mercredi 1 février 2012

Tatsumi


Yoshihiro Tatsumi a 75 ans au moment de la réalisation de Tatsumi qui est sa biographie en animation tournée par Eric Khoo. Le cinéaste de Singapour est amateur de projet incongru. Après Be with me, qui parlait de son pays, il avait tourné My Magic qui avait déconcerté beaucoup de monde (enfin, le film a été tellement peu montré que finalement, il a déconcerté uniquement ceux qui s’attendaient à voir une suite de son précédent film). Le film commence avec en voix off le dessinateur (ou l’illustrateur selon ses propres mots), qui vient d’ailleurs de recevoir un Prix au Festival d’Angoulème, qui narre les moments cruciaux de sa vie. Mais Tatsumi rend d’abord un hommage à Osamu Tezuka qu’il a rencontré à 15 ans.

Enfant, Yoshihiro Tatsumi était fan du dessinateur et c’est en espérant être son égal qu’il commence à créer des mangas. Il en envoie à des éditeurs dès ses dix ans rendant jaloux son grand frère qui, malade, ne peut dessiner. La confrontation sera violente puisqu’un jour son frère, dans un excès de colère, déchire tout ses bandes. Tatsumi est publié pour la première fois à l’âge de 15 ans. Comme cadeau, en plus d’être payé, il aura la joie de rencontrer Tezuka. « Le plus jour de ma vie », s’exclame-t-il. Petit à petit, ses travaux sont achetés régulièrement. Puis, il s’installe avec deux autres mangakas dans un appartement d’Osaka, sa ville d’origine. Puis, il tombe amoureux.

Ces parties biographiques (ou données comme telles) en couleur sont souvent très émouvantes. Son esthétique créée avec Phil Mitchell est simple, somme toute peu animée (les dessins sont saccadés). L’animation est plutôt enfantine sur une jolie musique mélancolique de Christopher Khoo. L’illustrateur ne se vante jamais, au contraire, il est parfois critique avec lui-même, expliquant parfois sa naïveté devant ses mangas pour enfants, ou encore expliquant ses moments de creux dans sa carrière. Il narre aussi l’avènement du gekiga, le manga pour adultes dont les histoires seraient plus sombres et matures.

Ces gekigas fournissent l’autre partie du film. Entre quelques moments de biographie, on plonge dans des histoires écrites par Tatsumi dans les années 1970 et qui, selon ses propres mots, décrivaient son grand malaise. Animées en noir et blanc, ces cinq histoires de fiction montrent des personnages solitaires et dépressifs. Hell évoque un photographe qui travaille sur un reportage à Hiroshima juste après le lancement de la bombe. Beloved monkey montre un ouvrier qui vit seul avec un singe et qui perd un bras dans un accident de travail. Just a man est le récit d’un homme bientôt à la retraite qui désespère de devoir passer le reste de sa vie avec une femme qu’il hait. Occupied décrit l’ennui d’un mangaka à qui l’inspiration fait défaut et qui va la retrouver en observant les graffitis obscènes dans les toilettes. Good-bye exprime la déprime d’un vieux père face à sa fille « pute à soldats américains » qui se fait rejeter par tout le monde.

Ces cinq histoires, bien que plus dures, plus rudes, plus sèches, sont paradoxalement moins émouvantes que le récit biographique. Elles montrent cependant l’univers de Tatsumi. Mis en parallèle, on constate que la vie du dessinateur irrigue ses fictions. On sent qu’il a observé et qu’il a tiré de ce qu’il a pu voir de quoi écrire et dessiner (on le sent particulièrement dans Occupied). Il n’est sans soute pas le seul à parler du Japon contemporain, à faire des récits sérieux, mais sa manière est sans romanesque, sans fin à proprement parler laissant un fin ouverte. Tatsumi dessine sur le quotidien et sur les marginaux. C’est un auteur, à ce titre, contestataire et critique du Japon. Et Eric Khoo porte sur son œuvre un regard plein de tendresse. On comprend que son univers est très proche de celui de Yoshihiro Tatsumi.

Tatsumi (Singapour, 2011) Un film d’Eric Khoo avec les voix de Tetsuya Bessho, Motoko Gollent, Yoshihiro Tatsumi, Mike Wiluan.

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