Un
premier long-métrage tourné au Japon par un jeune réalisateur français
(Jonathan Soler est né en 1985) est un fait suffisamment rare pour qu’on s’y
penche. Phantom dure 76 minutes et
prend un parti pris minimaliste : tournage avec un appareil photo, deux
interprètes, une jeune femme (Yuki Fujita) et un jeune homme (Masato Tsujioka).
Une discussion ininterrompue entre eux le temps d’une nuit dans le petit
appartement de la demoiselle coupée par des images diurnes et nocturnes de
Tokyo.
On
ne connaitra jamais les prénoms des deux protagonistes. Appelons-les
« elle » et « lui ». Elle arrive chez elle, le soir, un
masque anti-pollution sur le visage. L’appartement n’est pas bien grand. Elle
pose ses affaires, elle passe à la cuisine, elle fait bouillir de l’eau pour sa
barquette de nouilles. Cette séquence d’ouverture, sans paroles puisqu’elle est
seule chez elle, sera la l’unique moment bruité du film, comme un micro récit
réaliste. Quelques instants plus tard, on découvre que lui est dans
l’appartement, on ne l’a pas vu arriver.
Phantom s’embarque dans la discussion à bâtons rompus,
elle parle, lui répond. Les deux acteurs ont une voix très douce, on pense aux
dialogues chez Godard, dans Une femme
mariée entre Macha Méril et Philippe Leroy dans leur lit, dans La Chinoise entre Anne Wiazemski et
Francis Jeanson dans le train. Pas un mot ne sera plus haut que l’autre, seuls
quels rires peuvent accentuer le dialogue entre les deux amants. C’est cette
douceur des mots qui frappe d’abord dans Phantom.
Et
Jonathan Soler veut que le spectateur entende ces voix. Il supprime de la bande
son tout bruit extérieur. La discussion apparait alors comme un motif extérieur
qui permet de penser qu’elle rêve peut-être cette discussion avec son petit
ami. L’absence de linéarité des plans (un coup dans une position, un coup nus,
un coup habillés dans une autre position) accentue cette démarche onirique qui
évoque tout autant les films polonais de Jerzy Skolimowski qu’aux films
« politiques » de Nagisa Oshima et Yoshishige Yoshida.
On
les entend parler et l’image ne suit jamais leur mouvement des lèvres. Les
interruptions visuelles dans Tokyo les montrent se promenant avec un sens du
flou artistique. On voit une ville rarement montrée sur le mode du marabout de
ficelle : des détritus, des SDF, des bancs, des tables de café défilent à
la queue-leu-leu dans un montage rapide. Ces décalages perturbent le sens
habituel de la narration quitte à perdre un peu le film pour y revenir plus
tard, comme on feuilletterait un album photos.
Passée
la forme gentiment expérimentale, on découvre deux personnages en marge de la
société. Elle parle de sa situation de travailleur précaire qui passe de petits
boulots en petits boulots. Elle se demande comment continuer à payer son
appartement. Elle est dans le concret. Lui ne révèle rien de sa vie, on ne sait
pas s’il travaille prolongeant l’idée que ce dialogue n’a peut-être pas lieu.
Il est dans un discours plus éthéré, plus politique et parfois foutraque, à
l’image du film de Jonathan Soler.
Phantom
ファントム
(France – Japon, 2013) Un film de Jonathan Soler avec Yuki Fujita, Masato
Tsujioka.
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