dimanche 30 septembre 2012

Le Vengeur errant


On savait que le cinéma d’Akira Kurosawa avait inspiré le western de Sergio Leone (Pour une poignée de dollars) à John Sturges (Les Sept mercenaires), mais un peu moins que la Toei avait produit Le Vengeur errant, avec une volonté évidente d’en faire un western authentique (si cela voulait encore dire quelque chose en 1968). Tourné entièrement dans le bush australien qui évoque la plaine du Far West avec des acteurs locaux, le film s’ouvre avec le jeune Ken (Ken Takakura) un fermier qui entend au loin une diligence qui file à vive allure. En moins de temps qu’il n’en faut, Ken chevauche son cheval et va arrêter le véhicule. Dedans, il découvre que tous les passagers et le cocher ont été assassinés.

Il rentre chez lui, raconte cela à son père (Takashi Simura, dans une courte apparition) et à sa mère quand sept desperados pénètrent chez eux. L’un d’eux est blessé. Le père n’est pas très rassuré et sort son sabre, car en effet, il est un ancien samouraï, le premier japonais à s’être établi en Amérique. Les mercenaires tirent abondement dans le tas et tuent la famille avant de s’enfuir comme des lâches qu’ils sont. Mais Ken a survécu et décide de partir assouvir sa vengeance. Il met sa belle chemise à carreaux, son blue jeans, ses bottes en cuir, son chapeau et son révolver en ceinture et part à la recherche des desperados.

Sa quête est donc celle d’une vengeance. Il a passé des mois et des mois à apprendre à manier son arme.  Il va rencontrer Marvin (Ken Godlet), un patron de ranch qui va le prendre sous son aile. Marvin va lui enseigner les rudiments de l’ouest, lui donner de bons conseils et tempérer sa trop grande ardeur qui risque de se retourner contre lui. Et petit à petit, il va retrouver les hommes qui ont tué ses parents. A chaque desperado retrouvé, son visage en image arrêtée issue de la tuerie initiale apparait à l’écran. Puis, un jour, il se rend compte que l’un des assassins est le propre fils de Marvin. Ce dernier qui a chaperonné Ken comme son fils, est désormais devant un dilemme quand les trois hommes s’affrontent. Finalement, Marvin tuera son fils mais se sépare de Ken qui part finir sa vengeance.

La prochaine étape est Franco (Clive Saxon), propriétaire d’un ranch de vaches. Ken devient un cow-boy. Jusque là uniquement masculin, Le Vengeur errant voit apparaitre le premier personnage féminin au bout de trois quarts d’heure. D’une certaine manière, le film redémarre avec Rosa (Judith Roberts), l’épouse de Franco qui va se prendre de sympathie pour Ken. Tout comme Mike (Kevin Cooney), son jeune garçon passionné des armes à feu. Mais la mission doit s’accomplir et si Rosa comprend le geste de Ken, Mike rejette son nouvel ami quand il tue son père. Il ne reste plus que le chef de bande à éliminer, le redoutable Carson (John Sherwood), homme de peu de foi qui est persuadé que l’argent achète tout, y compris les gens honnêtes. Il faudra aussi à Ken retrouver la confiance de Mike.

Le film joue sur le code d’honneur du samouraï qui mène sa mission sans dévier. Il semble évident que Rosa tombe amoureuse de lui, mais Ken se refuse à toute romance. Le Vengeur errant se veut un western au premier degré et en reprend tous les archétypes. Vêtements, chevaux, bétail, saloon, ranch et bien entendu les affrontements au révolver. Il ne manque que les Indiens. Les personnages, et Ken en tête, tirent à tout va. Des centaines de balles sont tirés et les morts violentes se comptent par dizaine. Les desperados n’hésitent jamais à tuer quiconque se met en travers de leur chemin. Le format cinémascope enregistre les paysages avec grandeur, avec un ou deux chromos où Ken monte sur son cheval sur un soleil couchant. Enfin, la musique aux mélopées japonisantes est jouée avec des instruments typiques du western, banjo, cuivre, caisse claire. L’influence d’Ennio Morricone est largement perceptible avec l’utilisation d’une guitare électrique dans les moments de tension. Le caractère hybride du film ne cesse pas d’étonner.

Le Vengeur errant (The Drifting avenger, 荒野の渡世人, Japon,  1968) Un film de Junya Sato avec Ken Takakura, Ken Goodlet, Judith Roberts, Kevin Cooney, Ronald Norman Lea, Clive Saxon, John Sherwood, Reginald Collins, Ray Lamont.

vendredi 28 septembre 2012

Sorties à Hong Kong (septembre 2012)


The Assassins (銅雀台, Chine, 2012) 
Un film de Zhao Lin-shan avec Chow Yun-fat, Alec Su, Liu Yi-fei, Ni Da-hong, Yan Ni, Tamaki Hiroshi, Yoon Eun-hye, Wu Xiubo, Yao Lu, Roy Cheung, Ken Tong, Law Kar-ying, Annie Shizuka Inoh, Chi Cheng, Yau Sam-chi, Bao Jian-feng, Qu Quancheng, Samuel Pang, Zhang Zimu. 102 minutes. Classé Catégorie IIB. Sortie à Hong Kong : 28 septembre 2012.

mercredi 26 septembre 2012

Sauna on Moon


Sélectionné au Festival de Cannes lors de la Semaine de la critique 2011, Sauna on Moon a sans doute souffert de la comparaison avec L’Appolonide de Bertrand Bonello, ce qui lui vaut cette sortie si tardive, 18 mois après sa présentation. Le film plonge le spectateur dans un bordel dans une de ses nouvelles villes chinoises (ici on est au sud, près de Macao) où le libéralisme à tout crin crée des tensions sociales. Wu (Wu Yuchi), patron grassouillet d’un sauna qui a du mal à faire des bénéfices, décide un jour de légèrement modifier ses activités. Son sauna continuera d’amener ses clients sur la lune, mais moins avec la vapeur qu’avec ses hôtesses, sobrement appelées des escort.

Il a une dizaine de filles dans son établissement. La clientèle est plutôt calme, des pères de famille tranquilles, de vieux messieurs sans histoire, qui viennent ici pour passer un bon moment avec des jeunes femmes. On leur donne des leçons de sexualité, on leur dit qu’il faut tout faire pour que l’homme prenne du plaisir, y compris simuler l’orgasme (on essaie sous les rires des collègues). On fait des défilés de mode plutôt dénudés. On accueille un octogénaire qui vient sans doute finir sa vie dans les bras d’une femme. Wu va acheter des gadgets, les filles essayent sur lui un bâillon SM sous les rires. On y fête les anniversaires dans la joie. Wu est pote avec les policiers qui le laissent faire son commerce. Mieux, il leur fait faire du sport sur la plage qui borde la maison close. Ce bordel respire la bonne humeur.

En tout cas parfois. L’une des filles veut rentrer chez elle. Elle se fait taper par son mac (car Wu n’est pas proxénète, il ne fait que louer ses chambres) qui veut qu’elle turbine. Lei (Lei Ting), le collègue de Wu, au physique totalement opposé (Lei est grand, beau gosse, charmeur), est un peu l’homme à tout faire. Papa d’un bambin espiègle qu’il a avec Li (Yang Xiaomin), qui « dirige » les filles. Ainsi quand Monsieur Lin (Zhou Yede), un homme d’affaires d’un certain âge, cherche une vierge. Il lui faut absolument une pucelle. Le plus dur est d’en trouver une. Lei part dans l’arrière pays et tombe sur une jeune ouvrière d’usine, ce qui permet au film de montrer les dures conditions de travail dans les usines géantes où le contremaître lui aboie dessus. Xiao Hou (Xia Houqiyu) ne sait pas ce qui l’attend.

D’une certaine manière, Sauna on Moon commence avec cette recherche de vierge au bout de vingt minutes. Plus précisément, c’est un récit structuré qui s’engage quand Lei démarre sa quête. Jusqu’à lors le film se présentait comme un tableau impressionniste où les personnages apparaissaient par petites touches, passant de l’un à l’autre. Le cinéaste montre la plupart du temps des moments de creux, l’avant ou l’après de l’acte sexuel, en excluant toujours les scènes de cul. Caméra portée à l’épaule, le film jouait jusque là la table du documentaire, c’est Hou qui amène le champ de la fiction. Lei ne sait pas où elle est passée après être allée chez M. Lin. Ce dernier va tout faire pour le faire arrêter par la police. C’est somme toute un scénario convenu. Finalement, on ressort du film avec l’impression d’une certaine mollesse pas désagréable mais pas non plus indispensable.

Sauna on Moon (嫦娥, Chine, 2011) Un film de Zou Peng avec Wu Yuchi, Lei Ting, Yang Xiaomin, Zhan Yi, Meng Yan, Pan Chunhui, Xia Houqiyu, Jia Jianyong, Yang Junjie, Zhu Yede, Xiao An.

mardi 25 septembre 2012

Lan Yu




Avec Happy together de Wong Kar-wai, multi-primé, Lan Yu était alors l’un des rares films sino-hongkongais à ne pas présenter l’homosexualité comme un sujet de société. Stanley Kwan, habitué aux romances compliquées, se concentre sur l’histoire d’amour entre Chen Handong (Hu Jun) et Lan Yu (Liu Ye), d’âge différent. Lan Yu est étudiant en architecture quand il rencontre Handong, homme d’affaires. Ce dernier fait, avec ses collègues et son patron un billard. D’habitude, c’est Liu Zheng (Liu Hua-tong), ce patron quinquagénaire, qui profite contre une belle somme d’argent des avantages de l’étudiant. Handong se dit qu’il pourrait essayer. Les deux hommes se retrouvent et font, maladroitement, l’amour. Le lendemain matin, Lan Yu se fait payer et Handong lui donne son numéro de téléphone.

Des semaines plus tard, ils se rencontrent par hasard. Le papier sur lequel était inscrit le téléphone est passé à la machine à laver. Mais pas le billet, précise avec malice Lan Yu. Avec un grand sourire, Handong lui propose de dîner avec lui et plus si affinités. Leur aventure amoureuse se poursuit. C’est ensuite la visite d’une maison cossue en banlieue et la proposition de s’installer ensemble. Ce qu’ils font. Lan Yu poursuit ses études et va manifester lors du printemps chinois de la place Tian An Men. Affolé, Handong traverse la ville pour le ramener, prévenu que l’armée va intervenir. Au diable les considérations politiques, ce qui compte c’est l’amour. Les événements de 1989 sont à peine évoqués, le nom de la place jamais prononcés, mais on comprend de quoi il s’agit. A l’image, on voit quelques manifestants se presser puis la rue vide.

Tout dans Lan Yu passe par l’ellipse. Handong décide de se marier pour avoir une normalité qui est la règle en Chine, pour se conformer aux standards. On n’en verra que les préparatifs, la future mariée en robe blanche, la mère de Handong qui règle les derniers préparatifs. Et c’est tout. Dans la séquence suivante, on apprendra par les dialogues qu’il a divorcé et que plusieurs années se sont écoulées sans que les deux hommes ne se voient, mais l’histoire d’amour va reprendre. Lan Yu est pourtant plusieurs fois mis à rude épreuve quand il rentre chez eux avant l’heure prévue et que son amant a invité un jeune gars musclé qui déambule en maillot de bain dans les couloirs. C’est toujours Handong qui menace le couple et Lan Yu qui le quitte. Ça sera toujours Handong qui cherchera la réconciliation. Les deux amoureux ont beau discuter de leur situation, rien ne se résout dans la simplicité. La seule chose sur laquelle ils sont d’accord, c’est qu’ils s’aiment. Les années passent, la Chine change, leur passion demeure.

Comme souvent dans les films de Stanley Kwan, les discussions prennent le dessus sur l’action. L’idée géniale du film est d’enfermer les deux personnages dans cette maison qui est leur refuge face aux adversités extérieures ; la politique, le mariage, l’accusation d’escroquerie que subit Handong. Le cinéaste se concentre sur leur histoire d’amour et n’en sortira pas. Les plans sont truffés de miroir où leur intimité est démultipliée, où elle peut s’épanouir. Les corps sont nus (ce qui valut au film d’être classé Catégorie III à Hong Kong) et leurs sentiments sont à fleur de peau. Logiquement, après plusieurs ruptures, Lan Yu se termine dans un drame aussi abrupt que poignant.

Lan Yu (藍宇, Hong Kong – Chine, 2001) Un film de Stanley Kwan avec Hu Jun, Liu Ye, CoCo Su Jin, Zhang Yong-ning, Li Hua-tong, Lo Fong, Li Shuang, Zhao Min-fen, Zhang Fan, Chow Ngai, Zhang Shaohua.

samedi 22 septembre 2012

La Divine


Après avoir écrit sur Center stage, il était impossible de ne pas évoquer La Divine, l’un des rares films encore existant avec Ruan Ling-yu. L’actrice y incarne une jeune mère célibataire qui élève seule son nourrisson. Pour subvenir à ses besoins, elle se prostitue dans les rues de Shanghai. Cigarette à la main, vêtue de ses plus belles robes, portant des boucles d’oreille, elle arpente le trottoir en attendant un client. Elle doit également éviter les descentes de policier. En voulant leur échapper, elle s’engouffre dans une rue étroite et débarque, apeurée, chez un homme qui accepte de la cacher jusqu’au départ du policier.

Cet homme (Zhang Zhizhi) se fait appeler le « boss ». Plutôt replet, portant un chapeau en feutre, il décide d’abuser de la gentillesse de la mère en devenant son propriétaire, comme il le lui dit. Elle n’a pas le choix et quand elle tente un jour de quitter son appartement, le boss la retrouve et, violement, lui fait comprendre qu’il décidera tout pour elle. Elle est pris au piège d’autant qu’il menace de vendre son fils si elle n’obéit pas. Les années passent, elle reste sa prisonnière et l’enfant grandit (il est désormais un jeune enfant incarné par Lai Hang.) Le petit doit désormais aller à l’école. Il s’y épanouit, inconscient des qu’en-dira-t-on, ignorant que sa maman se prostitue.

Seulement voilà, la réputation de la mère ne convient pas aux autres parents d’élèves de l’école qui ordonnent à leurs rejetons de ne pas s’approcher du gamin et de ne plus jouer avec lui. Il subit la pression sociale des adultes. Seul le directeur de l’école (Li Chunpan) cherche à raisonner les parents, tout comme ses collègues, que le petit n’a pas à pâtir de la mauvaise réputation de sa mère, que l’éducation doit être pour tous. En vain, il sera exclu de l’école, au grand dam de sa mère qui décide de quitter Shanghai afin de changer de vie. Pour cela, elle avait économisé, mais le boss lui vole son argent. Dans un accès de rage, elle le tue et se retrouve en prison. Le directeur de l’école, qui a démissionné, décide d’adopter le petit. Il estime que seule une bonne éducation pourra le sauver.

La Divine, produit par la Lianhua, société de cinéma progressiste (entendre de gauche) fait de ce personnage de mère courage une femme pour laquelle le public doit immédiatement avoir de la sympathie. C’est parce qu’elle s’occupe bien de son fils, espérant un avenir meilleur, et face à l’acharnement d’une société rétrograde (c’est le directeur de l’école qui le dit), qu’on s’attache au personnage de Ruan Ling-yu. Menue, l’actrice face au corps imposant et menaçant du boss, augmente la compassion. Serrant les poings, elle exprime sa colère, levant les yeux au ciel, elle appelle un destin meilleur. Sa libération n’arrivera jamais, ce sera son fils qui sera promis à un avenir meilleur quand la société pourra évoluer.

La Divine (The Goddess, 神女, Chine, 1934) Un film de Wu Yonggang avec Ruan Ling-yu, Zhang Zhizhi, Lai Hang, Li Chunpan.

jeudi 20 septembre 2012

Sorties à Hong Kong (septembre 2012)


Due West: our sex journey (一路向西, Hong Kong, 2012) 
Un film de Mark Wu avec  Justin Cheung, Mark Wu, Gregor Wong, Jessica, Wylien Chiu, Celia Kwok, Mo Qiwen, Eva Li, Angelina Cheung, Daniella Wang, Tin Kai-man, Ng Lai-chu, Tony Ho. 118 minutes. Classé Catégorie III. Sortie à Hong Kong : 20 septembre 2012.

mercredi 19 septembre 2012

Center stage


Center stage, certainement le film le plus connu de Stanley Kwan, suit la vie cinématographique et sentimentale de Ruan Ling-yu, éphémère star du cinéma, née en 1910 et qui se suicida en 1935. Maggie Cheung, bien qu’elle ne lui ressemble pas du tout, prête ses traits et son sourire à l’actrice dont il est dit qu’elle était à la fois l’incarnation de la tristesse et de la sensualité. Il n’existe que peu de films qui ont survécu aux ravages du temps. On voit quelques extraits de ceux qui subsistent, avec un simple carton sur l’écran qui indique la date, le titre du film et son existence. Ruan Ling-yu n’a joué que dans une dizaine de films, le plus connu étant La Divine réalisé en 1934 par Wu Yong-gang.

Elle commence à travailler à 18 ans dans la compagnie Lianhua située à Shanghai. Sa réputation fait qu’elle ne tourne que des personnages de femmes fatales. Elle porte de superbes robes à imprimés très colorées. Ses sourcils sont une de ses images de marque. Longs et dessinés, on dit qu’elle met deux heures à les préparer, voire plus selon ses propres dires, prompte à appuyer sa propre légende. Assez vite, elle désire des rôles dramatiques et sérieux. Elle doit d’abord apprendre le mandarin pour se faire comprendre des cinéastes venus du Nord. Ce sera le rôle de Li Lily (Carina Lau), d’un an sa cadette et actrice de la Lianhua. Ruan, comme toutes les autres actrices veulent de beaux rôles et être célèbres.

Le film commence sur un tournage d’un mélo (muet). Le visage des actrices est fardé d’une épaisse crème blanche pour mieux absorber la lumière. Ce sont ces rôles que Ruan veut abandonner et Stanley Kwan montre le côté comique, voire ridicule, de ce tournage. La Lianhua et Monsieur Li (Waise Lee), l’un de ses patrons, en tête ne croient pas au pouvoir tragique de Ruan, compte tenu de son image auprès du public. Qu’à cela ne tienne. Elle se charge de convaincre le réalisateur Sun qu’elle peut incarner cette mère de famille mandchoue si pauvre qu’elle nourrit son bébé avec son propre sang tandis qu’ils luttent dans la rue contre la neige. On voit Ruan répéter en secret dans la rue, sous la neige pour ce rôle dans Herbes folles et fleurs sauvages (野草閑花). Dès lors, Ruan incarnera des personnages tragiques dans lesquels elle s’immergera sans retenue.

Le studio Lianhua s’engage politiquement quand les Japonais envahissent la Chine. La compagnie tourne une vague de films anti-japonais jusqu’à ce que les autorités shanghaiennes interdisent d’utiliser le mot « japonais » dans les dialogues. Les acteurs utiliseront le mot « ennemis » ce qui annule le message patriotique. La compagnie est montrée comme un collectif progressiste, voire de gauche, dans lequel Ruan se fond et prend plaisir à travailler. Sa popularité profite à la Lianhua et vice-versa. Dès cette époque, le star system broie l’actrice à qui on ne pardonne rien. L’image de Ruan se détériore au fil de sa courte carrière. Elle sera traitée de tous les noms et pas des plus flatteurs. On disait d’elle que même avec un robe fermée jusqu’au cou, elle paraissait impudique. Petit à petit, la solitude de l’actrice prend le dessus sur l’idée collective, la mise en scène prend en compte cette idée, montrant en début de film Ruan au milieu de l’équipe puis en fin de film seule dans le plan.

Sa vie privée est mise sur la place publique. D’abord mariée à Chang Ta-min (Lawrence Ng), elle adoptera un enfant qu’elle élèvera avec sa mère. Puis, c’est un triangle amoureux qui se crée quand elle rencontre Tang Chi-shan (Han Chin), un négociant en thé. Les scènes qui traitent de la vie amoureuse mouvementée de Ruan sont sans doute les moins intéressantes de Center stage. Le film se traine alors en longueur car il est à la fois trop explicite et trop pudique. L’arrivée d’un nouveau personnage, le réalisateur Tsai Chu-sheng (Tony Leung Ka-fai), cantonais comme Ruan, va changer le cours des choses. Le film ne dit pas s’ils ont eu une liaison, et c’est justement cela qui met du piquant au film, car les regards qu’ils se jettent en disent plus que d’éventuels étreintes amoureuses. Et surtout, il lui offre un film, Femmes nouvelles en 1934 qui stigmatise l’abus de pouvoir de la presse à scandales et qui met en scène son suicide.

Ruan s’est donné la mort. Tous ceux qu’elle a connus viennent lui rendre hommage dans son lit de mort. Cette scène mortuaire, on la retrouve en fin de film dans la partie documentaire avec une Maggie Cheung hilare qui ne parvient pas à garder son sérieux lors du tournage de la scène où elle doit jouer une morte. Régulièrement, la narration s’interrompt pour montrer des discussions (filmées en noir et blanc) entre Stanley Kwan et ses interprètes où ils discutent du film. On découvre aussi des entretiens avec des actrices ou cinéastes qui ont connu Ruan. L’idée est d’apprendre quelque chose de l’actrice et de montrer que le star system est similaire quelle que soit l’époque. Et puis, cette belle idée pour ne pas tomber dans le pathos et le mièvre de déréaliser la mort de Ruan, comme si la légende de la première star du cinéma chinois était plus forte que la vérité.

Center stage (阮玲玉, Hong Kong, 1991) Un film de Stanley Kwan avec Maggie Cheung, Tony Leung Ka-fai, Chin Han, Carina Lau, Lawrence Ng, Cecilia Yip, Waise Lee, Paul Chang, Yip San, Siu Seung, Fu Chung, Cheng Xiao-hua. 

lundi 17 septembre 2012

Women


Le premier film de Stanley Kwan, sobrement titré Women, début sur une demande de divorce. Bao-yee (Cora Miao) ne veut être mariée avec Derek (Chow Yun-fat), son époux depuis plusieurs années avec lequel elle a eu un fils Dang-dang (Leung Hoi-leung). On découvre cette famille pleine de vie (le père et le fils ont le sourire), plutôt bourgeoise (grand appartement) lors d’un retour de week-end. Chacun se bat, avec amusement, pour arriver le premier aux toilettes. Pendant que le père et le fils se douchent, la mère range sur le lit les sous-vêtements de Derek, comme le ferait une maman à son fiston. C’est donc en enfilant son caleçon qu’il apprend cette rupture à laquelle il ne semblait pas s’attendre.

Le divorce est le sujet de conversation favori de Bao-yee et de ses amies, toutes célibataires, c’est-à-dire divorcées, à l’exception d’une veuve. Et maintenant que Bao-yee est seule, le sujet est encore plus d’actualité. Les amies sont comme un panel de la société hongkongaise, telle que la Shaw Brothers peut les imaginer. Outre la veuve un peu excentrique qui draguera plus tard dans le film Eric Tsang, on trouve la lesbienne qui tente de faire virer sa cuti à Bao-yee, la dépressive suicidaire qui porte constamment des lunettes noires. Les six amies se racontent leurs vies, chantent ensemble, plaisantent ensemble. Les conversations filmées en courts travellings occupent une bonne partie du film. Elles permettent, telles des chœurs antiques, de faire le point sur la situation.

Bao-yee n’a pas l’intention de retourner vivre chez sa mère, veuve. Bao-yee est la première de la famille à divorcer dans une culture centrée sur le mariage souvent arrangé et qui durait toute la vie. Le film inscrit fortement cette différence générationnelle et donne le divorce comme un nouveau mode de vie, comparable à l’irruption des ordinateurs dans la vie quotidienne. On voit Derek acheter puis installer pour Dang-dang un ordinateur puis jouer aux jeux vidéo. D’une certaine manière, le divorce est un nouveau mode de vie dans la culture chinoise. Le lien familial n’est d’ailleurs pas brisé puisque Derek passe de temps en temps dans l’appartement que Bao-yee décore à sa façon. Elle fait installer un nouveau canapé sans savoir où le placer (hésitation sur sa nouvelle vie).

Assez vite, le film se concentre sur le ressenti du fils. Il passe du temps avec son père qui le gâte un peu. Sa mère réussit à lui tirer les vers du nez et apprend que Derek a une nouvelle petite amie, plus jeune que lui. Sha-niu (Cherie Cheung) est une bourrasque dans la vie du nouveau divorcé. Jeune, impétueuse, imprévisible, il l’aime pour ça. Le film évite l’écueil de voir les deux femmes se disputer, elles s’entendront même plutôt bien une fois qu’elles se sont rencontrées, après la scène chez l’avocat où Sha-niu fait des remarques sur l’avenir du gamin. Ce dernier fait tout pour que ses parents se remettent ensemble et, une fois le divorce prononcé, Derek envisage un retour au foyer. Le petit aime bien la nouvelle copine de son père mais ne supporte pas qu’elle lui donne un surnom de bébé (Ding-dang).

Le film avance par petites touches, Stanley Kwan refusant les grands moments d’engueulade entre les personnages pour les permettre d’évoluer en douceur. Le personnage de la mère de Bao-yee, qui garde régulièrement Dang-dang, apporte beaucoup de douceur et se révèle bien meilleure conseillère que ses amies. Enfin, le personnage de Chang, le gamin voisin, fils des restaurateurs qui habitent au rez de chaussée, apporte un contrepoint comique à la vie amoureuse de Derek. Ce dernier est persuadé que Chang est le nouveau compagnon de Bao-yee. En effet, Chang apprend le piano à Dang-dang, apporte des courses et s’occupe d’un mini jardin botanique. Il devient un exemple pour le petit. Quand Derek comprend que c’est un ado, il demande à Bao-yee d’à nouveau former un couple et une famille. Le reste du film cherchera à replacer un esprit franchement moralisateur dans cette famille.

Women (女人心, Hong Kong, 1985) Un film de Stanley Kwan avec Cora Miao, Chow Yun-fat, Cherie Chung, Elaine Kam, Maggie Li, Yam Choi-bo, Lee Mak, Leung Hoi-leung, Cheung Yin-gwan, Lee Ngan, Eric Tsang, Freddie Wong, Calvin Poon, Terrence Howard.

vendredi 14 septembre 2012

Chez n'Ham


Certaines comédies cantonaises sont sages, faussement délurées et idéales pour toute la famille. Chez n’ Ham de Blackie Ko, c’est tout le contraire. Rarement je n’ai vu une telle addition de personnages dégénérés et plutôt fiers de l’être, inconscients de leur propre perversité et se vautrant dans leur médiocrité. Deux amis d’enfance, qui se considèrent comme des frères, ont monté une entreprise d’un genre nouveau. Chez (Dicky Cheung) et Ham (Eric Tsang) proposent comme service de se venger des gens qui ont pu faire du mal. Une claque, une insulte, une baston : ils sont prêts à rendre la monnaie de leur pièce à votre ennemi contre un peu de pognon.

Deux exemples sont donnés en ouverture de film. Le premier consiste à frapper Pa Lam (Shing Fui-on) sur la joue et sur la bite. Problème : c’est un membre des triades plutôt costaud et soupe au lait. Il est surtout montré comme un abruti qui se fait faire un shampooing en pleine rue. Une fois ses cheveux rincés, il les secoue comme les mannequins dans une pub. Chez et Ham feintent pour le toucher, leur commanditaire est éloigné d’eux et ne s’aperçoit pas que ce sont des fausses claques. Deuxième mission : un homo veut tester la fidélité de son mec. Les deux gays sont Jamie Luk et Nat Chan qui se prénomme dans le film Janet. Aucun des deux amis ne veut aller le draguer mais faut bien aller au charbon. Ils vont s’habiller grossièrement, bouclettes de cheveux, boucles d’oreille et fringues violettes. Je vous passe la description de la boîte gay et les réflexions qui assimilent l’homosexualité à une maladie contagieuse.

Au bout d’une vingtaine de minutes, la mission qui va occuper le reste du scénario arrive, et avec elle un délire ininterrompu et épuisant. Un vieillard moribond (Lau Siu-ming) leur à Chez et Ham de tuer Joey Chan (Joey Wong), la fille de son ennemi personnel. Joey, riche héritière, va faire des bonnes œuvres à une école publique. Elle sort avec Michael Wong qui n’apparaitra qu’en maillot de bain ou avec un sac en papier sur la tête (je n’ai pas compris pourquoi). Chez décide de ses faire passer pour un élève de douze ans. Il faut donc le voir affublé d’un uniforme de collégien qui menace avec un flingue de tuer Joey. C’est dans ce contraste constant que l’humour balourd mais jouissif peut s’épanouir. Par un concours de circonstance, Joey invite Chez chez elle et lui offre de séjourner dans une chambre d’enfant rempli de jouets, peluches et posters de Dragon Ball sur les murs. Lui, continue de sa faire passer pour un gamin mais doit cacher ses clopes dans un nounours et ne pas montrer qu’il aime boire de la bière.

Dans l’immense demeure de Joey, où tout est kitsch comme chez tous les riches, elle ne vit pas seule. Elle a un garde du corps, Bobby (Ng Man-tat) habillé en treillis avec un collier de grenades et une femme de chambre, Fanny (Cheung Man) bigleuse et timide. Il s’avère que Fanny est sa fille. Fanny va donner un bain à Chez qui ne pense qu’à cacher son sexe d’adulte. Or, ce sexe, c’est justement ce qui intéresse Bobby qui a une passion toute particulière pour les ados. Oui, vous avez bien lu, Ng Mant-tat joue un pédophile heureux de l’être. L’humour se déploie étrangement avec, par exemple, toute une scène où Bobby répète tout ce que dit Chez, comme le font les gamins. L’humour est au-delà du régressif et franchement, à chaque scène encore plus tarée, j’imaginais Stephen Chow dans le rôle qu’incarne Dicky Cheung.

Pendant ce temps, Ham est à l’hôpital parce qu’il a reçu une balle dans le pied. Il passe son temps à draguer les infirmières toutes plus ingénues et bien foutues les unes que les autres. Il se fait draguer par la chef des infirmières (Kingdom Yuen), pourvue d’un énorme grain de beauté au dessus de la lèvre. Puis, dans la dernière demi-heure du film, Ham se rend chez Joey déguisée en petite fille (là aussi faut le voir pour le croire) et, bien entendu, excite la libido de Bobby. Il faut ajouter à cela un tueur à gages incarné par Blackie Ko lui-même et une parodie finale de gunfight à la John Woo entre lui, Dicky Cheung et Eric Tsang. Les flingues ne sont pas seulement pointés vers l’adversaire mais mis dans la bouche. Encore un bonne et grosse référence sexuelle. Et sinon, il arrive que des gags de Chez n’ Ham soient hilarants. Dégénérés mais hilarants.

Chez N’Ham (芝士火腿, 1993) Un film de Blackie Ko avec Dicky Cheung, Joey Wong, Eric Tsang, Ng Man-tat, Cheung Man, Blackie Ko, Nat Chan, Wu Ma, Shing Fui-on, Jamie Luk, Kingdom Yuen, Manfred Wong, Michael Wong, Lau Siu-ming.

jeudi 13 septembre 2012

Sorties à Hong Kong (septembre 2012)


Naked human nature (赤裸人性, Hong Kong, 2012) 
Un film en trois parties de Anastasia Tsang, Ches Yim, Lee Siu-lung, Ling Nip avec Kitty Lai, Chun Yin, Louise Wong. 72 minutes. Classé Catégorie III. Sortie à Hong Kong : 13 septembre 2012.