Le voyage de A touch of sin va du nord au sud de la Chine, empruntant tous les
moyens de transport possibles : à pied, en train, en camionnette, en
mobylette et parfois en avion. Quatre personnages, trois hommes et une femme, d’âge
différent mais de condition similaire sont au centre de quatre histoires. Dès
l’ouverture du film, Jia Zhang-ke donne le ton : celui de violence. Un ton
auquel il ne nous avait pas habitués, c’est le moins que l’on puisse dire. Un
camion transportant des tomates renversées, un homme en mobylette qui se fait
agresser et qui abat avec son révolver ses trois braqueurs.
Ce ton ne va pas quitter le spectateur,
gangrénant chacun des quatre personnages comme une maladie incurable, se la
passant dans les courtes scènes de transition où ils se croisent parfois. Dans
le petit village de mineurs, où la statue de Mao souriant trône sur la place
centrale, c’est Dahai (Jiang Wu), la quarantaine, qui entend dénoncer
l’enrichissement personnel du chef du village et du nouveau propriétaire de la
mine. Ce dernier se promène en Audi ou en jet privé quand les mineurs crèvent
de faim sous la neige.
Plus au sud, Zhou San (Wang Baoqiang) va de
ville en ville armé de son révolver (c’est lui qui abat les trois malfrats). Il
retourne voir sa femme et son fils puis s’en va braquer un couple qui vient de
retirer de l’argent de la banque. Plus loin, Xiaoyu (Zhao Tao) est
réceptionniste dans un sauna. Deux clients exigent d’elle des rapports sexuels.
Vers Canton, le jeune Hui (Luo Lanshan)
quitte son boulot d’ouvrier pour travailler dans un bordel moderne et
sympathise avec une des jeunes femmes. Tout se passe autour du Nouvel An,
période de fête à laquelle les quatre personnages ne semblent pas être en
mesure de participer.
Chacun des quatre récits se terminera, d’une
façon ou d’une autre, dans le sang (celui sur le visage de Dahai, celui qui
gicle sur la chemise d’un client de Xiaoyu) ou par une voire plusieurs morts
violentes. Jusqu’à présent le cinéma de Jia Zhangke se limitait à montrer des
sensations, il montre, dans A touch of
sin, des coups de poing sur les corps, plein champ, des claques, des
humiliations corporelles. Il n’avait jamais filmé cela comme cela. Chaque scène
de violence et de brutalité mêlées sont admirablement chorégraphiées avec un
réalisme égal aux scènes de misère. Dans les Cahiers du cinéma, Jia Zhangke
annonce que son prochain film sera un film de sabre. A touch of sin prouve qu’il peut faire un grand film.
Le film évoque essentiellement un
désenchantement, une colère, un désespoir, qui touchent tous les âges. La
statue de Mao dans le village du nord n’est pas filmée par hasard. Les
personnages du film ne l’ont jamais connu de son vivant et ce que dit le film
est que, depuis la mort du grand timonier, l’argent est le maître de la Chine.
L’argent contrôle et achète tout : les hommes du village minier, les
prostituées. Il corrompt, fait tomber les promesses du chef de partager les
gains. Le film affirme aussi que le travail détruit les gens, comme le montre
le funeste destin du jeune Hui, qui passe d’une humiliation à une autre chaque
fois qu’il change de travail.
A
touch of sin montre une déshumanisation totale. L’homme est réduit au rang de bête
sauvage, comme le dit Hadai. Le film expose tout un bestiaire à titre de
comparaison : le pauvre cheval battu au fouet par son propriétaire, le
serpent qui passe devant Xiaoyu, un extrait de Green snake de Tsui Hark à la télé, des bœufs dans une remorque,
des poissons rouges qu’on délivre, un petit singe sur un marchand. Les hommes
ne sont souvent pas mieux traités et subissent, en silence, l’injustice à
l’image de la pauvre Su San,
héroïne malheureuse d’un opéra joué au village, dans les derniers plans du
film, qui clame son innocence quand personne ne veut l’entendre. Xiaoyu regarde
cet opéra et doit penser qu’elle aussi est une Su San en puissance. Jia Zhangke
livre ici son meilleur film à ce jour.
A touch of sin (天注定, Chine – Japon,
2013) Un film de Jia Zhangke avec Jiang Wu, Wang Baoqiang, Zhao Tao, Luo
Lan-shan, Zhang Jiayi, Vivien Li Meng.
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