Wu xia pian + burlesque + romance = Dragon Blanc. Telle est la recette que concocte Wilson Yip quand il filme Cecilia Cheung et Francis Ng. Une belle réussite à découvrir en DVD…
Passés les cartons du générique très sobre, écriture traditionnelle chinoise rouge sur fond blanc, Dragon Blanc débute sur de beaux paysages classiques d'automne comme on en a vu des dizaines dans le wu xia pian. Une jeune femme habillée tout en blanc traverse un lac sur un pont. Un air de flûte se fait entendre. C'est Dragon Blanc qui en joue pour attirer Plumes de Poulet. Ce dernier est un tueur à gages aveugle. Oui, ça rappelle le personnage de Zatoichi. Dragon Blanc et Plumes de Poulet (quel nom !) vont s'affronter au milieu d'une forêt de bambou. Pour l'instant, on est en terrain connu. Le combat commence qui évoque à la fois le Raining in the mountain de King Hu pour le lieu, les couleurs de vêtements, et Tsui Hark pour les défis aux lois de l'attraction.
Mais déjà quelque chose est différent. Wilson Yip n'entend pas renouveler les combat d'arts martiaux. Il n'utilise pas les effets numériques que l'on retrouve dans Hero par exemple. On imagine que les acteurs ont utilisé les trampolines, que les fils ont été supprimés en post production. Ce que rajoute Wilson Yip dans cette scène inaugurale brillante, ce sont les paroles de Dragon Blanc qui sont décalés par rapport à la situation, puisqu'elle espère que Plumes de Poulet ne va pas lui abîmer son beau visage. Mais plus que cela, c'est l'accumulation de cabrioles dans tous les sens, en haut en bas, circulaire, en avant en arrière, qui pousse le film vers la parodie joyeuse et assumée, comme pour se moquer de cette tendance actuelle à en faire trop pour rien.
Dragon Blanc ne veut pas que son visage soit abîmé. Car cette artiste martiale hors pair était, il y a moins d'une semaine, une gentille étudiante. Retour en arrière pour comprendre ce qui c'est passé. C'est l'heure d'aller en cours. Des jeunes gens jouent (en costume traditionnel) au foot. Dragon Blanc n'était pas encore Dragon Blanc, mais Phénix Noir. Elle est avec ses trois copines. Elle nous les présente. Phénix est copine avec elles pour que les garçons la remarquent mieux. Elles sont à la dernière mode. Elles ont troqué leur cartable pour des sacs plus tendance. Après les cours, elles se retrouvent pour une pyjama party où elles comparent leur goût pour les garçons. Phénix est amoureuse du Deuxième Prince, le fils de l'Empereur... tant qu'à faire.
Là réside une des grandes idées du film : prendre une situation archi rebattue et l'amener vers autre chose, comme si le wu xia pian rencontrait le teenage movie. Phénix doit jouer de la musique devant ce Prince qu'elle adore. Non seulement, elle joue de tous les instruments en même temps, mais en plus la musique que l'on entend n'a pas vraiment à voir avec l'opéra chinois, mais plutôt avec la pop. Wilson Yip pousse le gag plus loin : Phénix casse son luth comme une rock star, la foule l'acclame comme dans un concert d'Andy Lau, puis Phénix se jette sur les spectateurs. Il ne s'agit pas à proprement parler d'anachronismes, mais plus de gags dignes de Sacré Graal des Monthy Pythons. D'autres gags suivront avec la vieille Tatie, la vraie Dragon Blanc, qui donnera ses pouvoirs surnaturels à Phénix. Aux spectateurs de les découvrir.
Dragon Blanc ne se contentera pas de n'être qu'une comédie drôle et rythmée, en un mot efficace. Wilson Yip, après nous avoir amusés, nous prend par la main pour nous amener vers le terrain de la romance. La transition se fait avec une grande douceur, les gags devenant plus rares au fur et à mesure pour laisser la place à la romance. Armée des pouvoirs de la vieille Dragon Blanc, Dragon Blanc Junior, comme elle se présente, repart à la chasse de Plumes de Poulet. Connu sous ce sobriquet parce qu'il laisse des plumes de poulet là où il terrasse ses victimes, l'homme est sensible au doux son de la flûte de la belle. Mal lui en prend, car elle le piège. Mais il se libère, elle cherche son point faible. Persuadée que cette zone peut se trouver dans son entrejambe, elle lui fiche un bon coup de pied. Mais il est en béton et Dragon Blanc se cassera la jambe. Plumes de Poulet la recueille dans son antre. Et ce qui devait arriver arrive : les sentiments s'en mêlent.
Bien entendu, tout ne se règle pas du jour au lendemain. Phénix Noir alias Dragon Blanc est toujours amoureuse du Prince. Ils s'échangent des courriers par pigeon voyageur. Mais petit à petit, après s'être mutuellement fait quelques mesquineries, Dragon et Plumes vont commencer à s'apprécier, voir plus si affinités. Wilson Yip avait réussi à nous faire rire dans la première moitié de Dragon Blanc, et parvient dans sa seconde partie à réellement émouvoir dans une scène de shopping qui commence comme une farce et se termine comme un drame humain. Arriver à ce que les deux tableaux fonctionnent est une chose si rare qu'on n'est tout content une fois le film achevé. Ravi d'avoir vécu une si jolie histoire.
Dans cette réussite, il ne faut pas oublier les interprètes. Plumes de Poulet est joué par Francis Ng, qui était déjà pour beaucoup dans la grandeur de Bullets over Summer du même Wilson Yip. Il parvient à donner à son rôle d'aveugle fébrile devant Dragon Blanc une émotion sans abuser des grimaces qui ont fait sa réputation. Il faut dire que la belle est jouée par Cecilia Cheung, d'une fraîcheur et d'une grâce renouvelées à chaque plan. Cheung s'était déjà essayé à ce genre de comédie romantique décalée un an auparavant dans Cat and Mouse de Gordon Chan, où elle avait pour partenaire Andy Lau, sans que le résultat paraisse aussi concluant. Ici, elle est géniale. Quitte à voir un film avec Cecilia Cheung, il vaut mieux oublier l'industriel Wu Ji et admirer le généreux Dragon Blanc.
Jean Dorel
Dragon Blanc (White Dragon, 小白龍情海翻波, Hong Kong, 2004) Un film de Wilson Yip avec Cecilia Cheung, Francis Ng