Des six films de Samuel Fuller qui se déroulent en Asie, J’ai vécu l’enfer de Corée et Baïonnette au canon sont les deux meilleurs. Tournés coup sur coup sur un format identique (unité d’action, de lieu et de temps) et se déroulant tous les deux pendant la guerre de Corée, les deux films se ressemblent mais sont totalement opposés. Samuel Fuller expliquait qu’il avait tourné Baïonnette au canon sur un pari de son producteur Daaryl F. Zanuck (de la Fox) de reproduire exactement le même film : un groupe d’hommes isolés et sans présence féminine. Au centre des deux films, un même acteur (Gene Evans) à l’air bourru, cigare u bac, barbe épaisse du soldat baroudeur qui en a vu d’autres. Les titres originaux invoquent la défense (le casque d’acier) et l’attaque (la baïonnette au canon) et expriment déjà la différence entre les deux films.
Dans J’ai vécu l’enfer de Corée, le personnage de Gene Evans est d’abord un solitaire qui cherche à rejoindre son régiment d’infanterie. Les mains liées par l’ennemi, laissé pour mort, il sera secouru par un gamin coréen (William Chun). Montré d’abord marchant pieds nus, tenant son fusil, le gamin est peut-être un ennemi prêt à abattre le soldat américain. Un gros plan sur son visage fermé n’exprime pas non plus de compassion d’autant que la musique se fait dramatique. Mais le petit dit « South Korean », sourit et libère le GI. Le jeune Coréen parle plutôt bien anglais. Le soldat essaie d’abord de le chasser, mais le gamin s’incruste, le suit. Il lui fournit un casque afin de le protéger des balles des Nord coréens. L’ennemi « rouge » peut être partout, y compris déguisé en moins, comme ils vont s’en apercevoir bientôt.
Le soldat et le gamin vont rencontrer d’autres soldats avec lesquels ils vont faire troupe. Ils croiseront des Coréens qui fuient la guerre et iront se réfugier dans un temple bouddhiste. Là, la confrontation avec l’ennemi se fait plus intense. Un communiste s’est en effet caché dans le temple (ces gens-là, des athées, ne respectent donc rien), d’autres Coréens sont en embuscade à l’extérieur et abattront le gamin si sympathique. Le film accentue la lâcheté des « rouges », leur caractère impitoyable de machines de guerre qui ne respectent ni Dieu ni les enfants. En somme, Samuel Fuller les montre comme des bêtes. Finalement, le sniper caché (Harold Fong) est fait prisonnier. Le regard fuyant, sale et petit (en comparaison avec la taille des soldats US), il sera filmé de manière inverse du gamin, lumineux, joyeux et dans l’action. Le Coréen communiste cherchera aussi à provoquer un soldat américain (Richard Loo), l’accusant de traitrise à sa couleur de peau : c’est un asiatique.
Si les asiatiques peuvent s’exprimer dans J’ai vécu l’enfer de Corée, il n’en sera pas du coup le cas dans Baïonnette au canon. Dans ce film, quelques soldats d’infanterie sont envoyés en embuscade pour contrer une éventuelle avancée des Nord Coréens. Située en plein hiver, l’action se fait dans des rochers recouverts de neige ou dans une grotte humide qui sert aux soldats d’abri. Le film joue très habilement sur le suspense de cette situation en posant une seule question : quand les ennemis coréens vont-ils attaquer ? Eux connaissent parfaitement le terrain alors que les Américains souffrent du froid et ont peur. Ce qui est intéressant est que l’ennemi rouge est indéterminé. Contrairement à J’ai vécu l’enfer de Corée, les adversaires ne sont pas des personnages mais un ensemble. Les rares dialogues qu’ils ont ne sont pas sous-titrés et peu importe d’ailleurs, car leur stratégie est celle de l’épuisement des GIs. Il ne personnalise plus car c’est l’idéologie qui est l’ennemie.
A vrai dire, si ce n’est le carton introductif du film, jamais les mots « Corée » et « Coréens » ne sont employés. Le film se déroule en Asie. Les soldats américains utilisent toutes sortes de termes pour parler de leurs ennemis, y compris le mot « Chinois », notamment lorsque les soldats en face d’eux jouent de la corne pour décontenancer les GIs. Ce sont bien des idéogrammes composites qui sont lisibles dans une scène où une jeep est abattue et non du coréen. La bataille dans Baïonnette au canon est difficile et les chefs d’escadron se succèdent. Ils se donnent le titre de « ichi-ban », mot japonais signifiant « le premier ». C’est d’une certaine manière, un moyen d’exprimer la contamination du mal rouge tel que le craignait les Etats-Unis alors. Ce qui n’empêche nullement Samuel Fuller à la fois de mettre en scène un suspense éprouvant pour le spectateur et de dénoncer la guerre sans l’air d’y toucher.
J'ai vécu l'enfer de Corée (The Steel Helmet, Etats-Unis, 1951) Un film de Samuel Fuller avec Gene Evans, Robert Hutton, Steve Brodie, James Edwards, Richard Loo, Sid Melton, Richard Monahan, William Chun, Harold Fong, Neyle Morrow, Lynn Stalmaster.
Baïonnette au canon (Fixed bayonets!, Etats-Unis, 1951) Un film de Samuel Fuller avec Richard Basehart, Gene Evans, Michael O'Shea, Richard Hylton, Craig Hill, Skip Homeier.
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