L’argent est au centre des préoccupations de tous les personnages de La Vie sans principe. Le titre est déjà un jugement moral sur la valeur de l’argent considéré comme une maladie qui gangrène toute une civilisation. Le récit est ramassé sur une courte période ponctué par des nouvelles de la crise grecque qui occupe l’actualité. La forme s’apparente à celle d’un film choral. Les trois protagonistes ne se rencontreront jamais mais seront liés par des personnages secondaires. Le récit reviendra parfois sur un événement pour mieux l’éclairer avec un point de vue différent dans un souci permanent de fluidifier la narration et de poser les enjeux du film.
La première partie montre le processus, au sein d’une banque, de spoliation des crédits des clients pour les transformer en investissement à risque. Teresa (Denise Ho) habillée en tailleur noir strict, cheveux courts, n’est pas l’employée la plus rentable. Dans une scène douloureuse pour son personnage, sa patronne félicite ceux qui ont réussi à faire gagner beaucoup d’argent à la banque. Teresa ne fait pas partie de ces cadres méritants. Elle décide de rester le soir pour harceler les clients au téléphone pour qu’ils investissent. Elle a trouvé la proie idéale en Madame Kun (So Hang-suen) qui aimerait que son compte rapporte plus que les 2% légaux. Teresa va investir l’argent du compte. La description est minutieuse et non dénuée d’humour car la pauvre dame, d’une cinquantaine d’années, ne comprend strictement rien à tout cela. Teresa lui fait répéter la même phrase (« j’ai parfaitement compris ») à chaque phase du contrat, histoire de prouver en cas d’enquête que la cliente était au courant de tout. Ce que montre Johnnie To à ce moment-là est un pur et simple vol de l’argent du client par la banque. Le malaise s’installe petit à petit, le désarroi de Madame Kun puis sa joie quand Teresa lui assure que l’investissement, forcément foireux et illégal, lui rapportera 20%, fait froid dans le dos.
Un autre client de Teresa est Yuen (Lo Hoi-pang). En cette période de crise, Yuen vient régulièrement retirer de l’argent de son compte pour ensuite le prêter (encore une fois illégalement) est récupérer de forts intérêts. C’est un profiteur de la crise, l’un de ces requins qui abusent de leur position pour faire des profits monstrueux. Il apparait pourtant de manière bien sympathique de prime abord. Yuen demande ce jour-là 10 millions de dollars HK, reçoit un coup de téléphone, puis n’en veut finalement plus que 5 millions. Il demande alors à Teresa de garder dans son bureau la somme sortie pour la recréditer plus tard sur son compte. Yuen est pressé, il doit partir, il oublie son portable sur le bureau, elle veut le rattraper. Dans le parking souterrain, elle se voit se faire agresser et on lui vole son sac plein d’argent. Je ne dévoilerai pas l’auteur du vol d’autant que le récit revient en arrière avec l’arrivée de Panther (Lau Ching-wan) et de Cheung (Richie Ren).
Cheung est policier. Le film commençait avec son personnage et sa femme Connie (Myolie Wu) qui visitent un appartement pour l’acheter. Son manque d’enthousiasme devant la vue et l’espace agacent Connie mais Cheung a d’autres choses en tête. Son téléphone n’arrête pas de sonner. Un vieillard a assommé un de ses voisins et Cheung doit procéder à une enquête de simple routine. Il est également sur les traces de Wah (Eddie Cheung) qu’il arrête au banquet d’anniversaire du « boss » Kwan (Tam Ping-man), parrain de triade. Peu importe la raison de l’arrestation, mais les conséquences seront lourdes pour Panther. Ce dernier toujours vêtu d’une chemise à fleurs, de sandales et portant sa sacoche en bandoulière (alors que tous les autres sont plutôt dans l’imagerie classique des membres des triades) se met alors en tête de payer la caution de Wah. Johnnie To décrit le personnage de Panther comme un simplet, toujours prompt à réagir dans cette idéologie de la loyauté des triades.
Panther pratique la loyauté entre frères. Il va chercher de l’argent où il pense en trouver et sa méthode, comme son engagement, rend son personnage totalement pathétique avec cette idée d’enlever tout aspect romantique aux triades. Lau Ching-wan joue Panther avec force, le faisant bouger dans le cadre comme un gamin, le faisant cligner des yeux frénétiquement, le faisant marcher avec des pas saccadés comme s’il y avait une urgence à tout faire très rapidement. Panther est un dinosaure dans cette jungle des triades où il rencontre successivement Lung, un ancien de sa confrérie (Felix Wong) reconverti dans le ramassage de papier à qui il demande de l’aider, puis Lung, un trader clandestin (Keung Ho-man) et finalement un Chinois du continent (Terence Yin) qui représente la nouvelle garde de la mafia.
La Vie sans principe est plus une satire de la circulation de l’argent, de son pouvoir de corruption sur les personnes qu’un film qui dénonce. Et c’est bien mieux comme cela. Johnnie To fait preuve de beaucoup d’ironie (je pense par exemple au long périple en voiture du trader avec une flèche dans le cœur, obligé de conduire parce que Panther n’a pas le permis) et de dérision (la double arrestation de Wah d’abord par le commissariat de West Kowloon puis par celui de East Kowloon). Le film ne parvient pas toujours à tenir son suspense dans cette forme chorale dans le petit jeu de savoir qui sera dupé et qui va duper l’autre. Largement supérieur à Don’t go breaking my heart, ce film social amorce la nouvelle carrière du cinéaste depuis qu’il s’est éloigné des polars qui ont fait sa gloire.
La Vie sans principe (Life without principle, 奪命金, Hong Kong, 2011) Un film de Johnnie To avec Lau Ching-wan, Richie Ren, Denise Ho, Myolie Wu, Lo Hoi-pang, Keung Ho-man, So Hang-suen, Eddie Cheung, Felix Wong, Ben Wong, Tam Ping-man, JJ Jia, Stephanie Che, Terence Yin, Yoyo Chen, Anson Leung, Ng Chi-hung, Lee Siu-kei, Vincent Sze.
1 commentaire:
Bonsoir, c'est le premier Johnny To que je voyais: vraiment bien avec une réalisation sans temps mort. Une excellente surprise. Bonne soirée.
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