« Bon,
je commence au début ». C’est la première phrase que prononce He Fengming,
vieille dame au centre du long documentaire (3heures et 04 minutes) que Wang
Bing lui consacre. Elle s’assoit dans son salon, la caméra sera fixe et ne
bougera guère, si ce n’est dans le plan d’ouverture où le cinéaste la filme de
dos dans la rue tandis qu’elle rentre chez elle sous la neige. Le début, c’est
en 1949 dans la ville de Lanzhou. Jeune femme, elle abandonne ses études pour
entrer dans un journal communiste. Mao Tsé-toung vient de gagner la guerre
civile et il est au pouvoir. Elle concède que naïvement, elle voulait changer
la Chine et s’engager dans la lutte des classes. Elle se considère comme une
bonne militante, elle porte l’uniforme avec fierté, elle applique les
directives du parti. Elle se marie avec Wang Jingchao, elle a deux enfants avec
lui, ils s’aiment, la vie est belle.
En
mai 1957, la musique change de ton. Fengming part pour la première fois de sa
vie en voyage à Pékin. Quand elle revient à Lanzhou, une nouvelle directive
annonce que la chasse aux « droitiers » est lancée. Les droitiers
sont des membres du parti qui semblent dévier de la ligne officielle
révolutionnaire. Jingchao écrit, suivant l’appel dit des 100 fleurs, un article
fort apprécié dans le journal. Il critique vertement les cadres qui s’enfoncent
dans la bureaucratie. Le deuxième texte commence à susciter des réactions plus
contrastées. Le troisième texte n’est pas publié. Les humiliantes séances de
critiques, seul face à une centaine de ses collègues, commencent. Puis c’est
Fengming, qui a écrit quelques dazibaos (tracts public), qui est accusée de
dérive droitière.
La
suite de l’histoire de Jiongchao et Fengming continue. Assise tranquillement
dans son fauteuil, elle explique qu’ils ont été séparés. Volontairement.
Persuadés par leur conviction qu’ils pourraient se réhabiliter très vite au
sein du parti, ils acceptent d’aller dans des camps de travail. Elle dans une
ferme collective, lui dans un camp au milieu du désert où il creuse une digue.
Ils ne se reverront jamais. Ils seront séparés de leurs enfants. C’était en
1960. Il mourra en camp. Elle l’apprendra en s’y rendant et les cadres du parti
qui la reçoivent ne prennent même pas la peine de la regarder. Fengming
continue son récit en expliquant qu’en 1969 lors de la Révolution Culturelle,
la machine s’emballe à nouveau, pour les mêmes raisons, celle de la soupçonner
d’être droitière. Puis, le film se termine par sa lutte pour la réhabilitation
de ces militants envoyés en camp et sa recherche de témoignages similaires au
sien.
La
grande force de Fengming, Chronique
d’une femme chinoise, au-delà du témoignage poignant de He Fengming, est
son dispositif d’une grande simplicité. Elle narre sa vie sur quarante ans sans
images d’archive, sans autre chose que le son de sa propre voix, sans
intervention ou question de Wang Bing. Mais elle est d’une telle précision dans
les détails (les aliments disponibles, les gens qu’elle rencontre, la
description des lieux où elle séjournait) comme dans l’analyse de ses
sentiments (sa naïveté devant la ligne du parti, sa peur des éventuelles
punitions, ses espoirs de retrouver son mari) que le récit est extrêmement
vivant, trouvant le mot juste y compris pour raconter les quelques moments de
joie. Le spectateur qui regarde le film, puisqu’elle est assise en face de lui,
produit mentalement et imagine, à force d’évocation, le scénario du
documentaire. Tout cela fonctionne grâce à la pudeur avec laquelle Fengming
raconte cela ne tombant jamais dans l’émotion facile et la mièvrerie.
Fengming,
Chronique d'une femme chinoise (和凤鸣, Chine – Hong Kong – France, 2007) Un film de Wang Bing.
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