lundi 30 septembre 2013

Les Derniers samouraïs


Les guerres de pouvoir entre le shogunat et l’empereur servent de toile de fond aux Derniers samouraïs, ultime film de Kenji Misumi qui dure 2h39 et se déroule sur une période de 15 ans, entre 1864 et 1877. C’est un récit lyrique dans ses combats et généreux en personnages. L’histoire du Japon avec un grand H, c'est-à-dire le passage du système féodal au Japon moderne incluant la fin de la période Edo, intéresse moins que l’amitié profonde et sincère entre les quatre samouraïs tous issus de rang et clan différents, des samouraïs devenus amis mais qui auraient pu ne jamais se rencontrer.

Le personnage central est Toranosuke Sugi (Hideki Takahashi) que l’on découvre rentrer dans son foyer natal après huit ans. Il se rend chez son oncle plutôt que chez son père avec lequel il est fâché. En l’espace de quelques flash-backs, Kenji Misumi raconte que sa belle-mère a convaincu le père de déshériter Sugi au profit de son demi-frère, qu’il a sauté dans l’eau pour se noyer et qu’il a été recueilli par Ikemoto (Takahiro Tamura) qui lui apprend le maniement du sabre. Sugi sera marqué par son sensei, physiquement par les cicatrices des lames sur son corps et moralement parce qu’il considère qu’Ikemoto, espion à la solde du shogun, est son père.

Ikemoto a toujours recommandé à son disciple de ne pas se mêler des affaires politiques. Sugi va pourtant se lier d’amitié avec Iba Hachiro (Masaomi Kondo), samouraï de naissance, contrairement à Sugi. Le jeune homme est impressionné par le talent de bretteur de Sugi. Iba est décrit comme un homme raffiné au sourire constant. Avec sa « cousine éloignée » Tsuya (Chikako Honami), il va au théâtre. Ils invitent Sugi plutôt que d’aller confronter leur force respective au sabre. Cette galanterie, Sugi l’applique quand il rencontre Hide (Kiwako Taichi), une prostituée qu’il aide à quitter la ville pour une nouvelle vie.

L’une des belles idées des Derniers samouraïs et de faire le lien entre Sugi et Hanjiro Nakamura (Ken Ogata) grâce au personnage d’Hide. Dans la capitale, la jeune femme est devenue religieuse priant pour son défunt mari. Hanjiro, apprenti samouraï sous les ordres d’un chef de guerre, Saigo Takamori (Ryutaro Tatsumi), devient l’amant de cette religieuse qui n’a pas renoncé aux hommes. Elle lui demande de rembourser les dix ryos de Sugi. Les deux hommes se rencontrent par hasard dans la rue. Sugi était accompagné d’Iba et de Soji Okita (Teruhiko Saigô), du clan du shogun.

Cette rencontre est une belle scène, les quatre hommes sont souriants, boivent du saké dans une maison de luxe, plaisantent ensemble sans se soucier de leur opinions politiques opposées. Ils ne se doutent pas qu’ils devront se faire la guerre pour défendre les idéologies de leurs chefs. Kenji Misumi décrit tout l’absurdité de la situation du Japon d’alors, absurdité qui vaut pour toutes les guerres. Cette description passe par la violence des images (toujours aussi peu de sang versé certes mais un grand nombre d’hommes tués lors des batailles), par l’acharnement à conserver un bout de pouvoir pour le pouvoir.

La question pour les quatre amis est de savoir comment rester amis. Le personnage de Hanjiro prend une place importante dans le film en tant que double de Sugi. Hanjiro est un paysan habile aux armes et engagé comme samouraï. Il est moqué pour sa grossièreté (on l’entend péter) par les autres. Saigo voit en lui le moyen d’accéder au pouvoir en luttant contre les alliés du shogun. Au fil des années, Hanjiro prend du galon, au grand dam de ses collègues. Il déambule fièrement sur son cheval, le sourire aux lèvres et l’air sérieux. Et surtout, il s’est laissé pousser la moustache, symbole de prestige.

Dans le camp adverse, Sugi suit les ordres de son sensei, devient espion (très belle séquence où il suit les indices pour retrouver son maître) et se lie avec Reiko (Keiko Matsuzaka) dans la capitale. Il aspire à une vie calme, il abandonne son statut de samouraï et épouse Reiko. Si Hanjiro a une belle moustache, Sugi deviendra barbier. Il était logique qu’ils se rencontrent dans sa boutique. Sugi a adopté le mode vestimentaire et capillaire occidental (il s’est coupé le chignon). Il ne reste aux deux hommes plus qu’à célébrer leurs retrouvailles dans une des scènes les plus émouvantes et poignantes de ce dernier film de Kenji Misumi autant politique que divertissant.

Les Derniers samouraïs (狼よ落日を斬れ, Japon, 1974) Un film de Kenji Misumi avec Hideki Takahashi, Ken Ogata, Masaomi Kondo, Teruhiko Saigô, Tôru Abe, Ayako Honami, Kenji Imai, Keiko Matsuzaka, Ryunosuke Minegishi, Asao Sano, Kiwako Taichi, Takahiro Tamura, Ryutaro Tatsumi.

dimanche 29 septembre 2013

La Légende de Zatoichi 3 : Un nouveau voyage



Le troisième film consacré aux aventures de Zatoichi voit le personnage incarné par Shintaro Katsu (La Légende de Zatoichi : Un nouveau voyage est le premier film de la série en couleurs) retourner dans le village de son enfance, quatre ans après en être parti, et se confronter à son passé. Sur son chemin, il est pris à parti par trois samouraïs qui cherchent à venger la mort de Kanbei, un chef de clan avec lequel Zatoichi s’était affronté dans le deuxième film. Ces trois hommes sont liés à Sekiya, le frère de Kanbei. Le thème de la vengeance se poursuit.

Il les défait sans problème poursuit sa route, il croise des enfants qui entonnent des chants, il rencontre Tame, l’un de ses amis d’enfance, accompagné de sa famille. Mais les ennuis vont continuer dans une auberge où des voleurs viennent piller les clients. Zatoichi donne sa bourde aux gredins dès le lendemain matin, récupérer son argent. Le masseur avait invité Tame à manger dans cette auberge, l’homme était trop pauvre pour se payer un repas. Ce que ne supportait Zatoichi est cette injustice de voler aux indigents.

Puis enfin, au village Zatoichi est accueilli les bras ouverts par son sensei, Banno (Seizaburō Kawazu). Le masseur a toujours été son meilleur élève, celui qui s’entrainait jour et nuit qu’il pleuve ou vente. Banno est tant fier qu’il demande à Zatoichi de faire une démonstration à deux invités. Mais derrière cette façade de maître du sabre, Banno cache un tempérament plus sombre. Il aime l’argent et complote d’enlever le fils d’un riche chef de clan contre une rançon.

Voilà désormais Zatoichi avec trois ennemis, Sekiya, Banno et le clan Tame. Sekiya et ses hommes sont régulièrement battus par Zatoichi mais Sekiya reconnait la valeur et la loyauté de son adversaire. Banno déçoit triplement Zatoichi. D’abord en surprenant ce complot qu’il fomente, ensuite parce qu’il entretient une liaison avec la femme de l’aubergiste ensuite parce qu’il veut forcer sa jeune sœur Yayoi (Mikiko Tsubouchi) à marier un homme riche qu’elle n’aime pas. Banno est un homme de vices.

Avec le retour de Zatoichi, la jeune et belle Yayoi (18 ans) se rend compte qu’elle est amoureuse de lui. Dans un long et poignant dialogue entre eux deux, Zatoichi tente de la dissuader de cet amour. Il se décrit de manière très sombre, se proclame proscrit de la société, amateur d’argent et ayant connu trop de femmes. Il se part de tous les vices, les mêmes que ceux de son sensei, pour expliquer que le sort de Yayoi ne serait pas enviable mais aussi pour lui montrer que son frère est malfaisant.

Déjà dans le début du film, avec Tame et sa femme, Zatoichi montrait combien son sort est peu enviable dans une chanson accompagnée au shimasen en forme de complainte. Zatoichi est tout à la fois un pauvre homme et un justicier, l’un n’allant pas sans l’autre. Ce troisième film forme avec les deux premiers une trilogie où le personnage est règle les querelles avec ceux qui l’ont connu dans le passé, son frère, sa femme et son sensei. Il peut maintenant partir vers d’autres cieux et d’autres adversaires.

La Légende de Zatoichi : Un nouveau voyage (新・座頭市物語, Japon, 1963) Un film de Tokuzō Tanaka avec Shintaro Katsu, Mikiko Tsubouchi, Seizaburō Kawazu, Fujio Suga, Mieko Kondo, Chitose Maki, Tatsuo Endô, Gen Kimura, Kanae Kobayashi, Yutaka Nakamura, Shôsaku Sugiyama.

samedi 28 septembre 2013

Phantom


Un premier long-métrage tourné au Japon par un jeune réalisateur français (Jonathan Soler est né en 1985) est un fait suffisamment rare pour qu’on s’y penche. Phantom dure 76 minutes et prend un parti pris minimaliste : tournage avec un appareil photo, deux interprètes, une jeune femme (Yuki Fujita) et un jeune homme (Masato Tsujioka). Une discussion ininterrompue entre eux le temps d’une nuit dans le petit appartement de la demoiselle coupée par des images diurnes et nocturnes de Tokyo.

On ne connaitra jamais les prénoms des deux protagonistes. Appelons-les « elle » et « lui ». Elle arrive chez elle, le soir, un masque anti-pollution sur le visage. L’appartement n’est pas bien grand. Elle pose ses affaires, elle passe à la cuisine, elle fait bouillir de l’eau pour sa barquette de nouilles. Cette séquence d’ouverture, sans paroles puisqu’elle est seule chez elle, sera la l’unique moment bruité du film, comme un micro récit réaliste. Quelques instants plus tard, on découvre que lui est dans l’appartement, on ne l’a pas vu arriver.

Phantom s’embarque dans la discussion à bâtons rompus, elle parle, lui répond. Les deux acteurs ont une voix très douce, on pense aux dialogues chez Godard, dans Une femme mariée entre Macha Méril et Philippe Leroy dans leur lit, dans La Chinoise entre Anne Wiazemski et Francis Jeanson dans le train. Pas un mot ne sera plus haut que l’autre, seuls quels rires peuvent accentuer le dialogue entre les deux amants. C’est cette douceur des mots qui frappe d’abord dans Phantom.

Et Jonathan Soler veut que le spectateur entende ces voix. Il supprime de la bande son tout bruit extérieur. La discussion apparait alors comme un motif extérieur qui permet de penser qu’elle rêve peut-être cette discussion avec son petit ami. L’absence de linéarité des plans (un coup dans une position, un coup nus, un coup habillés dans une autre position) accentue cette démarche onirique qui évoque tout autant les films polonais de Jerzy Skolimowski qu’aux films « politiques » de Nagisa Oshima et Yoshishige Yoshida.

On les entend parler et l’image ne suit jamais leur mouvement des lèvres. Les interruptions visuelles dans Tokyo les montrent se promenant avec un sens du flou artistique. On voit une ville rarement montrée sur le mode du marabout de ficelle : des détritus, des SDF, des bancs, des tables de café défilent à la queue-leu-leu dans un montage rapide. Ces décalages perturbent le sens habituel de la narration quitte à perdre un peu le film pour y revenir plus tard, comme on feuilletterait un album photos.

Passée la forme gentiment expérimentale, on découvre deux personnages en marge de la société. Elle parle de sa situation de travailleur précaire qui passe de petits boulots en petits boulots. Elle se demande comment continuer à payer son appartement. Elle est dans le concret. Lui ne révèle rien de sa vie, on ne sait pas s’il travaille prolongeant l’idée que ce dialogue n’a peut-être pas lieu. Il est dans un discours plus éthéré, plus politique et parfois foutraque, à l’image du film de Jonathan Soler.  

Phantom ファントム (France – Japon, 2013) Un film de Jonathan Soler avec Yuki Fujita, Masato Tsujioka.

vendredi 27 septembre 2013

Sorties à Hong Kong (septembre 2013) Young Detective Dee : Rise of the Sea Dragon


Young Detective Dee : Rise of the Sea Dragon (狄仁傑之神都龍王, Hong Kong – Chine, 2013)
Un film de Tsui Hark avec Mark Chao, AngelaBaby, William Feng, Lin Geng-xin, Carina Lau, Kim Beom, Ma Jing-jing, Hu Dong, Sheng Jian, Lin Zhao-xu. 133 minutes. Classé Catégorie IIA. Sortie à Hong Kong : 27 septembre 2013.

mardi 24 septembre 2013

Crazy stone


Cela fait maintenant quelques mois que Spectrum Films sort des DVD de films asiatiques. Après, entre autres, The Heavenly Kings de Daniel Wu, The Way we are d’Ann Hui et Adrift in Tokyo de Satochi Miki, la jeune structure sort cette semaine Crazy stone de Ning Hao et Blind mountain de Li Yan. J’avais pu voir Blind mountain en 2007 au Festival de Cannes (mon texte ici), drame sur le mariage forcé dans la Chine profonde qui prenait la forme d’un thriller. Crazy stone est d’un tout autre genre, c’est une comédie qui a eu, lors de sa sortie en Chine en 2006, un énorme succès public.

La pierre qui rend fou du titre est un jade trouvé dans l’usine de Xei Xei (Chen Zheng-hua) parmi de nombreux objets précieux lors de fouilles. L’usine est en faillite, les 200 ouvriers n’ont pas été payé depuis des lustres mais Xei Xei refuse de vendre le terrain à Feng Hai (Xu Zheng, le réalisateur et acteur de Lost in Thailand, autre comédie chinoise récente), promoteur immobilier qui rêve de placer là un building qui serait recouvert d’un temple bouddhiste, histoire de concilier l’orient et l’occident, comme le dit son lèche-cul d’homme de main.

Plutôt que vendre l’usine, Xei Xei décide de vendre tous ces objets antiques et le jade sera le clou des enchères. Il charge Bao Shihong (Guo Tao) de surveiller les reliques car il a été jadis à l’école de police et qu’il semble le mieux placé pour être le chef des vigiles. Bao et son fidèle ami San Bao (Liu Gang) décident de louer un appartement juste en face du temple où est entreposé le trésor. De la fenêtre de la chambre, ils pourront observer tranquillement. Et ils font bien car depuis que le jade est exposé, tous les voleurs du coin veulent s’en emparer.

Pour faire démarrer la comédie, Crazy stone s’intéresse moins au moyen de rentrer dans la place pour voler la pierre précieuse qu’aux voleurs qui s’attèlent à cette tache. D’abord un trio de bras cassés (Liu Hua, Huang Bo et Yue Xiao-jun) qu’on découvre en train de cambrioler un appartement mais qui, une fois dans la rue, se font mettre un PV par la police municipale. Ensuite, le propre fils de Xie Xie surnommé Charles (Luo Lan), patapouf paresseux, fashion victime et dragueur qui veut impressionner une jolie fille. Enfin, Mark (Lin wai-kin), voleur ultra professionnel engagé par Feng Hai.

Les quiproquos ne vont pas tarder à s’enchainer avec la première tentative où se succèdent les voleurs qui utilisent la même méthode (faire croire à un incendie pour que Bao quitte les lieux). Mais la saveur du comique vient du fait que le trio de voleurs loge dans la chambre voisine de celle de Bao et San Bao, qu’ils se croisent sans cesse sans qu’ils ne se reconnaissent les uns les autres. Le film privilégie le spectateur à qui il donne toutes les informations et qui attend que les personnages, tous relativement incompétents se rencontrent. Certains resteront longtemps coincés dans des conduits d’aération ou des égouts.

Le titre du film fait référence à La Panthère rose de Blake Edwards (c’était le nom du bijou que se disputaient les voleurs) et la mise en scène s’en inspire quand le cinéaste décale des scènes concomitantes pour montrer que tout le monde s’était déjà rencontré sans le savoir. D’un point strictement comique, Crazy stone tente, parfois maladroitement, de donner un rythme proche du comics (montage hyper rapide, gags burlesques, comportement puéril). On pense plus souvent à Snatch de Guy Ritchie qu’aux films de Stephen Chow et Lee Lik-chi. J’aurais préféré l’inverse.

Crazy stone (瘋狂的石頭, Chine, 2006) Un film de Ning Hao avec Guo Tao, Lin Wai-kin, Liu Hua, Liu Gang, Xu Zheng, Huang Bo, Yue Xiao-jun, Wang Xun, Peng Bo, Luo Lan, Hou Shu, Chen Zheng-hua, Wang Jia-ning, Song Wen-xin, Du Jie, Ning Hao.

dimanche 22 septembre 2013

Lettre à Momo


Momo, dix ans, est une adolescente ordinaire. Mais un grand changement a bouleversé sa vie ainsi que celle d’Ikuko, sa mère. Elles ont quitté Tokyo pour aller habiter dans la petite île de Shiojima dans une maison à côté de celle des grands-parents d’Ikuko. Elle n’était pas retournée dans le village de son enfance depuis très longtemps et Momo n’y avait jamais mis les pieds. Si la mère a décidé de s’établir dans ce village éloigné de tout, c’est parce que son mari vient de décéder. Elle n’a plus assez d’argent pour rester dans la capitale.

Autant dire que Momo n’est pas ravie de changer de vie. Le village est minuscule, elle se plaint de l’absence de magasins comme de divertissements. Ikuko l’encourage à aller à la rencontre des autres enfants de l’île, notamment Youta, un garçon qui, comme Momo, doit rentrer en sixième une fois les vacances d’été finies. En attendant le collège, Momo passe ses journées à s’ennuyer dans la moiteur tandis que sa mère part chaque jour prendre des cours pour son nouveau métier.

Seule, Momo ne l’est pas vraiment. Elle entend des bruits dans le grenier. Bien que peureuse, elle monte. La veille, la grand-mère lui avait montré un vieux livre retraçant l’histoire des yokai, ces monstres japonais aux apparences diverses. Momo commence à apercevoir des formes transparentes vaguement liquides. Elle ne sait pas ce dont il s’agit. Elle va interroger le grand-père sur ce livre qu’elle feuillette. Le vieil homme déclare que son père croyait à l’existence des yokai, qu’il en aurait vus jadis.

Bientôt, elle commence à voir les trois monstres. Iwa est longiligne et a une grande bouche, Kawa est très costaud, le bouche ouverte sur des grands dents dorées et Mame a des grands yeux tout rond et un petit corps. Leurs physiques sont différents comme leur tempérament. Iwa, le chef du trio, est un fort en gueule un peu prétentieux, Kawa est un gaffeur et Mame est le gentil innocent qui veut sympathiser avec Momo qui est la seule à les voir. Ce sont surtout des personnages qui ne pensent qu’à bouffer.

Lettre à Momo est une variation sur les histoires des yokai mais sur un mode comique, ne serait-ce déjà qu'avec l'aspect des trois créatures. Les trois monstres enchainent les gaffes hilarantes. Ils volent des aliments partout chez Momo, mais aussi dans les jardins des habitants. Le moment culminant se déroule dans les montagnes quand Kawa et Iwa enlèvent trois marcassins à un couple de sanglier, provoquant une course poursuite. Les yokai sont très encombrants, égoïstes et immatures. Momo a d’abord peur d’eux mais elle va devenir leurs amis.

Le merveilleux du film s’installe tranquillement au cours du récit avec une très belle idée sur la solitude d’une enfant déracinée de son passé. Les trois yokai ont une mission à accomplir, faire le relais entre elle et son père dans les limbes du paradis. Pour Momo, cette solitude s’accentue quand elle devient l’amie des trois monstres et qu’elle refuse l’amitié de Youta, le garçon qui aimerait devenir son ami. Elle s'enferme dans le monde des morts plutôt que s'ouvrir à celui des vivants. La beauté du graphisme, la tendresse pour les personnages, l’aspect comique des yokai, le scénario plein de rebondissements font de Lettre à Momo un enchantement.

Lettre à Momo (ももへの手紙, Japon, 2012) Un film de Hiroyuki Okiura avec les voix de Karen Miyama, Yuka, Toshiyuki Nishida, Kōichi Yamadera, Chō, Daizaburo Arakawa, Kazuo Miyaura, Yoshisada Sakaguchi, Ikuko Tani, Takeo Ogawa, Kota Fuji, Katsuki Hashimoto.

samedi 21 septembre 2013

Nouveautés BlurayDisc chez Metropolitan HK Vidéo


Il n’est pas trop tard pour signaler la sortie chez Metropolitan Film & Video la sortie pendant l’été de quelques films en DVD et BluRay. Tout d’abord, c’était en août, l’édition du Grand magicien de Derek Yee, film en costumes avec Tony Leung Chiu-xai et Lau Ching-wan ayant pour cadre la magie au début du 20ème siècle. Sans atteindre la réussite de certains de ses films antérieurs, Derek Yee séduit grâce au charme de Tony Leung Chiu-wai et de l’actrice Zhou Xun (nommé comme meilleure actrice pour ce rôle au Hong Kong Film Awards 2012). Le film a également reçu les HK Film Awards pour les meilleurs décors, costumes.



Depuis quelques mois, Metropolitan HK Video ressort en BluRay ses classiques disponibles jusque là uniquement en DVD. Depuis mi-septembre, les aficionados peuvent redécouvrir les trois premiers épisodes de Il était une fois en Chine de Tsui Hark (soit Il était une fois en Chine, La Secte du Lotus blanc et Le Tournoi du lion). Le coffret est accompagné du documentaire Il était une fois Wong Fei-hung, déjà présent sur les dvd. Mais l’essentiel est de pouvoir voir, revoir et faire découvrir Jet Li et Tsui Hark dans le sommet de leurs œuvres.

jeudi 19 septembre 2013

Sorties à Hong Kong (septembre 2013) Mr. & Mrs. Player


Mr. & Mrs. Player (爛滾夫鬥爛滾妻, Hong Kong, 2013)
Un film de Wong Jing avec Chapman To, Chrissie Chau, Pang Ho-cheung, Matt Chow, Bella Law, Kimmy Tong, Wilfred Lau, Leung Ching-kok, Woo Yin, Iris Chung. 98 minutes. Classé Catégorie III. Sortie à Hong Kong : 19 septembre 2013.

mardi 17 septembre 2013

Hanzo the Razor : L’Epée de la justice


Il a toujours été un peu incompréhensible que le premier volet de la trilogie sur Hanzo the Razor soit absent du coffret DVD lors de son édition en France au printemps 2006. Certes, L’Enfer des supplices est sublime et La Chair et l’or se regarde, mais L’Epée de la justice manquait et manque encore. Le film est encore inédit en DVD. En attendant de revenir cet automne sur la série des Zatoichi, je m’offre une récréation avec ce film de Kenji Misumi où Shintaro Katsu, incarne Hanzo Itami, inspecteur de police de métier sous l’ère Edo.

Pour le cinéaste et son scénariste, il s’agit d’abord de présenter le caractère libre, pour ne pas dire rebelle et révolté, du héros. Il faut aussi en montrer l’inspiration venue du manga avec une grande carte d’Edo dessinée qui sert de décor en tout début de film. Policier donc, Hanzo est aussi un homme de conviction qui refuse de signer le serment que tous ses collègues et son patron Onishi (Ko Nishimura) ont adoptée. Hanzo refuse l’idée de ne défendre que les seigneurs, les samouraïs et ceux qui peuvent offrir des cadeaux.

L’inspecteur veut défendre le peuple. Il ne le fera pas vraiment dans cet épisode puisqu’il va plutôt s’employer à démanteler le réseau secret dont Onishi fait partie. Le film se place sous la forme superficielle d’une enquête policière. Superficielle est le mot car ce qui importe dans L’Epée de la justice n’est pas tant ces soupçons de corruption (Onishi sert des intérêts supérieurs et cache des choses) que les méthodes employées par Hanzo. Quand il apprend que Kanbei, un bandit banni, vient de s’chapper. Onishi veut étouffer cette histoire d’évasion.

Aidé de ses deux adjoints, anciens voleurs qu’il a rééduqués et qui lui sont reconnaissant de les avoir sauvés de l’échafaud, Hanzo part à la recherche d’indices qui le mènent tous à des femmes. En début de film, L’Epée de la justice montrait le sort qu’Hanzo fait subir à son corps. Tout d’abord, il teste les instruments de torture sur lui-même et assure à son patron que les prisonniers risquent d’atteindre le nirvana comme lui. Ensuite, il soigne son sexe : il l’asperge d’eau froide, le frappe avec un marteau et l’enfonce dans un sac de riz.

Loin d’être inutiles, ces scènes montrent comment il traite les hommes (avec violence, brisant le nez d’un témoin, éventrant au sabre les bandits) ou les femmes. Pour ces dernières, c’est son sexe qui est l’instrument de torture. Les deux personnages féminins qu’il croise lors de son enquête sont d’abord réticents à donner des renseignements. Puis, il sort son sexe. « Avoue et tu connaitras le paradis », dit-il avec aplomb. Le film baigne dans un érotisme très soft et coloré au rythme d’une musique jazz funk qui n’a rien à voir avec la période Edo.

Le film de Kenji Misumi n’est pas dépourvu d’humour, notamment dans ces scènes de sexe où l’on sait bien que les deux dames interrogées en demanderont encore. C’est le contraste entre les séquences qui emmènent un certain sens de l’ironie. La première scène érotique, qui implique Kanbei et sa maitresse, très douce sur le son du shamisen, s’oppose radicalement avec le jazz et les gros plans d’Hanzo en sueur et de la femme en extase. Non seulement, elles confessent tous les secrets mais en plus, elles ne veulent plus quitter Hanzo qui allie plaisir et travail.

Hanzo the Razor : L’Epée de la justice (御用牙, Japon, 1972) Un film de Kenji Misumi avec Shintaro Katsu, Yukiji Asaoka, Mari Atsumi, Takahiro Tamura, Ko Nishimura.

dimanche 15 septembre 2013

Christmas Rose


La première réalisation de l’actrice Charlie Young (qui ne joue pas dans son long-métrage) aborde un genre peu fécond à Hong Kong : le film de procès. Christmas Rose est produit par Tsui Hark et Jacob Cheung. Elle a choisi de donner à Aaron Kwok, son partenaire dans Future cops son premier film en tant qu’actrice, le rôle principal. Tim Chen est un ancien avocat qui est devenu procureur général, c'est-à-dire qu’il représente l’Etat et défend les victimes. Ce changement de carrière correspond pour Tim à une question de morale

La victime de l’affaire en cours s’appelle Jane Li (Kwai Lun-mei, qui est doublée en cantonais). Professeur de piano (le titre du film a un rapport avec une chanson), Jane est une jeune femme handicapée (elle se déplace sur un fauteuil roulant). Elle porte plainte contre Winston Zhou (Chang Chen) d’avoir sexuellement abusé d’elle. Winston est son médecin mais également son employeur puisqu’elle enseigne le piano à sa petite fille. C’est un homme marié et il jouit auprès de la profession d’une excellente réputation.

Winston Zhou plaide non coupable lors du procès qui se déroule en trois sessions de longueur à peu près égale. Il est défendu par un jeune avocat, Freddy Xue (Xia Yu) qui a justement rejoint le cabinet que Tim a quitté. Winston est peu loquace pendant ces sessions, d’autant que Freddy lui a demandé de garder le silence. L’avocat déploie une technique pour faire acquitter son client : insinuer le doute auprès du juge du tribunal, montrer que Jane Li est le seule témoin du viol qu’elle aurait subi.

Avec une musique constante pleine d’effets et des ralentis cherchant à appuyer les coups de théâtre du procès, le récit abonde en flash-backs qui donnent le point de vue de chacun des deux protagonistes. Jane Li l’accuse de lui avoir touché la poitrine puis le « bas de son corps », comme elle dit pour parler de son sexe, lors d’un examen médical. Freddy Xue la soupçonne, à cause de son handicap, de ne pas pouvoir faire la différence entre un examen médical et un attouchement sexuel.

Le film oppose les méthodes de l’avocat et du procureur du point de vue moral (tout déballer ou défendre une victime innocente car handicapée) de la même manière que les souvenirs de Jane et de Winston se contredisent. Pour Charlie Young, également auteur du scénario, il faut maintenir un suspense jusqu’à la révélation finale. Tout est remué, le passé de chacun est exhibé au grand jour avec des parts d’ombre qui révèlent des choses secrètes, la vie privée de l’épouse de Winston Zhou est perturbée par les journalistes en recherche de scoops.

Charlie Young a des intentions louables en questionnant les rapports de chacun avec la justice. Mais la naïveté de sa mise en scène pousse à ce que le spectateur épouse d’abord la version de Jane, à cause du mutisme de Winston et du visage mélancolique de Jane, pour ensuite, lors du procès en appel, tomber dans les effets lacrymaux franchement moins convaincant. Là, elle donne tellement d’information sur le passé des personnages que le suspense est un peu trop forcé et les révélations poussives.

Christmas Rose (聖誕玫瑰, Hong Kong, 2013) Un film de Charlie Young avec Aaron Kwok, Xia Yu, Kwai Lun-mei, Qin Hai-lu, Liu Kai-chi, Wan Qian, Chang Chen, Kam Kwok-leung, Pat Ha, Theresa Lee.

vendredi 13 septembre 2013

Anna in Kungfu-land


Pour lancer une boisson énergisante appelée Mighty Force (la force suprême), un jeune et dynamique publicitaire propose d’organiser un championnat d’arts martiaux à son client, Monsieur Hung (Lee Lik-chi, qui en fait des tonnes en homme d’affaires arrogant). Grand amateur de bédés de kung-fu, Ken (Ekin Cheng) doit d’abord convaincre le grand maître de Shaolin, aimablement interprété par Law Kar-wing affublé de lunettes sur sa toge orange, de patronner l’événement à la seule condition que l’un de ses anciens élèves participe à la compétition.

L’ancien élève est Shek (Yasuaki Kurata) et vit au Japon. Trente ans auparavant, il avait été chassé de Shaolin pour avoir eu une aventure avec une des disciples. Ken n’est pas accueilli à bras ouverts parce qu’il est pris pour un yakuza venu défier Shek. Ken se ramasse un coup de poing de la part d’Anna (Miriam Yeung), l’énergique fille de Shek aux mèches de cheveux rouges. Quand elle ne pratique pas le kung-fu, elle exerce la profession de policier. C’est en mettant un PV qu’elle échange un fougueux baiser avec Ken.

Direction Hong Kong pour la compétition. Anna est, depuis ce baiser, amoureuse de Ken. Ce qu’il n’a pas dit, c’est qu’il a déjà une fiancée, Zoe (Denise Ho), elle aussi dans la police. Et que son beau-père (Hui Siu-hung) est son patron. Pour couronner le tout, Ken partage un appartement avec son frère Sam (Wong Yau-nam), un impénitent dragueur. Le récit se lance dans une série de quiproquos dans l’appartement où Ken doit cacher à Anna qu’il sort avec Zoe et inversement. Il met Sam dans la confidence qui doit, devant Zoe, jouer le petit ami d’Anna et inversement.

La partie romantique d’Anna in kungfu-land se lance sur l’idée du mensonge. Ken manque chaque fois de se faire prendre notamment quand les deux filles deviennent amies. Elles préparent un repas pour les deux garçons, repas calamiteux où les plats sont brûlés, et chacune veut servir Ken. Dans la chambre à coucher, tout se complique puisque Zoe donne des conseils à Anna pour sa première fois. Ces quiproquos sont amusants, bien qu’un peu répétitifs, et une fois révélé le mensonge, la déception et la frustration s’emparent d’Anna.

L’une des raisons pour laquelle Anna aime Ken est qu’il lui a promis monts et merveilles. Il a réussi à la convaincre de participer à la compétition en vantant les récompenses : gagner plusieurs millions de dollars, débuter une carrière à Hollywood et devenir l’égérie de la boisson énergisante. Ces fantasmes de gloire sont illustrés avec de courtes saynètes sur un ton de bédé, images pop et flashy. La réalité est toute autre, Anna doit se contenter de faire la mascotte ridicule et se prendre des coups. Son combat est double : conquérir Ken et le titre de meilleure artiste martiale.

Les scènes de combat sont filmées comme des dessins animés, à grand renfort d’effets spéciaux clinquants et sur un mode comique. Les différents combattants sont caricaturés à l’extrême. Shaolin envoie trois enfants obèses. Tats Lau, comme à son habitude, joue l’idiot à l’air constamment hébété qui adopte la position de la grue. Un Américain (Charles Ingram) qui clame que le kung-fu chinois c’est ringard. C’est l’atmosphère potache de cette compétition qui fait sourire où les concurrents sont habillés grotesquement, sont vaniteux et semblent incompétents. A la fin, les amoureux seront réunis et Shaolin l’emporte sur le combattant américain. On l’avait deviné assez vite.

Anna in Kungfu-land (安娜與武林, Hong Kong, 2003) Un film de Raymond Yip avec Miriam Yeung, Ekin Cheng, Wong Yau-nam, Denise Ho, Cheung Tat-ming, Lee Lik-chi, Tats Lau, Lau Kar-wing, Hui Siu-hung, Charles Ingram, Yasuaki Kurata, Chloe Chiu, Shi Xiao-hu, Poon Lung-kwan, Lee Kwan-lung, Lo Meng, Maggie Lau, Mandy Chiang, Cha Chuen-yee, Michael Clements, Johnnie Guy.

jeudi 12 septembre 2013

Sorties à Hong Kong (septembre 2013) A secret between us


A secret between us (第一次不是你, Hong Kong, 2013)
Un film de Patrick Kong avec Chiang Ka-man, Edward Ma, Lo Hoi-pang, Elena Kong, Seung Tin-ngo, Goo Ming-wa, Sharon Chan, Jason Chung, Mak Cheung-ching, Amanda Lee, Chong Si-man, Ho Hou-man, Ng Yeuk-hei, Lin Si-nga, Lam Shing-pun, Kathy Yuen, Lai Chi-saan. 95 minutes. Classé Catégorie IIB. Sortie à Hong Kong : 12 septembre 2013.

Sorties à Hong Kong (septembre 2013) The Stolen years


The Stolen years (走的那五, Hong Kong – Chine, 2013)
Un film de Barbara Wong avec Bai Baihe, Joseph Chang, Ken Lin, Amber An, Tse Kwan-ho, Queenie Tai, Deng Ziyi, Christine Fan, Wu Si-kai, Fan Kuang-yao. 112 minutes. Classé Catégorie IIA. Sortie à Hong Kong : 12 septembre 2013.

mercredi 11 septembre 2013

La Lame diabolique


Tout comme Tuer, La Lame diabolique est une adaptation d’un roman de Renzaburô Shibata. Les deux films sont liés par des figures et thèmes similaires : le Mal qui ronge les personnages, les complots politiques, les ellipses narratives, un enfant bâtard adopte et Raizô Ichikawa. L’acteur incarne cette fois Hanpei (ce qui se traduit par le « tacheté »), jardinier de 23 ans qui travaille pour un suzerain à l’époque féodale.

Son nom, il le tient de sa naissance que Kenji Misumi filme avec poésie. Kin, sa mère, était la première suivante de la mère du suzerain. Kin est morte peu de temps après sa maîtresse en promettant de garder son chien. Quand son enfant nait, des mauvaises langues l’accusent d’avoir forniqué avec le chien. Pendant toute sa vie, que le cinéaste résume à une phrase, Hanpei a été surnommé le « fils du chien ».

Sujet des moqueries des autres vassaux, Hanpei cultive dans son lopin de terre des fleurs. Son père adoptif décédé, il vit désormais seul. Il mène une vie modeste. Les saisons passent, là encore de manière très elliptique, et un Kanbei (Kei Satô), le capitaine du seigneur, l’engage pour s’occuper du jardin du château. Le jeune homme fait un bon travail, les chrysanthèmes s’épanouissent dans la cour.

Les guerres se sont tues (à cause du manque d’argent dit un vassal) mais le suzerain est menacé dans son pouvoir. Ses lieutenants les plus proches se rendent compte qu’il devient fou. Dans le jardin, il est pris de panique devant des abeilles et lacère les fleurs de son épée. Hanpei, observant caché, jette une pierre sur l’épée du suzerain qui fulmine de rage. Kanbei, pour le calmer, lui dit que ce caillou a du tomber du ciel. Il n’en faut pas plus pour rassurer le fou.

La folie ne doit pas être divulguée au shogun qui risquerait de s’emparer des terres du suzerain. Le capitaine Kanbei, qui a bien observé le jardinier, va employer Hanpei comme tueur. Pour deux raisons, Hanpei a le pas rapide, il ne doit pas son surnom de fils de chien pour rien. Il court plus vite que tout le monde et rattrape même les chevaux. Il est aussi un fin sabreur. Il a fait son éducation auprès d’un rônin dans une scène d’à peine une minute, sens de l’ellipse oblige.

La Lame diabolique passe constamment entre les deux tempéraments d’Hanpei. D’un côté, c’est un tueur accompli qui d’un coup de lame tue tous les espions qui pourraient mettre en péril l’autorité du suzerain. De l’autre, c’est un jardinier hors pair qui ne vit que pour ses fleurs. Sa douceur et sa candeur sont accentuées par sa rencontre avec Osaki (Michiko Sugata), la fille d’un paysan qui vient livrer des légumes chez lui.

Comme dans Tuer, le destin et la fatalité détermine la vie du héros de La Lame diabolique. Jamais Hanpei n’aura l’occasion de choisir son avenir. Sa naissance le conduit à la pauvreté, sa loyauté au suzerain le pousse à augmenter le nombre de ses ennemis qui veulent en découdre, son habileté au sabre le rend un tueur imbattable. Le sabre qui lui sert d’arme est maudit, Hanpei le sait et choisit de décider, pour la seule fois de sa vie, le destin funeste que ce sabre lui promet.

La Lame diabolique (剣鬼, Japon, 1965) Un film de Kenji Misumi avec Raizô Ichikawa, Michiko Sugata, Kei Satô, Ryûtarô Gomi, Gorô Mutsumi, Kentarô Kudô, Asao Uchida, Ryûzô Shimada, Koichi Mizuhara.

mardi 10 septembre 2013

Ken le sabre


Le fracas des sabres en bois, les bordées de hurlement, le crissement des pieds nus sur le sol. Ken le sabre, c’est d’abord le son des entrainements des pratiquants de kendo. Sous la tenue, ils se ressemblent tous. Une armure sur le torse, un masque sur les têtes, des gants aux mains et une longue robe noire ne permettent pas de distinguer qui que ce soit. C’est pourtant Jiro Kokubun (Raizô Ichikawa, son acteur fétiche à cette époque) qui est choisi par les maîtres pour être le capitaine de l’université de Towa au détriment de Kagawa (Yûsuke Kawazu). Le film se déroule en 1963 mais est pourtant filmé en noir et blanc alors que Kenji Misumi tournait en couleurs depuis Tuer.

Les deux étudiants s’affrontaient pour être le leader et ils s’opposent dans leur tempérament comme dans leurs vêtements de tous les jours. L’uniforme d’étudiant pour l’un et pantalon chemise pour l’autre. Kagawa est un bon vivant, il aime fumer, jouer au mah-jong et draguer les filles. Kokubun semble ne jamais avoir vécu que pour pratiquer le kendo. Il est puceau, ne se divertit jamais et pratique une discipline de vie très stricte. Il essuie d’ailleurs les critiques de Kagawa à ce sujet. Devant des amis, Kagawa estime que l’attitude du capitaine est remplie d’orgueil. En privé, il exprime à la fois sa haine et son admiration.

Ce que cette opposition reflète est deux visions de vie totalement différente. Inspiré d’un livre de Mishima, Ken le sabre explore l’idéal de Jiro qui ne regarde que vers le passé et qui entend conserver toute la pureté de sa jeunesse. Aucune corruption ne doit entamer son aptitude au kendo. On découvre sa mère qui joue au mah-jong et qui ne le regarde même pas quand il passe la voir. On rencontre son père, directeur d’une usine, qui l’encourage à profiter de la vie et aller flirter avec les filles. Pour eux, le kendo est un symbole d’un Japon désuet et révolu. Ces symboles de la modernité, Jiro les rejette avec calme et détermination.

Au sein de son équipe, Jiro a un grand admirateur. Mubi (Akio Hasegawa) est un cadet, un étudiant qui débute dans le kendo. Il n’a pas encore le droit de s’entrainer avec les aînés. Mubi, au visage poupon, est moqué à la fois par sa sœur quand elle le surprend en train de se raser et par les autres qui jugent son engagement auprès de Jiro. Il écoute les critiques de Kagawa et entend faire réprimander l’insolent. Lors d’un bain, Mubi frappe un de ses comparses ce qui leur vaut à tous deux une punition (rester assis 40 minutes face à un mur). Seul Mubi accepte avec abnégation la punition.

Les rapports que le cadet entretient avec Jiro sont emplis d’admiration mutuelle pour la discipline et la justesse du combat. Le film glisse ici ou là des allusions sexuelles entre eux, notamment lors d’une scène de bain où Mubi choisit de laver Jiro plutôt que Kagawa, ce qui accentue la jalousie de ce dernier. Ces bains, certes rituels après l’entrainement, prennent une tournure érotique d’autant plus accentuée par le fait que Jiro refuse les avances d’Itami (Fuji Yukiko), l’une des amies modernes (elle sort des mots en anglais) de Kagawa. Ils se rencontrent dans une belle scène où il hésite à sauver un pigeon.

Jiro ne supporte pas la faiblesse. Ni celle du pigeon blessé qu’il veut étrangler, ni celle de ses parents banals, ni celle de ces jeunes Japonais qu’il punit et humilie dans un bar en les forçant à quitter les lieux. La première partie du film décrit avec minutie la lutte de Jiro contre le Japon de 1964, lutte vaine qu’il cherche à transformer en victoire dans la deuxième partie où l’équipe s’entraine sous ses ordres. Le visage de Raizô Ichikawa impavide reflète tous ses espoirs. Mais la faiblesse de Jiro est justement cette force qu’il n’arrive pas à rendre émouvante pour ses camarades. Le film prend un tour tragique quand il constate que son utopie s’effondre.

Ken le sabre (KEN , Japon, 1964) Un film de Kenji Misumi avec Raizô Ichikawa, Yûsuke Kawazu, Akio Hasegawa, Yoshio Inaba, Fuji Yukiko, Takeshi Kawano.

dimanche 8 septembre 2013

Tuer


La très courte durée de Tuer (71 minutes) n’empêche pas le film de Kenji Misumi de se dérouler sur une très longue période, de la naissance de Shingo Takakura (Raizô Ichikawa) à sa mort près de trente ans plus tard. Le récit, qui commence en 1833, est une suite de morts au sabre. Dès le générique, Fujiko (Shiho Fujimura) tue de plusieurs coups de poignard la maîtresse d’un seigneur qui risque de nuire au clan Iida. Elle sera exécutée au sabre, son regard calme se portant sur son bourreau. Cette femme est la mère de Shingo et le nourrisson est emmené loin du clan Iida pour être adopté par le samouraï Takakura du clan Komoro.

L’idée maîtresse de Tuer repose sur la dilatation et la compression du temps. Entre la scène primitive et l’âge adulte de Shingo, aucune information n’est donnée. On récupère l’histoire au bout de vingt ans. Takakura est veuf et Shingo a une petite sœur. Cette ellipse narrative évoque cependant le fait que l’enfant adoptif n’est pas au courant de son ascendance. Il est persuadé que Takakura est son père naturel. Adulte, il décide de découvrir le monde et part en voyage, seul. Il ne revient que trois ans plus tard, là encore au prix d’une ellipse du récit. En moins de dix minutes, il s’est déroulé 25 ans de film, mais sans aucune action ou presque.

Shingo est convaincu par son père qu’il doit participer à un défi au sabre. Ne serait-ce que parce que le voisin a inscrit son fils, par ailleurs amoureux de la jeune sœur. Un fameux bretteur est venu rendre visite au château du seigneur. Si le fils du voisin se fait humilier au combat, Shingo impressionne par une botte secrète qu’il a ramenée de son voyage. Le déshonneur du voisin, dont le fils se voit refuser la main de la fille de Takakura, décide de se venger et révèle le secret de la naissance de Shingo à tous les autres samouraïs. Seulement voilà, le jeune homme entend tout.

Ce secret, que nie d’abord farouchement le père de Shingo, sera ensuite entièrement décrit dans un flash-back où l’histoire de Fujiko est totalement racontée. La scène primitive de Tuer n’était que partielle voire mensongère. Kenji Misumi donne des informations essentielles sur le passé des parents naturels de Shingo, sur leur amour prochain et révèle l’identité de son père. Ce passé funeste sous-tend la fatalité du destin de Shingo, né à cause d’un meurtre, toute sa vie sera placée sous le signe des cadavres tués au sabre. En tout premier lieu sa sœur et son père, qui délivre ce secret agonisant après la vengeance du voisin.

Shingo est convaincu qu’il ne peut pas protéger les gens et une preuve supplémentaire lui est apportée lors d’une rixe entre samouraïs. Une femme et son frère lui demande de l’aide, la femme meurt sous les coups des sabres. C’est la troisième femme qui meurt par sa faute, pense-t-il. Il confesse à son nouvel employeur, un conseiller shôgunal d’âge mur, qu’il ne voudra jamais se marier. Pour Shingo, protéger cet homme qui a l’âge de son père est un moyen de retrouver une famille et de conjurer le sort qui s’acharne sur lui. C’était sans compter sur les guerres de clan.

Pour créer une tension narrative de son récit, Kenji Misumi et Kaneto Shindo, le scénariste de Tuer, opposent ces longues ellipses avec des séquences de combat très courtes où en plan séquence avec un simple travelling Shingo décime tous ses adversaires. Pour accentuer encore la détresse de Shingo, il plonge le personnage dans une demeure immense et labyrinthique où il ne trouve aucun adversaire tandis qu’il cherche son patron. Le film symbolise ici le vide de sa vie et la perte de ses repères familiaux qui ne peuvent mener qu’à sa fin aussi tragique que solitaire.

Tuer (斬る, Japon, 1962) Un film de Kenji Misumi avec Raizô Ichikawa, Shigeru Amachi, Masayo Banri, Shiho Fujimura, Mayumi Nagisa, Junichirô Narita, Matasaburo Tamba, Teru Tomota, Eijirô Yanagi.

jeudi 5 septembre 2013

Sorties à Hong Kong (septembre 2013) The Midas touch


The Midas touch (超級經理人, Hong Kong, 2013)
Un film de Fung Chih-chiang avec Chapman To, Charlene Choi, Wong Cho-lam, Jenny Lau, Gao Yun-xiang, Gillian Chung, He Jiong, Nicholas Tse, Vincy Chan, Fok Man-hei, Louis Cheung, Deep Ng, Lo Hoi-pang, Yumiko Cheng, 6 Wing, Stephanie Che, Steven Cheung, Zhuang Jie-meng, Xie Jiayu, Ryan Lam, Johnny Choi, Masaki Heung. 98 minutes. Classé Catégorie IIB. Sortie à Hong Kong : 5 septembre 2013.


mercredi 4 septembre 2013

Ilo Ilo

Caméra d'or au festival de Cannes 2013, une première pour un film de Singapour, le très joli Ilo Ilo suit quelques mois de la vie de la famille Lim, couple de la classe moyenne qui élève leur garçon de dix ans. Teck Lim (Chen Tianwen), le père, est représentant de commerce. Les affaires ne sont pas florissantes d'autant qu'il vend de la camelote. Leng (Yeo Yann Yann), la mère, est secrétaire dans une entreprise qui doit taper des lettres de licenciement de ses collègues. Le film, où l'anglais, le cantonais, le tagalog et le mandarin se mêlent, se déroule au beau milieu de la crise boursière de 1998 quand l'expansion économique des dragons asiatiques vacille.

La famille Lim pour l'instant a d'autres soucis. La mère est enceinte et décide d'embaucher une nounou pour garder Jiale (Koh Jia Ler), leur fils. Ce dernier n'est pas un garçon très calme ni très gentil. Il répond aux parents qui l'ont sans aucun doute trop gâté. Il est très indiscipliné à l'école, ce qui à Singapour n'est pas du meilleur effet. Il passe son temps à jouer au tamagotchi ce qui a le don d’énerver son père. Jiale ne fait que ce qu'il veut quand il le veut. La présentation du fils fait craindre une caricature d'ado pré-pubère qui en fait voir des vertes et des pas mûres à tout le monde. Pour tout dire, ses caprices peuvent rapidement gonfler.

C'est donc une des raisons pour laquelle les parents engage cette nounou. Teresa (Angeli Bayani) est philippine. Elle veut qu'on l'appelle Terry. Immédiatement, la mère lui confisque son passeport « pour qu'elle ne s'enfuit pas ». Elle fait la même taille que Jiale, c'est donc une femme frêle et timide que le garçon prend immédiatement en grippe. Il fait tout pour faire craquer la nounou. Ils doivent dormir dans la même chambre mais il sort du lit au milieu de la nuit pour aller avec ses parents. Il fuit à la sortie de l'école quand elle vient le chercher. Il refuse de manger les plats qu'elle prépare. Le parfait petit crétin fait payer à sa mère le manque de confiance qu'il place en lui.

Un incident va changer le court des choses. Le gamin se casse un bras et Terry est obligée de s'occuper intimement de Jiale. L'enfant va se mettre littéralement à nu devant la nounou. Mais également figurativement, et cela provoque un changement. De la même manière, la situation se modifie pour Terry. On apprend au court d'un discret dialogue qu'elle est une jeune maman et qu'elle a laissé son fils aux Philippines pour gagner un peu d'argent qu'elle compte envoyer régulièrement. D'une certaine manière, la situation est symétrique : Jiale se sent abandonné par sa mère et Terry, qui a quitté son fils s'occupe, par procuration, de Jiale. Petit à petit, on change totalement d'avis sur l'enfant qui énervait d'abord et pour lequel on éprouve ensuite de la tendresse.

Ilo Ilo aborde avec une grande pudeur les rapports entre les enfants et les parents, ces derniers étant convaincus que Jiale ne comprend rien à leurs histoires d'adultes, comme le chômage, l'absence d'argent, le poids de la famille. Anthony Chen, par fines touches (et sans aucune musique, en filmant quelques regards entre les personnages. Les gros yeux de cette mère, parfois un peu raciste, jalouse de l'amitié entre son fils et la nounou. Le regard constamment triste de Teresa. La colère sourde du père épuisé par les galères continuelles au boulot comme dans la famille. L es yeux moqueurs et parfois inquiets pour l'avenir de ce garçon qui en une année aura grandi plus vite que les autres.

Ilo Ilo (爸妈不在家, Singapour, 2013) Un film d'Anthony Chen avec Yeo Yann Yann, Chen Tianwen, Angeli Bayani, Jo Kukathas.

mardi 3 septembre 2013

La Légende de Zatoïchi continue : le secret


Sorti six mois après le premier film, La Légende de Zatoichi continue : le secret se déroule un an après. Le masseur aveugle (Shintaro Katsu) exerce son métier là où on veut bien l’engager. En l’occurrence, il doit masser un seigneur qui s’avère être fou. Les samouraïs ne peuvent pas laisser Zatoichi propager ce secret qui pourrait mettre en péril. Plutôt que discuter avec lui, le clan cherche à tuer notre héros. Zatoichi ne comptait pas révéler la folie du seigneur. L’intransigeance des samouraïs va se retourner contre eux, le masseur va se défendre avec son sabre. Les combats sont réduits à leur plus stricte expression : en plan large, Zatoichi laisse s’approcher les ennemis, il lève son sabre, les frappe et ils tombent dans un cri perçant. Pas de grands mouvements d’armes.

Suite à une promesse faite à la fin de La Légende de Zatoichi, le masseur aveugle, Zatoichi va se recueillir sur la tombe d’un de ses anciens adversaires. Adversaire certes, mais un homme pour lequel il avait le plus grand respect. Dans un dialogue intérieur en voix off, Zatoichi confesse sa solitude et l’amitié sincère qui le liait à ce sabreur hors pair qui était son égal. Il retourne dans ce village et retrouve Otane (Masayo Banri). Cette dernière, veuve depuis la guerre Iioki - Sasagawa doit épouser un charpentier mais les sentiments qu’elle a eu, un an auparavant, pour Zatoichi sont toujours vifs. Pourrait-elle le convaincre de refaire sa vie avec elle au lieu de voyager en soliture.

Le film développe alors le deuxième secret de Zatoichi. Celui de sa vie passée et de son épouse Chyio qui l’a quittée. La rencontre de Zatoichi avec une jeune femme qui porte ce prénom lui rappelle de douloureux souvenirs. La belle demoiselle est également remarquée par un détrousseur de bourses. Yoshiro (Tomisaburo Wakayama, le propre frère de Shintaro Katsu, qui incarnera le rôle principal des Baby Cart dix ans plus tard) remarque également Chyio. Lui aussi a aimé jadis une femme portant ce prénom. On comprend sans peine et sans dialogue (tout passe par les silences et les poses des deux acteurs) que Yoshiro a volé l’épouse de Zatoichi. Comble du destin, Yoshiro a été quitté par cette épouse quand il a perdu son bras gauche lors d’un combat.

La mise en scène de cette deuxième aventure est plus sobre et moins flamboyante que celle de Kenji Misumi. La psychologie de Zatoichi est soutenue par une musique mélancolique et l’utilisation de nombreux plans séquences. Zatoichi utilise à peine ses fabuleux atouts sensoriels (ouïe, odorat), le récit du film de Kazuo Mori se concentre sur le passé du masseur aveugle et explique l’une des raisons pour lesquelles il refuse de s’engager avec une femme. Les deux personnages féminins constatant son bon cœur et sa force morale aimeraient que Zatoichi soit leur compagnon. Mais le voyageur solitaire va poursuivre ses pérégrinations une fois ses adversaires éliminés.

La Légende de Zatoïchi continue : le secret (The tale of Zatoichi continues, 続・座頭市物語, Japon, 1962) Un film de Kazuo Mori avec Shintaro Katsu, Yaeko Mizutani, Masayo Banri, Tomisaburo Wakayama, Yutaka Nakamura, Sonosuke Sawamura, Eijirō Yanagi, Saburo Date.

lundi 2 septembre 2013

Zatoichi, le masseur aveugle


Ce voyageur solitaire qu’est Zatoichi (Shintaro Katsu) rend visite au parrain du clan Iioka dans ce premier épisode des aventures du masseur aveugle (il s’en compte 25 films tournés entre 1962 et 1973). Zatoichi le masseur aveugle présente d’abord les grandes facultés du personnage. Arrivé dans la demeure du maître du clan, il ne se fait pas tout de suite connaitre. Il joue aux dés avec les samouraïs présents. Il se moque de leur puanteur, sueur et crasse, après avoir senti le doux parfum des fleurs printanières dans le jardin. Croyant pouvoir l’arnaquer, Zatoichi les prend à leur propre piège. Les dés sont découverts, ils pensent gagner, parient tous sur le nombre annoncé. Mais ces dés étaient les siens, tombés bien malencontreusement de sa manche. Les dés du pari étaient bien couverts. Il récolte leur argent.

Son premier sens bien développé est donc l’odeur. Son ouïe l’est encore plus. A coups de gros plans sur son oreille alternant avec une image de pieds foulant l’herbe, il parvient à savoir à l’avance l’arrivée de quelqu’un. Ses deux sens cumulés lui permettent également de manier l’épée avec dextérité. C’est ce qui fait sa réputation, comme le souligne le parrain Iioka qui demande une démonstration devant ses samouraïs. Non sans malice, Zatoichi refuse d’obéir à cet ordre (« je ne suis pas une bête de foire », dit-il). Personne ne dicte sa conduite, pas même un chef de clan. Avec un certain sens comique, Zatoichi préfère se faire masser par Tatekichi (Michirō Minami), un samouraï mis à sa disposition (« un masseur aveugle qui se fait masser par un voyant, c’est le comble », hurle le chef de clan).

Cette présentation du personnage faite, Zatoichi le masseur aveugle doit développer son scénario au sein des Iioka. Tatekichi a une sœur, Otane (Masayo Banri). Elle travaille dans l’auberge du village. Leurs rapports sont houleux depuis qu’elle sait que Tatekichi a mis enceinte l’une de ses amies. Il refuse d’aller voir sa maitresse et d’envisager d’être père. Otane, femme au fort tempérament, a décidé de quitter son époux Masakichi (Toshio Chiba), par lassitude du monde des samouraïs. Zatoichi comprend toute l’histoire en glissant son oreille de temps en temps, faisant mine de n’avoir rien entendu. Ses arrivés impromptues montrent l’ironie de son personnage qui n’est jamais dupe de la bêtise des deux samouraïs. Il prend le parti d’Otane qui souhaite quitter le clan avec lui.

Le clan Iioka, et son chef en premier lieu, a une grande soif de pouvoir mais se montre radin pour payer Zatoichi (l’argent a une grande importance dans le film). Le clan ennemi est celui des Sasagawa qui se vante d’avoir en son sein un grand sabreur, Hirate (Shigeru Amachi). Bien qu’hébergé par les Iioka, Zatoichi se lie d’amitié avec Hirate. Ils se rencontrent au bord d’un étang où tous deux sont venus pécher. Ils vont boire du saké ensemble. Leur point commun est leur handicap. Hirate est tuberculeux et Zatoichi l’a senti tout de suite. Mais la guerre entre les deux clans approche. Les relations entre les deux hommes sont les plus saines de tout le film. Sur un pied d’égalité, ils sont tous les deux manipulés et utilisés comme chair à canon par leur chef respectif.

Cette amitié sincère est le cœur du film de Kenji Misumi et contraste avec le traitement des personnages des deux clans. Zatoichi démontre à plusieurs reprises la stupidité du chef Iioka en l’humiliant devant ses hommes. Les deux chefs Iioka et Sasagawa sont désignés comme des hommes belliqueux et avides de pouvoir. La scène de bataille les montre pleutres (ils se cachent derrière leurs hommes). Les villageois sont terrorisés par ces guerres de clan et les samouraïs ne se soucient pas d’eux. Les combats ne sont pas particulièrement bien chorégraphiés et rapidement expédiés mais la photographie du film est superbe avec un noir et blanc contrasté. En fin de film, Zatoichi part, seul, vers une nouvelle aventure.

Zatoichi, le masseur aveugle (座頭市物語, Japon, 1962) Un film de Kenji Misumi avec Shintaro Katsu, Masayo Banri, Ryuzo Shimada, Hajime Mitamura, Shigeru Amachi, Chitose Maki, Ikuko Mōri, Michirō Minami, Eijirō Yanagi, Toshio Chiba, Manabu Morita, Yoichi Funaki, Kinya Ichikawa, Eigoro Onoe, Yoshito Yamaji.