Au
bout de 24 films et de dix années à incarner Zatoichi, Shintaro Katsu passe
enfin derrière la caméra pour se mettre lui-même en scène dans l’un des films
les plus sombres de la saga. Aucune musique dans le générique, uniquement des
cartons donnant les noms de l’équipe sur fond noir. Non pas que certains
précédents films n’aient pas été particulièrement sinistres, mais dans La Blessure aucun humour ne surgit ici
ou là, aucun espoir n’est permis pour les personnages.
Si
le film commence par la mort d’une vieille femme, pour la première fois, c’est
un personnage qui ne voulait pas de mal à Zatoichi. La dame jouait du shimusen,
il a pris plaisir à l’écouter. Il lui a donné une pièce mais le pont sur lequel
ils se trouvaient était fragile. Elle glisse et meurt. Auparavant, elle aura eu
le temps d’évoquer sa fille (sans dire son prénom) et le bordel d’Ogiya dans
lequel elle travaille. Rempli de culpabilité, Zatoichi décide de partir libérer
la fille de cette veille dame.
Sombre,
le film l’est aussi dans sa description du bordel Ogiya peuplé d’hommes
libidineux et crasseux qui cherchent à coucher avec des femmes visiblement
apeurées. La mère maquerelle, avec son sourire vicieux de la femme qui manipule
ses « protégées » toutes endettées, travaille main dans la main avec
le parrain local. Ce sont d’ailleurs les yakuzas qui constituent la majorité
des clients de la maison close. Autant dire que l’arrivée de Zatoichi ne
réjouit pas le parrain et ses sbires qui ont mis une prime sur la tête du
masseur.
L’aspect
sexuel traverse tout le film de Shintaro Katsu. C’était logique tant les épées
et autre dagues sont des symboles phalliques. Les personnages ne parlent
d’ailleurs que de sexe. Nishiki, la jeune femme qui veut libérer le masseur,
est au centre des convoitises d’un jeune yakuza qui ne supporte pas que
Zatoichi ait pu racheter sa dette. Les hommes du parrain obligent le fou du
village à se masturber en public. Un marchand corrompu a des vues sur la très
jeune Kaédé qui n’est pourtant qu’une serveuse de saké. Mais la maquerelle va
l’obliger à sa prostituer.
Ce
sont ces deux femmes qui charpentent le récit de La Blessure. Nishiki se plait plutôt dans le bordel. Elle voit en
cachette son amant, le jeune yakuza cité plus haut. Zatoichi en la libérant
cherche à changer sa mentalité. Elle ne comprend pas pourquoi il ne veut pas
coucher avec elle puis se prend de sympathie pour lui. Kaédé représente, en
contraste, l’innocence incarnée. Elle protège son petit frère, un gamin courageux
qui va se faire tuer à grands coups de bâton par le parrain dans une séquence terrifiante
de cruauté.
Shinatro
Katsu, en tant que réalisateur, s’inspire largement de la mise en scène
formelle de son mentor Kenji Misumi. Filmé souvent de nuit, La Blessure multiplie les clairs
obscurs sur les visages pour accentuer l’aspect funeste du récit. Il place
également souvent des obstacles devant les corps et visages, barreau, rideau,
paravent, filets de pèche. Il alterne les longs plans séquences (la discussion
en ouverture sur le pont) avec un montage très haché. Il se permet aussi de
reprendre intégralement une des plus fameuses scènes de jeu de dés vue dans Voyage
en enfer.
Mais
c’est surtout physiquement que le film est le plus éprouvant. Outre cette scène
de meurtre d’enfant, la cruauté du parrain et de l’homme d’affaires qui
martyrisent les pêcheurs pour encore plus les racketter (ils brûlent leurs
bateaux en observant de loin leur sale besogne), c’est Shintaro Katsu acteur
qui est le plus brimé par Shintaro Katsu réalisateur. La blessure qui illustre
le titre français détruit ce que le masseur aveugle a de plus précieux :
ses mains que le parrain mutile, comme si il fallait annoncer la fin définitive
des aventures de Zatoichi.
La
Légende de Zatoichi 24 : La Blessure (新座頭市物語・折れた杖, Japon, 1972)
Un film de Shintarô Katsu avec Shintarô
Katsu, Kiwako Taichi, Kyoko Yoshizawa, Yasuhiro Koume, Katsuo Nakamura, Asao
Koike, Joji Takagi, Masumi Harukawa, Yoshihiko Aoyama, John Fujioka, Naoe
Fushimi, Kazuko Tajima, Takeshi Yabuuchi, Satoko Yamamura, Hideji Ôtaki.
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