mardi 23 avril 2013

Fengming, Chronique d'une femme chinoise


« Bon, je commence au début ». C’est la première phrase que prononce He Fengming, vieille dame au centre du long documentaire (3heures et 04 minutes) que Wang Bing lui consacre. Elle s’assoit dans son salon, la caméra sera fixe et ne bougera guère, si ce n’est dans le plan d’ouverture où le cinéaste la filme de dos dans la rue tandis qu’elle rentre chez elle sous la neige. Le début, c’est en 1949 dans la ville de Lanzhou. Jeune femme, elle abandonne ses études pour entrer dans un journal communiste. Mao Tsé-toung vient de gagner la guerre civile et il est au pouvoir. Elle concède que naïvement, elle voulait changer la Chine et s’engager dans la lutte des classes. Elle se considère comme une bonne militante, elle porte l’uniforme avec fierté, elle applique les directives du parti. Elle se marie avec Wang Jingchao, elle a deux enfants avec lui, ils s’aiment, la vie est belle.

En mai 1957, la musique change de ton. Fengming part pour la première fois de sa vie en voyage à Pékin. Quand elle revient à Lanzhou, une nouvelle directive annonce que la chasse aux « droitiers » est lancée. Les droitiers sont des membres du parti qui semblent dévier de la ligne officielle révolutionnaire. Jingchao écrit, suivant l’appel dit des 100 fleurs, un article fort apprécié dans le journal. Il critique vertement les cadres qui s’enfoncent dans la bureaucratie. Le deuxième texte commence à susciter des réactions plus contrastées. Le troisième texte n’est pas publié. Les humiliantes séances de critiques, seul face à une centaine de ses collègues, commencent. Puis c’est Fengming, qui a écrit quelques dazibaos (tracts public), qui est accusée de dérive droitière.

La suite de l’histoire de Jiongchao et Fengming continue. Assise tranquillement dans son fauteuil, elle explique qu’ils ont été séparés. Volontairement. Persuadés par leur conviction qu’ils pourraient se réhabiliter très vite au sein du parti, ils acceptent d’aller dans des camps de travail. Elle dans une ferme collective, lui dans un camp au milieu du désert où il creuse une digue. Ils ne se reverront jamais. Ils seront séparés de leurs enfants. C’était en 1960. Il mourra en camp. Elle l’apprendra en s’y rendant et les cadres du parti qui la reçoivent ne prennent même pas la peine de la regarder. Fengming continue son récit en expliquant qu’en 1969 lors de la Révolution Culturelle, la machine s’emballe à nouveau, pour les mêmes raisons, celle de la soupçonner d’être droitière. Puis, le film se termine par sa lutte pour la réhabilitation de ces militants envoyés en camp et sa recherche de témoignages similaires au sien.

La grande force de Fengming, Chronique d’une femme chinoise, au-delà du témoignage poignant de He Fengming, est son dispositif d’une grande simplicité. Elle narre sa vie sur quarante ans sans images d’archive, sans autre chose que le son de sa propre voix, sans intervention ou question de Wang Bing. Mais elle est d’une telle précision dans les détails (les aliments disponibles, les gens qu’elle rencontre, la description des lieux où elle séjournait) comme dans l’analyse de ses sentiments (sa naïveté devant la ligne du parti, sa peur des éventuelles punitions, ses espoirs de retrouver son mari) que le récit est extrêmement vivant, trouvant le mot juste y compris pour raconter les quelques moments de joie. Le spectateur qui regarde le film, puisqu’elle est assise en face de lui, produit mentalement et imagine, à force d’évocation, le scénario du documentaire. Tout cela fonctionne grâce à la pudeur avec laquelle Fengming raconte cela ne tombant jamais dans l’émotion facile et la mièvrerie.

Fengming, Chronique d'une femme chinoise (凤鸣, Chine – Hong Kong – France, 2007) Un film de Wang Bing.

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