mercredi 11 décembre 2013

A touch of sin


Le voyage de A touch of sin va du nord au sud de la Chine, empruntant tous les moyens de transport possibles : à pied, en train, en camionnette, en mobylette et parfois en avion. Quatre personnages, trois hommes et une femme, d’âge différent mais de condition similaire sont au centre de quatre histoires. Dès l’ouverture du film, Jia Zhang-ke donne le ton : celui de violence. Un ton auquel il ne nous avait pas habitués, c’est le moins que l’on puisse dire. Un camion transportant des tomates renversées, un homme en mobylette qui se fait agresser et qui abat avec son révolver ses trois braqueurs.

Ce ton ne va pas quitter le spectateur, gangrénant chacun des quatre personnages comme une maladie incurable, se la passant dans les courtes scènes de transition où ils se croisent parfois. Dans le petit village de mineurs, où la statue de Mao souriant trône sur la place centrale, c’est Dahai (Jiang Wu), la quarantaine, qui entend dénoncer l’enrichissement personnel du chef du village et du nouveau propriétaire de la mine. Ce dernier se promène en Audi ou en jet privé quand les mineurs crèvent de faim sous la neige.

Plus au sud, Zhou San (Wang Baoqiang) va de ville en ville armé de son révolver (c’est lui qui abat les trois malfrats). Il retourne voir sa femme et son fils puis s’en va braquer un couple qui vient de retirer de l’argent de la banque. Plus loin, Xiaoyu (Zhao Tao) est réceptionniste dans un sauna. Deux clients exigent d’elle des rapports sexuels. Vers Canton, le jeune Hui (Luo Lanshan)  quitte son boulot d’ouvrier pour travailler dans un bordel moderne et sympathise avec une des jeunes femmes. Tout se passe autour du Nouvel An, période de fête à laquelle les quatre personnages ne semblent pas être en mesure de participer.

Chacun des quatre récits se terminera, d’une façon ou d’une autre, dans le sang (celui sur le visage de Dahai, celui qui gicle sur la chemise d’un client de Xiaoyu) ou par une voire plusieurs morts violentes. Jusqu’à présent le cinéma de Jia Zhangke se limitait à montrer des sensations, il montre, dans A touch of sin, des coups de poing sur les corps, plein champ, des claques, des humiliations corporelles. Il n’avait jamais filmé cela comme cela. Chaque scène de violence et de brutalité mêlées sont admirablement chorégraphiées avec un réalisme égal aux scènes de misère. Dans les Cahiers du cinéma, Jia Zhangke annonce que son prochain film sera un film de sabre. A touch of sin prouve qu’il peut faire un grand film.

Le film évoque essentiellement un désenchantement, une colère, un désespoir, qui touchent tous les âges. La statue de Mao dans le village du nord n’est pas filmée par hasard. Les personnages du film ne l’ont jamais connu de son vivant et ce que dit le film est que, depuis la mort du grand timonier, l’argent est le maître de la Chine. L’argent contrôle et achète tout : les hommes du village minier, les prostituées. Il corrompt, fait tomber les promesses du chef de partager les gains. Le film affirme aussi que le travail détruit les gens, comme le montre le funeste destin du jeune Hui, qui passe d’une humiliation à une autre chaque fois qu’il change de travail.

A touch of sin montre une déshumanisation totale. L’homme est réduit au rang de bête sauvage, comme le dit Hadai. Le film expose tout un bestiaire à titre de comparaison : le pauvre cheval battu au fouet par son propriétaire, le serpent qui passe devant Xiaoyu, un extrait de Green snake de Tsui Hark à la télé, des bœufs dans une remorque, des poissons rouges qu’on délivre, un petit singe sur un marchand. Les hommes ne sont souvent pas mieux traités et subissent, en silence, l’injustice à l’image de la pauvre Su San, héroïne malheureuse d’un opéra joué au village, dans les derniers plans du film, qui clame son innocence quand personne ne veut l’entendre. Xiaoyu regarde cet opéra et doit penser qu’elle aussi est une Su San en puissance. Jia Zhangke livre ici son meilleur film à ce jour.

A touch of sin (天注定, Chine – Japon, 2013) Un film de Jia Zhangke avec Jiang Wu, Wang Baoqiang, Zhao Tao, Luo Lan-shan, Zhang Jiayi, Vivien Li Meng.

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