Dans la première moitié des années 1950, les cinémas d’Akira Kurosawa et de Kenji Mizoguchi sont enfin révélés en France. Les Cahiers du cinéma (fondé en 1951) et Positif (fondé en 1952) font entamer une bataille critique autour des deux cinéastes. Pour les Cahiers, le seul bon cinéaste est Mizoguchi, Kurosawa est un simple tâcheron qui échoue à correctement mettre en scène ses films. Kurosawa apparaît aux yeux des critiques des Cahiers comme surfait et ne mérite pas les prix des Festivals de Venise (Rashomon puis Les Sept samouraïs). Positif défend les deux cinéastes mais préfère mettre en avant l’œuvre de Kurosawa. Cette bataille va durer de la mort de Mizoguchi jusqu’au début des années 1960 quand la rédaction est renouvelée. Autre problème concernant Les Sept samouraïs : la version présentée au public français est tronquée d’environ une heure. La critique s’est longtemps acharnée sur le film en le trouvant sans intérêt et pour cause. Pendant des années, il était impossible de voir en France la version complète du film.
1952
Rashomon (羅生門, Japon, 1950)
Sortie en France : 18 avril 1952
Un film d’Akira Kurosawa avec Toshirō Mifune, Masayuki Mori, Takashi Shimura, Machiko Kyō, Daisuke Kato, Fumiko Honma.
1954
La Vie d’O’Haru femme galante (西鶴一代女, Japon, 1952)
Sortie en France : 8 février 1954
Un film de Kenji Mizoguchi avec Kinuyo Tanaka, Tsukie Matsuura, Ichirô Sugai, Toshirō Mifune, Toshiaki Konoe, Kiyoko Tsuji, Hisako Yamane, Jukichi Uno.
La Porte de l’enfer (地獄門, Japon, 1953)
Sortie en France : 25 juin 1954
Un film de Teinosuke Kinugasa avec Kasuo Hasegawa, Machiko Kyo, Isao Yamagata, Y. Kurokawa.
La Belle et le voleur (Japon, 1952)
Sortie en France : 8 octobre 1954
Un film de Keigo Kimura avec Machiko Kyō, Masayuki Mori, Rentaro Mikuni, Eijirô Tôno.
Résumé : Il y a huit cents ans, une ville où la peste, le vol et le crime règnent en maître. Venu de la province, Jiro, le samouraï, recherche son frère Taro. Il est effaré de le retrouver en la compagnie de brigands. Il comprend que la cause de sa déchéance est la belle Shakin. Celle-ci ne tarde pas à l’envoûter et il devient son amant. Taro n'ignorant rien de son infortune, Shakin tente d’exciter Jiro contre lui. Les deux hommes n’ayant pu se résoudre à s’égorger, elle organise un guet-apens dont Taro ne doit pas ressortir vivant. Ecoeurés, les deux frères se réconcilient et tuent la malheureuse et perverse créature.
Commentaire 1 : Film érotique, ce nouveau film japonais nous présente une ensorceleuse des bas-fonds qui parvient presque à faire s’entretuer deux frères. L'intérêt majeur du film réside dans l'interprétation de Machiko Kyo, sensuelle et provocante à souhait, et dans la description minutieuse d'un milieu assez remarquablement abject. Deux excellents éléments à l'actif du film : la sensualité de certaines scènes, le dynamisme de quelques combats. Dans le premier domaine, la danse lascive de l'héroïne et la scène de la séduction, dans le second, la lutte homérique d'un frère, seul contre dix adversaires, sont les meilleurs moments du récit. La présence d'un flash-back assez arbitraire et surtout la lenteur du style, propre aux Orientaux, ne rendent pas ce film d'une vision aussi facile qu’on le désirerait.
Jean Houssaye, Index 1955
Commentaire 2 : Enfin un film japonais érotique ! On y assiste au viol d’un samouraï par une vamp aux seins tendres. Cuisses, entrecuisses, peignoirs entrebâillés. Lecteurs, invitez vos amies à voir ces estampes japonaises.
Anonyme, Cahiers du cinéma N°40 – novembre 1954.
Okasan - La Mère (おかあさん, Japon, 1952)
Sortie en France : 1er décembre 1954
Un film de Mikio Naruse avec Kinuyo Tanaka, Kyôko Kagawa, Eiji Okada, Akihiko Katayama, Daisuke Katô, Yônosuke Toba, Masao Mishima, Chieko Nakakita, Atsuko Ichinomiya, Noriko Honma, Sadako Sawamura.
Comme Rashomon, Okasan est connu en France sous son titre japonais. Dans le texte suivant, le titre apparaît avec un Z dans le texte d’origine.
Commentaire : (…) On a prononcé cent fois déjà le mot de « néo-réalisme japonais » à propos d’Okazan. Encore qu'un peu facile, l'étiquette n'est pas inexacte, mais le néo-réalisme italien est bien plus élaboré, concerté et – s’il a d'autres qualités - n'a jamais eu cette fraîcheur, cette naïveté adulte, cette réserve, cette pudeur résignée, ces continuels glissements d'une demi-teinte sur une autre demi-teinte. Le phénomène qui se produit à la vision d’Okazan est esthétiquement plus important que ce cousinage : ces terrains vagues, ces maisons de planches, ces petites rues encombrées puis en un instant désertes, ne sont pas typiquement japonaises, nous les avons déjà vues, en Italie, en France ou ailleurs. L'intention de réalisme aboutit à ce résultat paradoxal : la disparition de l'exotisme. J’ai vu deux fois Okazan : à la seconde vision j'avais complètement oublié que I'histoire se passait au Japon.
Jacques Doniol-Valcroze, Cahiers du cinéma N° 43 janvier 1955
1955
Le Démon doré (金色夜叉, Japon, 1954)
Sortie en France : 22 février 1955
Un film de Koji Shima avec Jun Negami, Fujiko Yamamoto, Kenji Sugawara, Mitsuko Mito, Kasuko Fushimi, Eiji Funakoshi, Shizue Natsukawa, Kumeko Urabe.
Résumé : Un jeune étudiant sans fortune, Kan Ichi (Jun Negami) est fiancé à Miya (Fujiko Yamamoto). Celle-ci, est remarquée par le riche Tadatsugu et accepte de l'épouser en échange d'une importante somme d'argent qui permettra à Kan lchi de poursuivre ses études. Kan lchi, qui ignore ce marché, est furieux et jure, puisque l’argent est le maître du monde de devenir riche et sans pitié. Il se fait usurier et le plus féroce de bous. Une vieille femme qu’il a ruinée incendie sa maison. Toute sa fortune disparaît dans les flammes. Miya, qui est malheureuse en ménage, aime toujours Kan lchi. Elle tente de se suicider mais Kan Ichi la sauve. Ils sont enfin réunis.
Commentaire : Ce nouveau film japonais possède le même style que ses prédécesseurs et, notamment, bien qu'il s'agisse d’un sujet et d'une époque différents, La Porte de l’enfer. Les couleurs y sont très belles, I'action lente mais prenante et le point de départ en est un grand amour contrarié. Ce film a obtenu plusieurs prix et, en particulier, le grand prix au festival international de Tokio 1954.
La Passion désespérée de Kan lchi et le durcissement de son cœur sont fort bien étudiés. Des scènes cruelles, comme les mauvaises actions de l'usurier et les affronts que subit l'épouse malheureuse sont très touchantes. Le terrible incendie dans lequel le héros tente, au péril de sa vie, de sauver quelques miettes de sa fortune, si péniblement et si misérablement amassée, est une séquence d’une grande intensité dramatique Très belle photographie et magnifiques couleurs : on peut citer entre autres, les imagés finales. Comme Pour tout film japonais, la lenteur de certaines scènes doit être, a priori, acceptée.
Les deux acteurs principaux donnent toute leur valeur aux personnages qu'ils incarnent et au drame qui se joue. La véhémence de leur interprétation était rendue nécessaire par le caractère excessif des héros qu'ils campent et l'émotion qu'ils provoquent est d’une réelle qualité. Les autres rôles sont fort bien tenus, notamment ceux du mari jaloux, de l'odieuse petite favorite et de l’inquiétante usurière.
Jean Houssaye, Index de la Cinématographie française 1955
Les Amours de Liang Shan et Chu Ying Tai (梁山伯与祝英台, Chine, 1954)
Sortie en France : 31 mai 1955
Un film de Sang Hu et Huang Sha avec Fan Jui Chuan, Yuan Hsueh Fen, Chuang Kuei Feng (ces acteurs et tous les autres font partie de la troupe expérimentale de l’Opéra Shao Sing de l’Institut d’Art Dramatique de Chine Orientale). Film en couleurs
Commentaire : (…) A l'écran, comme à la scène, tous les rôles de Liang et Tchou sont interprétés par des jeunes filles. A ses débuts la distribution des opéras Yué avait été mixte – contrairement au théâtre classique chinois du XIXè siècle, où les rôles féminins étaient (comme au Japon) interprétés par des hommes.
L'actrice Fen Jui Chan tient avec beaucoup de grâce et sans aucune gênante équivoque le rôle de l'adolescent Liang, amoureux de la belle Tchou (interprété par Yuan Hsueh Fen) dont le père, un vénérable vieillard à longue barbe blanche, est lui aussi interprété par une jeune fille. Le drame a seulement cinq ou six personnages, et débute en comédie. Il possède un charme et une grâce inoubliables, par la mélodie pénétrante des chants, les gestes gracieux, le perpétuel ballet des robes de soie et des éventails, le goût raffiné et populaire, luxueux et simple des décors et des accessoires. Je ne doute pas que Liang et Tchou ne cousent auprès des amis du cinéma une impression plus profonde encore que le premier film en couleurs japonais, La Porte de l'enfer. Roméo et Juliette de l’ancienne Chine (sa légende originelle date du IIIè siècle) est inimitable par son charme, son authenticité, sa puissance lyrique, sa simplicité, son sens populaire et sa culture raffinée. (…)
Georges Sadoul, Cahiers du cinéma N°47 – mai 1955
Les Sept samouraïs (七人の侍, Japon, 1954)
Sortie en France : 2 décembre 1955
Un film de Akira Kurosawa avec Takashi Shimura, Toshirō Mifune, Yoshio Tsuchiya, Yoshio Inaba, Seiji Miyaguchi, Minoru Chiaki, Daisuke Katô, Isao Kimura, Keiko Tsushima, Yukiko Shimazaki, Kamatari Fujiwara, Yoshio Kosugi, Bokuzen Hidari, Kokuten Kodo, Jiro Kumagai, Eijiro Higashino.
Commentaire : (…) La confrontation Mizoguchi-Kurosawa tourne sans conteste à l'avantage du premier. (…) L’Intendant Sansho, cet admirable film fit un peu pâlir Les Sept Samouraïs, spectaculaire et pittoresque adaptation d'un conte classique du Japon médiéval, qui présentait l'intérêt supplémentaire de révéler à l'Europe - du moins à ma connaissance - le premier personnage comique du cinéma japonais. Ce bouffon, qui s'assura par ses facéties la complicité du public et la sympathie de tous par sa naïveté profonde (en dépit de défauts nombreux, dont les moindres sont la couardise, la duplicité, l'ivrognerie et la vanité), gravite dans l'orbite dédaigneuse de samouraïs dont il rêve de devenir un jour l'égal ; il mourra - c'était à prévoir - héroïquement, et sera, par son courage final, promu chevalier à titre posthume. Ce film d'aventures, où la noble caste des guerriers errants protège paysans et villageois contre des hordes de pillards, tout en leur prêtant main forte dans les travaux des champs, rappelle que pour être western, on n'en est pas pour autant condamné sans retour à une mise en scène plate et à des personnages sars consistance. (…)
Jean-José Richer, Cahiers du cinéma N°40 – novembre 1954
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