dimanche 28 mars 2010

Comment Yukong déplaça les montagnes (4) Une femme une famille


En 1973, dans une banlieue de Pékin, Joris Ivens et Marceline Loridan sont allés filmés Kai Chu-lan, une femme d’une trentaine d’années, mère de trois enfants, mariée et qui vit avec sa belle-mère. Les deux cinéastes sont allés se rendre des progrès et des résultats de la Révolution Culturelle sur le peuple. Comme Ivens est un vieux communiste et que les vieux communistes ont du mal à renier la doctrine, Une femme une famille va déployer sur 1h50 de documentaire la beauté de l’idéologie et de la pensée Mao Tsé-toung.


Deux séquences frappent sur la volonté des cinéastes de montrer l’amélioration de la vie en 1973. En début de film, on voit un marché extrêmement abondant. Sur les étals, de nombreux légumes sont en vente pour des prix très bas. Il y a une grande variété de légumes qui sont très frais. Mais, il n’y a personne qui semble vouloir acheter les légumes. Paradoxe. On doit vite comprendre qu’il s’agit d’une mise en scène. La séquence suivante est encore plus caractéristique. Nous sommes chez le boucher. Deux clientes veulent acheter de la viande. La première veut une viande bien grasse, la deuxième de la viande maigre, nous explique la voix off. Eloge du choix, de la démocratie. Chacun va trouver viande à son goût. Les deux clientes ont un grand sourire. Le spectateur d’aujourd’hui se demande si elles vont avoir la chance de garder ces gros morceaux de viande une fois la caméra coupée. On l’espère pour elles.


Nous sommes dans une nouvelle Terre d’Abondance où, enfin, les Chinois mangent à leur faim, ce qui était vrai à l’époque quand la RévoCul s’est achevée. Les enfants jouent avec insouciance dans la rue et trois générations vivent en harmonie dans l’appartement (où d’ailleurs on n’aperçoit pas de portrait de Mao. Kai Chu-lan, c’est le présent. Une femme qui travaille et qui élève ses enfants avec son mari. Loridan pose une question étrange : « y a-t-il parfois des contradictions entre le mari et la femme ? » De quoi veut-elle parler ? Contradiction politique ou querelle de couple ? On constate que Loridan est clairement dans le langage maoïste. Mais le voisin réponde que bien entendu les gens ont encore des querelles. Pourtant le loyer n’est pas cher. Il n’y a pas d’impôts. La famille ne paie que l’électricité et l’eau courante.


Les enfants, c’est l’avenir. Ils étudient mais parfois les parents doivent corriger leur déviance. La fille a acheté un pantalon neuf et elle se fait engueuler parce qu’elle fait preuve de coquetterie. Il arrive la même chose à Kai Chu-lan à qui ses camarades reprochent de trop se mettre en valeur. La grand-mère, c’est le passé. Fiancée à huit ans, échangée contre un cochon, traditionnellement elle a eu les pieds brisés pour qu’ils restent petits. Elle affirme être contente que la nouvelle société aie mis fin à la société féodale. La vieille dame ne parle pas beaucoup, ne sourit guère. Elle ne semble pas dupe des changements et de l’endoctrinement récité pour la caméra par le reste de la famille. On sait bien aujourd’hui ce que fût la RévoCul pour des millions de Chinois. Le film est convaincant sur les avancées, les cinéastes sont aveugles devant ce qu’on leur a autorisé à filmer.


Joris Ivens sort quelques aphorismes creux sur la gloire du communisme et le succès de la Révolution Culturelle. Une femme une famille s’achève sur une séquence et un plan édifiants de catéchisme communiste. On apprend que dans le petit lot de maisons où habite Kai Chu-lan et sa famille, vivent également six autres familles, soit trente personnes de tous âges. Evidemment, tout le monde s’entend bien. Deux joueurs de luth viennent produire un peu de musique. Et le plan final prend tous les habitants dans le même champ pour bien montrer l’harmonie de la nouvelle société chinoise. Le cadre est strictement publicitaire pour ne pas dire issu de la propagande du réalisme socialiste.


Comment Yukong déplaça les montagnes (4) Une femme une famille, Banlieue de Pékin (France, 1976) Un film documentaire de Joris Ivens et Marceline Loridan.

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