Unique
wu xia pian de Wong Kar-wai, Les Cendres du temps possède l'un des
castings les plus impressionnants du cinéma de Hong Kong des années 1990 :
Leslie Cheung, Jacky Cheung, Tony Leung Chiu-wai, Tony Leung Ka-fai (car
pourquoi n'avoir qu'un Tony Leung quand on peut en avoir deux) pour les
acteurs, Maggie Cheung, Charlie Young, Carina Lau et Brigitte Lin pour les
actrices. Cette dernière prendra sa retraite de cinéma après ses deux films
avec Wong Kar-wai. Le budget était l'un des plus importants de tous les temps,
le tournage a duré deux ans, période au milieu de laquelle il a tourné Chungking
Express, pour se reposer de la lourdeur du tournage des Cendres du temps. A sa sortie, le film
est souvent jugé incompréhensible, ce qui peut se comprendre, il a été accusé
d'avoir trahi les personnages littéraires créés par Jin Yong dont s'est
inspiré, mais le plus souvent le film a été admiré et comparé à Sergio Leone. Les Cendres du temps a ensuite été
entièrement remonté par Wong Kar-wai, la musique a été un peu modifiée,
Brigitte Lin a retrouvé sa voix originale en mandarin (elle parlait cantonais
en 1994 et le doublage était affreux). C'est cette version appelée « redux » et
sortie en mai 2008 dont je vais parler.
La
Chine représentée dans le film n'est pas celle mise en valeur les années
précédentes dans d'autres films inspirés de Jin Yong : pas de beaux costumes,
pas de belles demeures, pas de sabres rutilants. La beauté cinégénique, l’ultra
capacité à divertir ou le charme des Swordsman,
d'Evil cult ou
des Royal tramp,
tous adaptés de récits de Jin Yong, est à l'opposée de celle des Cendres du temps. C'est à The Blade,
sorti un an plus tard, que le film ressemble le plus. Leslie Cheung est Feng,
vit seul au beau du désert chinois. Il est habillé de haillons, ses cheveux et
sa barbe sont hirsutes et gras, sa demeure est délabrée. Feng est à la fois
narrateur (voix off régulière sur un ton monocorde) et personnage autour duquel
tous les autres protagonistes tournent. Le film égraine les saisons : printemps
puis été jusqu'à un deuxième printemps. Le sable est là, immuable, constant, de
couleur ocre. Toutes les scènes du film se dérouleront en plein jour, la lumière
intense du soleil sera transformée avec des filtres jaunes (à l'extérieur) et
en filtres verts (à l'intérieur). Au cours des cinq saisons les personnages se
succéderont pour rencontrer Feng.
Chacun
cherche un sabreur pour éliminer un adversaire, pour assouvir une vengeance,
pour soulager un amour déçu. Raconter le film comme si tout était narré par
Wong Kar-wai de manière linéaire ne correspondrait pas à ce que le spectateur
découvre à la vision des Cendres du
temps. Mais disons que Yang (Brigitte Lin) qui veut se venger de Yaoshi
(Tony Leung Ka-fai) qui s'est promis à Yin (Brigitte Lin, dans un double rôle
androgyne). Yaoshi, qui a quitté son épouse (Carina Lau) vient rendre visite
chaque printemps à son ami Feng et boit avec lui un peu d’alcool pour oublier
sa vie. Un sabreur aveugle (Tony Leung Chiu-wai) vient se battre contre les
voleurs de chevaux qui passent régulièrement par là. Lui aussi a été amoureux
du personnage de Carina Lau. Une jeune femme (Charlie Young) propose des œufs à
Feng. Qi (Jacky Cheung) vient achever l’œuvre entreprise par le sabreur aveugle
et a abandonné son épouse (Bai Li). Enfin, Maggie Cheung incarne l’ancienne
amoureuse de Feng, mais qui épousé son frère. Certains meurent, certains
disparaissent, certains traversent les saisons. Chaque personnage est
représenté par un objet, la cage à oiseau de Brigitte Lin, le panier d’œufs de
Charlie Young, les chaussures de Jacky Cheung, le foulard de Tony Leung Ka-fai.
Les
bribes de scénario, constituées essentiellement de dialogues banals, que filme
Wong Kar-wai ne sont rien à côté du morcellement des images concoctées par le
toujours fidèle chef opérateur Christopher Doyle. Tous deux expérimentent en
triturant les images, poussent le montage à créer des faux raccords (sans que
cela ne soit vraiment gênant), produisent des images hypnotiques avec les jeux
de la lumière. Le plus frappant est le jeu avec la cage à oiseau qui tourne
autour de Brigitte Lin et Leslie Cheung, projetant sur leurs visages des rayons
de lumière. Les gros plans en abondance continuent de perdre le regard du
spectateur sur les objets comme sur les visages. La décomposition des séquences
de combat chorégraphiées par Sammo Hung, séquences filmées au ralenti, crée un
flux d’images courtes où la violence le dispute à la poésie. Les Cendres du temps est un film qui ne
ressemble à aucun autre, c’est un film jusqu’au-boutiste et assez schizophrène
dans sa manière de vouloir offrir au spectateur un wu xia pian classique en n’en respectant aucune des règles
auxquelles le public s’attendait : Wong Kar-wai brûlait le cinéma de
sabres et en a filmé les cendres.
Les
Cendres du temps (Ashes of time, 東邪西毒, Hong Kong,
1994) Un film de Wong Kar-wai avec Leslie Cheung, Tony Leung Ka-fai, Brigitte
Lin, Tony Leung Chiu-wai, Maggie Cheung, Jacky Cheung, Carina Lau, Charlie
Young, Bai Li.
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