Le
fracas des sabres en bois, les bordées de hurlement, le crissement des pieds
nus sur le sol. Ken le sabre, c’est
d’abord le son des entrainements des pratiquants de kendo. Sous la tenue, ils
se ressemblent tous. Une armure sur le torse, un masque sur les têtes, des
gants aux mains et une longue robe noire ne permettent pas de distinguer qui
que ce soit. C’est pourtant Jiro Kokubun (Raizô Ichikawa, son acteur fétiche à
cette époque) qui est choisi par les maîtres pour être le capitaine de
l’université de Towa au détriment de Kagawa (Yûsuke Kawazu). Le film se déroule
en 1963 mais est pourtant filmé en noir et blanc alors que Kenji Misumi
tournait en couleurs depuis Tuer.
Les
deux étudiants s’affrontaient pour être le leader et ils s’opposent dans leur tempérament
comme dans leurs vêtements de tous les jours. L’uniforme d’étudiant pour l’un
et pantalon chemise pour l’autre. Kagawa est un bon vivant, il aime fumer,
jouer au mah-jong et draguer les filles. Kokubun semble ne jamais avoir vécu
que pour pratiquer le kendo. Il est puceau, ne se divertit jamais et pratique
une discipline de vie très stricte. Il essuie d’ailleurs les critiques de
Kagawa à ce sujet. Devant des amis, Kagawa estime que l’attitude du capitaine
est remplie d’orgueil. En privé, il exprime à la fois sa haine et son
admiration.
Ce
que cette opposition reflète est deux visions de vie totalement différente.
Inspiré d’un livre de Mishima, Ken le
sabre explore l’idéal de Jiro qui ne regarde que vers le passé et qui
entend conserver toute la pureté de sa jeunesse. Aucune corruption ne doit
entamer son aptitude au kendo. On découvre sa mère qui joue au mah-jong et qui
ne le regarde même pas quand il passe la voir. On rencontre son père, directeur
d’une usine, qui l’encourage à profiter de la vie et aller flirter avec les
filles. Pour eux, le kendo est un symbole d’un Japon désuet et révolu. Ces
symboles de la modernité, Jiro les rejette avec calme et détermination.
Au
sein de son équipe, Jiro a un grand admirateur. Mubi (Akio Hasegawa) est un
cadet, un étudiant qui débute dans le kendo. Il n’a pas encore le droit de
s’entrainer avec les aînés. Mubi, au visage poupon, est moqué à la fois par sa
sœur quand elle le surprend en train de se raser et par les autres qui jugent
son engagement auprès de Jiro. Il écoute les critiques de Kagawa et entend
faire réprimander l’insolent. Lors d’un bain, Mubi frappe un de ses comparses
ce qui leur vaut à tous deux une punition (rester assis 40 minutes face à un
mur). Seul Mubi accepte avec abnégation la punition.
Les
rapports que le cadet entretient avec Jiro sont emplis d’admiration mutuelle
pour la discipline et la justesse du combat. Le film glisse ici ou là des allusions
sexuelles entre eux, notamment lors d’une scène de bain où Mubi choisit de
laver Jiro plutôt que Kagawa, ce qui accentue la jalousie de ce dernier. Ces
bains, certes rituels après l’entrainement, prennent une tournure érotique
d’autant plus accentuée par le fait que Jiro refuse les avances d’Itami (Fuji
Yukiko), l’une des amies modernes (elle sort des mots en anglais) de Kagawa.
Ils se rencontrent dans une belle scène où il hésite à sauver un pigeon.
Jiro
ne supporte pas la faiblesse. Ni celle du pigeon blessé qu’il veut étrangler,
ni celle de ses parents banals, ni celle de ces jeunes Japonais qu’il punit et
humilie dans un bar en les forçant à quitter les lieux. La première partie du
film décrit avec minutie la lutte de Jiro contre le Japon de 1964, lutte vaine
qu’il cherche à transformer en victoire dans la deuxième partie où l’équipe
s’entraine sous ses ordres. Le visage de Raizô Ichikawa impavide reflète tous
ses espoirs. Mais la faiblesse de Jiro est justement cette force qu’il n’arrive
pas à rendre émouvante pour ses camarades. Le film prend un tour tragique quand
il constate que son utopie s’effondre.
Ken
le sabre (KEN 剣, Japon, 1964) Un film de Kenji Misumi avec Raizô Ichikawa, Yûsuke
Kawazu, Akio Hasegawa, Yoshio Inaba, Fuji Yukiko, Takeshi Kawano.
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