mardi 11 décembre 2007

Exodus


Le dernier film de Pang Ho-cheung, Exodus, commence par une des scènes les plus étranges vues depuis un bon bout de temps. Elle est d’autant plus étrange qu’elle ne trouve guère d’explication dans le reste du film. Avec Exodus, l’impression que le cinéma de Pang est passé à un niveau supérieur semble désormais évidente. Son échec au box-office hongkongais n’en est que plus dommage, même si le cinéaste a déjà fini son septième film Trivial matters, qui sort fin décembre 2007.

Cette scène initiale qui plonge dans un abîme d’introspection est la suivante. Sur un morceau de Mozart apparaissent deux yeux en gros plan. La caméra commence un travelling arrière. Les yeux sont ceux de la Reine Elisabeth II. Son portrait orne le couloir dans lequel un homme en maillot de bain, avec palme tuba et masque de plongée se trouve. Un autre homme habillé pareil arrive, lui offre une clope. La caméra continue son lent et beau travelling. On découvre d’autres mecs, toujours la même tenue, en train de frapper un pauvre gars avec un marteau (référence à Election 2 ?)

Exodus est donc lancé sur une scène mystérieuse, inexpliquée et l’ensemble du film sera un bloc énigmatique comme rarement on en voit à Hong Kong, que ce soit dans le scénario comme dans les images. Il n’y a peut-être qu’avec Exilé de Johnnie To, avec qui il partage certains acteurs, que Exodus pourrait être comparé. Ne serait-ce qu’en rapport avec leurs titres.

Yip (Simon Yam) est un simple flic. On lui confie un homme qu’il doit interroger. Kwan (Nick Cheung) est accusé de voyeurisme dans les toilettes pour dames. Mais Kwan affirme qu’il espionnait la réunion d’un syndicat secret, celui des femmes tueuses d’hommes. Yip essaie de raisonner Kwan, mais rien n’y fait, il maintient son histoire de complot. Or, le lendemain, Yip est étonné de ne plus voir Kwan. Il est revenu à des propos raisonnables après avoir rencontrer la supérieure de Yip, Madame Fong (Maggie Siu).

Entre temps, l’idée de ce syndicat de tueuses fait son chemin dans la tête de Yip. Il commence à voir des signes de partout. Il devient de plus en plus convaincu que la mort de son beau-père ne peut être naturelle. D’autant que sa belle-mère (Candy Yu) se mêle trop des affaires de Yip et de Ann (Annie Liu) sa femme. Yip veut poser d’autres questions à Kwan, va le retrouver chez lui, mais le danger pointe. Kwan disparaît même. Sa femme Siu-yuen (Irene Wan) le cherche aussi. Madame Fong lui promet même une promotion en échange de son silence.

Exodus aurait pu être un polar comme les autres. Son scénario contient suffisamment de révélations pour ne jamais être ennuyeux. Andrew Lau aurait fait un film différent avec la même matière, comme l’a montré le récent Daisy. Mais Pang Ho-cheung choisit de laisser son intrigue dans le mystère. Pour cela, il déréalise ses plans sans toutefois les plonger dans le fantastique. Du coup, Exodus est un plaisir visuel de chaque instant, à l’image du plan séquence inaugural de quatre minutes.

L’idée de Pang est d’alterner les mouvements. Filmer un travelling avec des personnages immobiles et inversement filmer des personnages qui viennent vers la caméra (sur un pont, dans un couloir, dans un ascenseur) en plan fixe. Il alterne les mouvements ascendants et descendants, les gros plans et les très larges, les silences et les longues discussions, les scènes à un personnage et d’autres plus peuplées.

L’idée du regard est aussi très présente, La scène de la première rencontre entre Yip et Ann est à cet égard la plus réussie. Pang Ho-cheung aime aussi filmer un cadre dans le cadre, comme la scène d’interrogatoire où d’ailleurs Simon Yam regarde fixement Nick Cheung qui baisse constamment la tête. Le cadre dans le cadre, c’est l’idée que certaines choses doivent rester cachées, que tout ne peut et ne doit être visible de tous. On ne sait bientôt plus qui pense quoi, pourquoi telle personne agît de telle façon, mais c’est ce mystère qui plaît.

Tout cela, ce mystère, cette énigme, est aussi accentué par l’immense travail sur les décors et les couleurs qui les composent. Bleu et marron. Costume des flics. Peau de Simon Yam nu. Boiserie du commissariat. Coussins du canapé. Tout au début est clairement déterminé puis tout se mélange, se brouille. C’est d’autant plus troublant que c’est un Hong Kong inhabituel qui est filmé. Une ville sans habitants, avec des décors inédits (gros travail de recherche sur les angles et les courbes), un lieu totalement dans le monde cinéma. C’est très beau si l’on ne cherche pas une explication à tout, si l’on aime l’abstraction narrative.

On pense à certains films de Claude Chabrol, ceux de la fin des années 1960 et du début des années 1970 où le cinéaste s’amusait avec le récit tout autant qu’avec le cadre. On pense aussi à Chabrol grâce à la musique lancinante de Gabriele Roberto jouée au piano par Aiko Takai. Elle ajoute au mystère.

Avec Exodus, c’est un cinéaste en pleine possession de ces moyens que l’on trouve, un cinéaste capable de maîtriser autant l’image que le scénario, un cinéaste qu’il n’est de toute façon même pas la peine de comparer avec d’autres tant son univers semble aujourd’hui évident et important. Mais Pang Ho-cheung est surtout un cinéaste qui n’a pas encore eu la chance d’être distribué en France. Mais cela ne devrait plus tarder, d’ici quatre ou cinq ans. Qui sait…

Exodus (出埃及記, Hong Kong, 2007) Un film de Pang Ho-cheung avec Simon Yam, Annie Liu, Nick Cheung, Maggie Siu, Candy Yu, Jim Chim, Irene Wan, Lam Ka-tung, Siu Yam-yam.

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