mardi 5 mars 2013

La Rue sans fin


Dernier film muet de Mikio Naruse, La Rue sans fin est l’adaptation d’un roman à l’eau de rose de Komatsu Kitamura, écrivain très populaire à l’époque. Mikio Naruse, comme à son habitude aime filmer les extérieurs, les néons, les gens qui marchent dans la rue. Ce qu’il y a de formidable dans son cinéma est cette impression de documentaire pour ces quelques scènes en extérieur : on découvre ce quartier de Ginza en 1934. C’est cette immersion dans le réel, cette sortie des studios qui rendent souvent ses films si vivants et finalement encore très modernes dans leur mise en scène aujourd’hui. Malgré les sujets et le ton parfois mélodramatique avec un scénario aux nombreux personnages et aux rebondissements fréquents. Le personnage central est la jeune et belle Sugiko (Setsuko Shinobu) qui travaille dans un café chic au milieu du quartier de Ginza.

Jusque là Sugiko menait une vie sans problème. Elle habite en colocation avec Kesako (Chiyoko Katori) qui est également sa collègue. Le café où elle travaille est rempli de mondains dont certains travaillent dans le cinéma. Les deux filles se voient d’ailleurs proposer de travailler dans le cinéma. Mikio Naruse ironise sur le vedettariat, les starlettes font l’actualité dans les journaux que lisent les personnages mais elles changent très vite, les jeunes actrices ne sont que de la chair vite périmée, semble dire le cinéaste. Cela n’empêchera pas Kesako de profiter de l’occasion pour faire l’actrice. Parce qu’elle a une belle âme, elle fait embaucher leur ami Shinkichi (Shinichi Himori), un jeune peintre sans le sou qui va dessiner des décors de cinéma. Assez vite Kesako va trouver ce milieu superficiel et quitter la profession pour redevenir serveuse.

Tout va changer dans la vie de Sugiko quand elle rencontre Hiroshi Yamanouchi (Hikaru Yamanouchi), un fils de bonne famille. Tandis qu’elle se rend à un rendez-vous avec Harada (Ichiro Yuki), son fiancé, l’automobile d’Hiroshi la renverse dans la rue. Honteux, ce dernier vient lui rendre une visite de courtoisie à l’hôpital. Ils tombent amoureux l’un de l’autre et se marient. Seulement voilà, la mère et la sœur d’Hiroshi ne voient pas d’un bon œil l’arrivée de cette bru sorti d’on ne sait où. Petit à petit, elle doit tout abandonner. Son travail d’abord, puis sa liberté. Elle doit être maîtresse de maison, s’adresser aux domestiques comme à des inférieurs, porter la tenue traditionnelle. Le film s’attaque au féodalisme familial et le dénonce en tant que tel. Le film se réfère au Lieutenant souriant d’Ernst Lubitsch où Maurice Chevalier, jeune marié à une princesse, devait se conformer à l’étiquette et perdait son amour pour sa femme. Le parcours amoureux de Sugiko et Hiroshi est le même.

La Rue sans fin est le dernier film que tourne Mikio Naruse pour la Shochiku. On sait que le réalisateur ne s’entendait plus avec la société de production, malgré les succès publics et critiques. Il est difficile de ne pas voir dans cette dénonciation du féodalisme, comme dans celle du star system des actrices, la lassitude du cinéaste à devoir tourner des films imposés, et surtout des romances à l’eau de rose. En regardant ce film, l’impression que Naruse a abandonné toute volonté de faire un film personnel se fait de plus en plus forte. On retrouve rarement son style vif, si ce n’est dans le finale où il filme sous plusieurs points de vue son actrice tétanisée par le dénouement douloureux de son histoire amoureuse. Ainsi, le film vaut le coup d’œil pour sa portée critique à double niveau sur le cinéma japonais.

La Rue sans fin (限りなき舗道, Japon, 1934) Un film de Mikio Naruse avec Setsuko Shinobu, Chiyoko Katori, Hikaru Yamanouchi, Nobuko Wakaba, Shinichi Himori, Ayako Katsuragi, Ichiro Yuki.

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