Les
guerres de pouvoir entre le shogunat et l’empereur servent de toile de fond aux
Derniers samouraïs, ultime film de
Kenji Misumi qui dure 2h39 et se déroule sur une période de 15 ans, entre 1864
et 1877. C’est un récit lyrique dans ses combats et généreux en personnages.
L’histoire du Japon avec un grand H, c'est-à-dire le passage du système féodal
au Japon moderne incluant la fin de la période Edo, intéresse moins que
l’amitié profonde et sincère entre les quatre samouraïs tous issus de rang et
clan différents, des samouraïs devenus amis mais qui auraient pu ne jamais se
rencontrer.
Le
personnage central est Toranosuke Sugi (Hideki Takahashi) que l’on découvre
rentrer dans son foyer natal après huit ans. Il se rend chez son oncle plutôt
que chez son père avec lequel il est fâché. En l’espace de quelques
flash-backs, Kenji Misumi raconte que sa belle-mère a convaincu le père de
déshériter Sugi au profit de son demi-frère, qu’il a sauté dans l’eau pour se
noyer et qu’il a été recueilli par Ikemoto (Takahiro Tamura) qui lui apprend le
maniement du sabre. Sugi sera marqué par son sensei, physiquement par les cicatrices des lames sur son corps et
moralement parce qu’il considère qu’Ikemoto, espion à la solde du shogun, est
son père.
Ikemoto
a toujours recommandé à son disciple de ne pas se mêler des affaires
politiques. Sugi va pourtant se lier d’amitié avec Iba Hachiro (Masaomi Kondo),
samouraï de naissance, contrairement à Sugi. Le jeune homme est impressionné
par le talent de bretteur de Sugi. Iba est décrit comme un homme raffiné au
sourire constant. Avec sa « cousine éloignée » Tsuya (Chikako
Honami), il va au théâtre. Ils invitent Sugi plutôt que d’aller confronter leur
force respective au sabre. Cette galanterie, Sugi l’applique quand il rencontre
Hide (Kiwako Taichi), une prostituée qu’il aide à quitter la ville pour une
nouvelle vie.
L’une
des belles idées des Derniers samouraïs et de faire le lien entre Sugi et
Hanjiro Nakamura (Ken Ogata) grâce au personnage d’Hide. Dans la capitale, la
jeune femme est devenue religieuse priant pour son défunt mari. Hanjiro,
apprenti samouraï sous les ordres d’un chef de guerre, Saigo Takamori (Ryutaro
Tatsumi), devient l’amant de cette religieuse qui n’a pas renoncé aux hommes.
Elle lui demande de rembourser les dix ryos de Sugi. Les deux hommes se
rencontrent par hasard dans la rue. Sugi était accompagné d’Iba et de Soji
Okita (Teruhiko Saigô), du clan du shogun.
Cette
rencontre est une belle scène, les quatre hommes sont souriants, boivent du
saké dans une maison de luxe, plaisantent ensemble sans se soucier de leur
opinions politiques opposées. Ils ne se doutent pas qu’ils devront se faire la
guerre pour défendre les idéologies de leurs chefs. Kenji Misumi décrit tout
l’absurdité de la situation du Japon d’alors, absurdité qui vaut pour toutes
les guerres. Cette description passe par la violence des images (toujours aussi
peu de sang versé certes mais un grand nombre d’hommes tués lors des batailles),
par l’acharnement à conserver un bout de pouvoir pour le pouvoir.
La
question pour les quatre amis est de savoir comment rester amis. Le personnage
de Hanjiro prend une place importante dans le film en tant que double de Sugi.
Hanjiro est un paysan habile aux armes et engagé comme samouraï. Il est moqué
pour sa grossièreté (on l’entend péter) par les autres. Saigo voit en lui le
moyen d’accéder au pouvoir en luttant contre les alliés du shogun. Au fil des
années, Hanjiro prend du galon, au grand dam de ses collègues. Il déambule
fièrement sur son cheval, le sourire aux lèvres et l’air sérieux. Et surtout,
il s’est laissé pousser la moustache, symbole de prestige.
Dans
le camp adverse, Sugi suit les ordres de son sensei, devient espion (très belle séquence où il suit les indices
pour retrouver son maître) et se lie avec Reiko (Keiko Matsuzaka) dans la
capitale. Il aspire à une vie calme, il abandonne son statut de samouraï et
épouse Reiko. Si Hanjiro a une belle moustache, Sugi deviendra barbier. Il
était logique qu’ils se rencontrent dans sa boutique. Sugi a adopté le mode
vestimentaire et capillaire occidental (il s’est coupé le chignon). Il ne reste
aux deux hommes plus qu’à célébrer leurs retrouvailles dans une des scènes les
plus émouvantes et poignantes de ce dernier film de Kenji Misumi autant
politique que divertissant.
Les
Derniers samouraïs (狼よ落日を斬れ, Japon, 1974) Un film de Kenji Misumi avec Hideki Takahashi, Ken
Ogata, Masaomi Kondo, Teruhiko Saigô, Tôru Abe, Ayako Honami, Kenji Imai, Keiko
Matsuzaka, Ryunosuke Minegishi, Asao Sano, Kiwako Taichi, Takahiro Tamura, Ryutaro
Tatsumi.