jeudi 15 novembre 2012

2/Duo


Plus de quinze ans après sa réalisation, 2/Duo, premier long-métrage de Nobuhiro Suwa, sort dans les salles françaises. Ce qui frappe dès les premiers plans, c’est ce gros grain de l’image auquel, depuis l’avènement du numérique et des projections DCP, le spectateur n’est plus habitué. Tourné en 16mm en quelques jours, semi improvisé autour de deux acteurs réunis dans un petit appartement, filmé souvent en plan séquences, des plans noirs ponctuent les conversations, 2/Duo rappelle les souvenirs du renouveau de ce cinéma japonais d’alors qui allait enchanter les Festivals et la presse. C’était aussi les débuts de Shinji Aoyama ou de Naomi Kawase.

Ces deux personnages au centre du film sont Kie (Nishijima Hidetoshi) le garçon et de Yu (Yu Eri) la fille. Ils semblent sortir ensemble mais jamais le moindre geste d’affection ou de tendresse ne sera visible, jamais un bisou ne sera échangé. Kei est un homme sans qualités. Acteur de seconde zone, on le découvre répétant une scène dans sa loge quand un régisseur (hors champ) lui annonce que son rôle est supprimé. Ecervelé, il propose à Yu de déjeuner avec elle. Bien qu’elle ait peu de temps, il se débrouille pour arriver en retard. Fauché, il taxe constamment de l’argent à sa copine. C’est un garçon terne qui se confond avec le décor de l’appartement, son survêt gris se fond avec le dessus de lit et sa chemise aux rayures verticales avec le rideau. En contraste, Yu qui arbore des chemises aux couleurs vives, travaille comme vendeuse dans une boutique de vêtements pour dames chics.

Ils sont deux et ne forment pas encore un couple. Ainsi, un jour au détour d’une conversation Kei demande Yu en mariage. Elle ne répond pas, elle ne sait pas quoi répondre. A partir de cette demande en mariage, le comportement de Yu va changer, elle va s’étioler comme si une peur l’avait envahi. On pense au changement d’attitude radicale qu’éprouvait Camille Javal, le personnage de Brigitte Bardot dans Le Mépris de Jean-Luc Godard. Aucune explication ne sera donnée. C’est elle qui va devenir l’ombre d’elle-même, commencer à pleurer sans raison dans sa boutique, acheter des kilos de tomates pour faire une sauce un jour où elle invite des amies. Kie réagit abruptement face à cette non réponse, dans une séquence tout en violence sourde, il jette sur le sol tous les objets de Yu qu’elle se mettra en ranger en parlant toute seule. Il voulait la faire réagir, elle s’enferme encore plus dans son monde.

Pour creuser son sillon sur la solitude de ce couple, Nobuhiro Suwa utilise les reflets, les miroirs. En début de film, Kie est souvent quasi hors champ, on ne voit qu’une partie de son corps alors que Yu est filmée totalement. Au restaurant, elle est de face, lui de dos, son reflet sur une vitre à peine visible. Il n’existe pas. Puis, par un mouvement de balancier (un travelling vers la droite), il se mettra petit à petit à occuper tout le film tandis qu’elle disparaitra au sens propre comme au sens figuré. Tous ces motifs du reflet qui expriment l’ambiguïté de la personnalité seront plus encore développés dans M/Other, son autre film au titre comportant une barre oblique, une séparation. Il ne lâchera jamais ce thème du double dans ses films suivants : H story, Un couple parfait puis Yuki & Nina.

2/Duo (2 デュオ, Japon, 1996) Un film de Nobuhiro Suwa avec Nishijima Hidetoshi, Makiko Watanabe, Miyuki Yamamoto, Yu Eri.

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