Comment faire l’amour sans trop se fatiguer ? En tournant un porno, répondent en chœur, les quatre jeune hongkongais dans AV, la comédie sentimentale et sexuelle de Pang Ho-cheung.
Quand quatre potes se rencontrent entre eux dans un café, que peuvent-ils bien se raconter ? Des histoires de cul, bien sûr ! Le mieux est d'être graveleux, d'épater les autres, de révéler l'aventure d'une nuit avec une fille dans les moindres détails. C'est ce que fait Derek au tout début de AV. Il n'hésite surtout pas à mimer. Les autres, à côté de lui, bouches bées, n'en croient pas leurs oreilles. Qui sait si Derek a vraiment vécu ça ? Est-ce que l'idée même de raconter une aventure sexuelle n'est pas déjà la vivre ? C'est cela que veut exprimer le cinéaste. Car immédiatement arrivent des filles dans le café, et là les garçons ne parlent plus de cul, mais du beau temps. On ne mélange pas les sexes autrement qu'en fiction dans le cinéma de Pang Ho-cheung.
Prenons l'exemple de Kar-lok. Il est en dernière année dans une école de cinéma. Son fantasme est de coucher avec une étudiante de l'université catholique de Hong Kong. Pour arriver à ses fins, il l'engage dans son film de fin d'étude et tourne une scène chaude dans un ascenseur. Or, si Kar-lok n'a d'autre intention que de la séduire, la jeune étudiante est persuadée qu'une carrière d'actrice va s'ouvrir devant elle. Cette scène hot, Kar-lok l'a bel et bien filmée. Et les quatre potes vont le saouler pour pouvoir fouiller dans sa chambre et regarder la vidéo (cachée dans le dvd de Stalker de Tarkovski.) Kar-lok a sublimé son fantasme, et pour cela il sera renvoyé de l'école de cinéma. Mais les autres, puisque cette histoire ne les regarde pas, n'arrivent pas à rentrer dans le film. Ça ne les concerne pas. Ils ont l'idée superbe de tourner leur propre film porno, leur AV, tout obsédés qu'ils sont par leur propre sexualité.
Problème : comment trouver de l'argent pour engager l'actrice de porno japonaise qui les fait fantasmer ? Car ces quatre garçons, et surtout Jason, sont fans de Amamiya Manami (qui joue dans AV son propre rôle.) Son cachet est de 200.000 HK$. Il faudra bien trouver cette somme. On les voit donc tenter de réfléchir tout en glandant, car la paresse est leur activité favorite. Là, Pang Ho-cheung insère à son récit des images d'archive d'une manifestation étudiante datant de 1971. Son intention est claire et n'a pas varié depuis son premier film : la liberté est la dernière conquête à acquérir, et cette liberté passe d'abord par l'épanouissement sexuel. Hong Kong est toujours aussi coincé. Et Derek, Jason et ses amis pour aller vers leur quête obsessionnelle ont besoin de 200.000 HK$. Ils vont les emprunter en proposant à un fonctionnaire les projets les plus incongrus. Le fonctionnaire reste pantois devant leurs projets. Il est interprété par Eric Kot qui propose sa plus belle tête d'ahuri lorsque Jason demande de l'argent pour un cylindre permettant de ne pas tricher au jeu du ciseau-pierre-papier.
Qu'on se rassure, ils vont réussir à convaincre Eric Kot de donner de l'argent. Ils vont fonder une fausse société de films pornographiques, la Professional Pictures. Ils vont engager Mademoiselle Amamiya. Ils vont embaucher Kar-lok, l'ancien étudiant, comme réalisateur, qui s'avèrera bien capricieux. L'équipe technique sera composée d'étudiants, également mécènes, qui pourront se rincer l'œil pendant le tournage. Et les acteurs principaux, ce seront tout simplement Derek, Jason, Leung et Fatty, nos quatre traîne-savates. Seulement voilà, entre la théorie et la pratique, il y a un fossé. Et les frustrations de chacun des protagonistes vont resurgir comme par enchantement. Fatty, l'obèse, est angoissé par l'idée d'être puceau. C'est lui qui doit ouvrir le bal. Leung est très timide. Derek et son bonnet constamment vissé sur la tête a des petits problèmes d'érection. Et Jason tombe amoureux de l'actrice. Rien que ça. Ajoutons à cela les velléités auteuristes de Kar-lok, le fan de Tarkovski, réalisateur du film. Et le fait que les gens qui ont donné leur accord pour tourner un film étudiant se rendent compte que c'est un porno qui est en train de se faire. Bref, rien ne fonctionne comme prévu.
Certes, ils auront couché avec la belle actrice japonaise. Mais pas pour de vrai, pour un porno. Une fois l'aventure terminée, ils devront se retrouver. Ils devront vivre à nouveau leur vie d'étudiants. C'est vrai, les obstacles les auront fait mûrir. Mais derrière la comédie sexuelle qu'est AV, se cache une profonde mélancolie qui fait toute la grandeur du cinéma de Pang Ho-cheung.
Jean Dorel
AV (Hong Kong, 2005, 90 minutes) Un film de Pang Ho-cheung avec Derek Tsang, Laurence Chou, Wong You-nam, Amamiya Manami
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