Le
décès de Nagisa Oshima me rappelle que L’Empire
des sens est le premier film japonais que j’ai vu, c’était en 1993 dans une
salle de cinéma de Grenoble quand j’étais étudiant. J’avais convié plusieurs de
mes amis à cette séance. Ils n’avaient pas aimé le film, l’avaient trouvé très
lent, ennuyeux et pornographique. Je garde de cette soirée un souvenir
vivace : j’en étais sorti enchanté, ravi de savoir qu’au Japon un cinéaste
pouvait se permettre de réaliser une œuvre aussi poétique. L’Empire des sens n’a failli jamais voir le jour. Oshima a du se
battre à l’époque contre la censure très stricte de son pays qui interdisait la
nudité intégrale non floutée. C’est le producteur français Anatole Dauman qui
avait suggéré à Nagisa Oshima de tourner un film érotique. Chaque semaine, les
bobines de film étaient envoyées en France pour être développées et dérushées.
C’était le seul moyen légal pour ne pas finir au bûcher. Sélectionné au
Festival de Cannes malgré un procès retentissant au Japon, L’Empire des sens est toujours censuré et passe dans une version
tronquée au pays du soleil levant. Et cela n’est pas seulement à cause de ses
éléments sexuels non simulés.
L’hiver
1936 dans une maison de maître. La servante Abe Sada (Eiko Matsuda), pour
résister au froid va se coucher sous la couverture d’une de ses collègues qui
tente, en vain, de la peloter. Sada, ancienne prostituée, est regardée de haut
par les autres employées. Elle a renoncé à ce métier quand un vieillard lui
demande de coucher avec elle. Elle refuse mais le papi reste là, sous la neige
à attendre ses faveurs. Elle acceptera de ne lui montrer que ses poils pubiens,
filmés en gros plan, tandis qu’elle soulève sa tunique. Sada est une jeune
femme qui ne se laisse pas faire et un jour, dans la cuisine où toutes les
filles travaillent, elle se dispute avec l’une d’elle qui estime qu’elle prend
les autres de haut. Armée d’un couteau, elle est prête à blesser les autres
employées quand son patron, Monsieur Kichi (Tatsuya Fuji), arrive pour
s’interposer. Il ne l’avait jamais vu, lui demande son nom et lui affirme
qu’elle est bien trop jolie pour tenir si violemment un tel instrument. Ce
couteau, on le retrouvera à la toute fin du film, il sera le symbole (phallique)
ultime de sa recherche des sens.
Kichi
avait déjà été observé avec envie par Abe Sada dans une scène précédente où son
épouse lui avait enfilé sa tenue de nuit. Il avait ensuite pris sa femme sous
les yeux écarquillés de Sada. La servante fait sa besogne (nettoyer à quatre
pattes le parquet) quand son patron débarque, lui soulève sa robe et lui met un
doigt dans le cul. Il va désormais tout faire pour se retrouver seul avec elle.
Il se fait passer pour un client et elle vient lui apporter du saké. Sada est
d’abord gênée des avances. Il lui demande de ne pas bouder son plaisir, de ne
pas se torturer l’esprit avec l’éventuelle arrivée dans la pièce d’une autre
personne et ils commencent à faire l’amour. Nagisa Oshima choisit de tout
montrer : fellation, cunnilingus, coït, masturbation à plusieurs, entre autres.
L’idée géniale du cinéaste est de filmer ces scènes comme les autres. Elles
arrivent naturellement, sans qu’elles ne soient trop appuyées et créent une
progression dramatique. Les scènes de baise ne sont donc pas pornographiques
car elles ne sont pas présentes que pour elles-mêmes et donner un plaisir
voyeuriste au spectateur.
Les
rapports sexuels se transforment vite en rapports amoureux. Les deux amants ne
peuvent plus se séparer. Ils font des promenades romantiques sous la pluie,
vont manger à l’extérieur et parlent beaucoup de leur relation. Bientôt, ils
seront les seuls personnages présents à l’écran. Il lui clame qu’il ne la
quittera jamais. Elle lui demande de ne plus coucher avec son épouse. Cette
dernière, qui a compris qu’elle perd son mari, tente de le reconquérir. Tandis
qu’il se lave, elle vient le masturber puis s’empaler sur son sexe. Il la
rejettera avec violence. C’est alors que s’amorce la partie où Sada et Kichi
testent sur eux-mêmes l’étranglement pour atteindre une plus grande jouissance.
La folie menace Sada de plus en plus jalouse qui armée d’un couteau attache son
amant. Parallèlement, le réel historique reprend le dessus. Tandis que Kichi
marche dans la rue, les défilés de l’armée japonaise qui s’apprête à envahir la
Chine se font plus présents, rappelant que la société policée du Japon de 1936
ne permet pas à ce couple de s’épanouir. La folie de Sada n’est que la
conséquence de la folie du Japon lui-même, irrémédiablement tragique et
politique. Dans le dernier plan filmé en plongée, les deux corps sont côte à
côte, Sada arbore un sourire de bonheur, comme un aboutissement de sa recherche
du plaisir par les sens. Fascinant.
L’Empire
des sens (France – Japon, 1976) Un film de Nagisa Oshima avec Eiko Matsuda,
Tatsuya Fuji, Aio Nakajima, Meika Seri, Mariko Abe, Tomi Misubishi, Taiji
Tonoyama, Yasuko Matsui, Akiko Koyama, Kokonoe Kyoji.
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