Le
dernier chapitre de la saga du loup solitaire à l’enfant a une réputation de
film vaguement dégénéré, un peu fou et décalé par rapport aux cinq autres
épisodes réalisés dans une courte période de 15 mois, soit un film chaque
trimestre entre janvier 1972 et avril 1973. Baby Cart : Le paradis blanc de l’enfer a été tourné plus d’un
an après le cinquième film, donnant l’impression fallacieuse d’un ajout
artificiel, strictement commercial. Kenji Misumi et Buichi Sato
n’ont pas rempilé, c’est Yoshiyuki Kuroda, auteur d’un gentil Yokai
monsters along with ghosts qui s’y colle.
L’histoire s’achève et logiquement Itto
Ogami veut en finir avec Retsudo Yagyu et vice-versa. Ce dernier, devenu
bourreau du shogun à la place du premier, veut conserver son rang. Le seigneur
estime qu’il ne s’est pas assez battu pour éliminer Ogami, paradoxe certain
quand on sait que dans les cinq films précédents, plusieurs de ses enfants ont
tenté de battre le loup solitaire et qu’ils en sont morts. Le dernier espoir
repose sur sa dernière fille vivante, Kaori (Junko Itomi), sabreuse émérite. On
la découvre à l’entrainement, enfonçant avec flegme sa lame dans les crânes de
trois hommes du clan Yagyu. Sa beauté n’a d’égale que sa barbarie.
Elle sera sa première adversaire. Elle a
des espions qui la guident vers lui, laissant des messages sur les petites
statues de Bouddha qui longent les chemins. Elle approche d’abord Daigoro qui
joue avec des enfants de paysans. Elle l’appelle, il vient, elle joue avec lui
aux osselets jusqu’à l’arrivée de son père qui comprend le stratagème de la
guerrière. Cette partie est l’une des plus belles du film avec des effets de
lumières (arc en ciel) sur le visage impassible de Kairo et des reflets sur les
lames sur un ciel blanc. Immédiatement, l’évocation d’une des plus célèbres
séquences de Baby Cart : L’enfant
massacre revient en mémoire avec une variation ultime puisque Kaori connait
la ruse d’Ogami qui va produire une attaque modifiée. La belle combattante du
clan Yagyu ne fera pas le poids face à l’expérience de son adversaire. Retsudo
en est averti et lance son dernier atout.
Cet atout est son fils bâtard, Hyoé (Isao Kimura) abandonné par son père depuis ses cinq ans. Retsudo
part dans une forêt profonde et inhospitalière. C’est là que son fils vit au
milieu du clan Tsujigumo qui pratique la magie noire. Le film bascule alors
dans le fantastique. Hyoé est passé du côté obscur et, avec un grand rire
sardonique comme tous les affreux méchants, fait revivre trois hommes enterrés
depuis 42 ans dans une jarre. Ces trois zombies ont la capacité de se déplacer
sous terre, logique puisqu’ils ont vécu enterrés si longtemps. Le sol remue
doucement derrière Ogami et Daigoro, laissant quelques craquèlements, soudain
une main sort comme d’un tombeau. L’une des idées du film est de faire de Hyoé
un homme impitoyable, un homme qui préfère les morts aux vivants et dont la
voix hantera Ogami. Chaque personne que croisera Itto Ogami sera
assassinée : une passante qui complimente Daigoro, un marchand ambulant de
bonbons puis tous les occupants de l’auberge où ils se sont installés. Avec un
humour glacial, le père et son fils ne pourront jamais achever chaque repas
qu’ils attendaient patiemment.
Le fil
conducteur est la couleur blanche. Le film s’ouvre sur le landau qui glisse,
telle une luge sur la neige. Le finale où Ogami affrontera une centaine
d’hommes aura lieu également sur les pentes enneigées. La chevelure et la barbe
de Retsudo Yagyu, la tunique de Hyoé, le soleil, les galets, tout est blanc et
le blanc est le danger. Ogami tire avec sa mitraillette sur un mur blanc :
derrière éraient cachés des mercenaires. Or, le sang qui coule se voit encore
mieux sur le blanc. Le loup solitaire avec sa tenue noire est souvent filmé
isolé au milieu d’une grande étendue blanche (un désert de galets, le flanc de
montagne). Le titre du film, en oxymore, exprime bien tout le paradoxe du
parcourt de cet homme qui selon ses mots « vit entre loyauté et trahison ».
A lui la loyauté, au clan Yagyu la trahison. Une histoire de désespoir sans fin.
Baby
Cart : Le paradis blanc de l'enfer (子連れ狼 地獄へ行くぞ!大五郎, Japon, 1974) Un film de Yoshiyuki Kuroda avec Tomisaburo
Wakayama, Akihiro Tomikawa, Junko Hitomi, Isao Kimura, Minoru Oki, Goro Mutsumi.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire