dimanche 20 janvier 2013

L'Ivresse de l'argent


Pour ne pas faire mentir son titre, L’Ivresse de l’argent s’ouvre sur un plan d’un énorme tas d’argent dans un coffre-fort où un jeune homme au visage innocent et habillé avec un beau costume trois pièces parfaitement ajusté met, dans une grosse valise, un grand nombre de liasse de billets de banques. On ignore s’il s’agit d’un casse, à qui appartient tout ce pognon et à qui il est destiné. Puis, une voix, celle de Monsieur Yoon (Baek Yoon-sik) lui suggère de se mettre quelques billets dans la poche car personne ne s’en apercevra. Joo Yeong-jak (Kim Kang-woo), le jeune homme en question, hésite, prend une liasse, puis la repose, referme la valise bourrée à craquer et quitte le coffre fort avec son patron. L’argent qui corrompt et rend fou ses personnages est la thématique principale du film. C’est aussi un sujet rebattu sur lequel Im Sang-soo n’apporte rien de bien neuf.

Le vrai sujet de L’Ivresse de l’argent ce sont les rapports entre les patrons et les employés, sujet déjà abordé dans The Housemaid, son film précédent avec comme source principale d’inspiration La Servante de Kim Ki-young (on voit des extraits des deux films lors de séances de home cinéma que la riche famille organise chez elle). La très belle idée du film est de prendre le point de vue de Joo Yeong-jak, objet de toutes les passions, fantasmes et jalousies des autres personnages. Le jeune homme à tout faire est filmé de la tête aux pieds, c’est à la fois un corps neutre, lisse et réduit au silence qui observe cette famille décadente dans la même posture que le spectateur replaçant les pièces du puzzle scénaristique puis, au fur et à mesure de sa compréhension et de son implication, un corps agissant et sexuel.

Porte valise de Monsieur Yoon, il va devenir petit à petit son homme de confiance au grand dam du reste de la famille avec laquelle Yoon est en guerre. Il aimerait en faire l’héritier de l’empire. Yoon s’est marié avec Madame Baek (Yoon Yeo-jeong), héritière d’une empire industriel (on ne saura jamais de quelle branche il s’agit, mais ça n’a aucune importance), femme autoritaire, sèche et irascible. Quand l’épouse qui surveille son mari avec des caméras apprend qu’il couche avec Eva (Maui Taylor), la bonne philippine, elle décide d’abuser physiquement de Joo Yeong-jak dans une scène de sexe qui s’apparente quasiment à un viol. Elle lui enlève la chemise dans le salon, lui proteste et résiste, puis ils finissent dans la chambre. Se sentant pousser des ailes et surtout désiré, Yeong-jak entreprend alors une liaison avec Na-mi (Kim Hyo-jin), la fille de ses patrons ce qui n’est pas du goût de Cheol (On Joo-wan), le frère de la famille censé devenir le futur patron.

Ce frère est le canard boiteux de la famille. Allié avec Robert (Darcy Paquet, par ailleurs spécialiste du cinéma coréen) un homme d’affaires américain douteux, il finit régulièrement en prison pour affaires louches. Les deux hommes entretiennent des rapports étranges de fraternité crypto-gay : ils couchent avec des prostituées tout en se quittant pas des yeux pendant le coït. Robert est l’éminence grise de Cheol. Ce dernier fera tout pour éliminer Yeong-jak en révélant ses amours clandestines avec sa mère et sa sœur à Monsieur Yoon. Dans une scène magnifique de grotesque et d’humour, les deux hommes se battront à mains nues. Yeong-jak se croit le plus fort mais Cheol assène, dans une position digne d’un combattant adepte du kung-fu de la grue, quelques coups bien sentis au si beau visage de son adversaire. C’est le début de la déchéance.

Un autre personnage haut en couleur, moins présent à l’écran mais donc chaque apparition apporte son lot d’énigme, est le patriarche de la famille, le président No (Kwon Byeong-gil). C’est lui le fondateur de l’empire mais désormais il se déplace en fauteuil roulant, constamment habillé en peignoir et portant des lunettes noires. Il est toujours suivi de sa fidèle assistante (Hwang Jeong-min-I), femme impressionnante en costumes masculin qui observe avec un regard ironique toute cette agitation. Elle est le témoin distant et amusé de tous les jeux d’alliance entre les personnages, de toute cette libido déployée secrètement puis au grand jour et de la ruine de chacun d’eux.

Le film regorge d’ironie et parfois d’éclat d’humour sec. Im Sang-soo porte un regard distancié et glacial sur ses personnages. Il faut dire que le décor principal de L’Ivresse de l’argent autorise cette distanciation. Plus encore que dans The Housemaid, l’immense demeure au milieu d’un immense terrain (un terrain de golf y est construit) reflète la classe sociale de ses propriétaires. La maison constitue une sorte de labyrinthe dont on semble découvrir à chaque séquence une nouvelle pièce. Chacune d’elle est décorée avec la grandiloquence digne de cette famille qui veut montrer tout son bon goût : tableaux d’art contemporain sur les murs, meubles design couleur métal, une cheminée dans chaque pièce. Petit à petit, ce décor se transforme en prison pour les personnages, domestiques comme patrons, ils étouffent, veulent s’en échapper mais n’y arrivent pas. L’Ivresse de l’argent est tout à la fois une sublime réussite de son auteur et désespérément déprimant.

L’Ivresse de l’argent (The Taste of money, 돈의 , Corée, 2012) Un film d’Im Sang-soo avec Kim Kang-woo, Baek Yoon-sik, Yoon Yeo-jeong, Kim Hyo-jin, Maui Taylor, On Joo-wan, Kwon Byeong-gil, Hwang Jeong-min-I.

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