dimanche 8 juillet 2007

Où sont les rêves de jeunesse


Si l'œuvre parlante de Yasujiro Ozu est connue, ses films muets ne le sont pas beaucoup. Les admirateurs du cinéaste citent Voyage à Tokyo, Le Goût du saké ou encore Bonjour, les exégètes admirent les plans fixes raz de tatami, les vrais faux regards caméra des acteurs, de nombreux critiques et cinéastes, Hou Hsiao-hsien et Wim Wenders en tête, affirment avec sérieux que Ozu est la plus grand cinéaste du monde, mais on oublie trop souvent que plus de la moitié de sa longue filmographie (54 films) fût tournée avant guerre et que son premier film parlant date de 1936 (Un fils unique, son 36ème film). Ozu n'a été découvert qu'en 1978 en France. La Cinémathèque Française avait organisé une rétrospective de ses films en février-mars 1980. Une dizaine de ses films muets furent édités en VHS en 1994. Voici aujourd'hui Ozu qui découvre la joie du DVD.

Où sont les rêves de jeunesse a été tourné alors que Ozu n'avait pas encore 29 ans. Film de jeunesse sur la jeunesse, sorti au Japon moins de six mois après Gosses de Tokyo, il pourrait être qualifié de teen-movie si l'on osait. Pour apprécier Où sont les rêves de jeunesse, il faut oublier tout ce que l'on savait déjà sur le style de Ozu sur lequel d'éminents spécialistes ont glosés depuis des décennies. Pas de plan qui dure trop longtemps, pas de discussions interminables. Ce Ozu est vif comme un gamin et drôle comme tout. Car oui, Ozu a fait des comédies et qui plus est des comédies hilarantes. Certes le film est muet et n'est même pas sonorisé, et cela ne gâchera pas le plaisir du spectateur.

Tetsuo est un jeune étudiant. Il a trois amis cancres avec qui il passe le plus clair de son temps, surtout après les cours où tous vont boire des coups au bar du coin tenu par la charmante Oshige. Tetsuo vient d'une famille très aisée. Son paternel est chef d'entreprise. La tradition étant ce qu'elle était, un fils de bonne famille doit se marier avec une jeune fille de bonne famille itou. Mais Tetsuo ne pense à pas ça. Et avec la complicité de son père feint d'être un garçon insupportable devant les jeunes filles que lui propose sa mère. Cancres ils le sont et, comme les sous-doués du film, ils inventent des méthodes pour réussir les examens sans trop se fatiguer. Seulement voilà, le père de Tetsuo meurt et le jeune homme doit reprendre l'entreprise familiale. Généreux, ils décide d'embaucher ses amis moins infortunés et va même jusqu'à leur donner les réponses de l'examen d'aptitudes pour avoir les emplois convoités. Tetsuo est tombé amoureux de Oshige, mais elle lui préfère Saiki, un des trois amis. La jalousie s'installe entre eux.

Où sont les rêves de jeunesse comme son titre l'indique bien est un film sur le passage de l'adolescence à l'âge adulte : le travail et les amours sont les moteurs du récit. A partir du moment où les trois amis de Tetsuo sont embauchés dans l'entreprise, leur comportement commence à changer. L'ami est désormais le patron, patron qu'il faut respecter. Saiki, qui souhaite se marier avec Oshige, décide même de renoncer à son amoureuse quand il apprend que Tetsuo la convoite. Ce dernier est resté avec le même état d'esprit et pensait avoir gardé ses amis tels quels. Mais il n'en est rien. Il faudra qu'il se batte littéralement pour rétablir la situation. Où sont les rêves de jeunesse est un film sur les rapports entre les classes sociales dans la société japonaise des années 1930. Cela n'est pas a priori le plus étonnant chez Ozu, plusieurs de ses films évoquent les rapports entre le patronat et les ouvriers.

Ce qui frappe le plus dans Où sont les rêves de jeunesse est la facilité avec laquelle Ozu arrive à faire rire, notamment dans la première moitié du film. De nombreux gags, émaillent le film : deux étudiants jouent aux shogi, sorte de jeu de dames, dans le café puis sans faire attention aux autres continuent leur partie debout dans la rue, en tenant le damier, puis dans la salle de classe, devant les yeux éberlués du professeur. Et Ozu ajoute un troisième larron à la partie, le gardien de l'école, qui observe le jeu et s'incruste avec les étudiants. Autre morceau comique : la scène où Tetsuo fait les pires horreurs à la jeune ex-future fiancée, comme utiliser sa douce main pour éteindre une cigarette.

Film muet, Où sont les rêves de jeunesse l'est. Mais en le voyant, on a l'impression qu'Ozu avait prévu des gags sonores. Le film commence avec la répétition d'une parade où le spectateur est obligé d'imaginer le son des instruments qui rythment les danses des étudiants. Plus tard, le concierge provoque avec une cloche des quiproquos qui auraient encore mieux fonctionnés avec le son. S'étant sans doute rendu compte qu'il ne pourrait pas sonoriser son film, les gags sonores disparaissent au fur et à mesure du film. Autre chose très surprenante aussi chez Ozu et qui met à mort les clichés répandus sur son cinéma, ce sont les travellings très nombreux qui parcourent le film. Et cela dès le premier plan où un travelling latéral droit nous fait découvrir tous les étudiants. Où sont les rêves de jeunesse regorge d'inserts, de gros plan et est très découpé, contrairement à ses films les plus connus cités plus haut.

Où sont les rêves de jeunesse est une photographie sur le Japon des années 1930, mais on le sait, Ozu était passionné de cinéma américain. Ainsi, le bar de Oshige s'appelle le Blue Hawai. On trouve dans ce bar une affiche du film de John Hughes Les Anges de l'enfer. Dans la chambre de Oshige on peut apercevoir l'affiche de Million dollar legs, comédie américaine qui justement parle des rapports entre un ouvrier et son patron. Et sur la porte du bureau de l'entreprise de Tetsuo est inscrit Private. D'ailleurs Ozu tournera l'année suivante Femmes et voyous comme si l'action se déroulait aux Etats-Unis. Et d'une certaine manière, cette occidentalisation permet d'universaliser son propos.

Où sont les rêves de jeunesse n'est pas atypique dans la filmographie de Ozu. L'homme avait déjà tourné des teen-movies (Jours de jeunesse en 1929). Ce film peut être un moyen idéal pour découvrir, et comprendre, son travail ultérieur.

Jean Dorel

Où sont les rêves de jeunesse (Japon, 1929) Une comédie de Yasujiro Ozu

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