samedi 30 juin 2007

Dragon Blanc


Wu xia pian + burlesque + romance = Dragon Blanc. Telle est la recette que concocte Wilson Yip quand il filme Cecilia Cheung et Francis Ng. Une belle réussite à découvrir en DVD…

Passés les cartons du générique très sobre, écriture traditionnelle chinoise rouge sur fond blanc, Dragon Blanc débute sur de beaux paysages classiques d'automne comme on en a vu des dizaines dans le wu xia pian. Une jeune femme habillée tout en blanc traverse un lac sur un pont. Un air de flûte se fait entendre. C'est Dragon Blanc qui en joue pour attirer Plumes de Poulet. Ce dernier est un tueur à gages aveugle. Oui, ça rappelle le personnage de Zatoichi. Dragon Blanc et Plumes de Poulet (quel nom !) vont s'affronter au milieu d'une forêt de bambou. Pour l'instant, on est en terrain connu. Le combat commence qui évoque à la fois le Raining in the mountain de King Hu pour le lieu, les couleurs de vêtements, et Tsui Hark pour les défis aux lois de l'attraction.

Mais déjà quelque chose est différent. Wilson Yip n'entend pas renouveler les combat d'arts martiaux. Il n'utilise pas les effets numériques que l'on retrouve dans Hero par exemple. On imagine que les acteurs ont utilisé les trampolines, que les fils ont été supprimés en post production. Ce que rajoute Wilson Yip dans cette scène inaugurale brillante, ce sont les paroles de Dragon Blanc qui sont décalés par rapport à la situation, puisqu'elle espère que Plumes de Poulet ne va pas lui abîmer son beau visage. Mais plus que cela, c'est l'accumulation de cabrioles dans tous les sens, en haut en bas, circulaire, en avant en arrière, qui pousse le film vers la parodie joyeuse et assumée, comme pour se moquer de cette tendance actuelle à en faire trop pour rien.

Dragon Blanc ne veut pas que son visage soit abîmé. Car cette artiste martiale hors pair était, il y a moins d'une semaine, une gentille étudiante. Retour en arrière pour comprendre ce qui c'est passé. C'est l'heure d'aller en cours. Des jeunes gens jouent (en costume traditionnel) au foot. Dragon Blanc n'était pas encore Dragon Blanc, mais Phénix Noir. Elle est avec ses trois copines. Elle nous les présente. Phénix est copine avec elles pour que les garçons la remarquent mieux. Elles sont à la dernière mode. Elles ont troqué leur cartable pour des sacs plus tendance. Après les cours, elles se retrouvent pour une pyjama party où elles comparent leur goût pour les garçons. Phénix est amoureuse du Deuxième Prince, le fils de l'Empereur... tant qu'à faire.

Là réside une des grandes idées du film : prendre une situation archi rebattue et l'amener vers autre chose, comme si le wu xia pian rencontrait le teenage movie. Phénix doit jouer de la musique devant ce Prince qu'elle adore. Non seulement, elle joue de tous les instruments en même temps, mais en plus la musique que l'on entend n'a pas vraiment à voir avec l'opéra chinois, mais plutôt avec la pop. Wilson Yip pousse le gag plus loin : Phénix casse son luth comme une rock star, la foule l'acclame comme dans un concert d'Andy Lau, puis Phénix se jette sur les spectateurs. Il ne s'agit pas à proprement parler d'anachronismes, mais plus de gags dignes de Sacré Graal des Monthy Pythons. D'autres gags suivront avec la vieille Tatie, la vraie Dragon Blanc, qui donnera ses pouvoirs surnaturels à Phénix. Aux spectateurs de les découvrir.

Dragon Blanc ne se contentera pas de n'être qu'une comédie drôle et rythmée, en un mot efficace. Wilson Yip, après nous avoir amusés, nous prend par la main pour nous amener vers le terrain de la romance. La transition se fait avec une grande douceur, les gags devenant plus rares au fur et à mesure pour laisser la place à la romance. Armée des pouvoirs de la vieille Dragon Blanc, Dragon Blanc Junior, comme elle se présente, repart à la chasse de Plumes de Poulet. Connu sous ce sobriquet parce qu'il laisse des plumes de poulet là où il terrasse ses victimes, l'homme est sensible au doux son de la flûte de la belle. Mal lui en prend, car elle le piège. Mais il se libère, elle cherche son point faible. Persuadée que cette zone peut se trouver dans son entrejambe, elle lui fiche un bon coup de pied. Mais il est en béton et Dragon Blanc se cassera la jambe. Plumes de Poulet la recueille dans son antre. Et ce qui devait arriver arrive : les sentiments s'en mêlent.

Bien entendu, tout ne se règle pas du jour au lendemain. Phénix Noir alias Dragon Blanc est toujours amoureuse du Prince. Ils s'échangent des courriers par pigeon voyageur. Mais petit à petit, après s'être mutuellement fait quelques mesquineries, Dragon et Plumes vont commencer à s'apprécier, voir plus si affinités. Wilson Yip avait réussi à nous faire rire dans la première moitié de Dragon Blanc, et parvient dans sa seconde partie à réellement émouvoir dans une scène de shopping qui commence comme une farce et se termine comme un drame humain. Arriver à ce que les deux tableaux fonctionnent est une chose si rare qu'on n'est tout content une fois le film achevé. Ravi d'avoir vécu une si jolie histoire.

Dans cette réussite, il ne faut pas oublier les interprètes. Plumes de Poulet est joué par Francis Ng, qui était déjà pour beaucoup dans la grandeur de Bullets over Summer du même Wilson Yip. Il parvient à donner à son rôle d'aveugle fébrile devant Dragon Blanc une émotion sans abuser des grimaces qui ont fait sa réputation. Il faut dire que la belle est jouée par Cecilia Cheung, d'une fraîcheur et d'une grâce renouvelées à chaque plan. Cheung s'était déjà essayé à ce genre de comédie romantique décalée un an auparavant dans Cat and Mouse de Gordon Chan, où elle avait pour partenaire Andy Lau, sans que le résultat paraisse aussi concluant. Ici, elle est géniale. Quitte à voir un film avec Cecilia Cheung, il vaut mieux oublier l'industriel Wu Ji et admirer le généreux Dragon Blanc.

Jean Dorel

Dragon Blanc (White Dragon, 小白龍情海翻波, Hong Kong, 2004) Un film de Wilson Yip avec Cecilia Cheung, Francis Ng

vendredi 29 juin 2007

The Shopaholics


La traditionnelle comédie du Nouvel An Lunaire tournée par Wai Ka-fai aven Cecilia Cheung et Lau Ching-wan s'appelait en 2006 The Shopaholics. Cette fois, on a ri de bon cœur.
Difficile d'oublier le ratage quasi intégral de Himalayah Singh où tous les acteurs cabotinaient à mort : Francis Ng, Lau Chin-wan et en tête Ronald Cheng, le plus insupportable des histrions comiques actuels (regardez Dragon reloaded 2 et hurlez de honte). Seule Cecilia Cheung, drapée dans de belles robes – car le cinéma peut aussi servir à garnir sa garde-robe personnelle – s'en sortait avec la classe qui l'habite toujours. Dans Himalayah Singh, comme en 2004 dans Fantasia, Wai Ka-fai avait tenté d'utiliser des effets spéciaux trop bons marché pour fonctionner. Dans The Shopaholics, il se cencentre sur la comédie et se rappelle un joli film de Patrick Leung avec déjà Lau Ching-wan, Good times bed times (je vous en parlerai un de ces jours, promis).
Le postulat de départ est bête comme chou : un bébé est abandonné dans un grand magasin au milieu des grandes marques. Cela était en 1980. Aujourd'hui, le bébé a bien grandi puisqu'il est incarné par Cecilia Cheung. Elle s'occupe d'enfants dans son travail et comme par hasard, ce jour-là, elle leur fait visiter une galerie marchande bourrée de magasins où tout peut être acheté. Problème : entre temps, la jeune femme a attrapé une sale maladie. La fièvre acheteuse (soit la traduction du titre du film). Les gamins sont en fait avec elle pour la surveiller elle, et non l'inverse. La jeune femme s'appelle Fong Fong-fong. Les personnages féminins ont des noms ridicules dans ce film.
La fièvre acheteuse de Fong (on va l'appeler comme ça, pour faire plus simple) l'amène à des folies. Elle achète tout ce qu'elle voit, si possible des trucs hyper chers. Pour enlever les étiquettes aux vêtements, Fong s'est aussi acheté une paire de ciseaux de marque. Paire de ciseaux qui elle-même a une étiquette. L'humour de The Shopaholics repose beaucoup sur ce genre de petits détails que Wai Ka-fai et son scénariste Au Kin-yee se sont fait un plaisir de nous offrir. Le film n'est plus comme les précédents une fiction débridée avec une histoire délirante, il joue sur nos petits travers du quotidien. Ce qui est marrant dans The Shopaholics, ce sont ses personnages qui s'enfoncent dans leur délire.
" A Hong Kong, la vie est si stressante que tout le monde est malade, " dit le Dr Lee, psychiatre de son état chez qui Fong a pris rendez-vous. Ce bon Dr Lee, comme chaque docteur qui se respecte dans une comédie est bien plus malade que ses patients. Sa souffrance : ne pas savoir choisir. Par exemple au restaurant, il attend de longues minutes avant de se décider pour tel ou tel plat... jusqu'à ce que le plat vienne à manquer au moment où il se décide. Lau Ching-wan, dans ce rôle de psychiatre velléitaire est magnifique. Il faut dire que sa maman, hilarante Paula Tsui, est particulièrement castratrice.
Ajoutons un flirt entre Fong et le Dr Lee, quand bien même cela contredit profondément l'éthique. Flirt qui sera vite mis en pièce par l'arrivée d'un troisième larron, le milliardaire Richie Ho (Jordan Chan) qui viendra avec ses dollars prouver à Fong que l'argent fait le bonheur. On saupoudre le tout avec Ding Ding-dong (Ella Koon, son personnage a aussi un nom ridicule), l'ancienne amoureuse du Dr Lee, qui depuis sa rupture avec ce dernier, se déconsidère totalement et a perdu toute confiance en elle. Une belle brochette de malades auxquels on joindra Wong Tin-lam en narcoleptique, Law Kar-ying en vieillard qui hurle des jurons à tout va. Un plaisir comique comme on n'en voit que trop rarement.
Jusqu'à présent The Shopaholics était déjà bien barré avec des acteurs tous contents de faire de ce film un grand n'importe quoi communicatif et jubilatoire. Mais la dernière demi-heure prend la forme d'une course poursuite des mariés. Chacun décide de se marier avec l'autre, car aucun n'arrive réellement à savoir qui il (elle) aime. On n'oublie pas qu'on a affaire à des névrosés. La fin du film est du pur burlesque et tout à fait irracontable. Il s'y passe trop de choses mais c'est un vrai plaisir de voir ce spectacle amoureux. Et on ne raconte pas trop de gags, histoire de laisser la surprise.
The Shopaholics sera donc à conseiller aux amateurs (forcément éclairés) de la comédie cantonaise qui marie allégrement le ridicule avec le romantisme. On en redemande. En tout cas, le public de Hong Kong a adoré, puisque le film sorti fin janvier 2006, a réuni plus de 200.000 spectateurs.
Jean Dorel
The Shopaholics (最愛女人購物狂, Hong Kong, 2006) Un film de Wai Ka-fai avec Cecilia Cheung, Lau Ching-wan, Jordan Chan, Ella Koon, Wong Ting-lam, Maggie Siu, Paula Tsui, Law Kar-ying, Dennis Law, 

jeudi 28 juin 2007

Sorties à Hong Kong (juin 2007)


Hooked on you (每当变幻时)
Un film de Law Wing-cheong avec Miriam Yeung, Eason Chan, Huang Bo, Stanley Fung, William Feng, Kin Kwan, Amy Chum, Farini Cheung, Marie Zhuge, Xie Lu-si, Ho Sai-man, Wong Wah-wo, Chan Kung, Jolie Chan, David Lo, Raymond Wong, Carl Ng, Wong You-nam, Lam Ka-tung, Hung Hui-siu, Jo Koo, Stephanie Cheng. 97 minutes. Classé Catégorie IIA. Sortie : 28 juin 2007.

Initial D


Lau et Mak avaient déjà fait un film de bagnole : le sympathique mais creux Legend of speed, sorti en DVD au printemps 2006. Déjà, à l'époque en 1999, Andrew Lau avait dans l'idée d'adapter le manga original de Shuichi Shigeno (deux personnages de The legend of speed s'appelaient Ini et Siale D.) Au Japon, une série animée existe aussi. A l'origine, c'est pourtant un projet lancé par Tsui Hark, même si on a du mal à le croire. Tsui filmant des bagnoles ! Andrew Lau était tout indiqué pour mener à bien ce film et il y a pleinement réussi.
Déjà, il faut se faire à l'idée que ce film produit à Hong Kong se déroulera au Japon. La plus grande majorité des interprètes sont de Hong Kong. Jay Chou, qui a le rôle principal (Takumi) est Taïwanais et Anne Suzuki, qui sera sa petite copine dans le film (Natsuki), est Japonaise. Le reste du casting est assez sympa : Anthony Wong, Chapman To, Kenny Bee, Shawn Yue, Jordan Chan et Edison Chen. Excusez du peu. Ceux qui aiment le cinéma cantonais à cause de ses acteurs seront ravis. Revers de la médaille, il n'y a pas de femmes dans ce film, hormis la jolie Anne Suzuki, dont le personnage est post-synchronisé en cantonais, ce qui gâche un peu son jeu.
Ce qui frappe dans les premières séquences de Initial D est la fluidité de la caméra de Andrew Lau. On n'est pas du tout dans une espèce de Fast & furious asiatique. Pas de mise en scène tape à l'œil et clipesque. La voiture roule sur les routes serpentées du mont Akina et la caméra, embarquée d'on ne sait où, la suit d'un flan à l'autre de la montagne. Plus tard, les courses se feront de manière plus speed, plus rythmée, plus chorégraphiée. Elles seront, ces courses, les moments phares du film, comme les combats le sont dans un wu xia pian ou les chansons dans une comédie musicale. Cependant, les enjeux narratifs ne se focalisent pas autant que l'on aurait pu le craindre sur les courses automobiles. Et cela est la deuxième bonne surprise de Initial D.
Pour qui connaît un peu les films de Andrew Lau (Infernal affairs, Storm riders, A man called hero et The Legend of speed sont ses seuls films sortis en France), on remarquera que ce sont les rapports d'opposition entre les personnages qui l'intéressent. Rapport de classes sociales, rapport entre maître et apprenti, rapport entre policier et mafieux. Les oppositions le séduisent et tout Initial D est construit de cette manière à commencer par les motivations réelles qui poussent le jeune Takumi à être devenu le meilleur pilote de la région, le Dieu de la Montagne.
Takumi, c'est donc Jay Chou, jeune star de la pop à Taiwan. Son étrange bouche qui semble lui interdire le sourire le place dans une idée de personnage mélancolique. Son père est campé par Anthony Wong (pardon, Monsieur Anthony Wong), veuf, alcoolique, brutal, il n'élève pas son fils, il l'utilise comme larbin. Wong a beau être le pire salaud du film, il reste très drôle. Il est vendeur de tofu et passe ses soirées à boire du saké. Voilà la raison pour laquelle Takumi est génial pour conduire. Anthony Wong oblige son fils, depuis l'âge de treize ans, à livrer le tofu. D'hésitante, sa conduite est devenue plus sûre. C'est lui, en secret, qui doublera l'un des pilotes chevronnés qui cherche un adversaire à sa taille.
Entre en jeu alors l'inénarrable Chapman To. Il interprète un jeune fanfaron, un " enfulte ", un écervelé incapable et un prétentieux de première. Son absence de qualité en fait le bouffon parfait. Il est persuadé de pouvoir faire des courses de caisse et défie un pilote. Il ignore tout du génie de Takumi. Ils travaillent pourtant ensemble à la station service du père de Chapman tenue par un Kenny Bee qui a quelques secrets bien enfouis avec Anthony Wong. Là encore, les caractères des deux fils s'opposent. Takumi est placide et taciturne, Chapman To est un excité et un grand bavard. De leurs scènes en commun découlent de bons moments d'humour, notamment quand Takumi prend le volant à la grande surprise de Chapman.
Initial D est aussi une comédie romantique. Le jeune Takumi tombe amoureux de Natsuki (Anne Suzuki, 18 ans au compteur au moment du film). Ils se rencontrent au lycée et entament une petite romance. Ils se promènent au bord d'un lac. Dilemme, Takumi a honte de se mettre torse nu : son père, quand il est imbibé de saké, le frappe à coups de ceinture. Mais, il ne suffit pas de se déshabiller pour apparaître au grand jour et la jeune Natsuki cache quelque chose de pas très net. On ne sera pas vraiment le fin mot de cette relation qu'elle a avec un adulte. Sans doute de la prostitution. Cela ne va pas rendre Takumi plus heureux.
Le vrai héros du film n'est cependant pas un des personnages. C'est la voiture, la Toyota AE86. Cette voiture appartient à Anthony Wong et est considérée comme un tas de boue par les pilotes qui peuplent le mont Akina. C'est une vieille caisse mais qui marche bien et que maîtrise parfaitement Takumi. Quand elle tombe en rade, le père, bien que salaud, s'en occupe mieux que si c'était son fils ou lui-même. Andrew Lau et Alan Mak, quand bien même on n'en a rien à fiche des voitures et des films de bagnoles, réussissent l'exploit à nous émouvoir avec cette AE86. On espère, pour le bonheur de Takumi, qu'elle pourra être réparée.
Jean Dorel
Initial D (頭文字D, Hong Kong, 2005) Un film de Andrew Lau et Alan Mak avec Anthony Wong, Jay Chou, Kenny Bee, Chapman To, Jordan Chan, Edison Chen, Shawn Yue.

mercredi 27 juin 2007

The King and the clown


Entre le roi et le bouffon, le jeune éphèbe Gong-gil ne sait pas qui choisir. Mais dans la Corée du début du 16ème siècle, il n'est pas certain que nos trois personnages sachent vraiment nommer les sentiments qui les animent. Alors ce sont les autres qui vont choisir pour Gong-gil, qui vont décider d'être amoureux du jeune garçon à l'allure si efféminée : traits androgynes, finesse du visage, cheveux longs. Tout le contraire des deux hommes qui sont amoureux de lui, le roi et le bouffon.


Gong-gil (Lee Jung-gi) et Jang-sang (Kam Woo-seong) sont membres d'une troupe de théâtre. Ils exécutent tous les deux un numéro de funambules. La pièce est grotesque (dans l'acception première du terme), une sorte de comedia dell'arte : masques et costumes colorés, exagération des gestes et des dialogues, sentiments exacerbés. Mais Jang-sang est troublé pendant son numéro. Il aperçoit un riche et vieux seigneur qui discute avec son patron. L'acrobate comprend immédiatement : Gong-gil est régulièrement vendu comme prostitué pour apporter un peu plus d'argent à la troupe. Jang-sang va le libérer ce qui provoque la colère du patron. Les deux hommes s'enfuient vers la capitale.


Sans le sou, ils cherchent un moyen de gagner de l'argent. Ils vont s'associer avec une troupe d'acrobates. Mais, non plus en faisant de l'acrobatie, mais en jouant une pièce de théâtre bouffonne qui se moque ouvertement du roi Yeon-san (Jeong Jin-yeong), de sa concubine Nok-su (Kang Seong-yeon) et de l'eunuque royal Kim. Le public rit aux éclats (le spectateur aussi, c'est très drôle). Pas de chance, Cheo-sun (Jang Hang-seon) le secrétaire du roi assiste à la pièce, il en informe le roi. C'est un crime de lèse-majesté de se moquer ainsi du souverain. La sanction ne se fait pas attendre, ils sont bastonnés. Mais Jang-sang affirme que le roi aimerait peut-être la pièce et que dans ce cas, ils seraient innocents. Qu'à cela ne tienne, la troupe jouera devant le roi.


Le roi a du mal à être déridé. Aucun sourire ne sort de son visage. D'autant plus que les acteurs ont peur de mourir pour avoir échoué à faire rire leur souverain. Cette angoisse rend sinistre la pièce comique. Mais Jang-sang va jusqu'au bout du numéro, il s'approche du trône royal, suivi par Gong-gil qui simulent une scène de sexe. Là, le roi explose de rire et décide que la troupe devra rester pour lui jouer d'autres pièces. Les ministres ne voient pas d'un bon œil cette intrusion qui menace leur pouvoir, d'autant que le roi s'attache tout particulièrement à Gong-gil.


The King and the clown devient alors un triangle amoureux entre les trois hommes. Le roi Yeon-san devient complètement obsédé par la présence de l'éphèbe. Il délaisse sa maîtresse au profit du jeune homme. Ils passent de plus en plus de temps ensemble. La rumeur publique enfle sur le fait que le jeune homme est devenu concubin royal. La réputation du souverain est mise en cause, mais plus que cela, c'est l'influence des ministres sur le roi qui diminue. Jang-sang et sa troupe se sont trouvés des ennemis qui vont chercher à les éliminer. Jang-sang, lui-même, ne sait plus comment agir pour garder l'homme dont il est amoureux et qu'il considère comme son époux.


The King and the clown est un très beau film qui parvient à capter avec bonheur les sentiments de personnages : un geste, un sourire ou un regard suffisent pour comprendre quels sont leurs émotions. La reconstitution de la Corée de 1504 est splendide, Lee Jun-ik, le réalisateur du film, a réussi à ne pas surcharger ses décors et ses costumes. Les couleurs rouges et bleues dominent. Mais ce qui frappe le plus, c'est la facilité qu'a le cinéaste à créer des scènes purement comiques comme des scènes d'angoisse, de créer des scènes d'une sensualité redoutable à partir de simples dialogues entre les protagonistes. Il se distille une étrange mélancolie de plus en plus prenante au fur et à mesure qu'avance The King and the clown. Le film devient élégiaque et procure un plaisir que l'on n'avait pas eu devant un film en costumes depuis bien longtemps.


Jean Dorel


Le Roi et le clown (The King and the clown, 왕의 남자 , Corée, 2005) Un film de Lee Jun-ik avec Kam Woo-seong, Jeong Jin-yeong, Lee Jun-gi, Jang Hang-seon, Yu Hae-jin, Jeong Seok-yong, Lee Seung-hun, Kang Seong-yeon.

mardi 26 juin 2007

The God of cookery

Grandeur et décadence du personnage Stephen Chow. The God of cookery est un sommet de la comédie culinaire cantonaise. Son humour est immense. Son film est grand... Réalisé près de deux ans après Le Festin chinois de Tsui Hark, The God of cookery n'en possède pas les mêmes caractèristiques politiques. Tsui Hark évoquait la future rétrocession de la colonie à la Chine. Stephen Chow se contentera de parler de bouffe avec l'humour ravageur qui est le sien. Il est épaulé dans son entreprise par l'acteur réalisateur Lee Lik-chi.
Le film commence par une séquence où le Dieu de la Cuisine, en chemise et en short mais affublé de lunettes de soleil va dîner dans un quartier populaire. Là, une femme lui sert sans précaution un plat de nouilles pas très ragoûtant. La femme est aussi laide que le plat. Des dents jaunes, un œil de travers, on imagine que Karen Mok, une des plus belles actrices du cinéma de Hong Kong, a dû prendre un grand plaisir à s'enlaidir. Mais le cinéma de Stephen Chow est suffisamment masochiste pour se permettre ce genre de facéties qui feront penser à certains qu'il est un grand misogyne. C'est qu'il joue un des personnages les plus sombres de sa filmographie.
Son plat de nouilles est dégueulasse et cela lui rappelle le bon temps où il était le Dieu de la Cuisine. Membre du " France Cuisine Club ", il méprise ses employés et truque les concours de cuisine. Il humilie les chefs cuisiniers qui s'affrontent en concoctant de beaux plats mais aucun ne lui convient. Il est secondé dans sa position de monopole où il vend des plats tout préparés au moindre coût par Ng Man-tat, qui joue un opportuniste de première. Arrive alors un blanc-bec d'apparence naïve, un bon gros servile (Vincent Kok) qui va se faire engager par Stephen Chow. Il s'avère que Vincent Kok et Ng Man-tat ont comploté contre Stephen Chow pour prendre sa place.
Voilà pourquoi le Dieu de la Cuisine se retrouve à bouffer de sales nouilles. Il insulte Karen Mok et provoque la colère de tous les gens qui se trouvent dans le quartier et notamment celle de Lee Siu-kei, un cuisinier voisin. Il se dispute une recette de " crevettes qui pissent ". Après une belle bagarre provoquée par Stephen Chow au sujet d'un mélange entre ces " crevettes qui pissent " et des boules de bœufs, toute la bande décide de faire un restaurant commun. L'ouverture est difficile mais petit à petit le succès arrive. Stephen Chow y voit un bon moyen de restaurer le pouvoir qui lui a été volé par Ng Man-tat et Vincent Kok. Une guerre sans merci est lancée entre les concurrents.
The God of cookery est une formidable machine de mise en scène. Stephen Chow et Lee Lik-chi utilisent un système d'opposition de toutes sortes. Ng et Kok habitent en haut d'un immeuble chic, Chow et Mok sont dans les bas quartiers. Les vêtements de la bande ce ces derniers sont cool alors que les autres sont en costume cravate. La puissance s'oppose à la pauvreté. On pourrait aussi évoquer les couleurs, rouges, or et bleu qui peuplent de symboles le film.
The God of cookery est riche de gags de facture diverses. Gags visuels, verbaux ou de situation. Stephen Chow n'hésite pas à tomber parfois dans un mauvais goût qui réjouit plus qu'il n'effraie. Il n'a pas peur non plus de se ridiculiser lui-même, comme lors des scènes où il est prisonnier des moines Shaolin qui veulent lui faire des choses bien peu communes. The God of cookery est un festival d'humour drôle.

Le morceau de bravoure du film se trouve dans la dernière demie heure. Un nouveau concours a lieu pour devenir le Dieu de la Cuisine. Nancy Sit y sera la maîtresse de cérémonie. Une maîtresse implacable mais hilarante. Comme dans Le Festin chinois le kung-fu se mêle aux recettes des plats que les cuisiniers doivent concocter. Mais ici tout est fait sur le mode parodique. Tout cela fait que The God of cookery est peut-être la comédie la plus drôle de Stephen Chow. Mais aussi la plus noire.
Jean Dorel
The God of cookery (食神, Hong Kong, 1996) Un film de Stephen Chow & Lee Lik-chi avec Stephen Chow, Ng Man-tat, Vincent Kok, Lam Suet, Tats Lau, Karen Mok, Nancy Sit

dimanche 24 juin 2007

Monrak transistor


Pèn et Sadao s'aiment, mais le monde entier se mettra entre eux. Monrak transistor est leur histoire d'amour contrarié. Un beau film de Pen-ek Ratanaruang.
Il fût un temps, au début de ce siècle, où l'on pensait que le cinéma thaïlandais pourrait avoir le droit d'être montré au plus grand nombre à l'égal des autres contrées cinématographiquement vivaces du sud-est asiatique. Que nenni ! Si l'industrie cinématographique est pléthorique en Thaïlande, les spectateurs n'ont aujourd'hui plus d'autre choix que de se taper soit des Tony Jaa, soit des Apichatpong Weerasethakul. Il faut être amateur de film de baston ou avoir envie de faire la sieste au cinéma. Le reste n'existe plus.

Et pourtant, on se dit en regardant Monrak transistor qu'ils doivent bien exister ces cinéastes thaïlandais qui sont entre les deux extrêmes telles qu'on les connaît en France. Et il semble certain que Pen-ek Ratanaruang est de ceux là. Peu soutenu par la critique, mal distribué en salles : Monrak transistor comme Last life in the universe, deux ans plus tard, n'ont pas pu trouver leur public faute de copies. On peut toujours espérer que ce temps viendra un jour. Espérons-le. En attendant, il y a toujours la possibilité de se repasser le dvd de Monrak transistor.

Tout commence dans une prison. Pèn est derrière les barreaux. Le gardien est de son village et va nous narrer (regard caméra) les aventures du jeune homme. Pèn adore chanter et le voici momentanément vedette dans un bal populaire. Certes, il n'y a pas grand monde pour le regarder, mais l'important à ses yeux c'est que la jolie Sadao soit là pour l'écouter. A partir de ce moment-là, tout ce qui compte est de pouvoir s'approcher d'elle, l'inviter à danser, et tant pis pour le fils de riche qui tente, lui aussi, une approche de séduction. Dès le début Pèn aurait dû comprendre que rien n'irait droit dans sa vie. Et cela dès le moment où il se prend un pain dans la tronche.

Convaincre la jeune fille est une tâche plus aisée que de convaincre le père. Surtout quand ce dernier est son patron. Pèn fait le paon. Il se ramène torse nu sur sa barque pour aller travailler et tel un cygne faisant la parade. Sadao se marie avec Pèn et les deux tourtereaux font un petit. Comme le dit si bien notre narrateur gardien de prison, cela aurait pu faire un joli dénouement. Chacun aurait pu rentrer chez soi content. Mais non, le destin va s'abattre sur Pèn. En tout premier lieu, au village lors du tirage au sort pour savoir quel jeune homme devra faire l'armée, ça tombe sur lui. L'armée c'est pas drôle. Du coup, quand Pèn voit qu'il va se dérouler un radio crochet dans la ville où il est permission, il n'hésite pas une seconde. Il chante et a cappella, s'il vous plait. La performance séduit les organisateurs qui encouragent Pèn à les suivre. Ce qui fait de lui un déserteur.

Seulement voilà, le matin, le bus de la troupe oublie de réveiller le jeune homme. Pèn est recueilli par un homme d'âge assez mûr, qui se prétend agent artistique. Il va en faire une star. Mais, l'homme est plus intéressé par la plastique de Pèn que par sa voix. Aucune occasion ne sera assez bonne de faire se déshabiller Pèn, de le toucher et de tenter de coucher avec lui. Le vieux fait pression sur le jeune homme pour qu'il demeure son esclave plutôt qu'il devienne une star de la chanson. Et le jeune et joli Pèn perd son sourire au fur et à mesure que Monrak transistor avance. Oui, c'est Oliver Twist.

Pèn aura encore quelques aventures malheureuses où chaque fois il tentera de fuir des hommes qui veulent le contrôler. Jamais il ne réussira à être libre. C'est bien tout le problème de ce personnage et de son épouse. Pen-ek Ratanaruang, le réalisateur de Monrak transistor réussit à manier l'ironie pour ne pas tomber dans le drame larmoyant. Il se permet même des clins d'œil amusants notamment quand Sadao commence à vouloir refaire sa vie et qu'elle tombe amoureuse d'un bonimenteur. Ce dernier est venu dans le village pour projeter un film. Ce film a pour titre Les Larmes de Tigre Noir dont un des interprètes est Supakorn Kitsuwon, qui joue précisément le rôle de Pèn.

L'erreur au sujet de Monrak transistor serait d'y voir un film kitsch, parce qu'on y entend des chansons d'amour, qu'on y chante comme dans un film de Jacques Demy. Parce que les couleurs sont chatoyantes et les sentiments communs. Mais ce serait cacher une mélancolie qui hante le cinéma de Ratanaruang et qui enchante. Tout simplement. C'est ce qu'on appelle un cinéaste essentiel. Et le plus incroyable dans tout cela, c'est qu'on est incapable de dire si Monrak transistor se termine bien ou mal.

Monrak transistor (มนต์รักทรานซิสเตอร์, Thaïlande, 2002) Un film de Pen-ek Ratanaruang avec Supakorn Kitsuwon, Siriyakorn Pukkavesh, Black Phomtong, Somlek Sakdikul, Porntip Papanai.

vendredi 22 juin 2007

Fast & furious Tokyo drift

Après deux épisodes déjà remarquables, la franchise du producteur indépendant Neal H. Moritz s’enrichit d’une suite qui va se dérouler dans la capitale japonaise. Fast and furious Tokyo drift, comme précédemment Fast and furious de Rob Cohen (2001) et 2 fast 2 furious de John Singleton (2003) est une vision sans concession sur la jeunesse actuelle.

Justin Lin a réalisé cette mouture 2006. Ce jeune cinéaste d’origine taiwanaise avait déjà montré son talent dans Shopping for fangs ou Better luck tomorrow où il montrait les désarrois profonds de la jeunesse en mal de vivre. Dans Fast and furious Tokyo drift, Lin suit le parcours initiatique vers l’âge adulte du jeune Sean Boswell (Lucas Black, acteur brillant qui confirme tous les espoirs que l’on plaçait en lui depuis Sling blade de Billy Bob Thorton). Sean est un jeune homme qui ne demande qu’à vivre tranquillement, mais sa liberté est constamment contrecarrée par les embûches de l’ordre établi. Lucas Black avec son visage d’adolescent est le réceptacle idéal pour tous les sentiments qui peuvent parcourir un adolescent.

Sean se retrouve à Tokyo malgré lui. Il habitait au Texas, mais provoqué par le chef de l’équipe de football, les deux adolescents s’affrontent dans une course automobile qui se terminera mal. Au poste de police, la mère de Sean, d’extraction modeste, essaie de sortir son fils adoré de cette mauvaise passe. Sean est mineur mais a déjà causé de nombreux accidents depuis l’obtention de son permis. Plutôt que de déménager à nouveau, Sean est envoyé chez son père qui réside à Tokyo. Ce père qu’il connaît peu, avec qui il n’a pas d’affinités, entend faire respecter la loi chez lui. Il est militaire. Sean devra aller au lycée japonais, ce qui implique de porter un uniforme. Il devra également s’abstenir de conduire une automobile.

Au lycée, la vie est difficile pour Sean. Il ne comprend pas ce que lui dit son professeur quand il doit porter les wakabi au lieu de ses chaussures. Il souffre du dédain de ses nouveaux camarades, Japonais pour la plupart. Il se fait traiter de « gaijin » et se sent exclu. Il remarque la charmante Neela (Nathalie Kelly) qui lui remonte le moral. Elle fût aussi une étrangère et a mis des années avant de se faire accepter. Justin Lin montre avec une justesse rare le complexe problème de l’intégration dans la société. Il se fait entomologiste d’une manière digne des plus grands documentaristes. Jamais Lin ne tombe dans la facilité des clichés colportés sur la société japonaise. Au contraire, il prend un soin tout particulier à ne pas se montrer manichéiste dans la description des protagonistes.

Sean se découvre un ami au lycée. Twinkie (Bow Wow, son interprétation est digne des meilleurs rôles de Joe Pesci) est certes un petit trafiquant, mais c’est un garçon au cœur d’or et de bon conseil. Ainsi quand Sean découvre que des courses automobiles ont lieu à Tokyo, il provoque la jalousie Takashi (Brian Tee) qui s’avère être le petit ami de Neela. Takashi le défie dans une course de voitures. Mais la course sera spéciale puisqu’il s’agit de drifting, le dérapage contrôlé. Han (Sung Kang) fournit à Sean un bolide, mais il ne sait pas drifter et abîme l’engin. Ce qu’il ignorait, c’est que Takashi est surnommé DK, soit Drift King. Ce qu’il ne savait pas plus, malgré les avertissements de Twinkie, c’est que Takashi et Han sont de jeunes yakuzas. Sean devra payer de sa personne pour la voiture.

A ce stade du film, les enjeux majeurs de Fast and furious Tokyo drift sont lancés. Sean devra faire face à l’autorité parentale, à son amour pour Neela et aux yakuzas. Pour cela, le meilleur moyen est de se perfectionner au drifting. Han l’entraîne sur les docks d’un port. Ce qui nous vaut une séquence savoureuse où deux calmes pécheurs se moquent allégrement de lui. Dans les petits rôles des pécheurs, on reconnaît Keiichi Tsuchiya, le conseiller technique de la série Initial D et Kazutoshi Wadakura, producteur des derniers films de Akira Kurosawa. Han prend Sean en sympathie, mais ne se gène pas pour se servir de lui comme coursier. Il l’oblige à aller chercher l’argent qu’un yakuza lui doit. On frémit pour Sean, nu sous sa serviette dans un sauna, face à un créancier imposant.

Les épreuves de loyauté se suivent mais tout ce corse lorsque Kamata, l’oncle de Takashi, (Sonny Chiba qui illumine le film de son aura magique) s’aperçoit que Han trahit le clan. Sean est en bien mauvaise posture. Une course de drifting sur le mont Takina devra mettre tout le monde d’accord. Là encore Justin Lin filme magistralement les séquences de vitesse. Il sait ménager un suspense diabolique en montrant tous les points de vue des protagonistes, sans oublier ceux des fans qui arborent des tenues extravagantes. Fast and furious Tokyo drift dresse un portrait juste et sincère de la jeunesse japonaise éprise d’aventure et de liberté. Il sait utiliser au mieux les décors grandioses de Tokyo et fait de la capitale japonaise, sublimement filmée de nuit, un personnage à part entière.

Sans dévoiler la fin du film qui est en tous points étonnante, on remarquera l’apparition du dramaturge Vin Diesel qui adoube l’acteur Lucas Black, dans une scène où l’émotion submerge le spectateur déjà bien remué par un récit d’une richesse trop rare sur les écrans. Ne la cachons pas plus longtemps, Fast and furious Tokyo drift est un chef d’œuvre qu’il faut redécouvrir de toute urgence et Justin Lin le génie qu’il nous manquait.

Fast & furious Tokyo drift (Etats-Unis, 2006) Une chronique sociale de Justin Lin

jeudi 21 juin 2007

Sorties à Hong Kong (juin 2007)

Simply actors (戲王之王)
Un film de Patrick Leung et Chan Hing-kai avec Jim Chim, Charlene Choi, Hui Siu-hung, Ann Hui, Eric Tsang, Anthony Wong, Chapman To, Alan Mak, Lam Suet, Isabella Leong, Derek Tsang, Fruit Chan, Wilson Yip. 120 minutes. Classé Catégorie IIA. Sortie : 21 juin 2007.



mercredi 20 juin 2007

Les Infiltrés


Parce que c’est un film de Martin Scorsese qu’on ne fera pas l’insulte de présenter, mais surtout parce que c’est le remake de Infernal affairs, il semblait indispensable de parler des Infiltrés. Les cas de remake américain de film hongkongais sont si rares – alors que l’inverse est fréquent – qu’il est difficile de s’empêcher de comparer les deux films.

Soit d’un côté, Infernal affairs de Andrew Lau et Alan Mak avec Anthony Wong, Eric Tsang, Andy Lau et Tony Leung Chiu-wai dans les quatre rôles principaux. Un film sorti le 12 décembre 2002 à Hong Kong, énorme succès public dans toute l’Asie, multi primé aux Hong Kong Film Award (meilleur film, meilleurs réalisateurs, meilleur scénario, meilleur montage, Tony Leung meilleur acteur, Anthony Wong meilleur acteur dans un second rôle et meilleure chanson). Un film sorti en France le 1er septembre 2004 dans une indifférence quasi générale. Les deux autres Infernal affairs devaient sortir en salles dans la foulée, mais suite au bide du film, ils n’ont été édités qu’il y a un mois de cela en DVD (avec pour la jaquette du 3 une belle bévue dans le résumé). De l’autre côté, Les Infiltrés de Martin Scorsese avec la plus belle brochette de stars hollywoodiennes vue depuis des lustres : Jack Nicholson, Leonardo DiCaprio, Matt Damon, Mark Wahlberg, Martin Sheen et Alec Baldwin. Un film de 2h30, générique compris. En quinze jours, plus de 100 millions de dollars de recette aux Etats-Unis, ce qui constitue le seul vrai succès commercial de Scorsese. Le film sort comme un blockbuster en France. On remarquera que le scénario est d’un certain William Molahan… Un peu plus et ils indiquaient sur l’affiche que c’était inspiré de Infernal affairs… Tout de même pas…

Qui joue qui ? Matt Damon reprend le rôle de Andy Lau, c'est-à-dire le truand infiltré chez les flics. Leonardo DiCaprio sera donc le flic infiltré dans la mafia, soit le rôle de Tony Leung Chiu-wai. Le film commence avec le personnage de Matt Damon. Il est gamin (c’est un autre acteur) et se voit offrir par Costello à manger, des sodas et un comics. Damon et DiCaprio s’enrôlent dans le Police d’Etat. Tout se passe dans le milieu irlandais. Costello, le chef des truands, c’est Jack Nicholson. Il a 70 ans. Il a une femme, bien plus jeune que lui. Dans Infernal affairs, Eric Tsang (le parrain de triade) n’avait pas de femme. La raison en est expliquée dans Infernal affairs II. A propos de femmes, dans l’original, Andy Lau avait une femme écrivain (Sammi Cheng) et Tony Leung voyait une psy (Kelly Chen). Dans Les Infiltrés, Damon et DiCaprio se partagent la même femme. Damon sort avec elle et DiCaprio est son patient, car, oui, elle est psy. Mais quand Tony Leung allait la voir pour uniquement dormir sur son divan et oublier sa vie tourmentée, le scénariste des Infiltrés, en fait la maîtresse de Leonardo. Car, Scorsese et son scénariste ont préféré la lourdeur pour montrer que les deux personnages ne sont que le reflet d’eux-mêmes. Anthony Wong, soit le très secret inspecteur Wong, est ici incarné par pas moins de trois personnages (Sheen, Wahlberg et Baldwin) sans qu’on en comprenne vraiment la raison. L’inspecteur Wong avait une relation particulière avec Sam (Eric Tsang). Dans Les Infiltrés, rien de tel. Nicholson ne va jamais manger au commissariat. C’est dommage. Sheen, Baldwin et Wahlberg sont les trois facettes de Wong : l’homme respecté, le décideur et celui qui n’hésite pas à fomenter en secret contre la mafia. Le gros problème du film de Scorsese est d’avoir rajouté beaucoup de gras psychologique (le personnage de la psy) et de tout expliquer des rapports entre les protagonistes. D’où une lourdeur incroyable qui jamais ne réussit à ménager le moindre suspense.

Quel scénario ? Le scénario entre les deux films est similaire. De l’école d’instruction aux scènes finales sur le toit puis dans l’ascenseur et finalement au cimetière. Tony Leung Chiu-wai avait un bras dans le plâtre, DiCaprio en a un. Mais différence, dans Les Infiltrés, on nous explique pourquoi il en a un. Sam, le parrain, vend de la drogue à des Thaïlandais, Nicholson vend des microprocesseurs à des Chinois. DiCaprio ne prévient pas le chef la police en morse, mais avec son portable. Damon appelle tout simplement Nicholson avec son téléphone. Pas de suspense, place aux gunfights mous. Chapman To savait repérer les flics qui planquent, un Irlandais le fait aussi. Mais To jouait un jeune con, et l’Irlandais ne fait pas rire. Andy Lau demande les renseignements sur les hommes de main de Sam, Tony Leung écrit sur l’enveloppe. Damon demande les renseignements sur les hommes de main de Nicholson, DiCaprio écrit sur l’enveloppe. La scène dans le cinéma y est aussi. Wong se faisait jeter du 24ème étage et Sam abattre dans un sous-sol (histoire de bien marquer, mais subtilement, la hauteur d’âme et la bassesse), Sheen se fait jeter du sixième étage d’un entrepôt et Nicholson tuer dans un hangar. Tout le scénario y est, avec 50 minutes en plus constituées de dialogues sur la vie, la mort, les rats (ne ratez pas le dernier plan avec un rat qui se promène sur le balcon). Oui, they’re talking to me. Tout ce qui était indicible, subtil, secret, caché, enfoui dans le passé (car tel est le sujet de Infernal affairs) est ici montré, désigné, expliqué et dialogué. L’exemple même de la lourdeur.

Want to fuck my film ? Avec ce que je viens d’écrire plus haut, Scorsese semble habillé pour l’hiver. On se demande quelle idée il a eu de faire, quinze ans après le nul Nerfs à vif, le remake d’un film a priori loin de ses thématiques (rédemption, bla bla bla). Martin Scorsese signe son troisième film avec Leonardo DiCaprio. Ils ont chacun une thématique commune : un jeune gars sans famille se cherche une famille de substitution dans la communauté irlandaise. Il doit sans doute y avoir quelque chose à creuser là dedans. Oui, mais quoi ? Les trois films (Gangs of New York puis Aviator) souffrent de leur faiblesse narrative. On remarquera que Scorsese donne à des personnages de policiers des premiers rôles. C’est une première dans son cinéma. Les Infiltrés n’est pas un mauvais film, juste à côté de la plaque. Scorsese sait toujours composer des beaux plans, avec un léger abus pour les contre plongées. Il demeure l’un des plus grands directeurs d’acteurs en activité. Tous sont excellents. Ils semblent prendre un certain plaisir à sortir des fuck à chaque phrase, tant le mot est aujourd’hui banni des dialogues. Mais Les Infiltrés est très, très, très en dessous de ses bons films de mafia. Il semble aussi peu à l’aise que lorsqu’il filmait le dalaï lama dans Kundun. Marty, rappelle DeNiro et fais une suite à Casino, please…

Les Infiltrés (The Departed, Etats-Unis, 2006) Un remake à Oscar® de Marty avec Leo, Matt, Mark et le Joker

mardi 19 juin 2007

Le Marin des Mers de Chine


Emettons un hypothèse : Jackie Chan était le meilleur cinéaste hongkongais dans les années 1980. Oui, meilleur que Tsui Hark, John Woo voire Sammo Hung parce qu’il réussissait tous ses films. Son rythme de l’époque (en terme de mise en scène) est d’ailleurs comparable à celui de Stephen Chow aujourd’hui.

Dans Le Marin des Mers de Chine (1983) qui arrive enfin en dvd en France (chez Metropolitan), le style si caractéristique n’est pas encore tout à fait mis au point : ce fétichisme des objets qui fait que chaque chose dont se saisit Jackie se transforme en arme. Cela atteint son paroxysme dans Opération Condor, son dernier film en date en 1991. Sammo Hung (qui apparaît assez peu dans ce film, ce que je regrette) serait un metteur en scène instinctif, primaire, pour qui chuter compte avant tout. Jackie Chan est tout le contraire : il s’agit de rester les deux pieds sur terre, ce qui demande des notions d’équilibre intenses. On retiendra deux scènes directement inspirées du burlesque américain et qui se succèdent. Tout se situe au sommet d’une église. Un affreux jojo attaque Jackie. Il se coince dans le mécanisme de l’horloge (influence Chaplin) puis s’accroche à la pendule (influence Harold Lloyd). Jackie tombe (une cascade qui a failli lui coûter la vie) et la première chose qu’il fait est de se mettre debout.

Garder les pieds sur terre, ça veut dire aussi ne pas regarder les demoiselles qui pourraient vous détourner de votre mission. Dans Le Marin des Mers de Chine, le femmes n’ont pas de vrai rôles. Elles ne sont qu’un prétexte pour qu’on puisse voir le courage et la force de Jackie quand il va les sauver. Cela veut dire aussi garder la tête haute notamment face aux colons britanniques (le film se situe seulement quelques années après l’accord entre la Chine et le Royaume Uni qui accordait à ce dernier un bail de 99 ans). Cela consiste dans Le Marin des Mers de Chine à ridiculiser les hauts gradés, à dire que les élites sont corrompues et à sublimer le petit peuple dont Jackie s’est fait le porte parole, plus encore que Bruce Lee une décennie plus tôt. Il sera d’ailleurs de tous les plans (sauf quand les méchants complotent). On est d’autant plus étonné des rôles qu’il donne à Yuen Biao et Sammo Hung : des seconds rôles. Il arrive souvent dans le film, qu’ils disparaissent près de 30 minutes pour soudainement revenir.

Le Marin des Mers de Chine est aussi pour ceux qui cherchent le simple plaisir d’une histoire bien contée où les enchaînements se font à grands coups de pieds dans le bide et de coups de poings dans la gueule. Pendant des années, Jackie Chan a été considéré en France comme un gentil amuseur. Il est à l’évidence bien plus que cela. Il faut dire que jusqu’à ces dvd, on n’avait jamais les deux Le Marin des Mers de Chine qu’en VF et dans des versions qui pouvaient comprendre quelques vingt minutes en moins (merci René Château). Le Marin des Mers de Chine et sa suite titrée alors Action force 10 n’étaient qu’une succession de cascades et de bastons. Les versions complètes montrent un tout autre aspect de Jackie Chan : celui de meilleur cinéaste des années 1980.

Jean Dorel
Le Marin des Mers de Chine (Project A, A计划,Hong Kong, 1983) Un film de Jackie Chan avec Jackie Chan, Yuen Biao, Sammo Hung, Kwan Hoi-san, Mars

dimanche 17 juin 2007

Babel

Après Amours chiennes et 21 grammes, Babel est le troisième film du cinéaste mexicain Alejandro Gonzalez Iñárritu. Il conclue ainsi une trilogie sur les maux de l’humanité. Babel se déroule en Californie, au Mexique, au Maroc et au Japon.
Au Maroc, un berger pauvre achète un fusil à un de ses voisins. Il confie l’arme à ses deux fils adolescents pour protéger le troupeau de chèvres contre les chacals. En s’entraînant à tirer, le plus jeune atteint un car de touristes américains et blesse grièvement Susan (Cate Blanchett). Son époux Richard (Brad Pitt, qui joue comme George Clooney) demande au conducteur de trouver un médecin. Or, ils sont au beau milieu du désert. Dans le même temps Amelia (Adriana Barraza) garde les deux enfants de Susan et Richard. La bonne mexicaine doit marier se jour-là son fils resté au Mexique. Son neveu Santiago (Gael Garcia Bernal) l’amènera au Mexique avec les deux marmots. Toujours dans le même temps, à Tokyo, Chieko (Rinko Kinkuchi) une adolescente sourde et muette essaie de vivre sa vie de jeune femme malgré son handicap. Son père Yasujiro (Koji Yakusho) est le vrai propriétaire du fusil. Lors d’un safari au Maroc, il en avait fait cadeau au vieux Marocain. Iñárritu, dans Babel montre l’effet papillon que peut avoir un acte involontaire. D’autant que très vite, les situations deviennent particulièrement dramatiques pour chaque protagoniste.
Les Américains en voyage au Maroc commencent à se demander si ce coup de feu ne pourrait pas être l’œuvre de terroristes. La scène se déroule dans le sud marocain, et là se posent deux invraisemblances majeures qui montrent l’aberration du projet. Les touristes sont en majorité des personnes âgées qui se plaignent de la chaleur. L’un d’eux affirme avoir une insuffisance respiratoire. Quel méchant tour operator a pu vendre à cet homme malade un voyage dans une région où l’on sait pertinemment qu’il fait 40° à l’ombre ? Le voyage ne semble pas être organisé par le Club Med pour se reposer au bord de la piscine. De plus, compte tenu de leur piètre opinion envers la population locale et de l’ambiance paranoïaque des Américains envers les Nations Arabes, pourquoi sont-ils allés se promener dans ce pays qui leur semble tout à coup si hostile ? Là réside tout le problème de Babel dont le scénario n’est construit que pour arriver à sa triste conclusion : le monde est injuste.
Babel se veut un état des lieux des injustices de ce monde. Les Marocains sont méprisés. Les Mexicains tout autant : Susan et Richard sont partis en voyage pour « se retrouver » seuls face à la sage immensité du désert. Eternelle rengaine néo-colonialiste des bobos. Mais le sort les frappe. Tristesse du fatum digne d’un scénario de Kieslowski qui serait filmé par Lelouch. Le couple ne méritait-il pas ce sort quand on sait qu’ils exploitaient la bonne mexicaine ? La pauvre femme est une immigrée clandestine. Dans un moment de folie, lors de leur retour en Californie après le mariage de son fils, Santiago force la douane pour échapper à un contrôle musclé. Il abandonne Amelia et les enfants en plein désert, au risque de mourir de soif.
A vrai dire, on se demande quel besoin avait le cinéaste d’ajouter une partie japonaise à son film. On ne voit nulle part l’importance de savoir que le fusil venait d’un chasseur japonais. Mais Babel est un film à thèse et Iñárritu la déploie avec une lourdeur qui apparaît vite comme de la naïveté. C’est donc la partie japonaise qui tente de transcender la thèse que l’on pourrait résumer en disant que si les gens parlaient le même langage (celui du cœur) tout irait mieux. On l’a vu, la jeune Chieko est muette. Il s’agit pour elle de trouver un peu de tendresse, de chaleur, elle est dans un désert affectif. (Ah ! le désert froid du Japon face aux déserts marocain et mexicain ; on voit mieux le parallèle) On le sait tous et Iñárritu le premier, les Japonais ont du mal à exprimer leurs émotions. Chieko aimerait bien pouvoir séduire les jolis garçons à cette soirée au bar J-Pop. Une idée lumineuse lui traverse l’esprit : ce soir, elle ne mettra pas de culotte sous sa jupe très courte (les filles sont toutes habillées en uniforme d’écolière). Et pour encore mieux nous montrer le décalage humain entre les sourds-muets et les pas sourds-muets, Iñárritu filme une scène de boîte de nuit avec une musique assourdissante, où la caméra épouse régulièrement le point de vue de Chieko. Dans ces plans, il coupe le son. Puis, il remet le son. Puis, il coupe le son et il remet le son.
A Cannes, où Babel était en compétition officielle, les journalistes étrangers ont acclamé le film. Les critiques français ont eu plus de mal à tomber dans le panneau. Wong Kar-wai et ses potes du Jury ont offert le Prix de la Mise en scène à Iñárritu. On ne voit qu’une raison à cela : une scène dans le métro tokyoïte est entièrement pompée à Chungking Express. La seule bonne scène du film.
Jean Dorel
Babel (Etats-Unis, 2006) Un navet de AGI