mardi 23 avril 2013

Le Fossé


Trois ans après Fengming, Chronique d’une femme chinoise, Wang Bing poursuit son analyse des camps de travail en Chine. Le Fossé, son unique fiction à ce jour se déroule en 1960 au beau milieu du désert de Gobi. Il met en scène l’une des parties du récit que Fengming consacrait à son époux. La gageure est que la vieille dame n’as pas vécu ce qu’il a subi, Le Fossé apparait donc comme un contrepoint à sa propre vie. Il est d’abord difficile de différencier les différents personnages du film, sauf le cadre du parti qui chapote le camp et celui qu’il va choisir parmi les prisonniers pour le seconder. Cela fait partie du contrat du film, une immersion totale comme si le spectateur était un prisonnier, une entrée dans l’inconnu Puis, petit à petit, certains se détachent du récit. Il faut dire que les décès sont nombreux et qu’il n’en reste que peu à la fin du film.

L’immersion dans le camp se fait avec l’accueil par le cadre qui désigne à chaque prisonnier son trou. En effet, ils logent dans des cavernes creusées dans le sable. Une planche pour dormir, une couette pour survivre au froid de la nuit et de l’hiver rigoureux. Le travail consiste à creuser une digue au milieu du sable sous le soleil. Histoire de bien rendre inutile leur labeur. La nourriture est maigre, composée d’un bol de soupe au riz. La faim tenaille les ventres. Certains vont cueillir des graines dans les maigres plantes qui parviennent à pousser. Le cadre les gronde comme des enfants, argumentant qu’ils vont gonfler. L’un des prisonniers a tellement faim qu’il avale le vomi d’un de ses comparses. Le cadre du parti continue à avoir son bol de nouilles bien fumantes, histoire dans rajouter dans la démonstration du sort malheureux des antirévolutionnaires. Et les humiliations quotidiennes sur leur manque d’engouement au travail. Et chaque nuit, les morts qu’il faut enlever du dortoir.

La description de la vie se plie à la méthode de Wang Bing. Les détails sont montrés avec lenteur accentuant l’impression de lassitude et de répétition du même jour. L’atmosphère du camp est d’autant plus sinistre que les gardiens appliquent à un haut degré les absurdes recommandations du cadre du parti. Parce que les prisonniers meurent de faim et de fatigue la nuit, le cadre décide que le contremaître doit leur parler la nuit et les garder éveillés. Ce qui bien entendu augmente leur fatigue. On est chez Kafka. Au fur et à mesure du film, Wang Bing ne s’intéresse plus au travail des prisonniers mais aux relations qu’ils entretiennent entre eux entre désespoir et envie d’en finir. Et puis les vestes sont de plus en plus élimées, l’hiver apporte la neige. On se croirait dans un film de zombies, ils peinent à se déplacer, titubent, ils rampent. Ils vivent comme des rats qu’ils mangent pour avoir un peu de viande.  Le Fossé, à sa manière, est un film d’horreur.

La deuxième heure du Fossé voit l’arrivée d’un personnage féminin, inspiré de Fengming. Comme cette dernière, elle cherche son mari qui vient de mourir quelques jours auparavant. Cette partie convainc moins que la précédente, tant l’actrice se complait dans la création d’une émotion et dans l’expression appuyée de son chagrin. Elle déambule dans le désert enneigé à la recherche de la tombe de son époux. Quand on parle de tombe, ce sont en fait des monticules de sable tout juste déposés sur eux. Cependant l’horreur continue avec le récit d’un co-prisonnier qui explique la raison pour laquelle il ne veut dire où se trouve cette tombe : des parties de son corps ont été dévorées. Par des loups qui rodent ou par cannibalisme ? Le film laisse planer le doute. On retrouve dans cette deuxième partie plusieurs témoignages que Fengming donnait dans son film : le mépris du cadre (« Pourquoi n’as-tu pas divorcé ? Tu aurais du te désolidariser de ton mari » lui sort le cadre, la peur de dormir à côté de ses hommes, les victuailles qu’elle leur offre). Que ce soit dans Le Fossé comme dans Fengming, l’horreur des camps est décrite avec une acuité rarement égalée.

Le Fossé (The Ditch, 夹边, Hong Kong – France – Belgique, 2010) Un film de Wang Bing avec Cheng Zhengwu, Jing Niansong, Li Xiangnian, Lian Renjun, Lu Ye, Xu Cenzi, Yang Haoyu.

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