Jean-Pierre Limosin tourne pour la troisième fois au Japon. Après son documentaire sur Takeshi Kitano et après Tokyo eyes, Young yakuza dresse le portrait de quelques yakuzas sur le mode du documentaire. Young yakuza aurait très bien pu s’appeler « Profession yakuza » ou « Ma petite entreprise ». En tout cas, on sera très loin de ce que l’on a pu voir depuis longtemps sur les organisations criminelles japonaises, comme il est dit dans le film.
Tout commence par une brève conversation entre un yakuza et une maman. Elle en a marre de son paresseux de fiston et demande à ce qu’il soit pris en apprentissage dans le clan Kumagai dirigé par Monsieur Ishii. Naoki Watanabe, 20 ans, se retrouve donc le lendemain dans les bureaux du clan pour rencontrer le chef pas franchement charismatique, c’est le moins que l’on puisse dire.
Naoki a les cheveux trop longs : direction coiffeur. Il doit ensuite abandonner ses vêtements pour un uniforme bleu, genre blouse d’ouvrier. Il va après apprendre à se courber à 90° pour s’excuser quand il rencontre M. Ishii. Et finalement, il va passer un bon moment à faire la cuisine, à savoir comment on doit poser la tasse du patron pour prendre son thé et d’autres choses palpitantes de la vie de yakuza.
Limosin va ainsi pendant toute la première moitié du film montrer l’apprentissage absurde et abrutissant d’un jeune homme qui n’en demandait pas tant. Ce que l’on constate c’est l’ennui constant qui règne dans ce clan. On ignore les activités criminelles du clan, mais une chose est sûre, c’est que les hommes servent de boniches. On est là vraiment loin d’un éventuel romantisme cinématographique.
A un moment, Naoki va voir sa mère. Ils regardent un film à la télé, apparemment Dead or alive de Takashi Miike. Naoki dit que dans les films, on ne voit jamais les yakuzas dans leurs bureaux. Or dans le film de Limosin, on ne voit que ça. M. Ishii fait « ohé », et hop, un de ses serviteurs apparaît pour apporter le thé dans son bureau. Cela serait hilarant, si ça n’était pas aussi tragique. Il est assez pitoyable de voir tous ces yakuzas avec leur plumeaux, leurs balais et aspirateurs faire le grand nettoyage de printemps.
A la moitié du film, Naoki disparaît de l’organisation à l’occasion d’une prétendue visite à un oncle malade. Et là le vrai sujet du documentaire de Limosin apparaît : il faisait le portrait d’un chef de clan. Il s’attache à cerner M. Ishii. Comme dit plus haut, l’homme manque cruellement de charisme. Il explique qu’il veut moderniser l’esprit yakuza et qu’il accepterait que n’importe quel homme quitte le clan. Les doigts coupés, c’est fini dit-il.
M. Ishii essaie de sauver les apparences d’un chef de clan mais il semble le seul à le croire. Il sort toute sorte de théories vaseuses sur la hiérarchie (la comparaison avec la rivière) et explique sa froideur et sa raideur par la marque de respect qu’il lui serait dû. Ishii se fait croire à lui-même que son clan est une entreprise et trouve affreux les nouvelles lois qui répriment les clans yakuzas (interdiction de réunion, interdiction d’entrer dans des lieux publics).
Ishii n’est en vérité qu’un pion comme il prouve lui-même quand le parrain le dégrade. Mais, il a raison, son clan n’est qu’une entreprise néo-libérale comme une autre. Cela est porté jusqu’à l’ironie quand Naoki retrouve un de ses amis rappeur (le film est ponctué de chansons hip-hop japonais du groupe No Fear) et qu’il annonce que maintenant il est dans le milieu du désamiantage. Ce qui fait dire à son pote qu’il fait un boulot encore plus dangereux que yakuza.
Limosin laisse les gens parler. Il filme en boucle les moments en creux qui dressent un portrait d’une bande d’abrutis à qui on fait un lavage de cerveaux. On est à mille lieux du documentaire anglais A very British gangster qui cherchait à tout prix à faire dans le sensationnel et qui tombait dans le racolage actif. Limosin porte un regard de documentaire plein de justesse dans la droite ligne de Raymond Depardon. Young yakuza est un film nécessaire qui décrypte certains rouages des clans pour mieux les démythifier.
Young yakuza (France, 2007) Un film de Jean-Pierre Limosin.
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