La scène inaugurale de J’ai rencontré le diable est splendide. De nuit, en caméra subjective, une voiture avance lentement sur la route (en quasi plan séquence). Les phares éclairent la neige qui tombe. On aperçoit une voiture sur la bas côté. Sa conductrice téléphone à son petit ami. Ils évoquent leur prochain mariage. Le fiancé (Lee Byeong-heon) est en plein travail. Le conducteur (Choi Min-sik) vient frapper à la fenêtre de la voiture de la dame, il propose son aide. Elle refuse poliment, il retourne à son bus scolaire qui ne démarre pas. Elle augmente la luminosité des phares. Là, surgit sur une musique abrupte, l’homme muni d’un marteau brise la pare-vitre, puis (hors champ) assomme la conductrice. Il la traine hors de la voiture, le sang colore la neige, filmé en plongée. Titre du film en incrustation : I saw the devil, j’ai rencontré le diable.
L’idée du plan subjectif affirme que le point de vue du film sera celui de Choi Min-sik, que l’on rentre dans son cerveau malade de tueur compulsif. On ne saura jamais les raisons des meurtres qu’il commet. On croit qu’il s’attaque uniquement aux jeune femmes seules (on imagine alors qu’il pourrait agir par frustration sexuelle) mais il tuera aussi deux hommes qui le prendront en stop plus tard dans le film. Mais ce plan subjectif est contredit par le plan en plongée qui instaure un narrateur extérieur et omniscient. D’une certaine manière, il juge la morale de ce tueur (qui n’est pas un meurtrier organisé puisqu’il tue tous ceux qu’il rencontre). C’est là le premier échec de la mise en scène de Kim Jee-won qui se montre incapable de choisir le ton de son film, échec augmenté par l’arrivée dans le récit du fiancé éploré quand il retrouve le corps découpé de son amie, assassinée par Choi Min-sik malgré qu’elle lui dise qu’elle est enceinte (ce que le fiancé ignorait).
Les deux hommes vont entamer un jeu du chat et de la souris. D’un côté, Choi Min-sik, avec un look qui rappelle Anthony Wong dans Ebola syndrome, qui tue et découpe des corps avec une volonté de créer du gore. Ces effets gore finissent vite par lasser parce qu’ils sont tout simplement répétitifs, mis en scène sans imagination dans un flot ininterrompu de mouvements d’appareil (travellings doux pour la plupart) censés esthétiser les meurtres. Là encore, il est impossible de déterminer les raisons dans la mise en scène des ces mouvements de caméra qui ne sont là que pour faire joli. Si la mise en scène se résumait au mouvement d’appareils, Luc Besson serait le meilleur cinéaste au monde. Pour résumer, ce sont des plans bien chiadés mais vides de sens.
De l’autre côté, le personnage de Lee Byeong-heon (d’une fadeur extrême, d’une inexpressivité pénible) qui cherche à se venger. Les films de vengeance sont justement un genre casse-gueule puisqu’il faut trouver l’équilibre entre la morale et l’absence de morale. Le spectateur doit prendre parti, savoir de quel côté il se place. Dans les films de Park Chan-wook, on se place généralement du côté de celui qui cherche à se venger tant les injustices (bien que totalement pas crédibles) nous forcent à placer notre empathie sur lui. Dans J’ai rencontré le diable, Kim Jee-woon présente celui qui veut se venger comme aussi malsain que le meurtrier. Ce jeu du chat et de la souris est de torturer le personnage de Choi Min-sik mais pas de le tuer immédiatement. Mais le meurtrier est plus malin que le vengeur qui a pourtant placé un émetteur pour suivre à la trace le tueur. Il est scénaristiquement assez difficile de croire à un tel postulat. L’idée primitive est de faire durer le suspense, de le relancer au fur et à mesure que la proie est relâchée. Au bout d’un moment, la surenchère spectaculaire ne prend tant le rythme est redondant. Scène de dialogue, poursuite en voiture, scène de baston, torture, meurtre pendant plus de 100 minutes. Etonnement, la police est peu présente – si ce n’est à la fin – pour arrêter le tueur et neutraliser le vengeur. Finalement, J’ai rencontré le diable ne parvient jamais à trouver son style ni même son sujet qui brille par son absence d’originalité. Il se voudrait moderne mais semble dater d’un autre âge.
J’ai rencontré le diable (I saw the devil, 악마를 보았다, Corée, 2010) Un film de Kim Jee-won avec Lee Byeong-heon, Choi Min-sik, Jeon Gook-hwan, Cheon Ho-jin, Oh San-ha, Kim Yoon-seo, Choi Moo-seong, Kim In-seo, Jo Deok-jae, Han Cheol-woo, Jo Myeong-yeon, Eom Tae-goo, Han Se-joo, Choi Jin-ho-I, Kim Kang-il, Yoon Byeong-hee, Park Seo-yeon, Lee Hye-rin, Lee Seol-goo, Jeong Mi-nam.