Je regarde régulièrement Time and tide et après chaque vision, j’en arrive toujours à la même conclusion « je comprends rien ». En tout cas, j’ai toujours les mêmes difficultés à appréhender un scénario plutôt foisonnant où deux gars mettent deux filles enceintes avec une sacoche remplie de dollars comme MacGuffin. Mais je crois que les mouvements du récit sont bien moins importants que les mouvements des acteurs, notamment les pirouettes de Wu Bai. Time and tide ne sera jamais crédible ni plausible, mais ce n’est pas cela qui compte. Ce qui importe dans le flux de plans est le mouvement perpétuel que crée Tsui Hark et qui, alors après deux navets avec Jean-Claude Van Damme, a enchanté le spectateur qui se trouve pris dans l’ouragan visuel.
Tout commence par une grosse beuverie. Tyler (Nicholas Tse), jeune chien fou dont les cheveux lui tombent sur les yeux, sert à boire à Jo (Cathy Tsui) qui vient de s’engueuler avec sa petite amie. Ils se provoquent sur la boisson, chacun parie que l’autre n’arrivera pas à boire plus que l’autre. Ils ne se connaissent mais trinquent ensemble. Ils picolent tellement qu’ils continuent leur soirée par la case vomi. Puis finissent par coucher. Au petit matin, vaguement dessoulés, ils comprennent ce qui s’est passé. Ellipse de neuf mois. Jo est enceinte ce que Tyler ignorait. C’est la copine de Jo qui, après l’avoir larguée, l’annonce au jeune homme. Il décide de gagner de l’argent pour aider la future maman. Pendant dix minutes, le film fait croire qu’il pourrait être une comédie romantique, mais son rythme propre évacue vite l’idée même de romantisme. Le rythme de Time and tide suit celui de Tyler, rapide, inconséquent, spontané, désinvolte, impulsif.
Trouver un boulot qui rapporte. Tyler va voir Ji (Anthony Wong) qui a une boite de sécurité illégale. Tout le monde sera en costumes cravate. Tyler aura un pistolet en plastique, c’est le sous chef qui cherche à humilier ce petit jeune arriviste. Le récit prend un tout humoristique notamment quand une grosse cliente décrit son agresseur avec les traits d’Anthony Wong puis quand Tyler lui sert de chauffeur et qu’il fonce en marche arrière dans les rues encombrées de Hong Kong. Il est temps de passer aux choses sérieuses et d’en arriver à cette sacoche pleine d’argent dont tout le monde veut s’emparer. L’important n’est pas de savoir comment elle arrive dans le récit mais qui l’a présentement, comment il va tenter de la conserver et qui veut s’en emparer. A ce jeu-là, Tsui Hark noie le spectateur sous un flot d’informations et un grand nombre de personnages.
L’un des personnages phares de Time and tide est Jack (Wu Bai). On le découvre lors d’une mission de Ji et ses hommes. Ils ont été engagés pour sécuriser l’anniversaire d’un riche homme d’affaires. Toute sa famille et tous ses amis sont réunis. Jack est le petit ami de Josephine (Candy Lo), la fille de l’homme d’affaires qui, telle une fille prodigue, revient pour cette occasion vers sa famille après avoir claqué la porte et voulu vivre une vie indépendante. Josephine est enceinte de Jack qui s’avère, en public tout du moins, être un homme très discret, peu enclin à parler. Mais son passé est trouble et fait venir dans l’histoire toute une bande de sud-américains bien décider à trouver la sacoche de pognon. Lors de cette soirée, on tente d’assassiner le père de Josephine. C’est le lancement d’une suite ininterrompue de gunfights. Encore plus fort que John Woo, Tsui Hark va dans les 45 dernières minutes du film proposer des scènes d’action comme on n’en voit rarement.
Les sud-américains surveillent l’appartement de Josephine. Les points de vue se multiplient, un vieux à l’air vicieux, un jeune avec des dread locks, quelques gars bodybuildés. Chacun des snipers surveille le logement situé dans un quartier d’immeubles et le temps semble parfois suspendu comme dans The Mission auquel on pourrait comparer certaines scènes de Time and tide. Mais la folie de la vitesse prend vite le dessus dès le premier coup de feu tiré qui va faire exploser l’appartement. Wu bai virevolte entre les étages de l’immeuble ou dans les escaliers dans une mise en scène largement inspirée du wu xia pian mais filmée avec la furie de The Blade, comme si Tsui Hark cherchait à faire passer cette mise en scène au montage ultra cut au forceps et le tout pratiquement sans musique, ce qui en dit long sur la puissance de sa mise en scène. Puis la bataille rangée se transporte dans une salle de concert. Au programme de cette séquence finale et électrique, le morceau de bravoure est l’accouchement de Josephine par Tyler qui fait ce qu’il peut pour mettre au monde le fils de son ami Jack. Le film boucle son récit qui avait commencé avec la conception d’un enfant. C’est le film qui marquait la nouvelle naissance du cinéaste dans son pays et c’est aussi son dernier grand film.
Time and tide (顺流逆流, Hong Kong, 2000) Un film de Tsui Hark avec Nicholas Tse, Wu Bai, Anthony Wong, Cathy Tsui, Candy Lo, Joe Lee, Jack Kao, Kung Shek-leung.
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