Center stage, certainement le film le plus connu de Stanley
Kwan, suit la vie cinématographique et sentimentale de Ruan Ling-yu, éphémère
star du cinéma, née en 1910 et qui se suicida en 1935. Maggie Cheung, bien
qu’elle ne lui ressemble pas du tout, prête ses traits et son sourire à
l’actrice dont il est dit qu’elle était à la fois l’incarnation de la tristesse
et de la sensualité. Il n’existe que peu de films qui ont survécu aux ravages
du temps. On voit quelques extraits de ceux qui subsistent, avec un simple
carton sur l’écran qui indique la date, le titre du film et son existence. Ruan
Ling-yu n’a joué que dans une dizaine de films, le plus connu étant La Divine
réalisé en 1934 par Wu Yong-gang.
Elle
commence à travailler à 18 ans dans la compagnie Lianhua située à Shanghai. Sa
réputation fait qu’elle ne tourne que des personnages de femmes fatales. Elle
porte de superbes robes à imprimés très colorées. Ses sourcils sont une de ses
images de marque. Longs et dessinés, on dit qu’elle met deux heures à les
préparer, voire plus selon ses propres dires, prompte à appuyer sa propre
légende. Assez vite, elle désire des rôles dramatiques et sérieux. Elle doit
d’abord apprendre le mandarin pour se faire comprendre des cinéastes venus du
Nord. Ce sera le rôle de Li Lily (Carina Lau), d’un an sa cadette et actrice de
la Lianhua. Ruan, comme toutes les autres actrices veulent de beaux rôles et
être célèbres.
Le
film commence sur un tournage d’un mélo (muet). Le visage des actrices est
fardé d’une épaisse crème blanche pour mieux absorber la lumière. Ce sont ces
rôles que Ruan veut abandonner et Stanley Kwan montre le côté comique, voire
ridicule, de ce tournage. La Lianhua et Monsieur Li (Waise Lee), l’un de ses
patrons, en tête ne croient pas au pouvoir tragique de Ruan, compte tenu de son
image auprès du public. Qu’à cela ne tienne. Elle se charge de convaincre le
réalisateur Sun qu’elle peut incarner cette mère de famille mandchoue si pauvre
qu’elle nourrit son bébé avec son propre sang tandis qu’ils luttent dans la rue
contre la neige. On voit Ruan répéter en secret dans la rue, sous la neige pour
ce rôle dans Herbes folles et fleurs
sauvages (野草閑花). Dès lors, Ruan incarnera des
personnages tragiques dans lesquels elle s’immergera sans retenue.
Le studio Lianhua s’engage politiquement
quand les Japonais envahissent la Chine. La compagnie tourne une vague de films
anti-japonais jusqu’à ce que les autorités shanghaiennes interdisent d’utiliser
le mot « japonais » dans les dialogues. Les acteurs utiliseront le
mot « ennemis » ce qui annule le message patriotique. La compagnie
est montrée comme un collectif progressiste, voire de gauche, dans lequel Ruan
se fond et prend plaisir à travailler. Sa popularité profite à la Lianhua et
vice-versa. Dès cette époque, le star system
broie l’actrice à qui on ne pardonne rien. L’image de Ruan se détériore au fil
de sa courte carrière. Elle sera traitée de tous les noms et pas des plus
flatteurs. On disait d’elle que même avec un robe fermée jusqu’au cou, elle
paraissait impudique. Petit à petit, la solitude de l’actrice prend le dessus
sur l’idée collective, la mise en scène prend en compte cette idée, montrant en
début de film Ruan au milieu de l’équipe puis en fin de film seule dans le
plan.
Sa vie privée est mise sur la place
publique. D’abord mariée à Chang Ta-min (Lawrence Ng), elle adoptera un enfant
qu’elle élèvera avec sa mère. Puis, c’est un triangle amoureux qui se crée
quand elle rencontre Tang Chi-shan (Han Chin), un négociant en thé. Les scènes
qui traitent de la vie amoureuse mouvementée de Ruan sont sans doute les moins
intéressantes de Center stage. Le
film se traine alors en longueur car il est à la fois trop explicite et trop
pudique. L’arrivée d’un nouveau personnage, le réalisateur Tsai Chu-sheng (Tony
Leung Ka-fai), cantonais comme Ruan, va changer le cours des choses. Le film ne
dit pas s’ils ont eu une liaison, et c’est justement cela qui met du piquant au
film, car les regards qu’ils se jettent en disent plus que d’éventuels
étreintes amoureuses. Et surtout, il lui offre un film, Femmes nouvelles en 1934 qui stigmatise l’abus de pouvoir de la
presse à scandales et qui met en scène son suicide.
Ruan
s’est donné la mort. Tous ceux qu’elle a connus viennent lui rendre hommage
dans son lit de mort. Cette scène mortuaire, on la retrouve en fin de film dans
la partie documentaire avec une Maggie Cheung hilare qui ne parvient pas à
garder son sérieux lors du tournage de la scène où elle doit jouer une morte.
Régulièrement, la narration s’interrompt pour montrer des discussions (filmées
en noir et blanc) entre Stanley Kwan et ses interprètes où ils discutent du
film. On découvre aussi des entretiens avec des actrices ou cinéastes qui ont
connu Ruan. L’idée est d’apprendre quelque chose de l’actrice et de montrer que
le star system est similaire quelle
que soit l’époque. Et puis, cette belle idée pour ne pas tomber dans le pathos
et le mièvre de déréaliser la mort de Ruan, comme si la légende de la première
star du cinéma chinois était plus forte que la vérité.
Center
stage (阮玲玉, Hong Kong, 1991) Un film de Stanley Kwan
avec Maggie Cheung, Tony Leung
Ka-fai, Chin Han, Carina Lau, Lawrence Ng, Cecilia Yip, Waise Lee, Paul Chang,
Yip San, Siu Seung, Fu Chung, Cheng Xiao-hua.
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