dimanche 21 avril 2013

The Land of hope


Comment filmer la catastrophe de Fukushima ? La méthode la plus simple aurait pu être dans la reconstitution des événements tragiques, d’en faire un film catastrophe avec toute la population affolée et évacuée de la zone irradiée et de faire un pamphlet sur l’imbécillité et l’égoïsme de l’homme face à la nature en argumentant sur l’incompétence des pouvoirs publics. Sono Sion dans The Land of hope fait exactement l’inverse et cela risque de décevoir bon nombre de ses fans hardcore habitués à l’énergie folle de la mise en scène du cinéaste japonais. Et d’abord, The Land of hope ne parle pas de Fukushima. Mieux que cela, il invente une nouvelle catastrophe nucléaire similaire dans une ville nommée Nagashima, jeu de mots transparent entre Nagasaki et Fukushima. Son film est avant tout une œuvre de science fiction qui prend pour cadre ce bourg de campagne.

La famille Ono habite dans cette paisible ville. Le vieux père (Isao Natsuyagi) élève des vaches avec l’aide de Yoichi (Jun Murakami) son fils trentenaire et de Yoko (Hikari Kajiwara) sa belle-fille. Ils cultivent aussi des légumes bio. Leur brocoli est réputé au village. La mère (Megumi Kagurazaka) bichonne les fleurs de son jardin. En face de chez eux, on rencontre les voisins tout aussi sympathiques et leur chien jaune trop kawaï nommé Peggy. Tout se passe bien, les oiseaux gazouillent, les gens sourient, tout le monde s’entend bien. Un havre de paix qui va être brisé par la catastrophe nucléaire. On ne verra que la centrale atomique dans le poste de télévision pendant le journal, Sono Sion ne laisse entendre que quelques sons sourds et courts. Au spectateur d’éventuellement imaginer ce qui ne peut de toute façon pas se filmer. Le cinéaste sait qu’on ne peut pas mettre en scène avec réalisme des atomes qui explosent et un tsunami qui s’abat sur la côte.

Les forces de police entrent en scène dans leur combinaison blanche et débitent le discours habituel sur le nucléaire. Avec un sens du cynisme certain, les autorités placent une barrière qu’il ne faudra pas franchir dans une zone de vingt kilomètres autour de la centrale. Tous ceux qui habitent dans cette zone doivent être évacués rapidement. L’ironie du film typiquement kafkaïenne est que cette barrière faite de quelques planches passe juste devant la maison des Ono. Si leurs voisins sont évacués, les Ono peuvent rester chez eux et continuer de vaquer à leurs occupations. Eux, ils ne risquent rien ! Le film pointe la gestion désastreuse de la catastrophe par l’état, les personnages rappellent que les paroles rassurantes mais mensongères entendues à la télévision à l’époque de Fukushima sont les mêmes que celles de cette catastrophe. Ils se retrouvent seuls dans un no man’s land, ils recueillent le chien laissé sur place par les voisins et écoutent les informations. Le père trouve dans son garage le compteur Geiger qu’il avait acheté en 1986 après Tchernobyl. Pour une fois, il va servir.

Rester ou ne pas rester est l’unique question que se posent les personnages. Le fils est convaincu par son père de partir, d’aller dans un autre lieu. Il emmène sa femme. Parce qu’il vient de Nagashima, on le soupçonne de pouvoir contaminer ceux qu’il rencontre. Il clame haut et fort qu’il vient d’une zone non irradiée. Il faut trouver un nouveau boulot. Sa copine est enceinte et s’affole de savoir si son enfant sera irradié. Le film se lance alors dans une fiction de pure paranoïa où la petite-amie du fils va calfeutrer chaque cloison de son appartement et revêtir une combinaison de cosmonaute. Le règne du plastic est arrivé. Les collègues de travail ne voient pas d’un bon œil la peur de la copine d’autant qu’ils entendent à la télé que tout va aller mieux. Sono Sion ne renonce pas à la poésie avec la tentative de retour à Nagashima des fils de voisins qui croisent deux enfants mystérieux au milieu d’une ville dévastée et envahie par la neige. Ce trajet métaphorise une quête ininterrompue vers un au-delà meilleur.

Là où The Land of hope risque le plus d’étonner, et d’irriter plus d’un spectateur, est dans son traitement strictement mélodramatique des rapports entre le père et la mère. Cette dernière demande constamment quand « ils vont rentrer à la maison », elle se met à lever les yeux au ciel en souriant mystérieusement ou encore elle s’émeut des fleurs qui se mettent à faner. En un seul mot, elle a la maladie d’Alzheimer et elle est condamnée. Alors qu’un habitant de la ville tente de finalement faire évacuer le vieux couple, le film s’acharne à filmer leurs derniers moments de vie commune. A quoi cela peut servir de partir ? pense Monsieur Ono. Ils admirent les arbres qui dominent leur propriété depuis des générations, ils se regardent yeux dans les yeux, elle monte sur son dos et rient de bon cœur. Paradoxalement, ces scènes sont dénuées d’émotion mièvre et c’est tant mieux. Pour reprendre le titre du film, Sono Sion affirme avec un grand désespoir non dénuée de panache que s’il existe un pays de l’espoir, il ne se trouve pas ici.

The Land of hope (希望の国, Japon, 2012) Un film de Sono Sion avec Isao Natsuyagi, Jun Murakami, Megumi Kagurazaka, Mitsuru Fukikoshi, Hikari Kajiwara, Motoki Fukami, Shirô Namiki, Yusuke Iseya, Mariko Tsutsui, Fusako Urabe.

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