Shanghai Express est un film d'un autre temps. Une époque désormais révolue dans le cinéma de Hong Kong : celle des comédies d'action à gros budget avec une distribution de rêve. Il date d'une des périodes les plus fécondes pour le fan du genre (j'en suis) qui fût, alors, totalement ignorée en France. En 1986, quand Shanghai Express sort dans l'ancienne colonie britannique, le cinéma hongkongais est méprisé par la critique (à de rares exceptions) et n'est pas distribué en salles (sauf pour quelques Jackie Chan en VF). La France sort d'une décennie (1973-1983) de cinéma de quartier où le tout venant du cinéma kung-fu bon marché (alors appelé film de karaté) avait eu pour conséquence de rendre tricard la nouvelle génération de cinéastes et d'acteurs. Il faudra attendre 1995 pour rendre ses lettres de noblesse au cinéma cantonais (The Killer de John Woo est sorti six ans après son tournage, on commence à découvrir Wong Kar-wai) grâce au travail de nos pères spirituels, l'équipe du magazine HK Orient Extrême Cinéma. Aujourd'hui, tout le monde peut découvrir le génial Shanghai Express.
Sammo Hung a pu bénéficier d'un gros budget pour tourner son film. C'est la Golden Harvest qui produit et, n'ayons pas peur des mots, c'est la meilleure société des années 1980. Sammo s'est entouré des plus grandes stars de l'époque. Une distribution impressionnante : Sammo lui-même dans le rôle du gentil bandit, mais aussi son compagnon Yuen Biao, qui interprète un pompier puis un sherif (le seul personnage positif), Kenny Bee (un agent fédéral), Eric Tsang (un braqueur stupide), Richard Ng (un mari volage) et aussi Cynthia Rothrock, Yuen Wah, Rosamund Kwan, Chin Kar-lok, Meng Hoi, Jimmy Wang-yu, Wu Ma, Lam Ching-yin pour les plus connus. Quiconque apprécie le cinéma de Hong Kong d'abord et avant tout pour ses acteurs ne peut pas passer à côté de Shanghai Express. On remarquera que Jackie Chan est absent. Il tournait alors, seul, Mister Dynamite avec beaucoup de difficultés. Shanghai Express est sorti pendant le Nouvel An Lunaire et a été le deuxième plus gros succès public de 1986 juste après Le Syndicat du crime de John Woo.
Ce qu'il y a d'épatant avec Sammo Hung, c'est qu'il ose tout. Aussi pour Shanghai Express, il décide d'en faire un pastiche de western. L'action se déroule dans le village natal du personnage de Sammo. Dans sa grande générosité, il veut y ouvrir un bordel et y emmène ses cinq " poules " pour attirer les clients. Par chance, cette ville est sur le tracé de la nouvelle ligne de chemin de fer qui vient d'être inaugurée. Sammo va faire exploser les rails pour que les voyageurs viennent dans son hôtel tout récemment acheté. Seulement voilà, il n'est pas le seul à vouloir attaquer le train. Il y a aussi la bande de Eric Tsang. Une équipe de bras cassés qui espère bien dépouiller les riches voyageurs, car c'est un train de luxe. Et il y a aussi la triade de Shih Kien, aidée par des mercenaires menés par Cynthia Rothrock, qui entendent récupérer une vieille carte indiquant le tombeau de Qin, carte que détiennent trois samouraïs japonais. Cela ne vous paraît pas suffisant comme scénario ? Qu'à cela ne tienne ! On y trouve aussi une foule de sous intrigues, comme celle de Richard Ng qui cherche constamment à échapper à sa grosse femme pour retrouver sa maîtresse. Ou encore ces deux passagers M. Wong et son gamin adepte des arts martiaux. Le premier s'appelle Fei-hung et immédiatement on entend le célèbre thème de Wong Fei-hung.
Comédie d'action. Comédie certes. Sammo Hung use de nombreux procédés. Burlesque pur, comme dans la séquence introductive où Sammo apparaît en caleçon dans la neige et fait le pitre. Eric Tsang n'est pas avare non plus de grimaces. Il campe un personnage bien bas du plafond qui rate tout ce qu'il entreprend. Pur vaudeville avec les séquences de Richard Ng, à la fois dans le train (il monte sur le toit pour retrouver sa maîtresse), puis dans une chambre d'hôtel où se cachent une bonne douzaine de personnes. Et les actrices ne sont pas en reste, même si on peut penser que le film est très misogyne : elles sont soit des prostituées, soit une épouse castratrice, soit une maîtresse légère. Mais, l'humour de Sammo Hung passe aussi par cette misogynie, finalement bon enfant. Le film est aussi truffé d'anachronismes (Wong Fei-hung enfant, quelle idée ?) et de références au western qui offrent un décalage bienvenu.
Action évidemment. Sammo Hung est un pur chorégraphe qui propose toujours des combats assez vigoureux, voire violents. Il ne faut pas rater celui entre Yuen Biao et lui au bord du chemin de fer. Leur vivacité est d'autant plus grandiose et impressionnante que leurs caractères physiques s'opposent. Sammo Hung se bat, dans le final, avec Cynthia Rothrock et là encore, ils ne sont pas tendres entre eux. Ils tombent sur des meubles, écrasent des bancs, se prennent des coups de pied. Ça doit faire mal. Côté cascades, les acteurs ne sont pas en reste : on tombe du troisième étage, du toit d'un immeuble, le tout filmé en plan fixe. Tout le monde virevolte pour notre plus grand plaisir. Sammo Hung réussit, avec une grande limpidité, à tout sublimer son projet. Casting de rêve, action débridée, scénario échevelé, tout concorde à faire de Shanghai Express un chef d'œuvre.
Jean Dorel
Shanghai Express (The Millionaires Express, 富貴列車, Hong Kong, 1986, 98 minutes) Un film de Sammo Hung avec Sammo Hung, Yuen Biao, Rosamund Kwan, Kenny Bee, Yuen Wah.
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