J’ai beaucoup appris avec Julien Carbon et Laurent Courtiaud. Je ne les ai jamais rencontrés mais je les ai beaucoup lus à la glorieuse époque du magazine HK Orient Extrême. J’imagine que depuis que le duo est parti travailler à Hong Kong, la vie n’a pas dû être facile tous les jours. Ils ont eux-mêmes raconté les rets semés sur leur chemin quand ils furent scénaristes. La bande annonce des Nuits rouges du bourreau de jade a été visible il y a déjà plusieurs mois sans qu’on ne s’attende à une sortie. Et enfin le film arrive. Dans peu de salles, certes, mais il est là, visible et il existe.
Le film est interdit aux moins de 16 ans et il commence fort par une scène de SM où une jeune femme aux cheveux très longs se dénude et s’allonge sur une table dans l’atelier de Carrie Chan (Carrie Ng). Avec son assistant (Stephen Wong), une plaque de plastique est glissée sur le corps de la femme, l’air y est supprimé et elle découvre l’extase. La jeune femme réclame une deuxième séance et là, Carrie applique sur l’orifice qui sert à respirer du scotch, l’assistant pose sur ses doigts des ongles pointus qu’elle enfonce dans l’abdomen de sa victime.
Carrie est persuadée que la jouissance (ou l’extase) vient de la douleur et pour cela cherche à se procurer un élixir contenu dans le sceau du bourreau de jade, un homme qui inventât des siècles auparavant une formule qui démultiplie les douleurs comme les plaisirs. Un baiser équivaut à un orgasme et un coup à une torture. Carrie cherche ce sceau tandis qu’elle finance la production d’un opéra chinois inspiré de l’histoire du bourreau de jade. Catherine (Frédérique Bel) a réussi à se procurer l’objet à Macao et se rend à Hong Kong pour rencontrer Carrie. Sandrine (Carole Brana) va lui servir d’intermédiaire. Mais, chacune des trois femmes va vouloir escroquer l’autre et tirer du sceau le maximum d’argent.
C’est dans un Hong Kong étonnement vide que va se dérouler l’histoire de Carbon et Courtiaud. Ils sont allés filmer dans des quartiers reculés, près d’usines, loin des hôtels de luxe. L’atelier de Carrie Chan, bien que sophistiqué, est situé au beau milieu d’un bâtiment interlope d’où gouttent l’eau et truffé de tuyaux fumants. Ils montrent un Hong Kong rare dans un but de déréaliser encore plus leur récit. Une autre étrangeté est l’absence de barrière de la langue Catherine et Sandrine s’expriment en français et les acteurs chinois leur répondent en cantonais et chacun se comprend.
Ce qu’on tenté de produire les deux Français est une variation de giallo qui s’exprime ne serait-ce que dans le titre du film. Bien entendu dans le scénario qui ne parle que de sexualité et de mort mais aussi dans les couleurs du film, beige pour Catherine (son pardessus bien serré) et rouge pour Carrie (le sang quand elle charcute Sandrine). Ces deux couleurs sont mises en valeur dans des décors très sombres. Les Nuits rouges du bourreau de jade n’imite cependant pas l’imagerie du giallo (contrairement à Amer par exemple qui relevait plus du dispositif artistique que du cinéma).
On y trouve des références à Bunuel (la boite mystérieuse, la recette du Martini dry), aux films noirs de Kubrick (Catherine qui traverse un couloir rempli de mannequins), à La Dame de Shanghai de Welles (on tire sur des miroirs) par exemple. Le rythme est très lent à l’opposé de la plupart des films tournés à Hong Kong. Parce que là aussi, les cinéastes déjouent les schémas tous tracés auxquels on aurait pu s’attendre. Alors le film est très bancal mais c’est une telle bizarrerie qu’il ne faut pas hésiter à aller jeter un coup d’œil.
Les Nuits rouges du bourreau de jade (Red nights, 紅夜, Hong Kong – France, 2009) Un film de Julien Carbon et Laurent Courtiaud avec Frédérique Bel, Carrie Ng, Carole Brana, Stephen Wong, Kotone Amamiya, Maria Chen, Jack Kao.