vendredi 31 mai 2013

Shokuzai, celles qui voulaient se souvenir


Au Japon, Shokuzai était une mini-série télé en cinq épisodes diffusée en janvier 2012, en France, ce sont deux films qui sortent à une semaine de distance. La scène primitive de la série se déroule quinze ans avant le récit principal. Emili, écolière de neuf ans, est nouvelle dans l’école d’une petite ville japonaise. Très vite, elle se lie avec quatre amies de sa classe, elle les invite chez elle pour le goûter. Une fin de journée, elles jouent ensemble dans la cour de récré quand un homme, prétendant venir réparer quelque chose, vient demander de l’aide à l’une d’elles. Emili se dévoue pour l’aider. Quelques minutes plus tard, la fillette est découverte morte par ses camarades dans le gymnase.

Très vite, les quatre enfants réagissent. L’une appelle la police, une autre va chez Asako (Kyôko Koizumi), la mère d’Emili, une autre tente de trouver l’institutrice et la dernière reste près du corps. Une enquête commence, les policiers interrogent les enfants mais aucune d’elles ne garde en souvenir le visage de l’assassin. Six mois plus tard, Asako invite les quatre fillettes pour l’anniversaire d’Emili. Une photo de l’enfant morte trône sur un meuble, fixant ses camarades. C’est alors que la mère leur fait le reproche inouï de ne pas avoir été capables de reconnaitre le meurtrier et, qu’en conséquence, il court toujours. Elle leur fait promettre de trouver cet assassin. Les deux premiers chapitres de Shokuzai, celles qui voulaient se souvenir sont consacrés respectivement à Sae (Yû Aoi) et Maki (Eiko Koike), devenues adultes. Les deux chapitres sont scénaristiquement indépendants.

Désormais adultes, chacune d’elles a désormais un métier et a quitté la ville de leur enfance. Sae est esthéticienne et Maki est enseignante. La première, peu sûre d’elle, est célibataire et se décide à épouser Takahiro (Mirai Moriyama), riche héritier qui était justement dans la même école que Sae. Il va chaque soir lui imposer de se déguiser dans la même tenue que la poupée qu’elle avait étant enfant. La deuxième est au contraire une femme très forte d’esprit, très rigoureuse dans son travail et devenue la bête noire des parents d’élève. Elle apprend le kendo et va se servir de cet art martial pour frapper un dément venu agresser les enfants lors d’une sortie à la piscine. Elle devient alors une héroïne aux yeux de tous mais son geste d’une violence extrême commence inquiéter

Ce sont deux traumatisées de la vie que filme Kiyoshi Kurosawa. Il énumère leur dysfonctionnement respectif en les mettant face à deux dégénérés, l’un sexuel (le mari de Sae) l’autre mental (l’agresseur) mais ce ne sont que des miroirs qu’il tend à ces deux personnages, rappelant constamment que le traumatisme ne vient pas seulement de la scène primitive mais aussi de la promesse à la mère. J’imagine que dans les trois autres parties dans le film qui sort la semaine prochaine, les deux autres enfants ainsi que la mère auront droit à leur lot de pervers en tout genre. La mère d’Emili fait office de fantôme qui hante l’esprit des jeunes adultes et erre au beau milieu des décors ternes et sans âme. Elle vient chaque fois constater si les anciennes amies de sa fille ont remboursé leur part de dettes pour avoir laissé mourir Emili. Pour l’instant, le récit est un peu indolent et très bavard avec un vague air de déjà-vu, il me faut donc attendre quelques jours pour juger de l’ensemble de Shokuzai.

Shokuzai, celles qui voulaient se souvenir (贖罪, Japon, 2012) Un film de Kiyoshi Kurosawa avec Kyôko Koizumi, Hazuki Kimura, Yû Aoi, Mirai Moriyama, Eiko Koike, Kenji Mizuhashi, Sakura Andô, Chizuru Ikewaki, Ayumi Itô, Tomoharu Hasegawa, Teruyuki Kagawa.

jeudi 30 mai 2013

Sorties à Hong Kong (mai 2013) American dreams in China


American dreams in China (中國合伙人, Chine – Hong Kong, 2013) Un film de Peter Chan Ho-san avec Huang Xiao-ming, Deng Chao, Tong Da-wei, Du Juan, Daniel Berkey, Claire Quirk, Tong Lei, George Anton, Liu Tian-zuo, Gong Cui-ying, Yang Chen, Zhang Zi-mu, Wang Zhen. 110 minutes. Classé Catégorie IIA. Sortie à Hong Kong : 30 mai 2013.



mercredi 29 mai 2013

La Dernière fois que j’ai vu Macao


Comme j’avais, la semaine dernière, écrit sur Only God survives qui se déroule en Thaïlande, je parle aujourd’hui de La Dernière fois que j’ai vu Macao. Les deux cinéastes portugais ont déjà filmé la ville, ex colonie portugaise rétrocédée à la Chine en 1999. Le cinéma filme finalement peu Macao, ville dédiée aux casinos (le Las Vegas chinois comme il est dit dans le film) et dont l’architecture portugaise est encore très présente. Plusieurs films hongkongais s’y déroulent (Exilé de Johnnie To, Isabella de Pang Ho-cheung, Butterfly de Mak Yan-yan), bien d’autres y font référence notamment les films de gambling.

Le micro récit tourne autour de la disparition d’une chanteur travestie de cabaret nommée Cindy que l’on découvre en ouverture de film mimant une chanson de Lana Turner dans le Macao de Josef Von Sternberg, navet de fin de carrière du cinéaste, devant des tigres en cage. Cindy cherche à rencontrer Da Mata mais ils n’arrivent jamais à se trouver dans cette ville où pourtant « tout le monde se connait » (je cite les dialogues du film). Da Mata passe de lieu en lieu à la recherche de Cindy, traversant la ville de fond en comble. Une cage d’oiseau recouverte d’un linge circule de main en main, cachant un secret.

On menace Da Mata de ne pas poursuivre sa recherche, de partir immédiatement de Macao. La violence des rapports est au cœur du récit. Des coups de feu retentissent. Tout est hors champ si bien qu’il est inutile de filmer à la fois la scène « d’action » et son résultat (les corps criblés de balles. On ne verra jamais le visage du moindre protagoniste, la tête est toujours hors champ. Tout est narré en voix off monocorde et en portugais. En revanche, le film permet de découvrir cette ville méconnue, la ville et ses néons, les chiens errants, les nouveaux immeubles modernes comme la campagne isolée. Le tout filmé dans une grisaille automnale (les nuages surplombent toujours Macao).

On sent les intentions des réalisateurs : construire un récit mental que le spectateur pourra reconstruire avec les souvenirs des films noirs connus et que le film cite nonchalamment. L’autre intention est plus clairement assonée : pour João Rui Guerra da Mata, il s’agit de revenir dans la ville de son enfance, son père travaillait à Macao et de se rappeler un passé révolu. Seulement voilà, les images rapportées de ce voyage sont très ternes, le filmage en petit caméra n’arrange rien. Le film est un essai cinématographique où le montage est souverain (la déconnexion entre le son et l’image) mais qui distille régulièrement un ennui gêné de voir cette tentative de film noir échouer.

La Dernière fois que j’ai vu Macao (La Ultima vez que vi Macau, Portugal – France, 2012) Un film de João Pedro Rodrigues et João Rui Guerra da Mata avec Cindy Scrash, João Pedro Rodrigues et João Rui Guerra da Mata.

lundi 27 mai 2013

L'Étranger à l'intérieur d'une femme


Deux ans après Tourments, Mikio Naruse, avec L’Etranger à l’intérieur d’une femme, adapte pour la première fois un roman non japonais, The Thin line d’Edouard Atiyah (qui sera également mis en scène par Claude Chabrol en 1970 dans Juste avant la nuit). Isao Tashiro (Keiju Kobayashi) est un salaryman bien conformiste. Marié avec Masako (Michiyo Aratama), gentil papa de deux enfants qui se chamaillent et fils d’une vieille mère qui habite dans la coquette maison de banlieue, il apprend un soir que l’épouse de son vieil ami de vingt ans, Sugimoto (Tatsuya Mihashi) a eu un accident. Les deux hommes s’étaient rencontrés dans l’après-midi à Tokyo, ont bu un verre ensemble et sont rentrés chez eux tous les deux. Ce que Sugimoto découvre est que sa femme, la belle et aguicheuse Sayuri (Akiko Wakabayashi) a été étranglée dans l’appartement d’une voisine.

La mère de Tashiro, sans délicatesse, juge mal la défunte et ne regrette pas sa disparition. Elle pense qu’elle a fait les yeux doux à son fils. Masako rétorque qu’elle était myope. Puis, la voisine, lors de l’enterrement, reconnait Tashiro comme l’un des hommes qui venaient visiter Sayuri. On découvre la morte dans des courts flasbacks qui confirment la liaison qu’elle avait avec Tashiro. Le film ne fait pas mystère de l’identité de l’assassin. Il s’agit bel et bien de Tashiro qui pratiquait avec elle le jeu sexuel de l’étranglement. L’homme culpabilise de plus en plus, sent que la justice ne va pas s’appliquer à son cas. Ce sentiment d’injustice est d’autant plus fort quand son patron lui demande d’aller voir la femme d’un collègue parti avec l’argent de l’entreprise et une maîtresse. Lui, l’assassin doit rendre la justice.

Il ne reste qu’une solution à Tashiro : se rendre à la police. Parce qu’il est un lâche, il va d’abord confesser son crime à son épouse puis à Sugimoto, chacun d’eux lui conseiller de ne rien dire, de respecter l’honneur et de préserver la famille. L’ambiance déprimante reste le meilleur de ce film de fin de carrière (l’antépénultième de Naruse). Dans la première demi-heure, la pluie ne cesse de tomber et un terrible orage coupe la lumière. Le couple n’est plus éclairé que par une chandelle dans un noir et blanc contrasté où le mari avoue son adultère. De même, son deuxième aveu, celui du meurtre, se déroule dans un tunnel. L’Etranger à l’intérieur d’une femme est à part dans la filmographie de Mikio Naruse pour au moins deux raisons : la première est sa fin non ouverte, elle est même très brutale ; la deuxième est que le personnage est non seulement un homme (alors que le cinéaste a surtout mis en avant les femmes) mais aussi négatif.

L'Étranger à l'intérieur d'une femme (女の中にいる他人, Japon, 1966) Un film de Mikio Naruse avec Keiju Kobayashi, Michiyo Aratama, Mitsuko Kusabue, Tatsuya Mihashi, Akiko Wakabayashi, Daisuke Katô, Toshio Kurosawa.

dimanche 26 mai 2013

Hirokazu Kore-eda, Jia Zhangke, Anthony Chen et Moon Byoung-gon primés à Cannes 2013


Voilà, le 66ème Festival de Cannes est terminé, le palmarès a été annoncé par Steven Spielberg. Parmi tous les films primés, je me réjouis que Hirokazu Kore-eda, cinéaste que j’apprécie particulièrement, reçoivent un beau prix du Jury pour Tel père tel fils. Aucune date n’est prévue pour l’instant pour une sortie en France de son film mais la société Le Pacte le distribuera. Jia Zhangke (que j’aime moins) a été célébré pour le scénario de son film A touch of sin (sortie prévue en janvier 2014). Un cinéaste peu connu venu de Singapour, Anthony Chen a reçu la Caméro d’or pour son premier film Ilo Ilo et le cinéaste coréen Moon Byoung-gon a été récompensé pour son court-métrage Safe (pas de sortie prévue pour ces deux films).



Le Palmarès de Cannes 2013
Palme d'or : La Vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche
Grand Prix du jury : Inside Llewyn Davis de Ethan et Joel Coen
Prix de la mise en scène : Amat Escalante pour Heli
Prix du jury : Tel père tel fils d’Hirokazu Kore-Eda
Prix du scénario : A touch of sin de Jia Zhangke
Prix d'interprétation masculine : Bruce Dern pour Nebraska d'Alexander Payne
Prix d'interprétation féminine : Bérénice Béjo pour Le Passé d'Asghar Farhadi
La caméra d'or : Ilo Ilo d'Anthony Chen
Palme d'or du court-métrage : Safe de Moon Byoung-Gon

vendredi 24 mai 2013

Only God forgives


C’est avec un générique en thaï que l’on pénètre dans Only God forgives. Immersion directe dans une salle de boxe thaïe où Julian (Ryan Gosling), Américain exilé à Bangkok, encourage le combattant qui s’apprête à monter sur le ring. Derrière lui, son frère aîné Billy (Tom Burke) fait passer de l’argent, sans doute pour faire un pari. Le frangin ne va pas rester très longtemps dans le récit. Il exige une prostituée mineure dans un bordel. Il veut coucher avec une fille de 14 ans et non pas avec une adulte et encore moins avec une ladyboy qui sont dans la vitrine. Le patron a proposé sa fille et Billy l’a violée puis sauvagement tuée. Le cinéaste ne montre pas ces scènes, préférant l’ellipse, on n’en voit que le résultat. De la même manière, on ne voit pas le père fracasser la tête de Billy. Seul son corps démembré et les grandes taches de sang sont montrés.

La violence, toujours au cœur du cinéma de Nicolas Winding Refn, arrive avec deux personnages. Un flic thaïlandais (Vithaya Pansringarm), habillé en civil et toujours suivis de policiers en uniforme, enquête sur ce double meurtre. Avec une machette qu’il tire de son dos (où est-elle vraiment rangée ?), il tranche le bras du père qui a tué Billy. Comme indiqué plus haut, la violence et les coups sont hors champ (sauf dans trois scènes, celle vue dans la bande annonce où Julian casse un verre sur la tête d’un homme puis le traine par terre, la scène du karaoké et le court combat final entre le flic et Julian). L’imagination du spectateur fonctionne comme dans un film d’horreur, il doit croire aux coups, à la brutalité et cela est avant tout une question d’ambiance. Cela fait la grande différence entre les films de Refn et ceux de Park Chan-wook, par exemple.

Cette ambiance se manifeste grâce aux longues scènes de couloir sur une musique de Cliff Martinez, assez proche de celles que l’on peut entendre dans Shining ou 2001, l’odyssée de l’espace (les morceaux de Ligeti). Cette fois, les références au cinéma de Kubrick sont mieux intégrées. Ces couloirs, magnifiquement cadrés, créent un sentiment d’étouffement et un malaise d’autant plus prononcés que la lumière rouge est abondante (lampions, vêtements, tapisseries, moquettes) et évoquent, immanquablement, le sang qui va couler. Les plans en légère contre-plongée accentuent encore plus le sentiment d’angoisse. Les personnages se déplacent très lentement, parlent peu, ont le regard vide. On dirait tout simplement des zombies. Les rues sont vides ce qui, quand on sait que Bangkok est très peuplée, rappelle la solitude des personnages, comme le faisait Wong Kar-wai dans certains de ses films.

Film de vengeance, certes, mais contre qui ? Quand la mère de Julian arrive (incarnée par une Kristin Scott Thomas déguisée en vieille bimbo, cheveux blonds et tenue d’adolescente), elle cherche à venger la mort de son fils. Mais tout le récit laisse à penser que Julian veut se débarrasser de cette mère particulièrement vulgaire qui traite tout le monde comme de la merde, qui insulte chaque personne qu’elle rencontre et méprise Julian. Dans une scène à la fois superbe et tragique, elle ne cesse de dire du mal de Maï (Ratha Phongam), la petite amie de Julian, en sa présence et l’appelle May. Elle compare la taille de la bite de ses fils, laissant entendre une relation incestueuse entre elle et Billy. Là aussi la complexité sexuelle est abordée. On a compris que Billy est pédophile et sans doute incestueux. Cette mère immorale et ordurière décide alors d’affronter directement le flic (car Julian n’a pas de couilles) dans un karaoké où les filles portent des robes du 18ème siècle donnant la plus belle scène du film.

Quant à Julian, il est clairement masochiste comme le montre la scène de fantasme où Maï l’attache, comme le montre sa volonté de se voir couper les mains, comme le montre son visage tuméfié par les coups du flic. Ryan Gosling est encore plus mutique que dans Drive et encore plus désespéré que Mads Mikkelsen dans Valhalla rising, et c’est plutôt à ce dernier film, le meilleur de Refn, qu’il faut comparer Only God forgives qui décevra forcément ceux qui s’attendent à une nouvelle version de Drive. Cela dit, je crois que la presse dans sa grande majorité a déjà bien montré sa déception. Le film n’est pas dénué d’écueils (une gamine pour faire un peu de bons sentiments), accuse une ou deux longueurs, mais sa richesse formelle (personne ne filme en rouge comme le cinéaste) et son vrai sujet (la misère sexuelle) sont exceptionnels.

Only God forgives (Danemark – France, 2012) Un film de Nicolas Winding Refn avec Ryan Gosling, Kristin Scott Thomas, Vithaya Pansringarm, Tom Burke, Ratha Phongam.

jeudi 23 mai 2013

Tourments


Veuve de guerre, Reiko (Hideko Takamine), pas encore quarante ans tient une petite épicerie dans la banlieue de Tokyo. Elle vie avec sa belle-mère Shizu (Aiko Mimasu), elle aussi veuve et son jeune beau-frère Koji (Yūzō Kayama), âgé de 25 ans. Toute sa vie va changer avec l’arrivée d’un supermarché dans le quartier. Ce magasin d’un nouveau genre à l’époque propose des produits bien moins chers que dans l’épicerie de Reiko, l’œuf est à 5 yens au lieu de 11, mais aussi fait de la publicité dans les rues avec un camion équipé de hauts parleurs. A tel point que la musique que le camion diffuse devient presque angoissante tant ce supermarché incarne pour tous les petits commerçants du voisinage leur propre fin.

Le premier souci de Tourments est donc la perte de clients ce qui signifie une éventuelle fermeture. Koji, qui aime boire du saké et mène une vie de patachon depuis qu’il est chômeur, ne supporte pas la morgue de ses concurrents. Dans un bar, il se bat contre le gérant qui s’amuse à manger des tas d’œufs si bon marché. Koji, fou de rage, lui lance que le Japon compte trop de pauvres pour gaspiller ainsi la nourriture. L’un des voisins se suicide, laissant une femme et une fille, devant la perte de sa clientèle. Le garçon livreur décide de partir sous d’autres cieux et c’est Koji qui le remplace, trimballant sur le porte bagage de son vélo les bouteilles de saké et les boites de conserve.

L’autre tourment est la place de Reiko au sein même de cette famille. Veuve depuis la guerre (elle garde un portrait de son époux dans la chambre), sa belle-mère ne sait pas si un jour elle va se remarier. Que pourra-t-il se passer quand Koji va se marier et qu’il reprendra le magasin avec son épouse ? Les deux autres filles de la belle-mère, mariée et bien établies, suggèrent de transformer l’épicerie en supermarché. Là aussi des questions se posent sur la place de Reiko. Les deux sœurs ne sont pas montrées très à leur avantage, elles font tout pour convaincre leur mère de pousser vers la porte de sortie leur belle-sœur, bien que celle-ci se soit occupé toute sa vie du magasin. Les deux belles-sœurs, bien coiffées et bien vêtues, sont deux arrivistes pour lesquelles le cinéaste n’a aucune sympathie. Elles font semblant de se soucier de Reiko mais veulent s’en débarrasser.

Koji aurait pu devenir le manager de ce supermarché s’il n’avait pas totalement changé de comportement. D’oisif, il est devenu très actif, aidant constamment Rieko et commence enfin à sourire. Tourments, avec une grande subtilité, montre que le jeune homme est amoureux de sa belle-sœur et qu’il ne sait pas comment lui dire. Ce tournant dans le récit provoque des réactions opposées et des discussions franches entre Rieko et Koji avec ce style incomparable de Mikio Naruse : la discussion en marchant. Mais c’est dans une sublime scène de train quand elle décide de quitter Tokyo que le film devient émouvant. Koji a décidé de la suivre mais n’a pas de place. Le voyage est long, il est debout puis petit à petit, tandis que le wagon se vide, il se rapproche de Reiko, ne dit rien, leurs deux regards se confrontent, enfin, ils sont assis l’un à côté de l’autre. Cette longue séquence à la fois poignante et drôle montre toute la maîtrise du cinéaste dans l’un de ses derniers films.

Tourments (乱れる, Japon, 1964) Un film de Mikio Naruse avec Hideko Takamine, Yūzō Kayama, Mitsuko Kusabue, Yumi Shirakawa, Mie Hama, Aiko Mimasu.

Sorties à Hong Kong (mai 2013) Christmas Rose


Christmas Rose (聖誕玫瑰, Hong Kong, 2013) 
Un film de Charlie Young avec Aaron Kwok, Xia Yu, Kwai Lun-mei, Qin Hai-lu, Liu Kai-chi, Wan Qian, Chang Chen, Kam Kwok-leung, Pat Ha, Theresa Lee. 90 minutes. Classé Catégorie IIA. Sortie à Hong Kong : 23 mai 2013.

lundi 20 mai 2013

Au gré du courant


Quelques mois après avoir perdu son mari et son fils, Rika (Kinuyo Tanaka) part à Tokyo pour se faire embaucher comme bonne par Madame Tsuta (Isuzu Yamada), patronne d’une maison de geishas. Très affable, Rika se voit immédiatement renommer par sa patronne Oharu et commence à travailler : ménage, repas, linge. Elle s’aperçoit vite en allant chez les commerçants du quartier que la maison Tsuta a tant que dettes qu’on lui refuse de faire crédit pour les produits qu’elle veut acheter. Elle comprend aussi que l’une des geishas, mal payée, quitte la maison en colère. De plus, Otoyo (Natsuko Kahara), sœur de Tsuta vient chaque moi réclamer l’argent prêté. C’est la faillite et Rika découvre en même temps que le spectateur l’état de la maison. L’argent sera l’un des sujets majeurs du film, Tsuta, dans sa sourde fierté, préfère s’endetter plutôt que de suivre les conseils d’une autre geisha et de rencontrer un homme d’affaires qui semble avoir de l’affection pour elle.

Au gré du courant suit la vie de toutes les femmes de la maison, toutes aux caractères différents. D’abord la famille de Tsuta. Sa fille, Katsuya (Hideko Takamine) qui ne sait pas de quoi son avenir sera fait. Elle ne veut pas devenir geisha, cherche en vain du travail et finira par apprendre la couture, ce qui ne plait pas à sa mère qui voit une déchéance sociale. Elle va rencontrer le fils d’un riche homme d’affaires mais ne se sent pas prête à se marier. L’amour semble impossible pour elle compte tenu de la situation. Ensuite la deuxième sœur de Tsuta, Yoneko (Chieko Nakakita) qui habite au rez-de-chaussée de la maison, qui ne travaille pas mais qui a une fille de six ans, la petite Fujiko pour qui Rika va se prendre d’affection sans doute pour compenser la perte de son propre fils. Yoneko a été quittée par son époux et quand l’enfant tombe malade, son beau-frère viendra apporter un peu d’argent pour la faire soigner. Ensuite, les autres geishas vivant là, la vieille Someka (Haruko Sugimura) et la jeune Nanako (Mariko Okada), qui finira à partir de la maison pour trouver des clients.

Loin d’être un drame continu, le film trouve parfois le ton de la comédie sous un mode ironique. Le personnage de Someka, geisha cinquantenaire sans client est pince sans rire, se moquant de la radinerie d’Otoyo quand elle vient quémander son argent. Someka et Rika partagent beaucoup de secrets, se racontent tout et deviennent complices tandis que la Maison de geishas n’en finit pas tomber dans la déchéance. Au gré du courant est un film essentiellement féminin, les hommes sont rares et souvent lâches ou antipathiques, comme l’oncle de la geisha qui a quitté la maison et qui vient, lui aussi, réclamer l’argent de sa nièce. Le film quitte rarement la maison créant de plus en plus une atmosphère étouffante au fur et à mesure que les tensions entre ses occupantes s’accentuent. La fierté et l’inconséquence de la patronne finira par causer la perte de sa maison, car comme le dit un des personnages en début de film « madame Tsuta préfère s’occuper de ses chats que de ses filles », ce à quoi elle rétorque qu’une maison de geishas peut paraître enivrante vue de l’extérieur mais elle est horrible vue de l’intérieur et c’est ce point de vue intérieur que Mikio Naruse montre dans Au gré du courant.

Au gré du courant (流れる, Japon, 1956) Un film de Mikio Naruse avec Kinuyo Tanaka, Isuzu Yamada, Hideko Takamine, Mariko Okada, Haruko Sugimura, Sumiko Kurishima, Chieko Nakakita, Natsuko Kahara, Seiji Miyaguchi, Daisuke Katō, Nobuo Nakamura, Kumeko Otowa.

samedi 18 mai 2013

To err is humane


Le bon gros Ting (Sammo Hung), employé docile et serviable de Madame Chou (Leung San), une marchande deb bijoux, est attaqué après une vente importante de diamants. On lui dérobe la valise pleine de l’argent du marché alors qu’il est en compagnie de son manager (Charlie Cho) qui l’accuse immédiatement d’être le complice du vol. Le pauvre Ting, qui se voit sommer de rembourse la somme, rumine sa rancœur tout haut dans les toilettes de la boite. Cela ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd quand Piu (Kenny Bee) l’écoute discrètement échafauder son plan pour avoir de l’argent : enlever Madame Chou et demander une rançon. Piu se dit qu’il pourra lui aussi récupérer ce pactole d’autant qu’il se fait engueuler pour sa paresse par le manager. Il se voit en super héros vengeur contre ses patrons dans une scène en référence à The Flying Mr. B., l’un des succès de l’époque de Kenny Bee.

Ting fait son kidnapping mais se trompe de personne. Il enlève Jo Chou (Joey Wong), la fille du patron qui portait le manteau de Madame Chou. Il ne s’en aperçoit pas tout de suite, téléphone à Monsieur Chou (Mui Yan) qui lui rétorque que sa femme est devant lui. Puis, il reçoit un appel de Piu qui est allé chez Ting prendre Jo. Piu décide de faire chanter Ting mais ce dernier pense qu’il n’a enlevé personne. Ce que Ting ne comprend pas c’est comment ce maître-chanteur (qui reste anonyme) connait tout de lui, sait ce qu’il a fait et parvient à toujours le retrouver. Pendant ce temps, la police met l’inspecteur Wang (Anthony Chan) sur l’enquête et propose à Ting d’apporter lui-même la rançon au kidnappeur, c'est-à-dire à lui-même. Seulement voilà, Madame Chou n’aime pas trop sa belle-fille et préférerait qu’elle ne réapparaisse plus afin de profiter seule de la fortune de son mari. Elle ne va pas leur faciliter la tache et va même jusqu’à leur proposer de se débarrasser de Jo, à leur grand étonnement.

Les quiproquos vont s’enchainer avec Ting et Piu qui par leur grande incompétence vont aller d’échec en échec dans leur tentative de ramasser le magot des Chou. Séparés, ils étaient maladroits et pas bien malins, à deux ils doubleront leurs erreurs. Chaque situation se termine en catastrophe et produit un nouveau problème qui se retourne contre eux. Car dans la deuxième moitié de To err is humane, les deux kidnappeurs vont unir leur force. Le film joue surtout sur le comique de situations avec certains gags particulièrement bien joués par les deux acteurs qui n’hésitent pas à faire les idiots. Kenny Bee fait croire à Jo Chou qu’il est un docteur mais se trompe de voix puis il se transforme en domestique débile. Sammo Hung montre à Jo comment faire un cri de femme angoissée pour enregistrer un message à son père et propose plusieurs cris à choisir. Les scènes de filature de l’inspecteur Wang où tous ses hommes sont censés passer inaperçus mais sont encore plus visibles montrent que l’incompétence est partout. Les caméos de Wu Ma (en tatoueur fou) et de Bolo Yeung (lors d’une énième tentative d’apporter la rançon) sont également croustillantes.

To err is humane (標錯參, Hong Kong, 1987) Un film d’Alfred Cheung avec Sammo Hung, Kenny Bee, Joey Wong, Anthony Chan, Ng Man-tat, Leung San, Mui Yan, Charlie Cho, Carrie Ng, Wu Ma, Bolo Yeung, Shing Fui-on.

mercredi 15 mai 2013

Frère aîné sœur cadette


Jeune étudiante à Tokyo, San (Yoshiko Kuga) retourne dans le petit village de ses parents. C’est l’été, il fait chaud, des enfants se baignent dans la rivière. Son père Akara (Reisaburô Yamamoto), autrefois vendeur de galets, a vu son affaire s’effondrer avec la construction de digues en béton. Sa mère Riki (Kumeko Urabe) tient une petite boutique de pâtisseries et sorbets. Dans le foyer, San retrouve sa grande sœur Mon (Machiko Kyô), honte de la famille pour avoir été mise enceinte par un étudiant. Elle passe son temps à dormir et ne sait pas de quoi son avenir sera fait. Le frère aîné Ino (Masayuki Mori), marbrier de pompes funèbres, dépense toute sa paie dans les jeux de hasard et en prostituées. Le ton de Frère aîné sœur cadette est celui de la déprime, tous les personnages du film subissent leur sort avec la conscience qu’ils sont incapables de changer de cours des choses.

Mon est considérée par les voisins comme un moins que rien. D’ailleurs, à cause de cette grossesse hors mariage, les parents adoptifs de Taichi (Yûji Hori), fabricants de nouilles, refusent qu’il voie San, pourtant une jeune fille tout à fait respectable qui espère devenir infirmière. Taichi et San tentent de se rencontrer en cachette, ils envisagent de s’enfuir à Tokyo mais renoncent devant la peur de se voir exclus de leurs familles respectives. Taichi acceptera d’épouser la fiancée que ses parents lui auront choisie. Le plus violent avec Mon est son grand frère qui insulte sa sœur cadette, qui la traite de moins que rien. Cette violence, à la fois verbale et physique quand il la giflera brutalement, est inédite dans le cinéma de Mikio Naruse. Teigneux, Ino est aussi imprévisible et va suivre Kobata (Eiji Funakoshi), l’étudiant qui a mis enceinte Mon et le frapper avant de lui faire jurer de ne jamais revenir la voir.

La pauvre mère fait bien ce qu’elle peut pour que la violence de son fils se dissipe, pour qu’il se calme, mais, teigneux, il revient à la charge. Les pleurs et les cris se déchainent avec autant d’abondance que les déceptions amoureuses de deux jeunes femmes. Dans un dialogue avec sa petite sœur San, Ino avoue qu’il se sent abandonné par Mon. Il explique qu’il a passé toute sa vie à prendre soin d’elle et qu’il a dormi dans le même lit qu’elle jusqu’à leur majorité. Il se sent trompé comme si elle était sôn épouse. Frère aîné sœur cadette est un grand drame sur la frustration de ces personnages, frustration sexuelle (les prostituées, Mon rejetée, San qui ne peut pas s’épanouir) mais aussi frustration sociale où la bonne opinion du voisinage compte plus que le bonheur individuel. La mère, lors des disputes, a moins peur des coups que Mon reçoit que du fait que les voisins pourraient tout entendre. Le seul espoir pour les deux sœurs est de partir du village et de trouver une vie meilleure en décidant de prendre leur vie en main.

Frère aîné sœur cadette (あにいもうと, Japon, 1953) Un film de Mikio Naruse avec Machiko Kyô, Masayuki Mori, Yoshiko Kuga, Yûji Hori, Eiji Funakoshi, Reisaburô Yamamoto, Kumeko Urabe.

mardi 14 mai 2013

The Long goodbye

Ancien soldat vietnamien lors du conflit mené pour supprimer le pouvoir khmer rouge en 1979, Yuen Lik (Chow Yun-fat) s'est depuis exilé à Hong Kong. Il est devenu tueur à gages pour la mafia vietnamienne issue de la diaspora. Son passé de soldat le traumatise, il se souvient (à grand coup de flashback) d'un épisode horrible de la guerre où son supérieur le force à abattre une famille dont la mère tient son bébé dans les bras. Il s'est aussi fait pas mal d'ennemis dont un autre bidasse qu'il a été forcé d'abandonner dans un piège remplie de piquets pointus. Cet homme, désormais estropié, va aller le poursuivre jusqu'à Hong Kong. L'une des ambitions de The Long goodbye est sans doute de montrer, à la fois la misère de la vie des boat people exilés dans la colonie britannique, ces hommes livrés à eux-mêmes, et à la fois que la guerre c'est mal et que ça rend fou. Dans les deux cas, le cinéaste filme la douleur avec complaisance en appuyant bien sur les effets sanguinolents et au ralenti.

A côté de ces activités clandestines de tueur, Yuen Lik a un métier plus officiel : il est cascadeur pour le cinéma. C'est lors d'un tournage qu'il rencontre Pui Lam (Rosamund Kwan). Elle est journaliste à la télévision et enquête sur une série de meurtres sanglants commis récemment à Hong Kong. Pugnace, elle n'hésite pas à poser des questions qui dérangent au chef de la police. Ce que Pui Lam ignore quand elle rencontre Yuen Lik, c'est que ce dernier a tué son père lors d'un contrat. La jeune journaliste s'inquiète de ne plus voir son père depuis des jours. Il va sans dire que Yuen Lik et Pui Lam vont tomber amoureux l'un de l'autre. Le suspense, bien naïf, repose alors sur le temps que mettra la jeune femme à découvrir le lourd passif de son nouveau petit ami. Cette profession de tueur à gages sera révélée lors d'un accident de tournage (un explosif brûle Yuen Lik) où, Pui Lam comprend le statut de son homme.

Le film n'est pas sans mauvais goût sans tomber, hélas, dans le nanar qui permettrait de sourire un peu. Un exemple parmi d'autres : après s'être bien chauffés l'un l'autre, le couple vedette commence à s'embrasser sous des néons d'un cinéma puis finit dans la chambre. Pour appuyer leur romance, on entend la chanson Take my breath away chanté en cantonais tandis que défilent des images en flashback montrant les moments où Yuen Lik et Pui Lam se se rencontrés et découverts. Ils finissent par faire l'amour sur l'affiche du film Salut l'artiste d'Yves Robert. Pourquoi ? Je ne sais pas mais ce que je sais que cette scène est du remplissage. The Long goodbye, somme toute assez ennuyeux, bourré d'incohérences (Yuen Lik brûlé au visage porte un imposant bandage sur le visage se retrouve la séquence suivante sans aucune cicatrice car on n’abîme pas le visage de la star Chow Yun-fat) ne vaut que parce qu'il est le premier film de Rosamund Kwan. C'est bien peu.

The Long goodbye (獵頭 , Hong Kong, 1982) Un film de Lau Shing-hon avec Chow Yun-fat, Rosamund Kwan, Wan Chi-keung, Phillip Chan, O Chun-hung, Tang Ching, Flora Cheung, Melvin Wong, Ng Hong-sang, Lo Wai, Tsang Choh-lam, Stephan Yip, Yat Boon-chai, Wong Hak.

samedi 11 mai 2013

Le Grondement de la montagne


Le sourire de Setsuko Hara est l’une des merveilles du cinéma japonais. L’actrice incarne dans Le Grondement de la montagne Kikuko, jeune femme pleine d’entrain, qui accueille son beau père, Shingo Ogata (Sō Yamamura) avec ce sourire plein de grâce qui illumine les films de Mikio Naruse ou Yasujiro Ozu dans lesquels elle joue. Derrière une palissade, le beau-père admire un magnifique tournesol qui le met en joie, il ne fait ainsi que le comparer avec le sourire de sa belle-fille. L’idée majeure du film, drame sur l’adultère, est de le faire perdre tandis que les tensions augmentent dans la coquette maison de la banlieue de Tokyo.

La séquence d’ouverture annonce que Suichi (Ken Uehara) a une maîtresse. C’est la colocataire de sa secrétaire. Il aime, après le travail, aller danser avec elle, il aime écouter sa maîtresse chanter. Le père, qui a bien compris le manège de son fils qui lui affirme que sa maîtresse est comme l’eau d’un torrent tandis que Kikuko est comme l’eau d’un lac. Arrivé tard au foyer, Suichi est froid. L’épouse qui le reçoit avec son large sourire, le perd vite quand il refuse le repas, le bain et la serviette qu’elle lui propose. Il la considère comme une enfant tout juste bonne à servir de domestique à la maison. Sur ce point, la mère Yasuko (Teruko Nagaoka) est d’accord sur le supposé manque de caractère de sa belle-fille. Elle sera d’ailleurs tout étonnée lorsque Kikuko prend une décision, la plus importante de sa vie.

L’arrivée de Fusako (Chieko Nakakita), la sœur cadette de Suichi, qui a quitté son mari avec ses deux enfants, va accentuer le malaise de la famille. Fusako a décidé de prendre du large et cela va influencer le destin de Kikuko. Cette dernière aide la famille à faire à manger. Quand, un jour, elle oublie de se lever, elle s’excuse platement. La comparaison entre les deux femmes augmente par rapport aux enfants. Kikuko n’est pas encore mère, au grand désespoir de sa belle-mère qui rêve d’être grand-mère. Comme souvent chez Mikio Naruse, le doute sur qui, de Kikuko et Suichi, ne veut pas un enfant, demeure irrésolu. Le ton du film se fait de plus en plus amer, le visage de Kikuko se ferme de plus en plus, pour poursuivre la métaphore, le tournesol est brisé par un violent orage.

Parce qu’il a de l’affection pour sa belle-fille, Shingo va tout faire pour rétablir la situation. Discuter avec le fils adultère, convaincre la secrétaire de donner le nom de la maîtresse, parler avec Kikuko des problèmes qu’elle rencontre. Le film s’apparente à une enquête policière où le chef de famille finit par comprendre que le vrai responsable n’est aucun des membres de la famille mais plutôt la manière dont elle est agencée où les jeunes couples doivent vivre avec les parents du fils. Le Gondement de la montagne, tiré d’un roman de Kawabata, analyse, avec sérénité et force, la situation d’un Japon encore engoncé dans une tradition qui brise les couples. Lors de la dernière et émouvante séquence, le beau-père console sa belle-fille qui pleure toutes les larmes de son corps pour enfin retrouver son sourire. On ne peut pas enlever le sourire de Setsuko Hara.

Le Grondement de la montagne (山の音, Japon, 1953) Un film de Mikio Naruse avec Setsuko Hara, Ken Uehara, Sō Yamamura, Teruko Nagaoka, Yōko Sugi, Chieko Nakakita. 

vendredi 10 mai 2013

Lost in Thailand


Comme tout buddy movie qui se respecte, deux personnages au caractère très différents vont se rencontrer dans Lost in Thailand pour une aventure pleine de rebondissements et de catastrophe en tout genre. Le premier est Xu Leng (Xu Zheng, également réalisateur), scientifique bon chic bon genre (il porte des chemises et des lunettes de marque), inventeur d’une formule qui permettra de faire des économies de pétrole. Sa calvitie l’oppose physiquement à Baobao (Wang Vaoqiang), aux cheveux jaunes et aux vêtements mal assortis. Il exerce la belle profession de cuisinier et sa spécialité est le gâteau aux oignons. Le premier est marié et a une petite fille (mais en instance de divorce), le second est célibataire et rêve de rencontrer Fan Bingbing, la célèbre bimbo du cinéma chinois, qu’il présente comme sa fiancée (en tout cas, il fantasme romantiquement sur elle).

Ils se rencontrent dans l’avion qui les mène en Thaïlande. Leur but est là aussi différent. Xu Leng part en voyage d’affaires et Baobao en vacances avec l’espoir de pouvoir découvrir tous les clichés du pays. Il a même établi une liste de choses immanquables, dont monter sur un éléphant, faire de la boxe thaïe ou rencontrer les fameux ladyboys, ces travestis prostitués. Un troisième larron va venir troubler le voyage Gao Bo (Huang Bo, le roi singe dans Journey to the West : Conquering the demons de Stephen Chow et Derek Kwok), collègue rival de Xu Leng cherche à lui ravir le contrat qu’il part signer au fin de la Thaïlande où se repose son patron. Gao Bo met dans le téléphone de son concurrent une puce pour le suivre partout, Xu Leng s’en aperçoit et place son mobile dans la valise de Baobao, afin de brouiller les pistes. Quand ce dernier s’en rend compte, il cherche à retrouver Xu Leng pour lui rendre son téléphone.

Son nouvel ami devient vite très encombrant. Baobao déborde de gentillesse devant Xu Leng qui ne la lui rend pas. Bien au contraire, il s’énerve très vite quand son compagnon veut s’arrêter pour prendre des photos et les poster sur Weibo (le Facebook chinois), manger un bout plutôt que d’avancer. Comme il ne parle ni anglais ni thaïlandais, Xu Leng doit lui servir d’interprète partout où ils vont. De son côté, Baobao prête son passeport pour pouvoir prendre une chambre dans un hôtel. Et puis, il y a l’adresse du patron à trouver (il est retiré dans une pagode), Baobao réussit à faire en sorte que les données envoyées par l’assistante de Xu Leng par mail ne soient jamais disponibles : il retire la clé 3G ou il balance un seau d’eau. Chaque fois, Xu Leng pense avoir l’information mais l’inconséquence de Baobao provoque une petite catastrophe. Sa naïveté aura, juste retour des choses, parfois du bon comme quand, inconsciemment, il attrape un serpent menaçant et lui fracasse la tête, quand il se sert de la seule botte de boxe thaïe qu’il connait face à un adversaire.

Certains gags font mouche et sont très drôles tant les deux acteurs se donnent à fond dans l’antagonisme de leur caractère. Chacun a son objet fétiche, Xu Leng son ordinateur et Baobao un cactus qu'il trimballe partour avec lui. Les deux hommes vont devoir s’unir pour combattre d’abord Gao Bo qui les retrouve sans cesse quel que soit le lieu où ils se rendent. Il est d’autant plus énervé que Baobao lui a raconté que Xu Leng le trompait avec sa femme, bobard destiné à ne pas dire la vérité sur la raison de son voyage. Sur leur chemin, ils rencontrent la mafia thaïlandaise qui trafique des antiquités locales. Dans la dernière partie, au beau milieu de la forêt, tout le monde va s’affronter dans un grand n’importe quoi scénaristique. Pendant, ce temps, Xu Leng tente de se réconcilier avec son épouse An An (Tao Hong), histoire de mettre dans le récit un peu d’humanité dans son personnage. Comme on s’en doute, ce voyage va rapprocher les deux hommes, ils vont se comprendre et s’apprécier, à grand renfort de musique sirupeuse, comme souvent dans le buddy movie.

Lost in Thailand (人再囧途之泰囧, Chine, 2012) Un film de Xu Zheng avec Xu Zheng, Wang Baoqiang, Huang Bo, Tao Hong, Xie Nan, Fan Bing-bing.   

jeudi 9 mai 2013

Sorties à Hong Kong (mai 2013) I love you, Mom



I love you, Mom (媽媽,我愛您, Hong Kong, 2013)
Un film de Casey Chan avec Priscilla Wong, Gigi Wong, Wang Kai. 94 minutes. Classé Catégorie I. Sortie à Hong Kong : 9 mai 2013.

mercredi 8 mai 2013

Sortie en France d'Une vie simple d'Ann Hui

La sortie en salles d'Une vie simple est une bonne nouvelle. Ann Hui, hormis quelques éditions en dvd, a rarement eu la chance de voir ses films distribués. 29 cinémas proposent le film, il ne faut pas hésiter tant la qualité du dernier film de la réalisatrice est grande. Le film a reçu en 2012 les principaux Hong Kong Film Awards. Ann Hui poursuit ainsi son analyse de la vieillesse en Chine et à Hong Kong, après The Postmodern life of my aunt en 2007 et The Way we are en 2008

Mon texte sur Une vie simple.


mardi 7 mai 2013

Stoker


Puisque Stoker est sorti la semaine dernière dans une quasi indifférence, autant en dire quelques mots et je commencerai par dire que le film de Park Chan-wook est largement meilleur que Le Dernier rempart de Kim Jee-woon, ce qui n’est pas un exploit en soi. Pour lancer ce thriller, quoi de mieux que de découvrir ses personnages au cimetière lors de l’enterrement de Richard Stoker (Dermot Mulroney qui n’apparait que dans les rares flashbacks). Sa veuve Evie (Nicole Kidman, embauchée ici pour évoquer les souvenirs du film d’Alejandro Amenabar, Les Autres) et sa fille India (Mia Wasikowska), à peine 18 ans,  observent au loin une silhouette. C’est celle de Charlie (Matthew Goode), le jeune frère du défunt que personne n’avait jamais vu. Il est enfin revenu de ses nombreux voyages de par le monde pour rencontrer la famille de son frère.

Direction la grande maison familiale aux murs blancs au milieu d’un parc. Beaucoup de chambres, pas mal de couloir, un escalier, une cave sombre. Au rez-de-chaussée, un piano se trouve au milieu du salon. India en joue parfois (des morceaux composés par Philip Glass) ou sa mère. La vieille bonne (Phyllis Somerville) n’en croit pas ses yeux quand Evie invite Charlie chez elle. Ce dernier va s’engueuler avec la bonne dans la serre. La bonne ne réapparaitra plus jamais. Puis, une tante vient leur rendre visite. Evie, plutôt que de l’inviter, la met fermement mais poliment dehors. Elle ira dans un motel. Charlie la rejoint et l’étrangle avec sa ceinture. Elle non plus ne réapparaitra jamais. On a bien compris au regard fixe de Charlie que tout ne tourne pas rond dans sa tête. Mais sa belle sœur continue de vouloir le garder près d’elle. En peignoir de soie, un verre de blanc à la main, elle semble l’aguicher.

La bizarrerie des personnages remplace la violence de ceux des films coréens de Park Chan-wook. India collectionne les chaussures blanches, les seules qu’elle porte. Toujours habillée strictement, comme sa mère, elle détonne au milieu des autres ados. Son père l’a initié à la chasse, et sa mère lui reproche toujours de n’avoir jamais passé du temps avec elle à cause des parties de chasse. Taiseuse, elle ne parle jamais avec ses camarades de lycée, sauf avec Whip (Alden Ehrenreich) qui viendra la défendre quand elle se fait harceler. Charlie tente de sympathiser avec elle. Il la suit dans sa voiture de sport au lycée, elle refuse de monter dedans préférant la pluie à son contact. Petit à petit, il va l’amadouer et elle va commencer à rentrer dans son monde passablement dégénéré. A la toute dernière demi-heure de Stoker, on a l’impression que le film commençe enfin. India découvre tout une liasse de lettres envoyés lors de ses voyages par Charlie, courriers cachées par son père depuis toujours dans un tiroir.

La révélation de l’esprit dérangé de Charlie n’est pas le retournement final sous forme d’explication le plus passionnant du cinéma. Loin de là. On croyait aller vers le fantastique, on se retrouve avec un film psychologique. Le scénario, souvent balourd, est illustré de manière assez banal par les images de Park Chan-wook. Le cinéaste tente plutôt de mettre le doute dans le spectateur sur la véracité des faits que l’on voit. Le personnage d’apparence très sage de Charlie est-il vraiment le monstre décrit ? Peut-être tout cela est un fantasme morbide d’India, comme le suggère le meurtre de Whip dans une forêt qui viendra hanter l’esprit de la jeune femme. Le film laisse également à penser qu’India aurait pu tomber amoureuse de son oncle. Une scène sous la douche commence comme un hommage à Psychose pour se terminer, ridiculement, par une masturbation. Sans doute comptait-il poursuivre son œuvre de trublion du cinéma en choquant le spectateur, en fin de compte, Stoker provoque un certain ennui, comme si on s’était habitué à tout le cirque de Park Chan-wook qui a du mal à trouver un nouvel élan.

Stoker (Etats-Unis – Grande Bretagne, 2012) Un film de Park Chan-wook avec Mia Wasikowska, Nicole Kidman, Matthew Goode, Phyllis Somerville, Alden Ehrenreich, Dermot Mulroney.

lundi 6 mai 2013

Okasan La Mère


Unique film de Mikio Naruse sorti en France de son vivant, La Mère a longtemps été montré dans les ciné-clubs (souvent sous le titre mixte Okasan La Mère) comme exemple du cinéma néo-réaliste japonais. Toute la famille Fukuhara est présentée en voix off par la fille aînée Toshiko (Kyôko Kagawa) : Susumo (Akihiko Katayama) son frère aîné malade et constamment couché, sa petite sœur coquette Chako (Yônosuke Toba), Tetsuo (Atsuko Ichinomiya) le jeune cousin « adopté » par Ryosuke (Masao Mishima), le père blanchisseur surnommé Popeye et bien entendu la mère Masako (Kinuyo Tanaka). L’argent manque à la famille, le père est criblé de dettes et pour l’instant il est obligé de travailler en usine tout en espérant pouvoir rouvrir son commerce détruit pendant la guerre. Qui plus est, la famille élève Tetsuo, fils de la sœur de la mère veuve de guerre et le fils ne peut pas travailler compte tenu de son état. La Mère n’a pas un vrai récit fort construit autour des membres de la famille, mais propose plutôt une chronique avec des saynètes marquantes narrées de manière elliptique (la mort du frère et du père) et des moments anecdotiques (la petite sœur pleure de sa nouvelle coupe de cheveux).

La mère va donc vendre des confiseries devant un cinéma et sympathise avec la dame qui tient un étal à côté. Toshiko tient également une petite boutique : biscuits chauds en hiver et glaces en été. Chaque jour, Shinjiro (Eiji Okada) le fils du boulanger vient lui acheter quelque chose. Il est amoureux d’elle, elle n’ose pas encore se laisser séduire (elle est si jeune). Ils partagent la même chanson pour la chanson. Lors d’une kermesse, elle chante un morceau traditionnel avec sa sœur, habillées en kimino traditionnel, il entonne une chanson moderne. Ce sont deux mondes qui s’opposent, la tradition contre la modernité. Shinjiro sera un personnage excentrique et charmant que ne comprennent pas ses parents. Il invite Toshiko a un pique-nique, prépare un pâté à la forme étrange qu’il appelle Picasso mais la jeune femme vient, à son grand dam, avec Chako et Tetsuo. Elle n’avait pas compris qu’il s’agissait d’un rendez-vous galant. Plus tard, elle essaye une robe de mariée kimono, pour rendre service à sa tante ce qui désespère le jeune homme persuadé qu’elle va se marier avec un autre.

Cette structure qui alterne les courts moments très dramatiques avec les plus longues scènes de la vie quotidienne crée une rythmique forte qui rend le film passionnant, touchant et drôle de bout en bout. C’est cette vie quotidienne constituée d’éléments neutres qui fournit la charpente du scénario. Okasan La Mère est un film d’une grande cruauté pour ses personnages : mort du frère et du père, Chako ira vivre chez son oncle, Masako, la mère ne se voit même pas proposer le mariage par Kimura, le collègue de feu son époux. C’est justement le caractère elliptique des transitions qui permet de supporter tous ces malheurs. Ainsi la mort du frère est annoncée dans une scène très brève où une voisine rencontre Toshiko et lui demande si elle va fleurir la tombe de Susumo. La violence de l’échange, la pudeur avec lequel il est mis en scène et le fait que Mikio Naruse emmène immédiatement son film vers autre chose, crée une forte émotion. Le film est formellement d’une grande beauté, plein de surprises narratives (un carton « FIN » au beau milieu du film) et souvent très drôle grâce au fils du boulanger et au petit Tetsuo. Tourné entre le génial Le Repas et l’admirable L’Eclair, Okasan La Mère a tout du chef d’œuvre à redécouvrir.

Okasan La Mère (おかあさん, Japon, 1952) Un film de Mikio Naruse avec Kinuyo Tanaka, Kyôko Kagawa, Eiji Okada, Akihiko Katayama, Daisuke Katô, Yônosuke Toba, Masao Mishima, Chieko Nakakita, Atsuko Ichinomiya, Noriko Honma, Sadako Sawamura.

dimanche 5 mai 2013

Journey to the West : Conquering the demons


Stephen Chow est de retour, cinq ans après CJ7. De retour derrière la caméra avec un nouveau comparse, Derek Kwok (auteur de l’excellent Gallants), mais pas en tant qu’acteur (dommage, mais sans doute pour ne pas faire de l’ombre aux autres acteurs tous très bons). On n’a pas compté les fausses annonces depuis son dernier film sur les projets de Stephen Chow : suites de ses différents films (au choix, King of comedy, Shaolin soccer ou Crazy kung-fu), aucun projet n’a abouti. On a cru qu’il avait fait une courte apparition dans les films chinois historiques sur Mao, Founding of a republic et Beginning of the great revival, en vain. Pour l’admirateur que je suis de Stephen Chow, l’attente a été très longue. C’est d’ailleurs un phénomène assez intéressant de constater ainsi l’absence d’une des plus importantes stars du cinéma de Hong Kong pendant des années. Mais voilà, Journey to the West : conquering the demons est enfin là, et bien là, proposant une nouvelle vision de l’histoire du Roi singe (la pérégrination vers l’ouest) de Wu Cheng-en.

Les deux personnages principaux, d’une part Chen Xuanzhang (Wen Zhang) et d’autre part Duan (Shu Qi) se rencontrent dans un petit village de pêcheurs où un homme vient de se faire avaler par un démon aquatique. Un prêtre taoïste prétend pouvoir le chasser. Armé de son sabre de bois, il lance dans le lac une bombe qui fait exploser une raie géante montrée comme ce démon. Il reçoit un joli paquet d’argent de la part des villageois qui voient en lui un sauveur. Seulement voilà, Chen Xuanzhang débarque à ce moment-là, affirme que le démon est encore là, contredit le taoïste et donc le village qui préfère croire le charlatan. Notre homme est attaché et, bien entendu, le démon poisson attaque et dévore d’autres victimes, y compris la petite fille du premier homme chassé. C’est à ce moment précis, tandis qu’il tente de leur donner des conseils sur le monstre, que Duan apparait et vient à sa rescousse. Chacun est un chasseur de démons, mais aux méthodes bien différentes. Duan est pour la méthode forte, attaquer et détruire le démon puis récupérer l’argent, Chen Xuanzhang est moins vénal, croit à la rédemption des monstres et leur chante des comptines enfantines, suivant la discipline de son gentil sifu, un gros chauve portant perruque.



Cette séquence d’introduction (un quart d’heure quand même) est la plus belle ouverture de film vue depuis des lustres. Les effets spéciaux sont maîtrisés, le comique est varié (situation avec la bêtise des villageois, gags visuels sur les trognes des personnages), suspense, action. Tout concours à faire de cette première partie, d’une beauté sidérante, un sommet de mise en scène. Le plus formidable dans Journey to the West : conquering the demons est que cette beauté formelle se poursuit avec la rencontre d’un autre démon (un cochon qui tue ses victimes dans le restaurant qu’il tient), d’abord présenté comme un homme au si doux sourire, se déplaçant comme dans un opéra chinois. Deuxième rencontre entre Chen Xuanzhang et Duan, deuxième séparation. Et encore une troisième attaque de démons dans la forêt, et une nouvelle galerie de personnages hauts en couleurs, à la fois les comparses de Duan dans un tank extravagant et d’autres chasseurs de démons prétentieux et vaniteux. Le pouvoir comique est à son paroxysme, Stephen Chow et Derek Kwok ironise sur la légende, en fait le commentaire critique en montrant des personnages peu glorieux. On retrouve les acteurs de Crazy kung-fu, Xing Yu et Chiu Chi-Ling et Chrissie Chow en atout beauté.

La première heure du film est donc l’un des plus belles choses vue au cinéma récemment, pleine de surprises et qui montre que Stephen Chow reste le meilleur cinéaste actuel à Hong Kong. Je n’ai pas encore parlé de la romance qui se noue tout au long du film entre Chen Xuanzhang et Duan. Leurs méthodes dans la traque des démons s’oppose autant que leur vision de l’amour (physique contre spirituelle). Elle quémande sans cesse un baiser qu’il lui refusera chaque fois, prétendant vouloir accéder à l’amour suprême. Duan a comme arme magique un anneau qui se démultiplie et qui fait exploser les démons, elle fera de cet anneau une bague pour Chen Xuanzhang, bague qu’il refusera de porter par stricte obédience au bouddhisme. Le problème pour Duan est que Chen poursuit sa quête, celle du titre du film, de convertir les démons en bonne personne, donnant un film un aspect de récit initiatique mais aussi de description de la jeunesse du personnage de Tripitaka (Chen possédant toutes se facultés). La rencontre avec le roi singe (Huang Bo), prisonnier depuis cinq siècles dans une caverne, va transformer le récit en orgie d’effets spéciaux plus proche des jeux vidéo actuels que de la poésie bigarée vue jusqu’à présent. On sent l’intention du duo de cinéastes de reproduire, en plus fort, en plus sombre et en plus long, la séquence finale de Crazy kung-fu (Huang Bo est d’ailleurs coiffé comme Bruce Leung). Cette réserve étant faite, il faut reconnaitre, encore et encore, que Journey to the West : Conquering the demons est un divertissement d’une si grande qualité, réservant de belles surprises, appuyé par la belle musique de Raymond Wong Ying-wah, que j’espère que Stephen Chow ne va pas encore mettre cinq ans pour faire un autre film.

Journey to the West : Conquering the demons (西遊.降魔篇, Hong Kong – Chine, 2013) Un film de Stephen Chow et Derek Kwok avec Shu Qi, Wen Zhang, Chrissie Chow, Xing Yu, Lee Sheung-ching, Huang Bo, Show Luo, Law Chi-cheung, Stephen Fung, Tong Liya.

vendredi 3 mai 2013

La Danseuse


Ancienne ballerine reconvertie comme professeur de danse classique, Namiko (Mieko Takamine) assiste à un ballet qu’interprète sa fille de 18 ans Shinako (Mariko Okada). Parce qu’elle préfère ne pas être vue avec son ami Takehara (Hiroshi Nihonyanagi), elle décide de quitter le ballet. Elle est en effet amoureuse de cet homme mais ne parvient pas encore à s’engager. Namiko est mariée avec Yagi (Sō Yamamura) actuellement à Kyoto pour le travail. Son fils de 20 ans Takao (Akihiko Katayama) surveille sa mère comme si elle était une enfant. Dès le début de La Danseuse, la crise familiale au sein de cette famille d’intellectuels est posée avec comme principe que le père, anthropologue, réfléchit et que la mère, danseuse, agit. Ce drame mineur de Mikio Naruse va beaucoup reposer sur les discussions des personnages, notamment lors d’une scène de repas où chacun des quatre membres de la famille va s’envoyer en pleine figure des reproches.

On y parle de la mort de Nijinski, survenue un an plus tôt, on va voir des pièces. Les danses de ballets (Paganini, Le Lac des cygnes de Prokofiev) ponctuent le récit et agissent comme autant de pauses dans un récit qui devient de plus en plus étouffant. D’autant plus étouffant que les enfants commencent à prendre partie et à se mêler de cet adultère qui commence à menacer l’unité de la famille. Shinako se fait le messager de sa mère auprès de Takehara tandis que Takao prend position pour son père et insinue que sa mère est la cause de la maladie du père. Dans le même temps, Shinako commence à éprouver son premier amour pour un jeune homme et constatant l’échec du mariage de ses parents, se met à douter qu’elle puisse se marier. Toutes ces histoires autour du mariage montrent aussi l’évolution des Japonais sur le sujet : on ne se marie plus pour sa famille mais pour soi-même, par amour.

La Danseuse (舞姫, Japon, 1951) Un film de Mikio Naruse avec Sō Yamamura, Mieko Takamine, Mariko Okada, Akihiko Katayama, Hiroshi Nihonyanagi, Bontarō Miake, Isao Kimura, Reiko Otani, Heihachirō Ôkawa, Sadako Sawamura.

jeudi 2 mai 2013

La Bête blanche


A son arrivée au foyer « Lys blanc », la fière et élégante Yukawa (Mitsuko Miura) doit troquer sa superbe robe pour une salopette de travail. Ce foyer, qui sera l’unique décor de La Bête blanche, est tenu par Ryosuke Izumi (Sô Yamamura), trentenaire célibataire assisté de la femme médecin Nakahara (Kimiko Iino). La maison est grande mais toutes les filles du foyer dorment dans une chambre collective. Elles font des travaux des champs ou de la couture. Le but est de les réhabiliter à la société. Elles ont toutes un passé de prostituées et le choix leur a été donné de venir un an dans ce foyer ou de passer devant un tribunal. Les méthodes d’Izumi sont douces, il considère les prostituées qu’il héberge comme ses égales, ce qui n’est pas le cas de ses mécènes, qui, dans une scène en fin de film, les condamnent à la damnation si elles ne se repentent pas. Cela met Yukawa hors d’elle qui les traite d’hypocrites.

Elle a son petit caractère et ses tenues provoquent quelques railleries parmi ses camarades de chambrée. Elle se disputera violemment avec l’une d’elle, bataille dans la chambre, crêpage de chignons et gifles bien senties. Yukawa cherche leur amitié en leur offrant des cigarettes, or le règlement interdit de fumer. Elle cherche à connaitre les limites d’Izumi. Ce dernier ne fera que la gronder bien gentiment. Elle pose de nombreuses questions à Nakahara sur son célibat, histoire de savoir si elle pourrait séduire Izumi. Elle ira jusqu’aà voler le journal intime du médecin. Lascivement, elle tentera de le séduire en ondulant en jupe sur son lit quand il vient la chercher pour venir faire une promenade un jour de repos. Sa provocation sensuelle n’a aucun effet sur lui. La Bête blanche cherche à créer un triangle amoureux un peu trop limpide pour qu’il soit vraiment intéressant.

Le film est très théâtral à la fois dans son scénario et dans ses effets mais aussi dans son décor dont on ne sortira guère. La jeune Mari (Kumiko Mokusho), arrivée en même temps que Yukawa se retrouve enceinte d’un de ses clients resté fou amoureux d’elle mais elle refuse de le voir. Masuda (Tanie Kitabayashi) se rend compte qu’elle a attrapé la syphilis et qu’elle risque de bientôt mourir. Chaque coup de théâtre est annoncé avec une musique très appuyée qui dramatise à l’extrême chaque scène et en annule la portée. Mikio Naruse, qui a toujours aimé soutenir ses personnages même les moins engageants, semble ici un peu coincé par son scénario progressiste qui dénonce autant les hypocrites indiqués plus haut que la prostitution. Ses arguments manquent de finesse pour vraiment convaincre.

La Bête blanche (白い野獣, Japon, 1950) Un film de Mikio Naruse avec Sô Yamamura, Kimiko Iino, Mitsuko Miura, Tanie Kitabayashi, Kumiko Mokusho, Haruko Ashida, Tatsuya Ishiguro, Eiji Okada, Chieko Nakakita.