Ann Hui est une des rares réalisatrices de Hong Kong. De la même génération que Tsui Hark, elle n’a jamais eu la chance d’être connue en France, si ce n’est pour Boat people, il y a de cela déjà 25 ans. Le Chant de l’exil (1990) était un film magnifique, sans doute autobiographique, sur les exclus de l’Histoire. Dans The Postmodern life of my aunt, elle filme aussi des gens déclassés. Et c’est un grand film.
Madame Ye Rutang (SiQin Gaowa) vit à Shanghai. Elle vit seule dans un appartement au douzième étage. Dans une pièce, une quinzaine de canaris volent librement. Madame Ye doit faire face au danger du chat de Madame Shui (Lisa Lu), sa voisine, qui s’échappe souvent. Madame Shui vit seule également. Très coquette, elle est toujours ravie de venir montrer sa nouvelle perruque à Madame Ye. Elle est aussi très curieuse et tire les vers du nez de Kuankuan (Guan Wenshou), le neveu de Madame Ye qui vient lui rendre visite.
L’adolescent est insupportable, terriblement gâté et ne s’intéresse à rien d’autre qu’à son ipod. Il fait tourner en bourrique sa vieille tante. Il va simuler son enlèvement pour lui soutirer de l’argent. Cela partait d’un bon sentiment, il voulait trouver de l’argent à une jeune femme, dont la moitié du visage est défiguré, pour qu’elle puisse aller faire de la chirurgie esthétique. La police est alertée, car Madame Ye croit à un vrai kidnapping. Quand elle comprend le subterfuge, elle s’accuse elle-même pour que son neveu et la fille n’aillent pas en prison.
Car le problème de Ye Rutang est qu’elle est trop gentille, trop serviable et qu’elle ne pense qu’aux autres. Une fois son neveu reparti, elle fait la rencontre de Pan Zhichang (Chow Yun-fat) dans un jardin public. Pan chante en amateur des airs d’opéra classique. Ils sympathisent et elle lui prête de l’argent gentiment. Trop bonne, le monsieur ne la rappelle pas et oublie de la rembourser. Certes, elle râle mais elle s’est encore faite avoir.
Elle réussit à retrouver Pan et il lui sort une quelconque excuse pour son comportement. Il faut dire que Madame Ye a très envie de se laisser séduire par cet homme exubérant, élégant et charmeur. Elle se sent immédiatement bien avec lui. Elle se laisse charmer. Elle l’invite à venir déguster une pastèque chez elle, mais elle a peur du quand dira-t-on. Dans une scène au fort potentiel comique, ils tentent d’éviter la voisine trop curieuse. Par mégarde, ils tuent son chat. Madame Ye et Pan auront quelques moments d’insouciance. Ils se déguisent avec des costumes d’opéra, ils chantent et vont même à la piscine. Encore une fois, elle va se faire escroquer par lui en achetant une place au cimetière. Mais, il avait gardé l’argent.
Madame Ye veut aider les gens. Elle rencontre une femme blessée au visage Jin Yonghua (Shi Ke). Elle va l’embaucher comme femme de ménage. Yonghua a une vie difficile. Son mari travaille dans le bâtiment, elle ne le voit jamais. Sa fille est à l’hôpital pour une insuffisance respiratoire. Ici, The Postmodern life of my aunt pointe l’absence d’entraide entre les gens, elle décrit une Chine résolue à sacrifier ses habitants pour avancer, elle critique la solitude consécutive à une vie moderne aliénante. Madame Ye a choisi une vie post-moderne qui met en avant des valeurs de générosité et de rectitude. Et Ann Hui filme tout cela sans moralisme. Très fort.
Mais, les plans de notre héroïne vont à l’encontre de l’idéologie dominante, celle de l’individualisme dans une Chine fallacieusement communiste. An Hui parvient avec brio à étayer son point de vue sur la question. The Postmodern life of my aunt, dans sa première heure, enchaîne les moments drôles. On rit des petits malheurs de cette femme généreuse qui ne réclame rien mais qui donne beaucoup. Petit à petit, une mélancolie envahit le film, aidée par la musique subtile de Joe Hisaichi. Les couleurs elles-mêmes se ternissent au fur et mesure de l’histoire pour finalement arriver à un blanc déprimant et synonyme de mort, le blanc étant la couleur du deuil. Madame Ye voit d’ailleurs sa teinture noire disparaître pour laisser apparaître ses cheveux gris.
The Postmodern life of my aunt change de localité en cours d’histoire. Madame Ye doit quitter Shanghai pour retourner à Anshan, sinistre ville de Mandchourie, qu’Ann Hui connaît bien puisqu’elle y est née. On y apprend alors les raisons pour lesquelles Ye Rutang est partie pour Shanghai. A Anshan, elle retrouve sa fille Fudang (Vicky Zhao) et perd dans le même temps sa liberté et son rêve d’une vie meilleure. C’est un des moments les plus émouvants vus récemment.
The Postmodern life of my aunt (姨妈的后现代生活, Hong Kong – Chine, 2007) Un film d’Ann Hui avec SiQin Gaowa, Chow Yun-fat, Vicki Zhao, Lisa Lu, Guan Wenshou, Wang Ziwen, Shi Ke, Fang Qingzhou.
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