Patrick Tam n'avait pas réalisé de film depuis 1989. Il fût un membre important de la nouvelle vague des cinéastes hongkongais au début des années 1980 et s'était fait remarqué avec The Sword (1981), un wu xia pian d'une grande beauté et d'une force inouïe qui a sans doute influencé l'industrie en général et Tsui Hark en particulier. Son absence sur les écrans depuis 17 ans n'est pas étonnante si l'on considère que seuls les cinéastes bankables ont le droit de tourner. En revanche, Tam a participé à au montage de nombreux films de grande qualité (notamment ceux de Wong Kar-wai ou de Johnnie To).
Le rôle principal de After this our exile est tenu par Aaron Kwok. On peut se moquer longuement du chanteur taïwanais, chérie de ses dames, qui a rarement convaincu par son jeu d'acteur. Il faut reconnaître qu'ici il est époustouflant. Il est Shing, un Chinois qui habite en Malaisie avec sa femme (Charlie Young) et leur fils (Goum Ian Iskandar). Shing a contracté des dettes de jeu et ses créanciers le recherchent. Sa femme, Lin, a décidé de le quitter et on la comprend. Tam en quelques scènes parvient avec brio à montrer combien Shing se comporte en irresponsable. Shing enferme sa femme dans la maison mais elle réussit à s'échapper et abandonne sa famille devant les yeux de son fils, Lok-yun. Le mari est désespéré et, sous le Shing se fait renvoyer de son boulot (il est cuisinier) parce qu'il préfère aller jouer plutôt que de se rendre au travail. Il se retrouve seul avec son garçon et il reçoit quelques coups de ceux qui lui ont prêté de l'argent. La descente aux enfers pathétique et dramatique peut commencer. Le fils ne voit rien, ou du moins, fait comme s'il ne voyait rien. Cependant le père continue de se comporter comme un lâche, il n'hésite pas à le laisser à la voisine quelques jours dans l'espoir de trouver un travail. Sa réputation le précède et il se résout à fuir : l'exil du titre anglais. Dès lors, Patrick Tam se concentre sur les rapports difficiles entre Shing et Lok-yun : le titre original en chinois se traduit par père et fils. Shing pense avoir une idée : celle d'apprendre à son fils à voler. La nuit, il s'introduit dans des maisons de gens fortunés pour dérober des bijoux ou de l'argent.
Auparavant, le père l'avait initié chez la voisine. Le petit Lok-yun avait volé la tirelire de son camarade d'école. Il faut dire que son père lui met une pression énorme. Il n'hésite à aucun moment à culpabiliser son fiston, à lui reprocher qu'il est, lui aussi, responsable du départ de sa mère et qu'une fois les dettes payées, elle reviendra à la maison. Et ces vols, Tam les filme d'abord comme un jeu, de manière pratiquement comique. Certes, le gamin trouve anormal de faire cela, mais ce sont son hésitation et sa maladresse qui font sourire. Puis, le père insiste pour qu'il continue et ce jeu se transforme en véritable tragédie quand les occupants l'attrapent et que le père, en vrai salaud irresponsable, l'abandonne à son sort. Là, on ne rit plus du tout.
After this our exile résiste à la tentation de plonger à corps perdu dans la pathétique le plus lacrymal. La grande force du film tient d'abord dans l'interprétation en tous points remarquables des deux acteurs principaux. Aaron Kwok tout en colère rentrée dans son personnage de père désemparée et Goum Ian Iskandar, dont c'est le premier film et qui du haut de ses dix ans est dirigée admirablement (on sait que diriger correctement un enfant est un art difficile et lui donner des dialogues stupides est un écueil évité ici). After this our exile est aussi un film qui parvient à garder un rythme alerte tout au long de ses 2h40 de projection (à Hong Kong, le film est sorti dans une version plus courte de vingt minutes). Patrick Tam soigne avec un soin tout particulier son montage : il n'hésite jamais à donner dans la sécheresse, à provoquer une ellipse pour arriver à la scène suivante. Le spectateur est constamment en haleine au fil du film. After this our exile parvient à dresser un portrait de la paternité avec de simples ingrédients qui le rapprochent pratiquement du documentaire ce qui est une chose rare à Hong Kong. Le dernier exemple en date doit être Made in Hong Kong de Fruit Chan. C'est ce qui en fait sa grande valeur.
Jean Dorel
After this our exile (父子, Hong Kong, 2006, 140 minutes) Un film de Patrick Tam avec Aaron Kwok, Charlie Young, Kelly Yin, Valen Hsu, Goum Ian Iskandar, Allen Lin.
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