dimanche 30 septembre 2012

Le Vengeur errant


On savait que le cinéma d’Akira Kurosawa avait inspiré le western de Sergio Leone (Pour une poignée de dollars) à John Sturges (Les Sept mercenaires), mais un peu moins que la Toei avait produit Le Vengeur errant, avec une volonté évidente d’en faire un western authentique (si cela voulait encore dire quelque chose en 1968). Tourné entièrement dans le bush australien qui évoque la plaine du Far West avec des acteurs locaux, le film s’ouvre avec le jeune Ken (Ken Takakura) un fermier qui entend au loin une diligence qui file à vive allure. En moins de temps qu’il n’en faut, Ken chevauche son cheval et va arrêter le véhicule. Dedans, il découvre que tous les passagers et le cocher ont été assassinés.

Il rentre chez lui, raconte cela à son père (Takashi Simura, dans une courte apparition) et à sa mère quand sept desperados pénètrent chez eux. L’un d’eux est blessé. Le père n’est pas très rassuré et sort son sabre, car en effet, il est un ancien samouraï, le premier japonais à s’être établi en Amérique. Les mercenaires tirent abondement dans le tas et tuent la famille avant de s’enfuir comme des lâches qu’ils sont. Mais Ken a survécu et décide de partir assouvir sa vengeance. Il met sa belle chemise à carreaux, son blue jeans, ses bottes en cuir, son chapeau et son révolver en ceinture et part à la recherche des desperados.

Sa quête est donc celle d’une vengeance. Il a passé des mois et des mois à apprendre à manier son arme.  Il va rencontrer Marvin (Ken Godlet), un patron de ranch qui va le prendre sous son aile. Marvin va lui enseigner les rudiments de l’ouest, lui donner de bons conseils et tempérer sa trop grande ardeur qui risque de se retourner contre lui. Et petit à petit, il va retrouver les hommes qui ont tué ses parents. A chaque desperado retrouvé, son visage en image arrêtée issue de la tuerie initiale apparait à l’écran. Puis, un jour, il se rend compte que l’un des assassins est le propre fils de Marvin. Ce dernier qui a chaperonné Ken comme son fils, est désormais devant un dilemme quand les trois hommes s’affrontent. Finalement, Marvin tuera son fils mais se sépare de Ken qui part finir sa vengeance.

La prochaine étape est Franco (Clive Saxon), propriétaire d’un ranch de vaches. Ken devient un cow-boy. Jusque là uniquement masculin, Le Vengeur errant voit apparaitre le premier personnage féminin au bout de trois quarts d’heure. D’une certaine manière, le film redémarre avec Rosa (Judith Roberts), l’épouse de Franco qui va se prendre de sympathie pour Ken. Tout comme Mike (Kevin Cooney), son jeune garçon passionné des armes à feu. Mais la mission doit s’accomplir et si Rosa comprend le geste de Ken, Mike rejette son nouvel ami quand il tue son père. Il ne reste plus que le chef de bande à éliminer, le redoutable Carson (John Sherwood), homme de peu de foi qui est persuadé que l’argent achète tout, y compris les gens honnêtes. Il faudra aussi à Ken retrouver la confiance de Mike.

Le film joue sur le code d’honneur du samouraï qui mène sa mission sans dévier. Il semble évident que Rosa tombe amoureuse de lui, mais Ken se refuse à toute romance. Le Vengeur errant se veut un western au premier degré et en reprend tous les archétypes. Vêtements, chevaux, bétail, saloon, ranch et bien entendu les affrontements au révolver. Il ne manque que les Indiens. Les personnages, et Ken en tête, tirent à tout va. Des centaines de balles sont tirés et les morts violentes se comptent par dizaine. Les desperados n’hésitent jamais à tuer quiconque se met en travers de leur chemin. Le format cinémascope enregistre les paysages avec grandeur, avec un ou deux chromos où Ken monte sur son cheval sur un soleil couchant. Enfin, la musique aux mélopées japonisantes est jouée avec des instruments typiques du western, banjo, cuivre, caisse claire. L’influence d’Ennio Morricone est largement perceptible avec l’utilisation d’une guitare électrique dans les moments de tension. Le caractère hybride du film ne cesse pas d’étonner.

Le Vengeur errant (The Drifting avenger, 荒野の渡世人, Japon,  1968) Un film de Junya Sato avec Ken Takakura, Ken Goodlet, Judith Roberts, Kevin Cooney, Ronald Norman Lea, Clive Saxon, John Sherwood, Reginald Collins, Ray Lamont.

vendredi 28 septembre 2012

Sorties à Hong Kong (septembre 2012)


The Assassins (銅雀台, Chine, 2012) 
Un film de Zhao Lin-shan avec Chow Yun-fat, Alec Su, Liu Yi-fei, Ni Da-hong, Yan Ni, Tamaki Hiroshi, Yoon Eun-hye, Wu Xiubo, Yao Lu, Roy Cheung, Ken Tong, Law Kar-ying, Annie Shizuka Inoh, Chi Cheng, Yau Sam-chi, Bao Jian-feng, Qu Quancheng, Samuel Pang, Zhang Zimu. 102 minutes. Classé Catégorie IIB. Sortie à Hong Kong : 28 septembre 2012.

mercredi 26 septembre 2012

Sauna on Moon


Sélectionné au Festival de Cannes lors de la Semaine de la critique 2011, Sauna on Moon a sans doute souffert de la comparaison avec L’Appolonide de Bertrand Bonello, ce qui lui vaut cette sortie si tardive, 18 mois après sa présentation. Le film plonge le spectateur dans un bordel dans une de ses nouvelles villes chinoises (ici on est au sud, près de Macao) où le libéralisme à tout crin crée des tensions sociales. Wu (Wu Yuchi), patron grassouillet d’un sauna qui a du mal à faire des bénéfices, décide un jour de légèrement modifier ses activités. Son sauna continuera d’amener ses clients sur la lune, mais moins avec la vapeur qu’avec ses hôtesses, sobrement appelées des escort.

Il a une dizaine de filles dans son établissement. La clientèle est plutôt calme, des pères de famille tranquilles, de vieux messieurs sans histoire, qui viennent ici pour passer un bon moment avec des jeunes femmes. On leur donne des leçons de sexualité, on leur dit qu’il faut tout faire pour que l’homme prenne du plaisir, y compris simuler l’orgasme (on essaie sous les rires des collègues). On fait des défilés de mode plutôt dénudés. On accueille un octogénaire qui vient sans doute finir sa vie dans les bras d’une femme. Wu va acheter des gadgets, les filles essayent sur lui un bâillon SM sous les rires. On y fête les anniversaires dans la joie. Wu est pote avec les policiers qui le laissent faire son commerce. Mieux, il leur fait faire du sport sur la plage qui borde la maison close. Ce bordel respire la bonne humeur.

En tout cas parfois. L’une des filles veut rentrer chez elle. Elle se fait taper par son mac (car Wu n’est pas proxénète, il ne fait que louer ses chambres) qui veut qu’elle turbine. Lei (Lei Ting), le collègue de Wu, au physique totalement opposé (Lei est grand, beau gosse, charmeur), est un peu l’homme à tout faire. Papa d’un bambin espiègle qu’il a avec Li (Yang Xiaomin), qui « dirige » les filles. Ainsi quand Monsieur Lin (Zhou Yede), un homme d’affaires d’un certain âge, cherche une vierge. Il lui faut absolument une pucelle. Le plus dur est d’en trouver une. Lei part dans l’arrière pays et tombe sur une jeune ouvrière d’usine, ce qui permet au film de montrer les dures conditions de travail dans les usines géantes où le contremaître lui aboie dessus. Xiao Hou (Xia Houqiyu) ne sait pas ce qui l’attend.

D’une certaine manière, Sauna on Moon commence avec cette recherche de vierge au bout de vingt minutes. Plus précisément, c’est un récit structuré qui s’engage quand Lei démarre sa quête. Jusqu’à lors le film se présentait comme un tableau impressionniste où les personnages apparaissaient par petites touches, passant de l’un à l’autre. Le cinéaste montre la plupart du temps des moments de creux, l’avant ou l’après de l’acte sexuel, en excluant toujours les scènes de cul. Caméra portée à l’épaule, le film jouait jusque là la table du documentaire, c’est Hou qui amène le champ de la fiction. Lei ne sait pas où elle est passée après être allée chez M. Lin. Ce dernier va tout faire pour le faire arrêter par la police. C’est somme toute un scénario convenu. Finalement, on ressort du film avec l’impression d’une certaine mollesse pas désagréable mais pas non plus indispensable.

Sauna on Moon (嫦娥, Chine, 2011) Un film de Zou Peng avec Wu Yuchi, Lei Ting, Yang Xiaomin, Zhan Yi, Meng Yan, Pan Chunhui, Xia Houqiyu, Jia Jianyong, Yang Junjie, Zhu Yede, Xiao An.

mardi 25 septembre 2012

Lan Yu




Avec Happy together de Wong Kar-wai, multi-primé, Lan Yu était alors l’un des rares films sino-hongkongais à ne pas présenter l’homosexualité comme un sujet de société. Stanley Kwan, habitué aux romances compliquées, se concentre sur l’histoire d’amour entre Chen Handong (Hu Jun) et Lan Yu (Liu Ye), d’âge différent. Lan Yu est étudiant en architecture quand il rencontre Handong, homme d’affaires. Ce dernier fait, avec ses collègues et son patron un billard. D’habitude, c’est Liu Zheng (Liu Hua-tong), ce patron quinquagénaire, qui profite contre une belle somme d’argent des avantages de l’étudiant. Handong se dit qu’il pourrait essayer. Les deux hommes se retrouvent et font, maladroitement, l’amour. Le lendemain matin, Lan Yu se fait payer et Handong lui donne son numéro de téléphone.

Des semaines plus tard, ils se rencontrent par hasard. Le papier sur lequel était inscrit le téléphone est passé à la machine à laver. Mais pas le billet, précise avec malice Lan Yu. Avec un grand sourire, Handong lui propose de dîner avec lui et plus si affinités. Leur aventure amoureuse se poursuit. C’est ensuite la visite d’une maison cossue en banlieue et la proposition de s’installer ensemble. Ce qu’ils font. Lan Yu poursuit ses études et va manifester lors du printemps chinois de la place Tian An Men. Affolé, Handong traverse la ville pour le ramener, prévenu que l’armée va intervenir. Au diable les considérations politiques, ce qui compte c’est l’amour. Les événements de 1989 sont à peine évoqués, le nom de la place jamais prononcés, mais on comprend de quoi il s’agit. A l’image, on voit quelques manifestants se presser puis la rue vide.

Tout dans Lan Yu passe par l’ellipse. Handong décide de se marier pour avoir une normalité qui est la règle en Chine, pour se conformer aux standards. On n’en verra que les préparatifs, la future mariée en robe blanche, la mère de Handong qui règle les derniers préparatifs. Et c’est tout. Dans la séquence suivante, on apprendra par les dialogues qu’il a divorcé et que plusieurs années se sont écoulées sans que les deux hommes ne se voient, mais l’histoire d’amour va reprendre. Lan Yu est pourtant plusieurs fois mis à rude épreuve quand il rentre chez eux avant l’heure prévue et que son amant a invité un jeune gars musclé qui déambule en maillot de bain dans les couloirs. C’est toujours Handong qui menace le couple et Lan Yu qui le quitte. Ça sera toujours Handong qui cherchera la réconciliation. Les deux amoureux ont beau discuter de leur situation, rien ne se résout dans la simplicité. La seule chose sur laquelle ils sont d’accord, c’est qu’ils s’aiment. Les années passent, la Chine change, leur passion demeure.

Comme souvent dans les films de Stanley Kwan, les discussions prennent le dessus sur l’action. L’idée géniale du film est d’enfermer les deux personnages dans cette maison qui est leur refuge face aux adversités extérieures ; la politique, le mariage, l’accusation d’escroquerie que subit Handong. Le cinéaste se concentre sur leur histoire d’amour et n’en sortira pas. Les plans sont truffés de miroir où leur intimité est démultipliée, où elle peut s’épanouir. Les corps sont nus (ce qui valut au film d’être classé Catégorie III à Hong Kong) et leurs sentiments sont à fleur de peau. Logiquement, après plusieurs ruptures, Lan Yu se termine dans un drame aussi abrupt que poignant.

Lan Yu (藍宇, Hong Kong – Chine, 2001) Un film de Stanley Kwan avec Hu Jun, Liu Ye, CoCo Su Jin, Zhang Yong-ning, Li Hua-tong, Lo Fong, Li Shuang, Zhao Min-fen, Zhang Fan, Chow Ngai, Zhang Shaohua.

samedi 22 septembre 2012

La Divine


Après avoir écrit sur Center stage, il était impossible de ne pas évoquer La Divine, l’un des rares films encore existant avec Ruan Ling-yu. L’actrice y incarne une jeune mère célibataire qui élève seule son nourrisson. Pour subvenir à ses besoins, elle se prostitue dans les rues de Shanghai. Cigarette à la main, vêtue de ses plus belles robes, portant des boucles d’oreille, elle arpente le trottoir en attendant un client. Elle doit également éviter les descentes de policier. En voulant leur échapper, elle s’engouffre dans une rue étroite et débarque, apeurée, chez un homme qui accepte de la cacher jusqu’au départ du policier.

Cet homme (Zhang Zhizhi) se fait appeler le « boss ». Plutôt replet, portant un chapeau en feutre, il décide d’abuser de la gentillesse de la mère en devenant son propriétaire, comme il le lui dit. Elle n’a pas le choix et quand elle tente un jour de quitter son appartement, le boss la retrouve et, violement, lui fait comprendre qu’il décidera tout pour elle. Elle est pris au piège d’autant qu’il menace de vendre son fils si elle n’obéit pas. Les années passent, elle reste sa prisonnière et l’enfant grandit (il est désormais un jeune enfant incarné par Lai Hang.) Le petit doit désormais aller à l’école. Il s’y épanouit, inconscient des qu’en-dira-t-on, ignorant que sa maman se prostitue.

Seulement voilà, la réputation de la mère ne convient pas aux autres parents d’élèves de l’école qui ordonnent à leurs rejetons de ne pas s’approcher du gamin et de ne plus jouer avec lui. Il subit la pression sociale des adultes. Seul le directeur de l’école (Li Chunpan) cherche à raisonner les parents, tout comme ses collègues, que le petit n’a pas à pâtir de la mauvaise réputation de sa mère, que l’éducation doit être pour tous. En vain, il sera exclu de l’école, au grand dam de sa mère qui décide de quitter Shanghai afin de changer de vie. Pour cela, elle avait économisé, mais le boss lui vole son argent. Dans un accès de rage, elle le tue et se retrouve en prison. Le directeur de l’école, qui a démissionné, décide d’adopter le petit. Il estime que seule une bonne éducation pourra le sauver.

La Divine, produit par la Lianhua, société de cinéma progressiste (entendre de gauche) fait de ce personnage de mère courage une femme pour laquelle le public doit immédiatement avoir de la sympathie. C’est parce qu’elle s’occupe bien de son fils, espérant un avenir meilleur, et face à l’acharnement d’une société rétrograde (c’est le directeur de l’école qui le dit), qu’on s’attache au personnage de Ruan Ling-yu. Menue, l’actrice face au corps imposant et menaçant du boss, augmente la compassion. Serrant les poings, elle exprime sa colère, levant les yeux au ciel, elle appelle un destin meilleur. Sa libération n’arrivera jamais, ce sera son fils qui sera promis à un avenir meilleur quand la société pourra évoluer.

La Divine (The Goddess, 神女, Chine, 1934) Un film de Wu Yonggang avec Ruan Ling-yu, Zhang Zhizhi, Lai Hang, Li Chunpan.

jeudi 20 septembre 2012

Sorties à Hong Kong (septembre 2012)


Due West: our sex journey (一路向西, Hong Kong, 2012) 
Un film de Mark Wu avec  Justin Cheung, Mark Wu, Gregor Wong, Jessica, Wylien Chiu, Celia Kwok, Mo Qiwen, Eva Li, Angelina Cheung, Daniella Wang, Tin Kai-man, Ng Lai-chu, Tony Ho. 118 minutes. Classé Catégorie III. Sortie à Hong Kong : 20 septembre 2012.

mercredi 19 septembre 2012

Center stage


Center stage, certainement le film le plus connu de Stanley Kwan, suit la vie cinématographique et sentimentale de Ruan Ling-yu, éphémère star du cinéma, née en 1910 et qui se suicida en 1935. Maggie Cheung, bien qu’elle ne lui ressemble pas du tout, prête ses traits et son sourire à l’actrice dont il est dit qu’elle était à la fois l’incarnation de la tristesse et de la sensualité. Il n’existe que peu de films qui ont survécu aux ravages du temps. On voit quelques extraits de ceux qui subsistent, avec un simple carton sur l’écran qui indique la date, le titre du film et son existence. Ruan Ling-yu n’a joué que dans une dizaine de films, le plus connu étant La Divine réalisé en 1934 par Wu Yong-gang.

Elle commence à travailler à 18 ans dans la compagnie Lianhua située à Shanghai. Sa réputation fait qu’elle ne tourne que des personnages de femmes fatales. Elle porte de superbes robes à imprimés très colorées. Ses sourcils sont une de ses images de marque. Longs et dessinés, on dit qu’elle met deux heures à les préparer, voire plus selon ses propres dires, prompte à appuyer sa propre légende. Assez vite, elle désire des rôles dramatiques et sérieux. Elle doit d’abord apprendre le mandarin pour se faire comprendre des cinéastes venus du Nord. Ce sera le rôle de Li Lily (Carina Lau), d’un an sa cadette et actrice de la Lianhua. Ruan, comme toutes les autres actrices veulent de beaux rôles et être célèbres.

Le film commence sur un tournage d’un mélo (muet). Le visage des actrices est fardé d’une épaisse crème blanche pour mieux absorber la lumière. Ce sont ces rôles que Ruan veut abandonner et Stanley Kwan montre le côté comique, voire ridicule, de ce tournage. La Lianhua et Monsieur Li (Waise Lee), l’un de ses patrons, en tête ne croient pas au pouvoir tragique de Ruan, compte tenu de son image auprès du public. Qu’à cela ne tienne. Elle se charge de convaincre le réalisateur Sun qu’elle peut incarner cette mère de famille mandchoue si pauvre qu’elle nourrit son bébé avec son propre sang tandis qu’ils luttent dans la rue contre la neige. On voit Ruan répéter en secret dans la rue, sous la neige pour ce rôle dans Herbes folles et fleurs sauvages (野草閑花). Dès lors, Ruan incarnera des personnages tragiques dans lesquels elle s’immergera sans retenue.

Le studio Lianhua s’engage politiquement quand les Japonais envahissent la Chine. La compagnie tourne une vague de films anti-japonais jusqu’à ce que les autorités shanghaiennes interdisent d’utiliser le mot « japonais » dans les dialogues. Les acteurs utiliseront le mot « ennemis » ce qui annule le message patriotique. La compagnie est montrée comme un collectif progressiste, voire de gauche, dans lequel Ruan se fond et prend plaisir à travailler. Sa popularité profite à la Lianhua et vice-versa. Dès cette époque, le star system broie l’actrice à qui on ne pardonne rien. L’image de Ruan se détériore au fil de sa courte carrière. Elle sera traitée de tous les noms et pas des plus flatteurs. On disait d’elle que même avec un robe fermée jusqu’au cou, elle paraissait impudique. Petit à petit, la solitude de l’actrice prend le dessus sur l’idée collective, la mise en scène prend en compte cette idée, montrant en début de film Ruan au milieu de l’équipe puis en fin de film seule dans le plan.

Sa vie privée est mise sur la place publique. D’abord mariée à Chang Ta-min (Lawrence Ng), elle adoptera un enfant qu’elle élèvera avec sa mère. Puis, c’est un triangle amoureux qui se crée quand elle rencontre Tang Chi-shan (Han Chin), un négociant en thé. Les scènes qui traitent de la vie amoureuse mouvementée de Ruan sont sans doute les moins intéressantes de Center stage. Le film se traine alors en longueur car il est à la fois trop explicite et trop pudique. L’arrivée d’un nouveau personnage, le réalisateur Tsai Chu-sheng (Tony Leung Ka-fai), cantonais comme Ruan, va changer le cours des choses. Le film ne dit pas s’ils ont eu une liaison, et c’est justement cela qui met du piquant au film, car les regards qu’ils se jettent en disent plus que d’éventuels étreintes amoureuses. Et surtout, il lui offre un film, Femmes nouvelles en 1934 qui stigmatise l’abus de pouvoir de la presse à scandales et qui met en scène son suicide.

Ruan s’est donné la mort. Tous ceux qu’elle a connus viennent lui rendre hommage dans son lit de mort. Cette scène mortuaire, on la retrouve en fin de film dans la partie documentaire avec une Maggie Cheung hilare qui ne parvient pas à garder son sérieux lors du tournage de la scène où elle doit jouer une morte. Régulièrement, la narration s’interrompt pour montrer des discussions (filmées en noir et blanc) entre Stanley Kwan et ses interprètes où ils discutent du film. On découvre aussi des entretiens avec des actrices ou cinéastes qui ont connu Ruan. L’idée est d’apprendre quelque chose de l’actrice et de montrer que le star system est similaire quelle que soit l’époque. Et puis, cette belle idée pour ne pas tomber dans le pathos et le mièvre de déréaliser la mort de Ruan, comme si la légende de la première star du cinéma chinois était plus forte que la vérité.

Center stage (阮玲玉, Hong Kong, 1991) Un film de Stanley Kwan avec Maggie Cheung, Tony Leung Ka-fai, Chin Han, Carina Lau, Lawrence Ng, Cecilia Yip, Waise Lee, Paul Chang, Yip San, Siu Seung, Fu Chung, Cheng Xiao-hua. 

lundi 17 septembre 2012

Women


Le premier film de Stanley Kwan, sobrement titré Women, début sur une demande de divorce. Bao-yee (Cora Miao) ne veut être mariée avec Derek (Chow Yun-fat), son époux depuis plusieurs années avec lequel elle a eu un fils Dang-dang (Leung Hoi-leung). On découvre cette famille pleine de vie (le père et le fils ont le sourire), plutôt bourgeoise (grand appartement) lors d’un retour de week-end. Chacun se bat, avec amusement, pour arriver le premier aux toilettes. Pendant que le père et le fils se douchent, la mère range sur le lit les sous-vêtements de Derek, comme le ferait une maman à son fiston. C’est donc en enfilant son caleçon qu’il apprend cette rupture à laquelle il ne semblait pas s’attendre.

Le divorce est le sujet de conversation favori de Bao-yee et de ses amies, toutes célibataires, c’est-à-dire divorcées, à l’exception d’une veuve. Et maintenant que Bao-yee est seule, le sujet est encore plus d’actualité. Les amies sont comme un panel de la société hongkongaise, telle que la Shaw Brothers peut les imaginer. Outre la veuve un peu excentrique qui draguera plus tard dans le film Eric Tsang, on trouve la lesbienne qui tente de faire virer sa cuti à Bao-yee, la dépressive suicidaire qui porte constamment des lunettes noires. Les six amies se racontent leurs vies, chantent ensemble, plaisantent ensemble. Les conversations filmées en courts travellings occupent une bonne partie du film. Elles permettent, telles des chœurs antiques, de faire le point sur la situation.

Bao-yee n’a pas l’intention de retourner vivre chez sa mère, veuve. Bao-yee est la première de la famille à divorcer dans une culture centrée sur le mariage souvent arrangé et qui durait toute la vie. Le film inscrit fortement cette différence générationnelle et donne le divorce comme un nouveau mode de vie, comparable à l’irruption des ordinateurs dans la vie quotidienne. On voit Derek acheter puis installer pour Dang-dang un ordinateur puis jouer aux jeux vidéo. D’une certaine manière, le divorce est un nouveau mode de vie dans la culture chinoise. Le lien familial n’est d’ailleurs pas brisé puisque Derek passe de temps en temps dans l’appartement que Bao-yee décore à sa façon. Elle fait installer un nouveau canapé sans savoir où le placer (hésitation sur sa nouvelle vie).

Assez vite, le film se concentre sur le ressenti du fils. Il passe du temps avec son père qui le gâte un peu. Sa mère réussit à lui tirer les vers du nez et apprend que Derek a une nouvelle petite amie, plus jeune que lui. Sha-niu (Cherie Cheung) est une bourrasque dans la vie du nouveau divorcé. Jeune, impétueuse, imprévisible, il l’aime pour ça. Le film évite l’écueil de voir les deux femmes se disputer, elles s’entendront même plutôt bien une fois qu’elles se sont rencontrées, après la scène chez l’avocat où Sha-niu fait des remarques sur l’avenir du gamin. Ce dernier fait tout pour que ses parents se remettent ensemble et, une fois le divorce prononcé, Derek envisage un retour au foyer. Le petit aime bien la nouvelle copine de son père mais ne supporte pas qu’elle lui donne un surnom de bébé (Ding-dang).

Le film avance par petites touches, Stanley Kwan refusant les grands moments d’engueulade entre les personnages pour les permettre d’évoluer en douceur. Le personnage de la mère de Bao-yee, qui garde régulièrement Dang-dang, apporte beaucoup de douceur et se révèle bien meilleure conseillère que ses amies. Enfin, le personnage de Chang, le gamin voisin, fils des restaurateurs qui habitent au rez de chaussée, apporte un contrepoint comique à la vie amoureuse de Derek. Ce dernier est persuadé que Chang est le nouveau compagnon de Bao-yee. En effet, Chang apprend le piano à Dang-dang, apporte des courses et s’occupe d’un mini jardin botanique. Il devient un exemple pour le petit. Quand Derek comprend que c’est un ado, il demande à Bao-yee d’à nouveau former un couple et une famille. Le reste du film cherchera à replacer un esprit franchement moralisateur dans cette famille.

Women (女人心, Hong Kong, 1985) Un film de Stanley Kwan avec Cora Miao, Chow Yun-fat, Cherie Chung, Elaine Kam, Maggie Li, Yam Choi-bo, Lee Mak, Leung Hoi-leung, Cheung Yin-gwan, Lee Ngan, Eric Tsang, Freddie Wong, Calvin Poon, Terrence Howard.

vendredi 14 septembre 2012

Chez n'Ham


Certaines comédies cantonaises sont sages, faussement délurées et idéales pour toute la famille. Chez n’ Ham de Blackie Ko, c’est tout le contraire. Rarement je n’ai vu une telle addition de personnages dégénérés et plutôt fiers de l’être, inconscients de leur propre perversité et se vautrant dans leur médiocrité. Deux amis d’enfance, qui se considèrent comme des frères, ont monté une entreprise d’un genre nouveau. Chez (Dicky Cheung) et Ham (Eric Tsang) proposent comme service de se venger des gens qui ont pu faire du mal. Une claque, une insulte, une baston : ils sont prêts à rendre la monnaie de leur pièce à votre ennemi contre un peu de pognon.

Deux exemples sont donnés en ouverture de film. Le premier consiste à frapper Pa Lam (Shing Fui-on) sur la joue et sur la bite. Problème : c’est un membre des triades plutôt costaud et soupe au lait. Il est surtout montré comme un abruti qui se fait faire un shampooing en pleine rue. Une fois ses cheveux rincés, il les secoue comme les mannequins dans une pub. Chez et Ham feintent pour le toucher, leur commanditaire est éloigné d’eux et ne s’aperçoit pas que ce sont des fausses claques. Deuxième mission : un homo veut tester la fidélité de son mec. Les deux gays sont Jamie Luk et Nat Chan qui se prénomme dans le film Janet. Aucun des deux amis ne veut aller le draguer mais faut bien aller au charbon. Ils vont s’habiller grossièrement, bouclettes de cheveux, boucles d’oreille et fringues violettes. Je vous passe la description de la boîte gay et les réflexions qui assimilent l’homosexualité à une maladie contagieuse.

Au bout d’une vingtaine de minutes, la mission qui va occuper le reste du scénario arrive, et avec elle un délire ininterrompu et épuisant. Un vieillard moribond (Lau Siu-ming) leur à Chez et Ham de tuer Joey Chan (Joey Wong), la fille de son ennemi personnel. Joey, riche héritière, va faire des bonnes œuvres à une école publique. Elle sort avec Michael Wong qui n’apparaitra qu’en maillot de bain ou avec un sac en papier sur la tête (je n’ai pas compris pourquoi). Chez décide de ses faire passer pour un élève de douze ans. Il faut donc le voir affublé d’un uniforme de collégien qui menace avec un flingue de tuer Joey. C’est dans ce contraste constant que l’humour balourd mais jouissif peut s’épanouir. Par un concours de circonstance, Joey invite Chez chez elle et lui offre de séjourner dans une chambre d’enfant rempli de jouets, peluches et posters de Dragon Ball sur les murs. Lui, continue de sa faire passer pour un gamin mais doit cacher ses clopes dans un nounours et ne pas montrer qu’il aime boire de la bière.

Dans l’immense demeure de Joey, où tout est kitsch comme chez tous les riches, elle ne vit pas seule. Elle a un garde du corps, Bobby (Ng Man-tat) habillé en treillis avec un collier de grenades et une femme de chambre, Fanny (Cheung Man) bigleuse et timide. Il s’avère que Fanny est sa fille. Fanny va donner un bain à Chez qui ne pense qu’à cacher son sexe d’adulte. Or, ce sexe, c’est justement ce qui intéresse Bobby qui a une passion toute particulière pour les ados. Oui, vous avez bien lu, Ng Mant-tat joue un pédophile heureux de l’être. L’humour se déploie étrangement avec, par exemple, toute une scène où Bobby répète tout ce que dit Chez, comme le font les gamins. L’humour est au-delà du régressif et franchement, à chaque scène encore plus tarée, j’imaginais Stephen Chow dans le rôle qu’incarne Dicky Cheung.

Pendant ce temps, Ham est à l’hôpital parce qu’il a reçu une balle dans le pied. Il passe son temps à draguer les infirmières toutes plus ingénues et bien foutues les unes que les autres. Il se fait draguer par la chef des infirmières (Kingdom Yuen), pourvue d’un énorme grain de beauté au dessus de la lèvre. Puis, dans la dernière demi-heure du film, Ham se rend chez Joey déguisée en petite fille (là aussi faut le voir pour le croire) et, bien entendu, excite la libido de Bobby. Il faut ajouter à cela un tueur à gages incarné par Blackie Ko lui-même et une parodie finale de gunfight à la John Woo entre lui, Dicky Cheung et Eric Tsang. Les flingues ne sont pas seulement pointés vers l’adversaire mais mis dans la bouche. Encore un bonne et grosse référence sexuelle. Et sinon, il arrive que des gags de Chez n’ Ham soient hilarants. Dégénérés mais hilarants.

Chez N’Ham (芝士火腿, 1993) Un film de Blackie Ko avec Dicky Cheung, Joey Wong, Eric Tsang, Ng Man-tat, Cheung Man, Blackie Ko, Nat Chan, Wu Ma, Shing Fui-on, Jamie Luk, Kingdom Yuen, Manfred Wong, Michael Wong, Lau Siu-ming.

jeudi 13 septembre 2012

Sorties à Hong Kong (septembre 2012)


Naked human nature (赤裸人性, Hong Kong, 2012) 
Un film en trois parties de Anastasia Tsang, Ches Yim, Lee Siu-lung, Ling Nip avec Kitty Lai, Chun Yin, Louise Wong. 72 minutes. Classé Catégorie III. Sortie à Hong Kong : 13 septembre 2012.

Sorties à Hong Kong (septembre 2012)

The Bullet vanishes (消失的子彈, Hong Kong – Chine, 2012) 
Un film de Law Chi-leung avec Lau ching-wan, Nicholas Tse, Yang Mi, Liu Kai-chi, Wu Gang, Jing Bo-ran, Gao Hu, Jiang Yi-yan, Chin Ka-lok, Yumiko Cheng, Derek Tsang, Wang Zi-yi. 103 minutes. Classé Catégorie IIB. Sortie à Hong Kong : 13 septembre 2012.

mercredi 12 septembre 2012

Fièvre sur Anatahan


Retour sur le cinéma « asiatique » de Josef Von Sternberg après ses deux films sur Shanghai. Fièvre sur Anatahan, son dernier film (Jet Pilot, tourné avant et sorti après celui-ci), est entièrement tourné au Japon où le cinéaste s’était installé en exil culturel. C’est un Japon de carton-pâte, où l’îlot d’Anatahan est reconstitué en studio, de loin on voit son sommet peint, comme cela se faisait à l’époque. Le décor consiste à reproduire une sorte de savane luxuriante où les lianes pussent en abondance. L’île minuscule et montagneuse où une douzaine de soldats japonais à la dérive se sont réfugiés en juin 1944. Leur bateau détruit n’a pas permis à tout le monde de survivre. Personne n’habite là, pensent-ils, mais au bout de quelques jours d’exploration, une cabane est découverte avec un homme y habitant.

Cet homme, Kusakabe (Tadashi Suganuma) vit ici avec Kieko (Akemi Negishi). Chacun a été marié, leur famille est retournée au Japon, fuyant les ravages de la guerre et la solitude inhérente à la vie sur Anatahan. Ils paraissent mariés, elle est plus jeune que lui. Il la protège avec excès, refusant qu’elle s’adresse aux intrus. Pour les soldats, voir une femme, surtout si jeune, est une chose très réjouissante. Les soldats sont jeunes et vigoureux mais dirigés d’une main de maître par leur supérieur qui décide de rester sur le qui-vive, de poursuivre la surveillance de l’île pour veiller à ce que l’ennemi militaire ne vienne pas attaquer. Chaque soldat exécute un tour de garde, va observer l’océan au sommet de l’île où une mitraillette a été ramenée pour se défendre. Plus tard, un avion échoué permettra de faire de la toile d’un parachute de nouveaux vêtements (société en progrès) alors que la découverte de deux pistolets fera changer de chef (société en regression).

Comme dans la plupart de ses films, la femme fatale est au centre du récit de Fièvre sur Anatahan. Cette fièvre, c’est elle qui la provoque dans le cœur des soldats. Jusqu’à présent, son seul loisir était de ramasser des coquillages, puis elle accepte de devenir le centre de l’attention des hommes, de se laisser séduire. C’est le plus jeune qui s’y colle, vite délogé et frappé par Kusakabe. Kieko recevra quelques coups pour sa témérité. Et les années passent, les haillons remplacent les uniformes militaires. Les corps sont de plus en plus nus, les hommes (à l’exception du chef) vivent torse nu. L’alcool fabriqué à partir de palme leur mettra un peu de baume au cœur, mais déchainera leur passion. Le désir se fait de plus en plus grand, Kieko – la reine des abeilles comme le dit le générique – se laisse de plus en plus tenter. Les années passent et le chef ne baisse pas la garde, refusant d’écouter le haut-parleur d’un croiseur qui affirme que la guerre est achevée. Il veut continuer de défendre l’île. Cela durera six ans.

Fièvre sur Anatahan est à la fois naïf et cruel. La naïveté n’est jamais éloignée avec cette voix off constante qui commente la société japonaise à grands coups de phrases péremptoires. « Les soldats doivent obéissance à leur chef », « les femmes sont soumises à leur mari », comme si le cinéaste désirait décrire une civilisation différente qui, isolée, se créerait une utopie autour de la femme. Aucun des dialogues que les interprètes japonais dans leur langue natale n’expriment ne sont traduits ou sous-titrés. La voix off, à la première personne, narre ce qu’ils font, leur action dans une évidente et parfois agaçante redondance. Le film prend parfois des aspects anthropologiques un peu basiques. Le film s’adresse clairement aux Américains qui, ironiquement, ne verront jamais ce film resté dans les armoires pendant des années. Le film est aussi cruel avec le sort réservé à l’unique femme de l’île qui passe du statut de reine des abeilles à celui d’objet que les hommes s’échangent sans son consentement. Le constat de Sternberg sur l’homme et la nature humaine est d’une grande tristesse. Il convient qu’aucune société ne peut échapper à ses plus bas instincts : le pouvoir sur l’autre, la domination et la haine.

Fièvre sur Anatahan (The Saga of Anatahan, Japon, 1953) Un film de Josef Von Sternberg avec Akemi Negishi, Tadashi Suganuma, Kisaburo Sawamura, Shôji Nakayama, Jun Fujikawa, Hiroshi Kondô, Shozo Miyashita, Tsuruemon Bando, Kikuji Onoe, Rokuriro Kineya, Daijiro Tamura, Chizuru Kitagawa, Takeshi Suzuki.

lundi 10 septembre 2012

Motorway


La base de Motorway repose sur le duo entre Lo (Anthony Wong) et Cheung (Shawn Yue), co-équipiers de la « brigade invisible » qui patrouillent, en voiture banalisée, dans les rues de Kowloon Est pour contrôler les excès de vitesse. Un boulot pas franchement passionnant pour aucun des deux. Cheung, le plus jeune, est bridé dans son envie d’aller poursuivre les contrevenants en allant à toute allure avec la pauvre voiture de police. Lo n’attend qu’une chose : enfin prendre sa retraite et passer du temps avec son épouse. On est donc dans un buddy movie policier classique produit par Johnnie To, via la MilkyWay Image, avec des caractères, des méthodes et des aspirations différentes.

Après une chasse un peu dangereuse, Cheung se voit interdire par son chef (Lam Ka-tung) de conduire et doit maintenant travailler derrière un radar, au grand contentement de son collègue qui peut manger tranquillement ses nouilles. Cette tranquillité sera de courte durée quand une voiture vient le narguer. Le bolide est conduit par Jian (Guo Xiao-dong), un chinois (il parle mandarin) qui prépare un casse avec Wong (Li Hai-tao), un de ses compatriotes. L’un conduira la voiture, l’autre ira dérober un diamant brut. Evidemment, on ne peut pas s’empêcher de penser à Drive, mais Motorway est rarement comparable avec le film de Nicolas Winding Refn.

Les préparatifs du cambriolage constituent une partie importante du film. Tout est d’abord mystérieux, car inexpliqué, avec l’objectif simple de laisser le spectateur dans l’expectative, mais avec néanmoins une longueur d’avance sur les policiers. Jian repère sur un plan les rues dans lesquelles il va circuler pour semer les flics. Il choisit des rues biscornues, aux angles anguleux où un mauvais conducteur sera coincé, puis il crée un événement pour que son véhicule soit disponible lors de l’évasion de Wong qui est en prison. Cette manière de décrire par le menu un plan si élaboré est jouissive pour le spectateur. L’évasion a lieu, Jian s’est fait arrêté par Lo et Cheung, il peut maintenant libérer son complice.

Quant à Cheung, il prépare une voiture plus rapide pour pallier la lenteur des véhicules de la police. Dans une scène, il montre sa précision en draguant une belle femme (Barbie Hsu), dans une séquence amusante. Les personnages féminins sont tous au second plan. Barbie Hsu a de belles scènes en tant que potentielle petite amie que Cheung n’arrive pas à séduire, comme cette partie de billard pour échanger les numéros de téléphone. Josie Ho incarne la chef de la police qui dirige l’opération pour arrêter Jian et Wong, quand les éléments de l’enquête sont assez fiables. Son personnage autoritaire est un peu ingrat. Enfin, Michele Ye est la femme de Lo. Aimante, elle apporte à son mari de quoi manger un soir de planque, et patiente, elle attend qu’il prenne sa retraite.

Pour Soi Cheang, il s’agit de trouver aussi de nouvelles manières de filmer une course poursuite sans lasser le spectateur. Contrairement au spécialiste du genre, Ringo Lam (les courses poursuite dans Full alert sont une référence majeure et des séquences inégalées en termes de mise en scène), elles sont tournées dans des autoroutes pratiquement vides le jour (personne ne conduit donc en journée ?) et peu de monde la nuit (idem). Passé cet écueil, les scènes sont vives, les plans variés (la caméra change de cadre souvent, elle est même parfois placée en plongée accrochée au capot avant), le tout filmé dans un clair obscur somptueux. La musique de Xavier Jamaux et Alex Gopher, quasi minimaliste, permet aux courses poursuite de ne pas tomber dans l’excès de précipitations.

Mais je reviens sur les rapports entre Lo et Cheung. L’une des idées du film consiste à développer leurs relations dans un schéma dramaturgique qui rappelle les récits d’apprentissage de certains classiques du wu xia pian. En trois moments. Le premier, Cheung est un jeune arrogant, chien fou qui n’écoute aucun conseil. Sa première chasse contre Jian se solde par un échec où il s’est mis en danger. Deuxième moment, il apprend que Lo a été jadis un habile conducteur et qu’il a déjà arrêté le méchant Jian. Il connait donc le méchant, ses forces et faiblesses. Il va enseigner son savoir afin de mener sa quête à bien. Troisième et dernier moment, Cheung est désormais formé, le disciple a bien appris auprès du sifu. Lors de la dernière course poursuite, il se rappellera les judicieux conseils (voix off  d'Anthony Wong). C’est souvent dans les plus vieux pots qu’on fait les meilleures plats.

Motorway (車手, Chine, 2012) Un film de Soi Cheang avec Shawn Yue, Anthony Wong, Guo Xiao-dong, Michelle Ye, Lam Ka-tung, Barbie Hsu, Li Guang-jie, Josie Ho, Li Hai-tao.

Shanghai express + The Shanghai gesture


Shanghai express
Comme je l’avais pour les films « asiatiques » de Samuel Fuller (ici – partie 1 et là – partie 2), j’aborde ici deux films « chinois » de Josef Von Sternberg, le réalisateur – entre autres – de L’Ange bleu. Dans son autobiographie (Fun in a Chinese laundry, 1965), Sternberg avoue n’avoir pris aucune documentation spécifique pour recréer un Shanghai de carton-pâte à Hollywood. Le cinéaste est connu pour ses décors grandiloquents. Ceux de L’Impératrice rouge retraçant une période de l’empire russe n’ont rien de russe mais sont somptueux et accentuent la folie des personnages, notamment celui de Marlene Dietrich. Il ne s’agit pas pour lui de faire de l’authentique mais de l’exotisme. De toute façon, il était rare que les films soient tournés là où ils se déroulaient à cette époque. Il fallait cependant faire grande impression sur le spectateur en le dépaysant, histoire de lui faire oublier la crise économique d’alors.

Toute l’action de Shanghai express se déroule dans un train qui va de Pékin à Shanghai, ville qui était en 1932 aux mains des occidentaux qui se la partageaient en concessions. C’était une colonie avec de nombreuses nationalités. Le film imprime ce fait en montrant des personnages de Français, Allemand, Britannique et Américains. Shanghai Lily (Marlene Dietrich), habillée de son manteau en plumes noires embarque dans ce train. Elle partage sa cabine avec Hui Fei (Anna May Wong), une Chinoise, vêtue d’une robe traditionnelle. Toutes deux sont des femmes modernes et chics qui écoutent fort leur gramophone, ce qui fait dire à la vieille dame voisine de cabine qu’elles doivent forcément être des femmes de mauvaise réputation. Lily découvre que son ancien amant, « Doc » Harvey (Clive Brook), qu’elle n’a pas revu depuis cinq ans, après lui avoir brisé le cœur, est dans le train.
Shanghai express

Le film s’amuse d’abord à montrer, sur le ton de la comédie, des personnages que tout oppose – si ce n’est leur fortune qui leur permet de voyager dans le wagon de 1ère classe – et qui vont ne jamais cesser de se chamailler, y compris dans le moment dramatique du film. L’Allemand râle contre tout et a peur de tomber malade. La vieille dame ne pense qu’à son petit chien qu’elle a du laisser dans la soute à bagages. Le pasteur estime que Lily et Hui Fei n’ont pas leur place à côté de gentlemen. Ce sont des personnages secondaires pour amuser la galerie, hauts en couleurs qui permettent de mettre en valeur Lily, à la petite vertu mais qui, contrairement à eux, n’est pas hypocrite. Le seul lien de tous ces personnages est leur mépris pour les Chinois, tout justes bons à les servir. Les figurants chinois sont du petit personnel du train. En gros, ce sont des colons xénophobes et Josef Von Sternberg raille leur mesquinerie.

Le voyage continuant, la réalité vient troubler ce voyage. Le train est arrêté par les révolutionnaires qui cherchent un otage pour faire libérer l’un d’eux emprisonné. En 1932, la guerre civile faisait rage. Le chef des insurgés est Henry Chang (Warner Oland), un homme qui pendant le début du trajet passait pour un aimable homme d’affaires. Métisse, il a subi lui aussi le mépris des autres voyageurs. Avec force figurants, le film montre de nombreux soldats qui traversent les plans. C’est une Chine grouillante et vivante qui est montrée (on avait déjà repéré cet aspect dans la scène du démarrage du train où la rue très occupée se vidait au passage de la locomotive). L’irruption de la guerre civile dans le film permet à Lily et à Harvey de régler leur contentieux avec l’aide de Hui Fei qui vient défendre son amie dans l’adversité.
The Shanghai gesture

Shanghai express est un beau film. The Shanghai gesture a moins de qualités esthétiques et même son réalisateur confesse ne pas aimer beaucoup son film. Le carton d’ouverture précise que le Shanghai représenté est hors du temps. Le film plonge dans le décor grandiose d’un casino en forme d’arène. Du pain et des jeux, mais surtout des jeux. Le casino est tenu par « Mother » Gin Sling (Ona Munson), monstresse habillée en robe traditionnelle chinoise, extrêmement maquillée à un point qu’il est difficile de connaitre son vrai visage. Quand un client est à court d’argent, elle avance, impériale et mystérieuse, fendant la foule grouillante (pratiquement tous les joueurs sont occidentaux) pour décider de leur sort. « Mother » Gin Sling (un nom de cocktail) est une femme de pouvoir qu’elle ne partage qu’avec Howe (Clyde Fillmore), un homme d’affaires chinois qui l’a sortie de la prostitution il y a des années de cela.
The Shanghai gesture

Elle s’est forgée un caractère de femme impitoyable et a décidé de se venger de Guy Charteris (Walter Huston) qui cherche à l’exproprier. Pour cela, elle va pervertir Poppy (Gene Tierney), jeune femme à la beauté juvénile qui s’avère être la fille de Charteris. Poppy va tomber sous le charme de Omar (Victor Mature), un mondain arabe qui ne vit que pour l’amour des femmes. Très vite, le récit, trop commun, finit par lasser. Shanghai n’est qu’un décor lointain mais représente aux yeux de Sternberg l’ultime déchéance de la société occidentale venue coloniser la ville et qui en a fait un bordel et un casino. Le climax du film se déroule pendant le Nouvel An Lunaire où l’on aperçoit les festivités (défilé, danse du dragon, pétards), la scène ayant été filmée dans le Chinatown de Los Angeles. La Chine recréée par le cinéaste est un strict fantasme, en réalité un cauchemar où les personnages tentent de survivre.

Shanghai express (Etats-Unis, 1932) Un film de Josef Von Sternberg avec Marlene Dietrich, Clive Brook, Anna May Wong, Warner Oland, Eugene Pallette, Lawrence Grant, Louise Closser Hale, Gustav von Seyffertitz, Emile Chautard.

The Shanghai gesture (Etats-Unis, 1941) Un film de Josef Von Sternberg avec Gene Tierney, Walter Huston, Victor Mature, Ona Munson, Phyllis Brooks, Albert Bassermann, Maria Ouspenskaya, Eric Blore, Ivan Lebedeff, Mike Mazurki, Clyde Fillmore.

samedi 8 septembre 2012

Le Sorcier et le serpent blanc


Ce sont deux sœurs serpents, nées sous le signe du démon. Serpent blanc (Eva Hung) jette son dévolu sur Xu Xian, un jeune cueilleur d’herbes (Raymond Lam) qui traverse leur territoire. Cet homme tombe à l’eau et elle va le secourir de la noyade et l’embrasse sous l’eau. Elle échange de cette manière un peu de son essence vitale, liant leur destin à jamais. Sa sœur, Serpent vert (Charlene Choi) lui avait fait peur en prenant la forme totale d’un serpent géant. Sinon, la plupart du temps, on les découvre mutante avec la queue qui se balance de branches en branches, rampant pour se déplacer, avec le buste dénudé en écailles, mais qui n’en montre pas trop. Vilain et franchement ridicule. Les deux sœurs sont de caractère opposé, Serpent vert étant taquin, espiègle et ne faisant pas confiance aux humains. Serpent blanc est une indécrottable romantique.

On le sait, les histoires d’amour entre humain et démon sont vouées à l’échec. D’autant plus qu’un abbé taoïste rode dans le coin. Le Sorcier et le serpent blanc démarrait sur le personnage de l’abbé Fahai (Jet Li) et de son fidèle assistant Nengren, un jeune moine (Wen Zhang) encore inexpérimenté qui chassait une femme démon des neiges. Dès l’ouverture, le ton est donné : beaucoup d’effets spéciaux grandiloquents. Intransigeant, l’abbé cherche à éliminer les deux serpents qui rodent en ville pour la fête des lanternes. Xu Xian ne reconnait pas Serpent blanc. Avec la complicité de Serpent vert, elle va réitérer la scène initiale pour qu’il tombe amoureux d’elle. Et le stratagème fonctionne. Xu Xian et Serpent blanc s’aiment désormais d’amour et d’herbes fraiches, puisqu’en tant que cueilleur, il est très pauvre.

Seulement voilà, lors de cette fête, un vampire se pavanait en gondole et le moinillon en voulant le chasser a été contaminé. Serpent vert était parvenu à retenir Nengren, dans l’une des rares scènes comiques réussies du film, où elle testait sa maladresse en cherchant à la séduire. Le film, une fois Nengren transformé en démon (oreilles en pointes, dents de vampires et griffes à la place des doigts) va tout simplement évacuer ce personnage et celui de Serpent vert pour ne se concentrer que sur Xu Xian et Serpent blanc. Les deux récits sont trop semblables pour apporter des contradictions scénaristiques, à moins que ce ne soit que de la paresse. Or ce vampire a contaminé beaucoup d’innocents que Xu Xian s’évertue à soigner. Ainsi, l’abbé Fahai retrouve la piste des deux amoureux et les pourchasse.

Xu Xian ignore tout de la nature de Serpent blanc, jusqu’à ce que Fahai l’oblige à montrer sa forme d’origine. Blessée, elle doit être soignée et une souris (oui, il ya des animaux qui parlent parce que ça doit être mignon et que les enfants doivent sans doute adorer ça, il y a aussi un lapin et une tortue qui causent) conseille à Xu Xian d’aller chercher une herbe magique dans la pagode où l’abbé avait fait prisonnier la plupart des démons qu’il a pu chasser. Evidemment, la plupart des démons sont libérés et l’apocalypse pointe le bout de son nez. C’est le début d’une longue bataille entre Serpent blanc et l’abbé. Et franchement, on avait connu Ching Siu-tung en meilleur forme, mais depuis dix ans, depuis l'épouvantable Hero de Zhang Yimou (dont il signait les chorégraphies) et l'atroce Naked weapon, Ching Siu-tung n'est plus que l'ombre de lui-même. Pour tout dire, Le Sorcier et le serpent blanc est très éloigné de Green snake de Tsui Hark, pourtant pas un chef d’œuvre mais qui avait un charme indéniable.

Le film est avant tout une romance entre deux personnages que tout oppose. Jamais ils n’auraient du s’aimer. Le lyrisme se transforme en mièvrerie : les deux scènes de baiser sous l’eau sont jolies mais vite leur amour passe en mode soap opera avec regard langoureux tellement appuyé qu’on dirait des veaux. Quant aus effets spéciaux qui occupent bien 80% des plans, ils jouent dans la surenchère. Fahai est attaqué par une femme démon qui a l’apparence d’un renard blanc : dix renards attaqueront, puis dix femmes sexy qui sortiront d’un bambou (là aussi un certain public avide de jolies filles est visé). Les deux sœurs se battent à l’épée contre l’abbé, une nuée de sabres seront lancés à son encontre. Plus tard, c’est un ras de marée qui envahit la pagode, et finalement, tout explosera. Aucun charme ne se dégage de ces scènes en numérique. C’était déjà ce qui plombait Legend of Zu, Wu Ji et dans une moindre mesure Green snake. Tant que les producteurs penseront que les décors numériques remplacent les émotions des acteurs, ces films seront irregardables et sans saveur.

Le Sorcier et le serpent blanc (The Sorcerer and the White Snake, 白蛇傳, Chine – Hong Kong, 2011) Un film de Ching Siu-tung avec Jet Li, Eva Huang, Raymond Lam, Charlene Choi, Vivian Hsu, Law Kar-ying, Kwok Sin-nae, Wen Zhang, Song Wenjia et les voix de Jiang Wu, Miriam Yeung, Chapman To, Lam Suet.

jeudi 6 septembre 2012

Sorties à Hong Kong (septembre 2012)


Passion Island (熱愛島, Hong Kong, 2012) 
Un film de Kam Kwok-leung avec Simon Yam, Joan Chen, Francis Ng, Chang Chen, Janice Man, Song Jia, Shen Fang-xi, Huang Wei-de. 94 minutes. Classé Catégorie IIA. Sortie à Hong Kong : 6 septembre 2012.

mercredi 5 septembre 2012

The Happiest moment


Avant de lancer dans la réalisation, en 1974 avec Game gamblers play, Michael Hui a tourné dans quatre films produits par la Shaw Brothers et mis en scène par Li Han-hsiang. Dans The Happiest moment, films à sketches, le comique joue quatre personnages d’une petite ville de la Chine du nord pendant la seconde guerre mondiale. Les quatre histoires sont censées se dérouler sur une seule journée, des pendules, montres et horloges apparaissent régulièrement à l’écran pour rappeler cette coïncidence temporelle. The Happiest moment est une variété de film choral où les personnages différents sont incarnés par les mêmes acteurs. La première histoire débute dans les bains publics réservés aux hommes qui prennent des bains chauds, se font masser et passer du temps hors de chez eux. Leur tranquillité va être troublée par l’arrivée de femmes japonaises qui, elles aussi, ont très envie de prendre du bon temps. C’est surtout l’occasion de montrer de nombreuses actrices au large sourire qui apparaissent seins nus, peu habillés. Le spectateur, comme les clients su sauna, peuvent admirer leurs fesses et leur minois. Aucun de ces personnages n’aura un rôle à jouer, elles sont là pour faire joli, un point c’est tout.

Le premier personnage, un notable aux cheveux et moustache blancs, sur les conseils d’un mai, va rencontrer une femme avec qui il va commettre l’adultère. Ils font tellement l’amour que l’orgasme réveille toute la ville et que le pauvre homme en meure. La femme (Tanny Tien) fait l’objet d’une enquête de police et l’inspecteur est également interprété par Michael Hui dans ce deuxième sketch  où il décide, séduit par la belle, de fausser les résultats de l’enquête. L’histoire se poursuit, on inaugure un nouvel hôpital. L’occasion à nouveau de faire des dépistages sur des patientes nues. Dans cette histoire Tanny Tien est infirmière et Michael Hui joue une vieille patiente avec une dent en moins (le visage de l’acteur est peu habillement maquillé, la dent est juste peinte en noir). La vieille dame passe son temps à manger, l’opération chirurgicale commence. Une fois achevée, l’infirmière constate qu’il manque une pince. Rebelote et encore une deuxième fois. La malade finit le sketch en disant qu’ils devraient peut être lui coudre une fermeture éclair.

Le dernier sketch s’articule autour d’un barbier et de son apprenti, incarné par Michel Hui, qui est l’homme à tout faire, surtout les taches ingrates, et souffre douleur de son patron. Cette dernière partie illustre peut-être le mieux ce que sera l’humour de Michael Hui : faire subir aux autres ce que l’on ne voudrait pas subir. Ainsi le patron prend momentanément la place de l’apprenti mais du coup doit endurer chaque remontrance. L’humour de la cruauté était déjà un peu présent dans la première partie quand Michael Hui en riche homme d’affaire refusait de donner un pourboire aux employés des bains publics, ou quand aux conducteurs de pousse-pousse il demande lequel est moins cher et que chacun baisse ses prix alors qu’ils sont très pauvres. Mais l’essentiel de l’humour de ce film reste dans des situations convenues, avec des gags poussifs. Exemple typique : Michael Hui joue au mahjong dans une chambre funéraire (quelle idée saugrenue), tellement pris par la partie, il ne sent pas compte qu’un fantôme est derrière lui. Ses trois camarades tentent de lui faire signe pour qu’il quitte la pièce. La scène dure bien trop longtemps, les visages des amis sont trop expressifs et celui de Michael Hui trop impavide pour que le gag fonctionne vraiment. Le film est souvent à l’image de ce gag, un peu mou et étiré sans raison.

The Happiest moment (一樂也, Hong Kong, 1973) Un film de Li Han-hsiang avec Michael Hui, Tanny Tien, Woo Gam, Ku Feng, Chan Shen, Shum Lo, Chiang Nan, Wang Han-chen, Gam Yam, Hao Li-jen, Wong Sam, Wang Hsieh, Chu Mu.

lundi 3 septembre 2012

Les Enfants loups, Ame et Yuki


Comment élève-t-on les enfants loups, se demande Hana, jeune veuve partie s’installer au fin fond de la campagne japonaise avec ses deux enfants Yuki, l’ainée et Ame, son frère d’un an plus jeune. La manière dont cette maman est arrivée là, dans cette maison en ruine au milieu de ce trou perdu, est racontée en voix off par Yuki devenue adulte. Les Enfants loups, Ame et Yuki commence, après une courte séquence onirique qui conclura également le film, par la rencontre à l’université de Hana et de cet homme mystérieux qui n’a jamais de livre avec lui, qui ne parle à personne et qui intrigue beaucoup Hana.

Au bout de quelques rendez-vous maladroits, il lui confie qu’il est un descendant d’une race de loups. Non pas un loup-garou, mais bel et bien un loup. D’ailleurs, il se transforme quand il le souhaite et ne répond pas uniquement à l’appel de la pleine lune. Elle l’accepte et assez vite nait Yuki puis Ame. Parfois les instincts reprennent leu et il ramène à la maison un oiseau chassé. Un soir de pluie, c’est le drame, le mari de Hana meurt sous sa forme de loup, au bord d’une rivière. Elle va désormais élever ses enfants seule qu’elle porte l’une sur son dos l’autre sur son ventre.

Les enfants grandissent et ont des caractères opposés. Yuki est très vive, espiègle et bouge tout le temps. Elle mange tout le temps, une vraie goinfre et bien entendu en met de partout. Yuki est capricieuse et soupe-au-lait. Quand elle se fâche, elle se transforme en louve, avec ses petites oreilles en pointe. Tous ces moments où elle grandit donnent un air léger et comique au film. En revanche, Ame est taciturne, peu sociable, d’un caractère inverse de celui de sa grande sœur. Hana protège ses enfants du monde extérieur, ils font des promenades nocturnes et tente d’éviter des dangers : en l’occurrence les services sociaux étonnés de ne pas voir les enfants à l’école ou qu’ils ne soient pas vaccinés.

Voilà pourquoi Hana et ses enfants partent s’exiler dans cette maison éloignée. Elle essaie de ne pas rencontrer les rares voisins alentours de peur qu’ils ne découvrent leur secret. Yuki se plait au milieu de la nature où elle peut se transformer à sa guise. Ame reste craintif devant n’importe petit animal, reste dans la maison et ne communique. Les caractères des enfants s’affirment tandis qu’ils grandissent et s’opposent de plus en plus. Deux changements majeurs vont transformer leur vie et leur destin. Le premier est l’école à laquelle Yuki adore aller. Par un simple travelling temporel (la caméra passe d’une classe à l’autre sur cinq ans), on comprend que Yuki se dirige vers les humains et Ame vers la nature. Cette idée du destin traverse tout le film avec douceur. D’un côté la comédie et de l’autre la tragédie.

Toujours pour conserver son secret, Hana cherche à vivre en autarcie, mais elle n’est pas douée pour le jardin. La solidarité avec les voisins va venir à son secours. Sans qu’elle ne le sache, elle va être soutenue par un vieux grand-père bourru qui lui prodiguera des conseils, un peu comme Clint Eastwood le faisait avec son jeune protégé dans Gran Torino. Il donne ses ordres en peu de mots, feint d’en n’avoir rien à fiche mais a un cœur d’or. Yuki va découvrir l’amitié non seulement avec ses copines mais aussi avec Sohei, un nouvel élève, qui comprendra qu’elle est une louve. Ame, qui ne va plus à l’école, affirme à sa mère avoir rencontré son maitre dans la montagne. Un violent orage viendra sceller le destin des deux enfants, comme si la pluie qui ne cesse de se déverser sur la montagne et la campagne oblitérait tout leur passé pour écrire l’avenir que Yuki et Ame se sont choisis.

Les Enfants loups, Ame et Yuki (おおかみこどもの雨と雪, Japon, 2012) Un film de Mamoru Hosoda avec les voix de Aoi Miyazaki, Haru Kuroki, Momoka Ôno, Yukito Nishii, Amon Kabe, Takao Owasa, Takuma Iraoka.

samedi 1 septembre 2012

Love in the buff


Cela fait maintenant 159 jours que Cherie (Miriam Yeung) et Jimmy (Shawn Yue) ont arrêté de fumer et qu’ils sortent ensemble. Comme dans Love in a puff qui a raconté leur rencontre et leurs premiers pas amoureux, le décompte est inscrit sur l’écran. Plus de clopes mais de la glace et de la pastèque pour une soirée intime où elle lui raconte l’histoire étrange d’une amie dont chacun des petits amis seraient morts violement : le premier décède dans une laverie, le deuxième en étendant le linge et le troisième dans un salon de massage. Histoire de dire que même quand on a une vie calme et rangée comme celle que mène Cherie et Jimmy, le drame peut arriver à chaque instant. Il faut donc profiter de chaque moment de câlin.

Les câlins, c’est bien sympa, mais faut travailler. Cherie travaille toujours à Sephora et Jimmy est toujours dans la pub. Son boulot lui prend tellement de temps qu’il en oublie d’aller à l’anniversaire de sa belle-mère (Siu Yam-yam) auquel est présent également son jeune beau-frère (Derek Tsang) qui juge sévèrement que sa sœur sorte avec un homme si jeune et qui oublie si facilement les obligations familiales. Cherie reproche surtout à son mec de ne même pas avoir envoyé un sms. Et quand il lui annonce que son chef lui propose un bon boulot en Chine, elle ne peut répondre que par un « oh » qui en dit plus long que n’importe quelle discussion de couple. Les disputes se suivent et se ressemblent. Conséquence directe : la séparation. L’idée de Cherie est de communiquer par tous les moyens : portable, mail, sms, quitte à passer pour un goujat en soirée.

Nouveau pays, nouvelle vie. Jimmy tombe sur une hôtesse de l’air joliment prénommée You-you (Yang Mi) qui lui demandera son numéro de téléphone. Elle avait feint d’être agressée sexuellement pour mieux l’aborder. Après pas mal d’échanges de sms, ils commenceront à sortir ensemble. Souvent en voyage, elle deviendra accro à ses messages et comprendra qu’il y a un problème dans leur couple quand le nombre de messages diminuera. Quant à Cherie, elle obtient aussi un poste en Chine, dans la même ville. Célibataire, une de ses collègues va l’amener dans un étrange marché aux célibataires. Plein de mamans vante sur une promenade au bord d’une rivière les atouts de leurs fistons. Elle va finalement rencontrer Sam (Xu Zheng), un cadre supérieur tout ce qu’il ya de gentil et prévenant. Elle le rencontre par hasard, aux toilettes, un jour où elle fait tomber son portable dans la cuvette. Bref tout va bien dans le meilleur des mondes, chacun de leur côté jusqu’à ce que chacun des deux retrouve dans le déménagement de leurs affaires un souvenir commun fort : leur dernier mégot. Faut-il le jeter, faut-il le garder ? Ce minuscule déchet représente une bonne partie de leur vie.

Leur nouvelle vie commencée, tout Love in the buff va se porter sur leur passé. Ce ne sera plus la clope qui va les rapprocher mais le portable, exactement ce qui les avait séparé. Jimmy, un jour d’ennui, envoie un sms à Cherie pour lui demander si ça va, puis un autre jour pour lui proposer de dîner, et finalement ils vont coucher ensemble. Leur rencontre est ponctuée de discussions franches où ils peuvent enfin se poser les questions qu’ils n’avaient jamais osé se poser.  Jimmy veut savoir si elle est vraiment sortie avec Ekin Cheng qui fait une courte apparition dans le film. Jimmy va s’incruster sur un tournage de pub où Ekin Cheng est là pour savoir la vérité dans une séquence parmi les plus réussies. Plus tard, Cherie rencontrera Linda Wong (l’ex d’Ekin Cheng) dans le film, retirée du business mais dont la chanson la plus célèbre rappelle à Cherie sa vie avec passée avec Jimmy.

Pang Ho-cheung tourne pour la première fois en Chine continentale et son scénario a donc été conçu pour échapper aux fourches caudines locales. Love in the buff est moins mordant que Love in a puff, les blagues sont plus sages et le romantisme plus appuyé. Avec sa musique jazz, Pang se place pour être le Woody Allen chinois avec ses bons mots et ses disputes entre les personnages. Beaucoup d’acteurs chinois présents pour attirer le public local se mettent au diapason de son style. La palme revient à Hung Xiao-ming, nouveau beau gosse du cinéma chinois, dans le rôle d’un gentil garçon censé être le blind date de Cherie. Sa mère l’avait vanté au marché des célibataires comme étant le sosie de l’acteur Hung Xiao-ming. Son personnage prétend ne pas savoir qui est cet acteur. Finalement, Love in the buff est un film sur la dissimulation des sentiments, éternel sujet du cinéma.

Love in the buff (春嬌與志明, Hong Kong – Chine, 2012) Un film de Pang Ho-cheung avec Miriam Yeung, Shawn Yue, Xu Zheng, Yang Mi, Huang Xiao-ming, Roy Szeto, Vincent Kok, Isabel Chan, Jim Chim, Mia Yam, Derek Tsang, Siu yam-yam, Linda Wong, Ekin Cheng, Crystal Tin.