mercredi 4 avril 2012

Samuel Fuller et l'Asie (2)



Après ses deux films coréens tournés en 1951, Samuel Fuller continue de visiter l’Asie en passant par la Chine, le Japon, le Viet Nam et Little Tokyo – le quartier nippon de Los Angeles. Il ne m’a pas été possible de regarder China gate, son film sur les derniers soubresauts de la guerre d’Indochine (soit le conflit de la décolonisation de la France au Viet Nam). Le film n’a jamais été édité en DVD et les projections sont rares. Il faut dire que le film de Samuel Fuller aurait beaucoup déplu et que China gate n’est même jamais sorti en France. Les trois autres films, et c’est une première différence avec J’ai vécu l’enfer de Corée et Baïonnette au canon, mettent en scène des personnages féminins et des romances.

Film de guerre situé pratiquement constamment dans un sous-marin, Le Démon des eaux troubles met en scène un ancien marine américain (Richard Widmark, que le cinéaste retrouve après Le Port de la drogue) qui est chargé de faire une expédition secrète au large du Japon, près des côtes soviétiques et chinoises. La mission est simple. A l’aide d’un scientifique français (Victor Francen) et de son assistante (Bella Darvi), le capitaine doit faire exploser une base militaire secrète abritant des bombes atomiques. Les communistes veulent lancer la troisième guerre mondiale en lançant une bombe en URSS et faire croire que Washington est responsable. L’angoisse de la Peur Rouge comme du Péril Jaune est très présente à Hollywood. Le film est aussi une romance qui s’établit entre Widmark et Darvi. Romance contrariée par le machisme et l’inélégance du capitaine qui ne supporte pas qu’une femme puisse vivre dans ce monde entouré d’hommes.

L’embarquement se fait au Japon, allié des Etats-Unis. Wong Atarne interprète Chin-lee, un Chinois qui veut s’intégrer à la société américaine. Dans une belle scène, on le voit chanter au ukulélé Don’t fence me in de Cole Porter. Après son départ du Japon, le sous-marin est pourchassé par un submersible de l’armée chinoise qui cherche à torpiller les Américains. Cela fournit l’un des suspenses du film. Les sous-mariniers doivent faire preuve de calme pour garder le silence, mais les occidentaux sont les plus forts. Dans le finale, Widmark et ses hommes affrontent des soldats chinois et en font prisonnier qui sera embarqué dans le sous-marin pour être interrogé. Chin-lee, modèle d’héroïsme, se propose de faire l’espion mais le soldat traite Chin-lee de traitre et le tue. La paix est sauve grâce à l’action commune des alliés contre ces lâches de communistes. Voilà en gros le message du film.


Le générique de Maison de bambou vante le tournage du film au Japon, dans les décors mêmes de l’action. Il faut dire que jusqu’à présent, les films « asiatiques » de Samuel Fuller étaient tournés en studio, la palme du carton pate revenant à Baïonnette au canon, avec son décor de montagne enneigée brinquebalant. Maison de bambou est un polar. Un soldat américain (Robert Stack) s’infiltre dans la mafia locale tenue d’une main de fer par Robert Ryan. Etonnement, ce sont des hommes d’affaires américains qui sont des yakuzas. Ils commettent des cambriolages à main armée. Stack va cohabiter avec Mariko (Shirley Yamaguchi), l’ancienne petite amie d’une de ses connaissances. Elle devient la honte de son quartier puisqu’elle s’affiche avec un étranger.

Ce qui intéresse autant que son histoire d’espions, de relations troubles entre Robert Stack et Robert Ryan (que beaucoup ont identifié comme homosexuelle d’autant que jamais Stack n’envisage de coucher avec Mariko), c’est le Japon lui-même. La part documentée du film est importante. Samuel Fuller filme la ville telle qu’elle était en 1955, sa caméra s’attarde souvent à filmer les personnages qui se déplacent. Il filme aussi les coutumes japonaises, les bains (scène hilarante où Stack ne veut pas sortir nu), les repas, les défilés, un parc d’attraction bondé. Et aussi les tenues des Japonais, les couleurs des vêtements. On sent que le cinéaste s’est passionné pour le pays lors du tournage.


Le meilleur de ces trois films japonais est The Crimson kimono. Samuel Fuller revient aux Etats-Unis et au noir et blanc. Il a aussi changé de studio, quitté la Fox et travaille désormais pour la Columbia. Charlie (Glenn Corbett) et Joe (James Shigeta) sont deux policiers de Los Angeles. Ils se sont rencontrés lors de la guerre de Corée. Ils vivent désormais ensemble dans un coquet appartement dont ils disent eux-mêmes qu’ils dépensent tout leur salaire en décoration et meubles pour en faire un nid douillet. Joe et Charlie sont un couple tranquille qui va être perturbé par l’arrivée de Chris (Victoria Shaw) dans leur vie. Charlie croyait que c’était un homme et est très étonné de comprendre que ce peintre est une femme. Chris pourrait aider à retrouver l’assassin. Charlie reçoit aussi les conseils de Mac (Anna Lee), qui boit du whisky à la bouteille et se comporte comme un homme.

Dans The Crimson kimono, Samuel Fuller prend un malin plaisir à filmer un triangle amoureux en le cryptant à la fois de notions sur la race (Joe le Japonais est persuadé qu’une Américaine blanche ne peut pas l’aimer) et de notions sur l’homosexualité des deux flics. Chris est le personnage qui va séparer les deux flics qui vivent une vie de couple bien rangée. La manière dont ils sont filmés au saut du lit, se battant au kendo – le bâton symbole phallique – puis, tout en sueur, tenter de s’expliquer en se regardant les yeux dans les yeux avec des dialogues à double sens, procurent des moments très savoureux. En filmant cette ambigüité sexuelle pourtant évidente, le film met aussi le doigt sur les discriminations raciales aux Etats-Unis à la fin des années 1950. Encore une fois, Samuel Fuller prouve qu’il est l’un des plus grands réalisateur du cinéaste social.

Le Démon des eaux troubles (Hell and high water, Etats-Unis, 1954) Un film de Samuel Fuller avec Richard Widmark, Bella Darvi, Victor Francen, Cameron Mitchell, Gene Evans, David Wayne, Stephen Bekassy, Richard Loo.

Maison de bambou (House of bamboo, Etats-Unis, 1955) Un film de Samuel Fuller avec Robert Ryan, Robert Stack, Shirley Yamaguchi, Cameron Mitchell, Brad Dexter, Sessue Hayakawa, Biff Elliot, Sandro Giglio, Elko Hanabusa.

China gate (Etats-Unis, 1955) Un film de Samuel Fuller avec Gene Barry, Angie Dickinson, Nat 'King' Cole, Paul Dubov, Lee Van Cleef, George Givot, Gerald Milton, Neyle Morrow, Marcel Dalio, Maurice Marsac, Warren Hsieh, Paul Busch, James Hong, William Soo Hoo, Walter Soo Hoo.

The Crimson kimono (Etats-Unis, 1959) Un film de Samuel Fuller avec Victoria Shaw, Glenn Corbett, James Shigeta, Anna Lee, Paul Dubov, Jaclynne Greene, Neyle Morrow, Gloria Pall, Pat Silver, George Yoshinaga, Kaye Elhardt, Aya Oyama, George Okamura, Ryosho S. Sogabe, Bob Okazaki.

Aucun commentaire: