Syndromes and a century, le nouveau film d'Apichatpong Weerasethakul, nous plonge dans le monde des médecins. Envoutant. Apichatpong Weerasethakul n'est pas un cinéaste facile. Mais déjà cette simple phrase pose une question que l'on n'est pas prêt de résoudre. Tout simplement, est-ce que AW est un cinéaste ? Est-ce que ses films sont du cinéma ? Suffit-il de produire des images, de les monter, de les montrer dans des festivals puis au public pour que cela soit déjà du cinéma ? Ces questions préliminaires peuvent sembler verbeuses, mais j'ai toujours eu un problème avec les images d'AW. En voyant son précédent long métrage, Tropical malady, j'en été arrivé à la conclusion définitive que Weerasethakul ne faisait pas du cinéma mais de l'art contemporain. Impression confortée par la vision douloureuse des œuvres antérieures, notamment Mysterious object at noon.
Il faut pourtant le reconnaître, dans Syndromes and a century il y a plus de cinéma que d'art contemporain. C'est déjà une bonne nouvelle. Le nouveau film d'AW, comme Je ne veux pas dormir seul de Tsai Ming-liang est parti d'un projet international consacré au 250ème anniversaire de Mozart. Certes, le film n'a aucun rapport apparent avec le compositeur autrichien, si ce n'est qu'une bonne partie du financement vient d'Autriche. A moins que la composition même des plans, puis des séquences ne soit vue comme une variation sur un même thème, une fugue.
Syndromes and a century est clairement divisé en deux parties de durée égales séparées par des doux travellings autour d'une statue de Bouddha et de celle du fondateur d'un hôpital dans lequel le film se déroule. Godard, autre cinéaste qui a toujours versé – souvent avec excès – dans l'art contemporain, disait souvent que c'était dans la conjonction de coordination qu'il fallait chercher le sens d'un film. Des syndromes et un siècle. Quel drôle de titre. Encore plus énigmatique que les autres titres du réalisateur thaï. On cherche – en vain, encore une fois – le sens profond que et peut lier entre les deux termes. Ou alors, faut-il voir au ras des pâquerettes, la vision d'AW de la médecine à travers le siècle.
Les deux parties de Syndromes and a century se ressemblent comme deux gouttes d'eau. Ou presque. La mémoire du spectateur est le moteur même de la mise en scène de Weerasethakul. On voit des médecins face à des patients (champ) et une heure plus tard des patients face à des médecins (contrechamp). Les dialogues sont répétés comme dans un miroir, cela produit un effet de fascination assez agréable et pour tout dire, cela invente une humour proche du comique de répétition. Tout est inversé : homme/femme, campagne/ville, extérieur/intérieur, lumière naturelle/néons.
Ce qui plait le plus dans Syndromes and a century est sa galerie de personnages, tous interprétés par des proches du cinéaste, tous plus ou moins non professionnels. Un moine veut devenir DJ. Un dentiste qui chante. Une vieille dame qui fait de la télé. Ce qui plait aussi, ce sont certaines discussions, certaines situations comme cette réunion prétendument de travail où une dame, apparemment très respectable, sort une bouteille et invite tous ses collègues à venir boire un coup. La salle se remplit comme dans un film des Marx Brothers jusqu'à ce que le chef de l'hôpital vienne engueuler ce petit monde qui discutait de tout, de rien et prenait conseils entre eux.
Alors quand se termine le film, le spectateur a un étrange sentiment d'hypnose. A vrai dire, Syndromes and a century est un film futile en tant qu'il ne semble pas donner une portée politique quelconque. Tout cela ressemble à une discussion entre très bons amis. En revanche, l'envoûtement qu'il provoque pour qui veut bien s'en donner la peine (il ne faut pas avoir vu une film de Takashi Miike avant de s'engager dans Syndromes and a century) demeure un mystère. Aussi mystérieux qu'un tour de magie.
Jean Dorel
Syndromes and a century (แสงศตวรรษ, Thaïlande – France – Autriche, 2006) Un film de Apichatpong Weerasethakul avec Arkanae Cherkam, Jaruchai Iamaram, Sakda Kaewbuadee, Sin Kaewpakpin, Nu Nimsomboon, Jenjira Pongpas, Sophon Pukanok, Nantarat Sawaddikul, Wanna Wattanajinda.
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