Regarder
Les Chiens errants s’apparente à un
marathon ou au moins à une course d’endurance de 138 minutes. Pour se préparer
au film, il vaut mieux avoir vu ses films précédents, ses chefs d’œuvre (La Rivière
ou The Hole) comme
ses navets (Goodbye Dragon Inn ou Visage) et se
dire que tout va être lent, que les plans séquences vont durer et, dès
l’ouverture du film où deux enfants dorment sous une couette tandis qu’une
femme se coiffe les cheveux, on est lancé dans un terrain connu, tout du moins
sous la forme la plus visible du cinéma de Tsai Ming-liang.
On
retrouve vite Lee Kang-sheng, l’acteur fétiche de Tsai Ming-liang qui tient une
pancarte sous une pluie battante. Il porte un pauvre et fin k-way pour se
protéger. La pancarte indique l’adresse d’un hôtel. C’est son boulot, être
homme sandwich. Plus loin dans la rue, d’autres hommes font le même job. Et
comme si la pluie ne suffisait pas, les voitures et les scooters passent avec
grand bruit devant son nez. Le corps de l’acteur, que l’on connait sous toutes
ses coutures depuis Les
Rebelles du Dieu Néon en 1992, a considérablement vieilli, grossi, terni.
Mais
pour la première fois, Lee Kang-sheng tient le rôle d’un père (il n’a jusqu’ici
été qu’un fils, souvent libidineux). Les deux enfants vus en ouverture du film
sont ses enfants. Une petite fille qui passe ses journées à errer au
supermarché et un jeune adolescent qui porte constamment un sac à dos et
conserve le maigre salaire de son père. Dans un des rares plans ensoleillés et
mobiles, un panoramique suit la famille sur une plage où les enfants rient et
le père fume une cigarette.
On
aura assez vite compris que cette famille vit dans le plus grand dénuement. Le
cinéaste filme, avec un certain voyeurisme, les scènes les plus quotidiennes du
père et des deux enfants. Comment se laver dans des toilettes publiques,
comment manger un plateau repas au bord d’une route, comment se changer pour
aller dormir. Tout est fait sous nos yeux, en plan séquence, sans que cette
fois la part de mystère et d’humour qui pouvaient surgir du hors champ pour
surprendre le spectateur et relancer le maigre récit. Ici, rien de tout cela ne
vient interroger notre regard.
Certes,
une femme travaillant dans le supermarché hanté par la petite fille rentre
petit à petit dans le film, apportant une portion d’étrangeté. Elle se promène
la nuit, sa lampe torche à la main et part nourrir des chiens errants dans une
maison en ruine. Plus tard, sous une pluie battante, elle va les emmener loin
de cet homme qui les fait vivre dans des taudis, qui leur fait manger de la
mauvaise bouffe et qui semble ne pas leur donner beaucoup d’affection. Puis,
dans la deuxième heure, c’est le retour de la mère qui vient fêter un
anniversaire.
Tsai
Ming-liang avait habitué le spectateur a filmé dans des décors délabrés, dans
des maisons en travaux et ouvertes aux quatre vents et à l’eau qui dégoulinait
des murs et des toits. Dans Les Chiens
errants, les ruines sont partout et il ne filme plus que cela dans une
sorte de concurrence à la déglingue arty avec Apichtapong Weerasetakul. Les
dialogues sont extrêmement limités, uniquement fonctionnels (« mange, va
te coucher, lave-toi » suivis à l’image de ces actions). En cela, il se
différencie du cinéaste thaïlandais dont les films sont bavards.
Les
plans séquence s’éternisent sans raison (douze minutes pour l’avant dernier où
le père et la mère regardent droit devant eux sans bouger). Tsai Ming-liang
donne la sérieuse impression de ne plus filmer que pour lui, oubliant de créer
le moindre embryon de récit comme c’était déjà le cas dans Visage. L’expérimentation de la durée dans Les Chiens errants échoue, surtout dans sa deuxième heure, à créer
un mystère tant les plans se succèdent et se ressemblent, malgré des axes de
caméra différents. C’est finalement l’absence d’altérité qui nuit à la réussite
du film. Tsai Ming-liang ne parle plus au spectateur mais à lui-même.
Les
Chiens errants (郊遊, Taïwan – France, 2013) Un film
de Tsai Ming-liang avec Lee Kang-sheng, Lu Yi-ching, Chen Shiang-chyi, Chen
Chao-rong.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire