C’est toujours étonnant de revenir près de vingt cinq ans dans le passé et de repenser à cette étoile filante du cinéma d’action que fût Bradon Lee. Le fils de Bruce Lee n’a tourné que dans cet unique film de Hong Kong dont le titre rappelle vaguement les titres des films de son père. Il fallait faire illusion pour trouver l’héritier du petit dragon et faire un peu de pub à défaut de faire un bon film.
Produit au sein du studio de la D&B, L’Héritier de la violence joue la vague de films qui a fait son succès à cette époque avec la franchise des Tiger cage : les flics corrompus et la recherche de vengeance d’un innocent. Ici, on va vite le comprendre l’innocent sera Brandon (Brandon Lee), jeune homme gentil comme tout amoureux de sa copine May (Regina Kent). Tous deux travaillent dans une boite de nuit. Un vieux monsieur est séduit par la beauté de May. Les triades commencent à se battre pour le marché de la protection de la boite.
Michael (Michael Wong) est le fils de l’un des parrains de triade. Il s’apprête à prendre la suite de son père malade. Très vite, Michael va s’intéresser à May et faire en sorte d’accuser Brandon d’un crime qu’il na pas connu. Brandon va se retrouver en prison tandis que Michael va prendre la tête de la triade. Mais May lui échappe, elle va quitter Hong Kong pour le Brésil avec le vieil homme qui s’avère plutôt gentil, plus protecteur bienveillant qu’amant. Ce que Brandon ne sait pas c’est que May est enceinte de lui.
En prison, Brandon va faire la rencontre du petit Mang Hoi, qui signe d’ailleurs les chorégraphies des combats. Ils vont se lier d’amitié et Hoi va le protéger notamment contre les gros costauds qui veulent leur faire du mal. Brandon est surtout le bouc émissaire du directeur de la prison interprété par un Ng Man-tat particulièrement retors, loin de ces rôles comiques habituels. Ce que cherche à faire Ronny Yu est un succédané de John Woo, comme en témoigne la scène finale de gunfights où Brandon et Hoi abattent à la mitraillette et au flingue des dizaines d’hommes de main de Michael.
Ce qui est le plus intéressant du film est sans doute l’homoérotisme qui se dégage de la relation entre Brandon Lee et Michael Wong. Tous deux se ressemblent physiquement, ils sont tous deux issus de métissage. Ils sont unis dans leur amitié (au début du film) et leur haine par le personnage féminin de May. Au premier tiers du film, on trouve une scène où les deux acteurs, torse nu, se mettent à tirer au pistolet pour mesurer leur force. Plus tard, en prison (pour hommes), l’amitié entre Hoi et Brandon ne sera pas la même mais la complicité est là. Finalement, c’est moins l’action qui remue dans le film que les corps des acteurs qui se parlent.
L’Héritier de la violence (Legacy of rage, 龙在江湖, Hong Kong, 1986) Un film de Ronny Yu avec Bradon Lee, Mang Hoi, Michael Wong, Regina Kent, Chan Wai-man, Bolo Yeung, Ng Man-tat, Shing Fui-on.
Blood the last vampire de Chris Nahon, avec des acteurs, n’est pas le remake du moyen métrage d’animation de Kitakubo. Je n’ai pas lu le manga d’origine et j’aurais donc du mal à comparer les deux films avec l’œuvre dont ils sont tirés. En revanche, il est tout à fait possible de comparer les deux versions. Premier constat, le film de Nahon fait quarante minutes de plus que l’animé.
Les deux films se déroulent dans une base militaire américaine pendant la guerre du Viet Nam, puisque la base sert aux avions des soldats de lieu de départ vers le front. Nous sommes en 1970 chez Nahon et en 1966 dans l’animé. La guerre du Viet Nam est importante puisque le film se veut une critique feutrée du conflit. Les démons qui attaquent les humains et boivent leur sang sont explicitement comparés aux soldats qui tuent des innocents. En tout cas dans l’animé. Dans le film live, une simple allusion dénote l’esprit anti-guerre.
Le moyen métrage de Kitakubo a un récit très ramassé. Il se déroule entièrement lors de la nuit d’Halloween de 1966. Saya vient au lycée de la base militaire pour chasser les démons. Deux des élèves en sont et elle en tranche une des deux avec son sabre japonais. L’autre s’échappe. Mais tout cela se fait sous le regard de l’infirmière du lycée qui adopte le point de vue du spectateur entre angoisse et incompréhension devant les monstres. Comment les autres pourraient-ils la croire alors que la base est remplie de monstres factices d’Halloween ?
Saya casse son sabre et doit se débrouiller avec les moyens du bord et notamment une pelle qui se trouve dans un hangar. Mais elle montre son humanité en offrant son sang à l’un des démons qu’elle vient de terrasser. Mais Saya reste un vampire au service d’un service secret américain. Dans l’animé, les agents parlent anglais pour ajouter au réalisme. Dans le film de Nahon, ce sont évidemment des acteurs en chair et en os.
Puisque le film de Nahon est plus long, c’est qu’il se distingue du scénario original. Saya devient vite l’amie de la fille du général de la base militaire. La reine des démons va faire son apparition et décapiter un bon nombre d’innocents. Cette reine cherche à supprimer Saya. S’ensuit une course poursuite en camion qui va se terminer au fond d’un précipice. La reine se transforme en horrible monstre mais les effets spéciaux sont assez moche et le monstre bien ridicule.
D’autres scènes vont arriver qui se veulent jolies telle la bataille en costumes traditionnels japonais où les deux femmes se battent. Les costumes flottent au vent dans un décor qui veut évoquer l’œuvre originale. Pour corser le scénario, Nahon propose des guerres internes au sein des agents secrets sans que cela ne paraisse vraiment intéressant ou crédible. Seuls deux agents vaguement inspirés des Dupont égaient un peu l’ennui constant qu’inspire le film.
Blood the last vampire (ブラッドザラストヴァンパイア, Japon, 2000) Un film de Hiroyuki Kitakubo avec Yūki Kudō , Saemi Nakamura, Joe Romersa.
Blood the last vampire (France – Japon – Hong Kong – Argentine, 2009) Un film de Chris Nahon avec Gianna Jun, Allison Miller, Liam Cunningham, JJ Feild, Koyuki, Yasuaki Kurata.
Michael Hui délaisse ses frères pour poursuivre les aventures de son personnage de détective privé. Dans Mr. Boo meets Pom Pom, l’acteur est désormais accompagné, non pas de pompom girls comme le titre pourrait le laisser croire, mais de deux policiers interprétés par John Sham et Richard Ng. Les deux acteurs rempilent dans leurs rôles de flics (Pom Pom, c’est eux). C’est donc un crossover comme on dit dans le jargon. Le tout est produit par Sammo Hung.
Beethoven (John Sham) est comme d’habitude avec ses cheveux hirsutes, il est tête en l’air, le benêt par excellence qui ne réussit qu’après avoir produit quelques catastrophes. Il est l’archétype du maladroit, qui plus est célibataire. Ah Chou (Richard Ng) est au contraire un flic malin, plutôt lâche et qui profite de la bêtise de son collègue pour lui faire faire des tâches dont il n’a pas envie. Duo classique de burlesque à la Laurel et Hardy, complémentaire et désaccordé.
Michael Hui dans son personnage de Mr. Boo continue sa routine de détective irascible et sûr de lui, mais également rancunier (quand Richard Ng lui fait des crasses, il se venge). Avec ses lunettes, Michael Hui donne à Boo un air sérieux, mais cet accoutrement contredit sa coupe au bol et ses fringues dignes d’un Columbo. Mr. Boo est le tocard par excellence mais qui parvient cependant grâce à un flair hors du commun à aboutir à ses enquêtes.
Les trois hommes se rencontrent lors du casse d’une banque. Beethoven et Ah Chou s’infiltrent dans la banque et maîtrisent les cambrioleurs. Beethoven tombe en admiration devant Mr. Boo ce qui énerve beaucoup Ah Chou qui le traite d’imbécile. Le duo ne se sépare pas mais ils vont être obligés d’enquêter sur un riche homme d’affaires un peu louche. Ce dernier a justement comme maîtresse la femme de Mr. Boo. Notre détective en est très jaloux et va tout faire pour récupérer son épouse volage.
Mr. Boo meets Pom Pom ne présente aucune nouveauté dans les gags. Chaque acteur est dans son rôle de lunatique, de colérique et de lâche. On s’amuse correctement à condition d’aimer les facéties des trois acteurs. Les meilleurs moments sont dus aux effets de voix (ou de sons). Mr. Boo qui arrive sur sa mobylette pétaradante et qui prend le pansement d’un flic (Nat Chan, en l’occurrence) pour colmater le trou de son pot d’échappement. Mr. Boo qui se moque de la voix de canard de John Sham. Et enfin, la scène où le détective prétend dominer sa femme. Il fait croire aux deux flics qu’elle est là. Hors champ, il se met à jouer les deux rôles, il fait les dialogues tout seul et affirme même la battre. Certes, cela est un peu mysogine mais voir et entendre Michael Hui en faire des tonnes est toujours un beau moment de comédie dans un film purement commercial.
Mr. Boo contre Pom Pom (Mr. Boo meets Pom Pom, 智勇三宝, Hong Kong, 1985) Un film de Wu Ma avec Michael Hui, John Sham, Richard Ng, Wu Ma, Philip Chan, Deannie Yip, Nat Chan.
Après tout, Jackie Chan avait bien le droit lui aussi de produire un grand film épique se déroulant dans la Chine antique et de s’attribuer le premier rôle. Tous ses camarades acteurs de Hong Kong l’ont fait avec beaucoup de succès et Jackie Chan s’était contenté de continuer de jouer dans ses comédies policières désuètes à Hong Kong (New Police story) et ses films idiots à Hollywood (la série des Rush hour). The Myth est là pour remettre les pendules à l’heure et redorer le mythe de l’acteur (oh, cette phrase fait très cancre de la critique).
Jackie Chan va jouer deux rôles. Celui de Jack qui habite dans la Chine de 2005, archéologue à la retraite que son vieil ami William (Tony Leung Ka-fai) vient réveiller de sa torpeur pour l’aider dans ses recherches scientifiques sur une matière magique qui permettrait aux objets de ne plus respecter les lois de la gravitation. De voler en quelque sorte. Comme un hasard ne vient jamais seul, Jack rêve toutes les nuits qu’il est un général de la dysnatie Qin. Dans ce second rôle, il doit protéger en tant que Général Meng, une princesse coréenne qui doit épouser l’empereur de Chine. Empereur vieillissant et moribond.
Jack et William partent dans une lointaine contrée de l’Inde où ils ont entendu qu’un gourou parvient à léviter. Ses fidèles sont nombreux mais les deux hommes réussissent à s’introduire dans une cavité où un tombeau flotte dans les airs. William comprend que c’est grâce à un morceau de météorite qu’il s’empresse de dérober. Jack raconte ses rêves de général Meng et William est persuadé qu’il existe un lien avec la météorite. Petit à petit, les pans de l’histoire du général lui reviennent à l’esprit et il comprend que Meng et la princesse sont tombés amoureux. Et cet amour va aller au-delà de la mort et du temps.
Dans The Myth Jackie Chan se dédouble. Les scènes (de flash back) présentent un général épris de loyauté mais amoureux d’une jeune et belle princesse. Ce qui lui est totalement interdit. Ces parties sont empreintes d’une émotion inédite dans le cinéma de Jackie Chan. Il joue les dents serrées, sans sourire, figé comme une statue tandis qu’il est engoncé dans son uniforme de général. Mais les scènes antiques sont aussi les plus violentes notamment l’une des dernières où le général se fait attaquer de toutes parts et qu’il termine sur une montagne de cadavres de soldats. Certes, cela frise à la longue le ridicule tant cette surenchère d’émotion et de violence semble vouloir dépasser celles des films des autres acteurs.
Dans les séquences contemporaines, Jackie Chan retrouve son styles habituel, celui de la comédie d’action avec comme compagnon de rigolade Leung Ka-fai. On est en terrain connu et les facéties du duo pourraient paraître drôles si on y croyait un peu plus. Les deux acteurs ne forment pas un duo idéal, et de toute façon, on ne voit pas assez Tony Leung. Jackie Chan est désormais un peu trop vieux pour ses conneries. Alors que faire quand on a le besoin de jouer dans un film par an pour attirer les spectateurs ? La solution est de faire venir une jeune et belle actrice coréenne, un grand acteur de la même nationalité, pas mal d’acteurs chinois et une star montante sexy et souple du cinéma hindi. Tout cela permet de vendre le film dans toute l’Asie ce qui implique, hélas, un grand nombre de compromis pour fédérer tout le monde et ne léser personne, sauf éventuellement le spectateur.
The Myth (神话, Hong Kong – Chine, 2005) Un film de Stanley Tong avec Jackie Chan, Kim Hee-Sun, Tony Leung Ka-fai, Mallika Sherawat, Yu Rong-guang, Choi Min-soo, Patrick Tam, Ken Wong, Sun Zhou, Shao Bing, Jin Song, Ken Lo, Hayama Hiro.
Le quatrième film de Johnnie To (son prénom au générique en anglais apparaît encore avec un Y) est une comédie du Nouvel An Lunaire dans la plus pure tradition du genre. Trois acteurs fameux et connus, de la romance et des gags qui ne volent pas toujours très hauts. Johnnie To n’avait pas encore à l’époque de faire ce qu’il voulait et comme Happy ghost III, Raymond Wong Bak-ming a produit le film, l’a écrit et s’est attribué l’un des rôles principaux.
Eighth happiness met en scène trois frères célibataires qui vivent dans la même maison et qui cherchent l’amour. Jackie Cheung est un dessinateur de BD très timide qui n’arrive pas à vendre ses planches. Dans le parc il rencontre une jeune femme qui fait son footing. Sa mère ancienne artiste martiale et chanteuse d’opéra le prend pour un violeur. Jackie va vite tomber amoureux de la jeune femme et le hasard consécutif à un problème de téléphone va le mener directement chez elles, ce qui va provoquer la colère de la mère.
Raymond Wong est l’aîné des frères et prend soin de ses cadets. Il leur prépare à manger, leur prête sa voiture et fait tout pour arranger les choses malgré leurs caractères. Il anime une émission culinaire à la télévision. Là encore, le hasard du téléphone va arranger les choses. Il va rencontrer une autre chanteuse d’opéra qui a un jeune garçon. Il va lui aussi tomber amoureux d’elle mais un quiproquo va la persuader qu’il est infidèle.
Enfin Chow Yun-fat est apprenti acteur. C’est un homme à femmes bien qu’il soit très efféminé et narcissique. Il passe son temps à se faire des masques de beauté, il met du gloss sur ses lèvres et est habillé à la toute dernière mode, ce qui à vingt ans de distance montre le ridicule des vêtements de l’époque. Il court deux lièvres à la fois dont une hôtesse de l’air qui se fait draguer par un de ses collègues.
En 90 minutes chrono, les garçons vont séduire chacun à leur manière les filles, ils vont se fourvoyer, faire de nombreux impairs mais tout sera bien qui finira bien. La mise en scène de Johnnie To se contente de filmer le scénario dans un conformisme qui permet à peine de rire au scénario concocté par Raymond Wong. La seule séquence intéressante est à la fin du film quand les trois garçons se déguisent pour participer à l’opéra et déclarer leur flamme à leurs amoureuses. On sent que To a pris un peu plus de soin pour filmer les mouvements choraux.
Mais c’est Chow Yun-fat qui attire le plus l’attention. Dans ce rôle de garçon un peu folle, très efféminé, il dénote de ses autres films. Le film ne dit pas qu’il est homo mais il pourrait bien l’être. D’ailleurs même s’il a deux fiancées à la fois, il hésite souvent à les embrasser. Chow Yun-fat en fait des tonnes, bouge beaucoup les bras, prend des poses appuyés et donne à son personnage toute l’exubérance nécessaire. L’année suivante, Johnnie To offrira à l’acteur un rôle tout à fait opposé dans All about Ah Long.
Eighth happiness (八星報喜, Hong Kong, 1988) Un film de Johnnie To avec Chow Yun-fat, Jacky Cheung, Raymond Wong Bak-ming, Do Do Cheng, Cherie Chung, Bo Bo Fung, Fennie Yuen, Lee Hung-kam, Michael Chow et les apparitions de Teddy Robin, Karl Maka, Ringo Lam, John Sham.
Il est rare de voir un film si unanimement condamné par la critique de l’époque. Tout le monde lui est tombé et cela n’a pas du déplaire à Jean Yanne. Il faut rappeler le contexte dans lequel Les Chinois à Paris est sorti en France. Tout d’abord, La Chine de Michelangelo Antonioni était sorti en salles quelques semaines auparavant défendu avec complaisance par une bonne partie de la critique. Critique qui voyait avec aveuglement et bienveillance la révolution culturelle (« rêve au cul » comme dira plus tard Serge Daney). La presse critique de l’époque c’était bien entendu Positif, de gauche classique sociale démocrate pour parler actuel défendant les films progressistes. C’est aussi une galaxie de revues aujourd’hui disparue Ecran, La Revue du Cinéma, Cinéma 74, Cinéma 9, de gauche plus radicale, plus militante flirtant parfois avec les communistes voire la pensée Mao Tse-toung. Et puis c’est bien sûr les Cahiers du cinéma qui se plongèrent dans l’idéologie maoïste avec délectation jusqu’à faillir disparaitre. Les Cahiers n’ont jamais parlé du film de Jean Yanne, ça devait leur passer au dessus.
En revanche, les autres publications s’en sont donné à cœur joie pour démolir le film. On ne songerait guère à lire cela aujourd’hui dans n’importe quel magazine ou revue de cinéma. Encore une précision : Les Chinois à Paris a été produit, entre autres, par Marcel Dassault, marchand d’armes, membre de l’UDR – l’ancêtre de l’UMP – député maire de Corbeil et homme ultra réactionnaire. Dassault avait déjà produit d’autres films médiocres (la série minable de La Septième compagnie) proposant un humour gras et facile. L’effet que Dassault produise Jean Yanne (dont aucun film n’a jamais été bien aimé de la critique) fait l’effet de repoussoir. La critique part avec des a priori négatifs. Les mêmes que ceux qui entourent une production Jerry Bruckheimer d’un film de Michael Bay. Les Chinois à Paris ne peut être que nul.
Dans Cinéma 74 N°186/avril 1974, Raymond Lefèvre écrit que Jean Yanne est « un chansonnier du poujadisme (un politicien démagogue proche de l’extrême droite, NDR) qui se met au niveau d’un public qu’il juge le plus bête possible ». L’auteur parle de « l’inélégance raciste du postulat » et affirme sans ménagement que « le film aurait été aimé par Goebbels ». Dans Ecran N°24/avril 1974, Guy Hennebelle dénonce un « odieux parallèle que Jean Yanne établit entre l’Allemagne nazie et la Chine populaire » et juge déplorable que Dassault finance ce film. Il trouverait délirant que la magazine d’extrême droite Minute finance un film sur les immigrés et conclue son texte en affirmant qu’il « ne saurait être question de laisser se répandre librement le virus du racisme et du fascisme dans notre pays ». Bref, Les Chinois à Paris fit l’unanimité contre lui.
Je n’ai pas encore évoqué de quoi parle le film et le plus étonnant dans les critiques de l’époque, c’est qu’une fois les jugements à l’emporte pièces donnés, on ne connait rien de l’histoire et de ce que voulait dire Jean Yanne. Tout commence dans un studio de télé. Le président de la république (Bernard Blier) s’apprête à annoncer aux Français que les troupes chinoises ont envahi la nation et que les Français « doivent faire preuve d’abnégation ». Les gens veulent fuir (imitation de la débâcle) mais tout le monde s’entretue tandis que les voitures militaires des Chinois font leur apparition. Le général Pou-yen (Kyozo Nagatsuka) rencontre les forces vives de la Nation représentées dans le film par un journaliste, un général et un évêque qui décide de collaborer activement pour conserver leurs prérogatives. Pou-yen cherche un QG et va s’établir aux Galaries Lafayette.
Le film nous présente quelques personnages principaux. Jean Yanne est un commerçant opportuniste qui navigue sur les modes du moment. Son sex shop va se transformer en restaurant chinois car il y a du fric à se faire dit-il. Nicole Calfan est une petite secrétaire qui entretient une liaison avec son employeur Michel Serrault. Ce dernier va décliner des slogans de l’idéologie maoïste pour conserver son poste ce qui mène à l’absurde. Daniel Prévost et Macha Méril jouent un couple de pique assiette qui bouffe à tous les râteliers tout en dénonçant l’occupation chinoise mais jamais ils n’agiront pour faire la résistance tant ils tiennent à leur position bourgeoise. Paul Préboist est un ancien curé reconverti en garde rouge qui travaille dans un bureau des dénonciations. Enfin Jacques François joue un industriel qui se voit confier le poste de gouverneur général par les forces d’occupation chinoise.
Tout se beau monde composé de lâches, de flatteurs et d’opportunistes montrent une France prompte à profiter d’une situation. Or Jean Yanne ne compare pas les Chinois aux nazis car dans le film les Chinois agissent sans violence mais avec calme. Certes, ils dirigent la France de manière absurde : interdiction de forniquer, obligation d’abandonner les voitures « dangereuses, polluantes et impérialistes » et décident que les Français parce qu’ils sont « fumistes » devront consacrer leur industrie aux tuyaux de poêle. En revanche il compare les bourgeois, ceux qui ont déjà du pouvoir, aux collabos. Il affirme que quelle que soit la situation ces gens-là continueront à défendre leur terrain de pouvoir malgré les contradictions et l’absence de conviction idéologique.
Les Chinois n’existent pas dans le film. En tout cas, il n’y a pas de personnage hormis Pou-yen. Les Chinois tous soldats ou gardes rouges ne sont qu’une masse disciplinée et anonyme. L’opposé même des Français. Les soldats apprennent instinctivement à sortir le petit livre rouge. Les Chinois sont nombreux et pour l’effort de collectivisation ils doivent tous travailler ce qui donne des scènes absurdes de files de Chinois qui se passent les uns aux autres le moindre dossier. In fine, ce que Jean Yanne essaie d’exprimer c’est une critique des maoïstes français (à l’époque il y avait pas mal de monde qui s’en réclamait dont Jean-Luc Godard avec ses films abscons et prétentieux) et de fustiger l’aberration de la pensée Mao Tse-toung, avec un certain succès, je dois dire.
Les exemples les plus frappants qui montrent que le film n’est pas raciste mais critique envers le maoïsme est cette fête de la joie sur le Trocadéro où Chinois et Français sont censés célébrer leur amitié éternelle ou le ballet opéra Carmeng, soit Carmen de Bizet qui aurait rencontré l’ignoble film de propagande Le Détachement féminin rouge. Les Chinois à Paris est bourré de défauts, de mauvais jeux de mots, de facilités, d’interprétations approximatives et de plans mal fouttus. Mais son scénario est plutôt bien écrit montrant le processus d’occupation et de collaboration. En 1974, il était encore difficile de montrer cela. La guerre était encore dans toutes les mémoires et la recréation du schéma français était perçue comme une attaque contre les résistants. Il était aussi difficile de s’attaquer à Mao à une époque où le cinéma militant marxiste-léniniste avait très bonne presse et où l’aveuglement face à la Révolution culturelle était aussi important que celui décrit dans le film. Il est toujours difficile d’avoir un miroir qui renvoie une image antipathique et la critique de gauche de l’époque ne l’a pas supporté.
Les Chinois à Paris (France – Italie, 1974) Un film de Jean Yanne avec Jean Yanne, Nicole Calfan, Macha Méril, Michel Serrault, Kyozo Nagatsuka, Georges Wilson, Jacques François, Fernand Ledoux, Paul Préboist, Daniel Prévost, Bernard Blier.
Ng See-yuen a permis à Tsui Hark de sortir de l’univers de la télévision en produisant son premier long métrage. Ng ne l’a pas fait parce qu’il pensait que Tsui Hark méritait plus que tout autre d’être révélé, mais parce qu’il a toujours un bon flair pour détecter ce qui pouvait marcher. Ng See-yuen a permis à Jackie Chan de sortir du créneau de sous Bruce Lee mâtiné de kung-fu vieille manière. Même si beaucoup nie aujourd’hui son existence formelle, The Butterfly murders lance la nouvelle vague de Hong Kong.
L’histoire est un peu complexe. C’est une vague histoire de clans qui s’affrontent sans véritable enjeu. Le clan du Fils du Tonnerre veut se débarrasser de Tien Fang. Ce dernier va se rendre dans un château avec Ombre Verte, une jeune femme espiègle, et Fong, un lettré. Mais le château est l’objet de l’attaque d’étranges papillons qui empoisonnent par leurs piqures les gens. Des nuées de papillons peuvent soudainement envahir les lieux et tuer. Tout le monde va dans les grottes sous le château.
Le maître des lieux est là aussi avec son épouse et la servante sourde et muette. Très vite, d’autres mystères semblent apparaître. La servante est-elle vraiment sourde ? Comment les papillons réussissent-ils à pénétrer dans les grottes ? Qui est sous l’armure de cet homme qui tue si violemment ? Toutes ses réponses seront données dans la dernière partie par Fong qui en tant que lettré se transforme en Sherlock Holmes. Mais ça n’est pas cela qui intéresse le plus Tsui Hark et qui fait qu’il existe effectivement une nouvelle vague en 1979 à Hong Kong.
Le scénario est bel et bien raconté mais Tsui Hark, dès son premier film, fait exploser sa mise en scène. Ce qu’il cherche à produire ce sont de belles images les plus étonnantes possibles. Il n’hésite jamais à couper cut dans son montage au risque de la rupture, comme lors du générique avec une chanson disco (alors qu’on est dans un film moyenâgeux) qui est abruptement coupé avec un plan de cascade. Ou encore ce corbeau en gros plan qui vient, regard caméra, troubler la tranquillité.
Les scènes de dialogue sont souvent développées à contre courant. Ainsi deux personnages peuvent discuter, en champ contrechamp, mais en se tournant le dos. Cela crée une tension, une angoisse sourde que ne donnent pas les attaques des papillons bricolées et amateurs. La musique utilisée à bon escient dans le même but de tension est pour une fois particulièrement soignée, ce qui à Hong Kong est exceptionnel.
La lumière du film est aussi l’objet de l’attention de Tsui Hark. La partie dans les grottes est très longue et il se donne à malin plaisir à ne filmer que des visages au beau milieu de l’obscurité la plus totale. Il y a aussi là dedans des questions de budget car il n’y a pas besoin de produire des décors. Tsui Hark brise les règles classiques de la narration et exhausse sa mise en scène et c’est cela qui est, aujourd’hui, le plus visible. Certes The Butterfly murders est très bancal, un peu raté mais il témoigne d’une époque de changement, d’un rejet des formatages proposés à la fois par les films de la Golden Harvest et ceux de la Shaw Brothers. Le film a été un très grand échec commercial mais Ng See-yuen a fait confiance à Tsui Hark en produisant son deuxième film.
The Butterfly murders (蝶变, Hong Kong, 1979) Un film de Tsui Hark avec Lau Siu-ming, Michelle, Wong Shu-tong, Zhang Guozhu, Chen Qiqi, Wang Jiang, Eddy Ko, Xu Xiaoling, Hsia Kuang-li.
Les films sur la bouffe ont donné quelques grands films. On le sait, on les connaît. Ceux à Hong Kong peuvent être grandioses et montrer l’art culinaire comme un pan de la culture locale. Souvent les films de bouffe montrent l’actualité contemporaine et les problèmes de société. La mal-bouffe dans The God of cookery ou l’angoisse de la rétrocession dans Le Festin chinois. Le Grand chef tente de faire la même chose. Sans vraiment y parvenir.
Sung-chan (Kim Kang-woo) est un jeune cuisinier brillant. Cinq ans avant le début du récit, un flash-back nous montre un concours de plats faits à partir d’un poisson. Mais les membres du jury se trouvent empoisonnés. Sung-chan doit arrêter sa carrière abruptement et son camarade d’école Bong-joo (Im Won-hee) remporte le concours. Sa carrière sera toute tracée et il deviendra le nouveau chef d’un grand restaurant.
Un couteau de cuisinier du début du 20ème siècle va devenir le but d’un grand concours de cuisine. Le couteau est légendaire et symbolise la résistance des Coréens à l’invasion japonaise. Le couteau appartenait à un grand chef qui avait refusé de cuisiner pour les envahisseurs et s’est tranché la main droite. Une jeune journaliste Jin-soo (Lee Hana) veut suivre ce concours et convaincre Sung-chan d’y participer pour revenir sur le devant de la scène.
Evidemment, Le Grand chef montre quelques morceaux de bravoure de présentation culinaire mais le cinéaste les monte tellement vite en split screen qu’on ne peut jamais apprécier la magie inhérente à ce genre de scènes de confection. A vrai dire, le film ne met même pas en appétit surtout quand il se mette pour le concours à débiter un bœuf. Toute cette viande sanguinolente laisse froid. Et au bout d’un moment, on se moque totalement de savoir qui va gagner le couteau légendaire.
Un des plus gros problèmes du film est son absence d’ambigüité. Sans doute parce qu’il est inspiré d’une bande dessinée célèbre en Corée, le film montre des personnages sont constamment caricaturaux. Sung-chan est le gars le plus gentil de la planète. Il prend grand soin de son grand-père qui perd la tête et se pâme devant son « frère » le bœuf dont il s’occupe depuis son enfance. Il va devoir l’abattre pour le concours. La scène à grand renfort de musique émotionnelle faire plus rire que toucher. Inversement Bong-joo avec son regard de fourbe fomente de nombreux plans pour éliminer son adversaire.
Tout est amené avec de gros sabots. Les flash-backs sont introduits avec des cartons et l’image est teintée au cas où on ne comprendrait pas. L’humour est bas de gamme avec les deux adjoints de Sung-chan et Bong-joo qui forment un duo d’idiots du village, anciens camarades d’armée. L’idylle promise entre Sung-chan et Jin-soo est convenue. Cette dernière dans le rôle d’une journaliste est d’une grande naïveté. Le réalisateur veut faire un film avec des bons sentiments mais tout se transforme en niaiserie mélodramatique.
Le Grand chef (식객, Corée, 2007) Un film de Jeon Yoon-soo avec Kim Kang-woo, Im Won-hee, Lee Ha-na, Jeong Eun-pyo, Kim Sang-ho, Jeong Jin, Jung Jin, Kim Jin-tae.
Un film de Yu Lik-wai (Hong Kong, Chine, Japon, Brésil) avec Anthony Wong, Joe Odagiri, Haung Yi, Jeff Chen, Milhem Cortaz, Tainá Müller, Antônio Petrin. 96 minutes. Catégorie IIB. Sortie : 11 juin 2009.
Takeshi Kitano a de la suite dans les idées. Personne ne va voir ses films en salles au Japon pas plus qu’en France, mais il continue de faire des films sans se soucier le moins du monde de ce que l’on pourrait en penser. Il les finance sans doute avec ses émissions de télé en tant que Patrick Sébastien local. On nous dit qu’il est une grande vedette là-bas. On le croit sur parole. En tout cas, au cinéma, il poursuit son œuvre introspective sur l’art en général, et sur l’échec surtout de l’artiste.
L’art cette fois n’est plus le cinéma comme dans Takeshi’s et Glory to the filmmaker ! mais la peinture qui un autre lieu artistique dans lequel Kitano a pas mal œuvré. Quand je dis pas mal, c’est que je me rappelle les toiles que l’on pouvait voir dans Hana-bi par exemple. Achille et la tortue est la triste histoire d’un enfant, puis d’un adolescent et enfin d’un quinquagénaire qui n’arrivera jamais à vivre de son art. Tous lui conseilleront d’arrêter la peinture pour de bonnes ou de mauvaises raisons.
Quelques décennies plus tôt, un riche homme et deux de ses amis accompagnés de deux geishas fardées. Ils vont boire un verre au domicile et commence à parler de son jeune fils Machisu qui passe son temps à peindre. Il ne dit pas grand-chose et d’une extrême politesse. Un des amis du père lui offre son béret. Mais son père meurt laissant sa femme sans le sou. Il avait fait faillite dans une entreprise de vers à soie. La femme part avec Machisu chez l’oncle bourru qui refuse de s’occuper du gamin. Machisu a du mal à s’intégrer à l’école comme à la campagne et se lie avec l’idiot du village qui dessine les paysages.
Machisu continue de dessiner avec n’importe quel matériel et produit des œuvres empreintes de naïveté et de couleurs. La mère se suicide, l’idiot du village se fait écraser par un car et Machisu est viré de la maison de son oncle. On le retrouve en adolescent toujours avec son béret. Il a un petit boulot de livreur de journaux mais ne fait pas la distribution. Il s’arrête en route pour dessiner ce qui provoque la colère des clients et de son patron. Il commence à tomber amoureux d’une de ses jeunes collègues mais sa timidité l’empêche d’aller bien loin dans sa relation. Régulièrement, il va voir un marchand d’art qui lui déclare sans ambages qu’il n’a pas de talent et qu’il devrait étudier.
Machisu va étudier l’art et l’académie. Il va, encore une fois, tenter de créer son propre style à partir des livres d’art qu’il lit. Puis finalement, il va s’inscrire dans une école et avec ses camarades va s’amuser à faire un peu n’importe quoi avec de la peinture. Mais un accident artistique va tuer un étudiant. Puis le découragement va emporter dans le suicide un autre. Finalement, Machisu va se marier et avoir un enfant, il va continuer de travailler et continuer de peindre. Pour l’anecdote, on voit dans la première scène où Machisu jeune adule apparaît une peinture du cinéma évoqué dans le sketch de Kitano dans Chacun son cinéma.
Mais rien ne change. La fille grandit et a honte de son père. Machisu est maintenant joué par Beat Kitano et le marchand d’art ne veut toujours pas acheter la moindre toile. Tout manque d’originalité selon lui. Machisu va tout essayer pour se démarquer et inventer son art. Fracasser la toile avec un marteau piqueur, boxer sa femme avec des gants trempés dans la peinture, rependre de la peinture avec un vélo et faire des toiles politiques sur l’Afrique. Plus il persévère, plus il semble s’enfoncer dans la folie de ne pas se reconnaitre comme un artiste raté.
Achille et la tortue est au mieux un film d’une grande mélancolie au pire un constat déprimant sur l’échec artistique. Kitano commence son film en montrant que les couleurs des toiles dans l’univers grisâtre peuvent être une voie vers la liberté. Mais les couleurs envahissent progressivement tout dans la vie de Muchiso et l’emprisonne dans une vaine utopie. Il ne prend plus en compte l’avis de quiconque et va tuer sa vie sociale par ses actes désespérés pour réussir à se faire remarquer. Cette folie morbide – tout le film est traversé de morts – est similaire à celle de l’idiot du village. Certes, on se marre devant les essais artistiques de Beat Kitano, mais on rit jaune puis on serre les dents et enfin on est horrifiés par tant de cruauté. Cette horreur est constamment maitrisée, et comment. Le film est un bréviaire de la folie et encore une fois, Takeshi Kitano nous affirme qu’il ne faut pas suivre l’avis des critiques.
Achille et la tortue (Achilles and the tortoise, アキレスと亀, Japon, 2008) Un film de Takeshi Kitano avec Reikô Yoshioka,Ren Ôsugi, Aya Enjôji, Mariko Tsutsui, Akira Nakao, Yûrei Yanagi, Kumiko Aso, Takeshi Kitano, Kanako Higuchi, Eri Tokunaga, Nao Omori
D'autres photos du film sur mon autre blog : Comparativista!