mercredi 5 mars 2014

La Légende de Zatoichi 24 : La Blessure


Au bout de 24 films et de dix années à incarner Zatoichi, Shintaro Katsu passe enfin derrière la caméra pour se mettre lui-même en scène dans l’un des films les plus sombres de la saga. Aucune musique dans le générique, uniquement des cartons donnant les noms de l’équipe sur fond noir. Non pas que certains précédents films n’aient pas été particulièrement sinistres, mais dans La Blessure aucun humour ne surgit ici ou là, aucun espoir n’est permis pour les personnages.

Si le film commence par la mort d’une vieille femme, pour la première fois, c’est un personnage qui ne voulait pas de mal à Zatoichi. La dame jouait du shimusen, il a pris plaisir à l’écouter. Il lui a donné une pièce mais le pont sur lequel ils se trouvaient était fragile. Elle glisse et meurt. Auparavant, elle aura eu le temps d’évoquer sa fille (sans dire son prénom) et le bordel d’Ogiya dans lequel elle travaille. Rempli de culpabilité, Zatoichi décide de partir libérer la fille de cette veille dame.

Sombre, le film l’est aussi dans sa description du bordel Ogiya peuplé d’hommes libidineux et crasseux qui cherchent à coucher avec des femmes visiblement apeurées. La mère maquerelle, avec son sourire vicieux de la femme qui manipule ses « protégées » toutes endettées, travaille main dans la main avec le parrain local. Ce sont d’ailleurs les yakuzas qui constituent la majorité des clients de la maison close. Autant dire que l’arrivée de Zatoichi ne réjouit pas le parrain et ses sbires qui ont mis une prime sur la tête du masseur.

L’aspect sexuel traverse tout le film de Shintaro Katsu. C’était logique tant les épées et autre dagues sont des symboles phalliques. Les personnages ne parlent d’ailleurs que de sexe. Nishiki, la jeune femme qui veut libérer le masseur, est au centre des convoitises d’un jeune yakuza qui ne supporte pas que Zatoichi ait pu racheter sa dette. Les hommes du parrain obligent le fou du village à se masturber en public. Un marchand corrompu a des vues sur la très jeune Kaédé qui n’est pourtant qu’une serveuse de saké. Mais la maquerelle va l’obliger à sa prostituer.

Ce sont ces deux femmes qui charpentent le récit de La Blessure. Nishiki se plait plutôt dans le bordel. Elle voit en cachette son amant, le jeune yakuza cité plus haut. Zatoichi en la libérant cherche à changer sa mentalité. Elle ne comprend pas pourquoi il ne veut pas coucher avec elle puis se prend de sympathie pour lui. Kaédé représente, en contraste, l’innocence incarnée. Elle protège son petit frère, un gamin courageux qui va se faire tuer à grands coups de bâton par le parrain dans une séquence terrifiante de cruauté.

Shinatro Katsu, en tant que réalisateur, s’inspire largement de la mise en scène formelle de son mentor Kenji Misumi. Filmé souvent de nuit, La Blessure multiplie les clairs obscurs sur les visages pour accentuer l’aspect funeste du récit. Il place également souvent des obstacles devant les corps et visages, barreau, rideau, paravent, filets de pèche. Il alterne les longs plans séquences (la discussion en ouverture sur le pont) avec un montage très haché. Il se permet aussi de reprendre intégralement une des plus fameuses scènes de jeu de dés vue dans Voyage en enfer.

Mais c’est surtout physiquement que le film est le plus éprouvant. Outre cette scène de meurtre d’enfant, la cruauté du parrain et de l’homme d’affaires qui martyrisent les pêcheurs pour encore plus les racketter (ils brûlent leurs bateaux en observant de loin leur sale besogne), c’est Shintaro Katsu acteur qui est le plus brimé par Shintaro Katsu réalisateur. La blessure qui illustre le titre français détruit ce que le masseur aveugle a de plus précieux : ses mains que le parrain mutile, comme si il fallait annoncer la fin définitive des aventures de Zatoichi.

La Légende de Zatoichi 24 : La Blessure (新座頭市物語・折れた杖, Japon, 1972) Un film de  Shintarô Katsu avec Shintarô Katsu, Kiwako Taichi, Kyoko Yoshizawa, Yasuhiro Koume, Katsuo Nakamura, Asao Koike, Joji Takagi, Masumi Harukawa, Yoshihiko Aoyama, John Fujioka, Naoe Fushimi, Kazuko Tajima, Takeshi Yabuuchi, Satoko Yamamura, Hideji Ôtaki.

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