Parmi
les 89 films de Mikio Naruse, Après
notre séparation est l'un de ses plus anciens longs métrages qui subsiste. Le film, muet, qui
date de 1933 est un mélodrame flamboyant d’une vigueur et d’une modernité
exceptionnelle. Le récit se déroule autour du personnage de Kikue (Mitsuko
Yoshikawa), une geisha d’une quarantaine d’années qui commence à sentir l’épreuve
de l’âge sur son corps, sa chevelure grisonne et, face à son miroir, elle
demande à l’une de ses jeunes employées, la très belle Terukiku (Sumiko
Mizukubo) de l’aider à lui arracher ces cheveux qui annonceraient sa vieillesse
à ses clients. Kikue est une femme de bonne compagnie qui traite les geishas de
son établissement avec beaucoup de respect et dans une ambiance familiale.
Certes certains clients sont difficiles (le vieux qui aimerait séduire
Terukiku) mais d’autres sont amusants, notamment ceux qui dansent sur de la
musique occidentale sur le son d’un phonographe.
Kikue a un fils, Yoshio (Akio Isono),
étudiant qui file un mauvais coton. Le jeune homme, casquette vissé sur la
tête comme pour ne pas montrer ce qu’il pense, passe plus de temps avec un
groupe de loubards qu’à aller à l’école. La mère le comprend quand un de ses
collègues débarque chez elle pour prendre des nouvelles de Yoshio qu’il n’a pas
vu depuis des jours. Il faut dire qu’il a honte de la profession de sa mère et
qu’il n’hésite pas à se montrer dur avec elle. Qui plus est, il boit de
l’alcool et réagit violemment quand Kikue cherche à discuter avec lui. Entre
eux, c’est la rupture qui pointe. Les disputes sont admirablement mises en
scène, des travellings abrupts sur les visages de la mère et du fils
retranscrivent l’agressivité qui existe entre eux. Le rythme du film est
constant. Sa brièveté (61 minutes) fait que les séquences s’enchaînent à grande
vitesse dans un flot ininterrompu d’émotions, colère, amour, haine, suspicion
et rire.
Mais Yoshio aime Terukiku, il cache des
photos d’elle dans ses livres d’étude. La jeune fille s’en aperçoit et va faire
en sorte d’infléchir le tempérament du jeune homme et le faire revenir dans le
droit chemin, d’autant qu’elle n’est pas insensible au charme du fils de sa
patronne. Loin d’être un film moralisateur, Après notre séparation se fait le portrait d’un Japon ancré dans des
traditions ancestrales où le futur des personnages semble être inéluctable. Au
contraire, le personnage de Terukiku va passer tout le film à infléchir les
destins de chacun. A commencer par Yoshio, qui grâce à l’amour qu’il lui porte,
va changer de caractère. Elle convainc d’arrêter de boire, de se remettre à
étudier et la récompense suprême est ce sourire qu’il arbore quand elle lui
apporte trois sushi délicatement préparés à son intention. Yoshio qui depuis le
début du film ne faisait que la tête, recommence à vivre. La tendresse de la jeune
femme est symbolisée par son sourire constant et est sublimée par la tabelle de
chocolat Meiji qu’elle partage avec lui.
Puis, l’avenir de sa propre famille que Terukiku
veut changer. Elle leur rend visite avec Yoshio. Les parents de la jeune femme habitent
en province avec le petit frère et la sœur cadette qui a déjà un enfant. Ses
parents la destinent, comme sa sœur ainée, à devenir geisha. Terukiku part les
convaincre de ne pas le faire. On remarque que l’alcool, source des ennuis de
Yoshio, tient dans cette famille une place importance. Le petit frère malicieux
a été envoyé chercher une bouteille de saké pour son père. Dans une scène
plutôt comique, il la casse en tombant et en est bien marri. Mais la sœur est
là pour l’aider et lui donner quelques yens pour en acheter une nouvelle. Pour
Yoshio, ce voyage est un choc qui lui fait comprendre qu’il doit définitivement
changer et qu’il doit soutenir sa mère dans ses épreuves comme Terukiku
soutient la sienne. Les deux amoureux pourront enfin se retrouver après leur
séparation une fois tout redevenu dans l’ordre. C’est la promesse qu’ils se
font avant le générique de fin, le spectateur conquis par la bienveillance du
cinéaste à l’égard de ses personnages ne peut qu'espérer qu'elle se réalise.
Après
notre séparation (君と別れて, Japon, 1933) Un film de Mikio
Naruse avec Mitsuko Yoshikawa, Akio Isono, Sumiko Mizukubo, Reikichi Kawamura, Ryuko
Fuji, Yoko Fujita, Tomio Aoki.
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