Joris Ivens travaillait à l’époque aux Etats-Unis. Son documentaire Terre d’Espagne a été produit par une compagnie américaine et le commentaire écrit par Ernest Hemingway. Ivens était déjà, près de trente ans avant d’aller filmer la Chine de la Révolution Culturelle, un communiste. Son ambition était de filmer les peuples en lutte contre le fascisme. Après avoir pris fait et cause pour les Républicains espagnols contre Franco, il va soutenir, avec son chef opérateur John Ferno et Robert Capa, les Chinois contre l’occupation du Japon.
Depuis la fin du 19ème siècle, le Japon a occupé l’île de Formose (Taiwan), puis la Corée et la Mandchourie. L’Empire veut ensuite envahir le reste de la Chine, et notamment pour en faire une terre de colonie de peuplement et d’exploitation des matières premières. La guerre est lancée et l’armée bombarde les villes ce qui provoque un exode massif des populations vers l’ouest. Fredric March lit le commentaire de Dudley Nichols sur les images tournées là-bas et récupérées des actualités locales.
Dans Les 400 millions, on peut voir successivement des masses de Chinois qui fuient les villes. Mais également les victimes des bombes. Le commentaire précise que ce ne sont que des civils. Dans leur marche vers l’ouest, Ivens, Ferno et Capa filment les tombeaux des empereurs et les lions qui bordent l’accès aux tombeaux. Le commentaire annonce que c’est une culture millénaire qui est en train d’être détruite par les fascistes japonais. Le ton est bien loin de celui de Promenade en Chine de Titaÿna qui faisait du tourisme. Ici, Nichols et Ivens parlent de politique. Le feluve Yang Tsé et le désert de Mongolie sont filmés, mais très vite Les 400 millions passe à autre chose.
Le film invoque la pensée de Sun Yat-set et de la fondation de la République de Chine en 1911. Joris Ivens veut soutenir la démocratie chinoise en marche. Et l’incarnation de l’espoir démocratique s’appelait en 1938 Tchang Kei-shek. On voit le général nationaliste en réunion de cabinets. Le film souligne que les Etats-Unis soutiennent le général. On aperçoit Madame Tchang, si belle et si populaire. Joris Ivens ne pouvait pas se douter de l’avenir dictatorial qu’il allait mener en Chine. On rencontre également en pleine campagne les forces communistes qui ne se sont pas alliées avec les nationalistes. Mao Tsé-toung n’apparaît pas à l’image.
En tant que communiste et soutien des révolutionnaires, Joris Ivens sa tourne régulièrement vers le peuple. On entend enfin la voix des Chinois. Le cinéaste filme les avancées technologiques de la Chine et montre la corrélation entre l’avancée de la révolution et l’amélioration de la situation de la population. Le film est a priori plus timoré que ce qu’il fera plus tard. C’est justement ce soutien au peuple chinois qui a permis à Ivens de pouvoir tourner Comment Yukong déplaça les montagnes. Ivens a laissé au parti communiste chinois sa caméra pour qu’il puisse filmer les avancées de la résistance.
Les 400 millions (The 400 million, Etats-Unis, 1938) Un film documentaire de Joris Ivens et John Ferno avec les voix de Fredric March, Morris Carnovsky, Robert Lewis, Alfred Ryder, Adelaide Bean, Sydney Lumet.