquences ne se raccordaient jamais entre elles. Or justement, au-delà de son sens du rythme, du cadre et de l’humour, ce qui fait sens chez Tsai Ming-liang, c’est que chaque scène compose un ensemble cohérent. Help me Eros apparait cependant comme un avatar plus intéressant et plus plaisant que les derniers films de Tsai Ming-liang, ici producteur.
Help me Eros (幫幫我愛神, Taïwan, 2007) Un film de Lee Kang-sheng avec Lee Kang-sheng, Yin Shin, Dennis Nieh, Jane Liao, Amy Yip, Stacy Chow, Tiffany Che, Tracy Chou.
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