Plus de
quinze ans après sa réalisation, 2/Duo, premier long-métrage de Nobuhiro
Suwa, sort dans les salles françaises. Ce qui frappe dès les premiers plans,
c’est ce gros grain de l’image auquel, depuis l’avènement du numérique et des
projections DCP, le spectateur n’est plus habitué. Tourné en 16mm en quelques
jours, semi improvisé autour de deux acteurs réunis dans un petit appartement,
filmé souvent en plan séquences, des plans noirs ponctuent les conversations, 2/Duo
rappelle les souvenirs du renouveau de ce cinéma japonais d’alors qui allait
enchanter les Festivals et la presse. C’était aussi les débuts de Shinji Aoyama
ou de Naomi Kawase.
Ces deux
personnages au centre du film sont Kie (Nishijima Hidetoshi) le garçon et de Yu
(Yu Eri) la fille. Ils semblent sortir ensemble mais jamais le moindre geste
d’affection ou de tendresse ne sera visible, jamais un bisou ne sera échangé. Kei
est un homme sans qualités. Acteur de seconde zone, on le découvre répétant une
scène dans sa loge quand un régisseur (hors champ) lui annonce que son rôle est
supprimé. Ecervelé, il propose à Yu de déjeuner avec elle. Bien qu’elle ait peu
de temps, il se débrouille pour arriver en retard. Fauché, il taxe constamment
de l’argent à sa copine. C’est un garçon terne qui se confond avec le décor de
l’appartement, son survêt gris se fond avec le dessus de lit et sa chemise aux
rayures verticales avec le rideau. En contraste, Yu qui arbore des chemises aux
couleurs vives, travaille comme vendeuse dans une boutique de vêtements pour
dames chics.
Ils sont deux
et ne forment pas encore un couple. Ainsi, un jour au détour d’une conversation
Kei demande Yu en mariage. Elle ne répond pas, elle ne sait pas quoi répondre.
A partir de cette demande en mariage, le comportement de Yu va changer, elle va
s’étioler comme si une peur l’avait envahi. On pense au changement d’attitude
radicale qu’éprouvait Camille Javal, le personnage de Brigitte Bardot dans Le
Mépris de Jean-Luc Godard. Aucune explication ne sera donnée. C’est elle
qui va devenir l’ombre d’elle-même, commencer à pleurer sans raison dans sa
boutique, acheter des kilos de tomates pour faire une sauce un jour où elle
invite des amies. Kie réagit abruptement face à cette non réponse, dans une
séquence tout en violence sourde, il jette sur le sol tous les objets de Yu
qu’elle se mettra en ranger en parlant toute seule. Il voulait la faire réagir,
elle s’enferme encore plus dans son monde.
Pour creuser
son sillon sur la solitude de ce couple, Nobuhiro Suwa utilise les reflets, les
miroirs. En début de film, Kie est souvent quasi hors champ, on ne voit qu’une
partie de son corps alors que Yu est filmée totalement. Au restaurant, elle est
de face, lui de dos, son reflet sur une vitre à peine visible. Il n’existe pas.
Puis, par un mouvement de balancier (un travelling vers la droite), il se
mettra petit à petit à occuper tout le film tandis qu’elle disparaitra au sens
propre comme au sens figuré. Tous ces motifs du reflet qui expriment l’ambiguïté
de la personnalité seront plus encore développés dans M/Other, son autre
film au titre comportant une barre oblique, une séparation. Il ne lâchera
jamais ce thème du double dans ses films suivants : H story, Un couple
parfait puis Yuki & Nina.
2/Duo (2 デュオ, Japon, 1996) Un film de Nobuhiro Suwa avec Nishijima Hidetoshi, Makiko
Watanabe, Miyuki Yamamoto, Yu Eri.
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